Les syndicats et le monde de la normalisation
Résolution Adoptée à la réunion du Comité exécutif des 26-27 mars 2024
Les normes techniques affectent également les travailleurs
Les activités de normalisation existent depuis plus de 100 ans. L’industrie a besoin de normes techniques pour innover et conclure des accords contractuels. Les institutions européennes utilisent des normes pour façonner le marché unique de produits et de services. Les tribunaux se réfèrent à des normes dans leurs jugements. Les normes font partie des accords commerciaux du dialogue UE-USA TTC, etc.
Environ 3600 normes techniques sont référencées dans le JOUE incluant des actes législatifs tels que le règlement sur les machines, le règlement sur les équipements de protection individuelle, le futur règlement sur l’IA, etc. Les normes techniques sont donc essentielles pour la sécurité des travailleurs, en particulier dans le domaine de la SST (par exemple sur les échelles, les gants de coiffeur, les vélos-cargos, etc.)
Traditionnellement, les normes techniques ont été rédigées pour l’industrie et par l’industrie. Mais au cours des dernières décennies, l’économie s’est déplacée d’une économie basée sur l’industrie vers une économie basée sur les services (par exemple, la servicisation des produits). Les organismes de normalisation se sont également adaptés à cette économie en mutation et élaborent désormais des normes sur la responsabilité sociale (EN ISO 26000), les systèmes de management (EN ISO 9001, EN ISO 45001), les services, l’intelligence artificielle et la numérisation, etc. Il s’agit là de nouveaux domaines de normalisation dans lesquels, contrairement au passé, des questions relatives aux travailleurs apparaissent. Ces normes techniques ont le potentiel d’entrer en conflit avec le modèle social européen. C’est pourquoi, depuis 2015, la CES participe activement aux processus et activités de normalisation.
Conformément au programme d’action 2023-2027 de la CES, la CES s’oppose aux nouvelles initiatives de normalisation qui interfèrent avec les questions relatives aux travailleurs et aux syndicats et qui sont mieux traitées dans les conventions collectives et la législation. Toutefois, lorsqu’un tel travail de normalisation a lieu malgré notre opposition, nous influençons le processus et le contenu pour nous assurer qu’ils n’interfèrent pas avec la législation nationale et européenne existante ni avec les conventions de l’OIT, et pour tenter de les rendre « favorables aux travailleurs » et de garantir que le rôle et les prérogatives des syndicats dans le dialogue social et la négociation collective sont pleinement respectés.
Les normes techniques sont la référence pour l'attribution des labels de certification. Ces labels de certification sont activement promus (par les organismes de certification), au détriment des normes sociales, notamment des conventions fondamentales du travail de l'OIT.
Stratégie de normalisation de l’UE et règlement 1025/2012 sur la normalisation
Le 2 février 2022, la Commission européenne a publié sa « stratégie de normalisation de l’UE », qui indique notamment que « Plus que jamais, les normes doivent non seulement traiter des aspects techniques, mais aussi intégrer les valeurs démocratiques fondamentales et les intérêts primordiaux de l’UE, ainsi que ses principes écologiques et sociaux. »
Le règlement 1025/2012 fournit le cadre juridique de l’UE en matière de normalisation. Ce règlement fixe également les critères d’éligibilité pour le financement syndical (par lequel la CES reçoit des subventions de fonctionnement annuelles de l’UE/AELE). Dans son article 5, il « encourage [les organismes européens de normalisation - c’est-à-dire le CEN, le CENELEC et l’ETSI] à faciliter une représentation appropriée et une participation effective de toutes les parties prenantes concernées ». Les organismes nationaux de normalisation (ONN), c’est-à-dire les membres du CEN et du CENELEC, jouent également un rôle crucial dans l’élaboration des normes ISO. Il en résulte un écosystème d’organismes de normalisation nationaux, européens et internationaux qui travaillent tous ensemble. En tant que tel, le caractère inclusif du système de normalisation (européen) dépend largement de la participation de toutes les parties prenantes intéressées, y compris les syndicats, au niveau national (par exemple, au sein du comité miroir des ONN).
Évaluation du règlement 1025/2012 sur la normalisation et prochaines étapes
En janvier 2024, la Commission européenne a nommé un consortium pour évaluer le règlement 1025/2012 sur la normalisation. La CES — ainsi que d’autres parties prenantes — contribuera à cette évaluation. En fonction des résultats de l’évaluation — attendus pour le second semestre 2024 — une (légère) révision (ciblée) pourrait éventuellement être initiée.
Dans ce contexte et sous réserve de l’évolution des connaissances au cours des prochains mois, les améliorations potentielles suivantes du règlement 1025/2012 sur la normalisation sont les suivantes :
- Remplacer « normes » par « normes techniques » ;
- Incorporer le terme « syndicats » au lieu de « intérêts sociaux » en vue de clarifier et de protéger le rôle et les prérogatives des syndicats ;
- Introduire le concept de « limite à la normalisation », notamment pour que les normes n’abordent pas les questions sociales et les droits fondamentaux ;
- Revoir les mécanismes d’adoption des normes internationales par rapport aux normes européennes (principe de primauté des normes internationales), car les normes élaborées au niveau international ne sont pas censées être alignées sur les valeurs et les principes de l’UE ;
- Améliorer l’efficacité du système actuel de contrôle de la qualité des « Consultants HAS » — géré par EY au nom de la Commission européenne — pour les normes harmonisées qui sont référencées dans le JOUE, afin de soutenir la législation européenne ;
- Renforcer les droits de participation des syndicats au système de normalisation (national, européen, international), sans frais pour les syndicats.
Dans ce contexte, la CES souhaite :
- Renforcer la coordination entre la CES et la CSI, en particulier en ce qui concerne les travaux de normalisation internationale (les normes internationales étant transposées en normes européennes puis nationales) ;
- Encourager le dialogue entre l’OIT et l’ISO dans le but de parvenir à un accord OIT-ISO pour limiter/arrêter l’élaboration d’une collection croissante de normes ISO qui traitent de questions sociales/sociétales/éthiques qui relèvent de la compétence de l’OIT et des syndicats ;
- Contribuer activement au processus de révision potentielle du règlement 1025/2012, par l’intermédiaire du Comité de normalisation de la CES.
Dans ce contexte, la CES s’engagera auprès des affiliés pour :
- Contribuer activement à la consultation publique (débutant en mars) sur le règlement 1025/2012 relatif à la normalisation, en étroite collaboration avec le Comité de normalisation de la CES ;
- Soutenir l’engagement auprès des autorités nationales respectives, obtenir un « soutien » (financier), s’engager dans les activités de normalisation ;
- Aider leurs autorités nationales respectives et les organismes nationaux de normalisation à faire connaître la position syndicale (par exemple, le chapitre 3.8 du programme d’action 2023-2027 de la CES) dans le « monde de la normalisation » ;
- Continuer à accroître la sensibilisation et les capacités en matière d’activités de normalisation ;
- Mobiliser l’expertise technique dans des domaines spécifiques (par exemple, les machines, l’intelligence artificielle, les équipements de protection individuelle, la gestion des ressources humaines, etc.), éventuellement en recherchant directement cette expertise au niveau de l’entreprise, dans le but de contribuer au contenu de normes techniques spécifiques au niveau national et/ou européen.