Lettre ouverte au Ministre français du Travail : salariés et indépendants appellent à une Directive sur le travail de plateformes plus ambitieuse que la Présidence française

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La lettre suivante est un plaidoyer commun d'organisations de travailleurs indépendants et de syndicats de salariés qui a été envoyé au ministre français du travail en vue de la discussion du rapport d’étape du Conseil EPSCO d’aujourd’hui, demandant aux institutions européennes une directive efficace sur l'amélioration des conditions de travail dans le travail de plateforme. Nos demandes sont les suivantes.

Le 9 décembre 2021, la Commission européenne a présenté la proposition de directive relative à l'amélioration des conditions de travail des travailleurs via les plateformes. Les dispositions prévoient, entre autres, la mise en place d'une présomption réfragable de salariat pour les travailleurs des entreprises de plateforme numérique, complétée par un renversement de la charge de la preuve.

A l’approche des premières discussions du Conseil des ministres de l’emploi ce jeudi 16 juin et avec les négociations qui vont commencer au Parlement Européen sur la Directive, nous souhaitons soulever deux points d’attention qui nous semblent primordiaux à améliorer dans la proposition de Directive.

La Commission a fait dépendre l'activation de la présomption de salariat de deux critères de subordination à remplir sur cinq. Cette exigence donnera aux plateformes de travail numérique la possibilité de rédiger les contrats et les conditions de travail de manière à échapper à quatre critères sur le papier et à limiter délibérément la liberté des vrais travailleurs indépendants sur un autre critère, qui sera vraisemblablement celui de fixer les tarifs ou de se constituer une clientèle. En outre, l'utilisation de critères pour déclencher la présomption méconnaît la difficulté de faire respecter une qualification juridique correcte par les plateformes. Une véritable présomption de salariat doit faire peser la charge de réfuter la présomption sur la plateforme et ne pas laisser cette activation peser sur les travailleurs ou les autorités administratives et judiciaires. Une liste non-exhaustive de critères doit donc permettre aux plateformes de réfuter la présomption, et non être un préalable à l’activation de la présomption par les travailleurs. Cela permettra aux travailleurs de se prévaloir d’un contrat de travail et protègera les indépendants de la subordination par les plateformes.

Comme tout autre travailleur, ceux qui passent par les plateformes numériques de travail doivent avoir accès à la protection sociale. La proposition de directive doit empêcher les plateformes de travail numérique de développer leurs propres régimes unilatéraux de protection privée, a fortiori lorsque cela a pour but d’échapper à leur responsabilité d'employeur. De tels régimes unilatéraux peuvent créer un verrouillage en prévoyant une dépendance sociale vis-à-vis de la plateforme numérique de travail. Les plateformes doivent améliorer les tarifs qu’elles paient à leurs prestataires indépendants, en particulier par la négociation collective. A cet égard, la référence dans les considérants de la directive à la décision volontaire de payer pour "la protection sociale, l’assurance accidents ou d’autres formes d’assurance, les mesures de formation ou des avantages similaires aux travailleurs indépendants actifs sur cette plateforme (…) ne doit pas être considérée comme un élément déterminant indiquant l’existence d’une relation de travail" est très dangereuse et permet la création d'une troisième catégorie de travailleurs, ce à quoi la directive elle-même s'oppose. La directive doit en effet affirmer clairement le contraire : un tel comportement de la part des plateformes numériques de travail doit être un indice, parmi d’autres propres aux définitions nationales et de la CJUE, de subordination. Nous demandons aux Etats-Membres d’améliorer les systèmes de protection sociale des indépendants afin qu’ils ne soient pas socialement dépendants des garanties sociales accordées par les plateformes en contrepartie de leur travail.

La compétitivité ne doit pas provenir d'une pression à la baisse sur les droits du travail. Une entreprise n'est durable que si les droits des travailleurs sont respectés. Alors que des plateformes numériques de travail et des entreprises fonctionnent avec de vrais travailleurs indépendants, des règles sont nécessaires pour garantir que d'autres exerçant les prérogatives d'employeurs ne se soustraient pas à leur responsabilité par le biais d'un faux travail indépendant. Cela est injuste pour leurs travailleurs mais aussi pour la grande majorité des entreprises qui respectent les règles.

En espérant que vous partagez notre ambition d'une économie au service de la société, nous vous invitons à prendre les mesures qui rendront la proposition actuelle plus forte. 

 

Signataires :

Laurent Berger (Président de la Confédération européenne des syndicats et Secrétaire général de la CFDT, France)

Boris Plazzi (Secrétaire confédéral de la CGT, France)

Hind Elidrissi (Porte parole Indépendants.co, France)

Brahim Ben Ali (Secrétaire général Intersyndicale nationale VTC, France)

Thomas Aonzo (Administrateur d’Union-Indépendants, France)

Ludovic Voet (Secrétaire confédéral de la Confédération européenne des syndicats, Belgique)