Position de la CES sur la mise en œuvre de la directive sur les sanctions à l’encontre des employeurs

Position de la CES sur la mise en œuvre de la directive sur les sanctions à l’encontre des employeurs

Adoptée au Comité exécutif des 5-6 octobre 2021

Contexte

Le 23 septembre 2020, la Commission européenne a présenté son nouveau Pacte sur les migrations et l’asile (COM [2020] 609), annonçant par la même occasion qu’elle évaluera comment renforcer l’efficacité de la directive concernant les sanctions à l’encontre des employeurs (2009/52/CE)[1] et évaluera la nécessité de nouvelles actions. Cette directive interdit l’emploi de sans-papiers afin de lutter contre la migration irrégulière. La CES reste critique quant à l'objectif de cette directive en tant qu'outil de contrôle de l'immigration et non pour améliorer les conditions des travailleurs migrants en situation irrégulière, ainsi que sur le manque de voies régulières de migration de travail vers l'Europe. Elle établit également des normes minimales concernant les sanctions et les mesures à appliquer à l’encontre des employeurs, ainsi que des mesures visant à renforcer la protection des droits des migrants.

Le 29 septembre 2021, la Commission a publié son rapport, attendu depuis longtemps, sur la mise en œuvre de la directive sur les sanctions à l’encontre des employeurs, qui sera publié le 29 septembre 2021. La CES a donné son avis[2] sur la mise en œuvre pratique de la directive. La CES a constaté une mise en œuvre très limitée des dispositions visant à garantir les paiements des arriérés, la facilitation des plaintes et les permis de séjour pour les travailleurs sans-papiers. Parallèlement, le 24 juin 2021, l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne a publié un rapport[3] sur la mise en œuvre de la directive et a constaté des lacunes importantes dans la transposition et la mise en œuvre complètes et significatives dans la législation et les pratiques nationales.

Les défis de la mise en œuvre de la directive

Le principal défi est la mise en œuvre pratique des mesures réglementaires, ainsi que la protection des droits des travailleurs migrants sans-papiers. Les sanctions sont trop faciles à éviter et ne sont pas du tout dissuasives par rapport aux avantages budgétaires du travail non déclaré et de l’exploitation. Les organisations membres de la CES ont souligné la mise en œuvre très limitée des dispositions visant à garantir les paiements des arriérés (article 6), la facilitation des plaintes (article 13) et l’accès aux permis de séjour. La question de l’accès approprié à l’information sur les droits et les procédures et le rôle des syndicats à cet égard ont également été soulignés.

  • Mécanismes de plaintes inefficaces

Comme le stipulent l’article 6, paragraphe 2, et l’article 13, paragraphe 1, les États membres veillent à ce qu’il existe des mécanismes et des procédures efficaces permettant aux travailleurs migrants en situation irrégulière de porter plainte contre leurs employeurs, d’introduire une réclamation et, éventuellement, de faire exécuter un jugement pour toute rémunération impayée, y compris lorsqu’ils ne sont plus dans le pays. Elle prévoit également la possibilité pour les autorités compétentes d’engager des procédures de récupération des salaires impayés sans qu’une plainte soit déposée.

La CES demande que des mécanismes de plainte efficaces soient mis à la disposition de tous les travailleurs, quel que soit leur statut[4]. Les pare-feu entre les inspections du travail et les services d’immigration doivent garantir que les travailleurs migrants sans-papiers ne courent pas le risque d’être détenus ou expulsés en raison de leurs interactions avec les inspecteurs du travail, pendant les inspections du travail ou lorsqu’ils exercent un recours judiciaire[5].

Cependant, dans la pratique, la mise en œuvre de la directive n’a pas créé de possibilités significatives pour les sans-papiers de réclamer des salaires impayés ou de déposer des plaintes contre les employeurs. En l’absence de pare-feu ou d’accès à des permis de séjour pour entamer des procédures judiciaires, les travailleurs sans-papiers risquent des représailles de la part des employeurs, une perte de revenus, ainsi que la détention et l’expulsion.

Dans certains cas, le travailleur sans-papiers peut déposer une plainte auprès de l’inspection du travail et soumettre un dossier au tribunal du travail, mais il doit couvrir tous les frais pour faire valoir ses droits auprès du tribunal. En outre, la procédure est longue et les migrants peuvent avoir quitté le pays, avoir été expulsés ou décider de ne pas continuer à faire valoir leurs droits en raison des coûts élevés de la procédure.

En outre, les travailleurs sans-papiers sont confrontés à des difficultés importantes pour rassembler les preuves nécessaires pour prouver l’existence de la relation de travail, les heures réellement travaillées, etc. En général, la charge de la preuve est trop élevée et est particulièrement difficile dans les cas de contractants et de sous-traitants multiples. L’application des droits du travail ne peut être liée à l’existence d’un contrat de travail physique.

La disposition relative à la présomption d’une relation de travail d’au moins trois mois en l’absence de preuve est très importante. Cependant, cette présomption n’est pas interprétée dans tous les pays comme 3 mois d’« emploi à temps plein » (par exemple en Allemagne) — le temps de travail doit encore être prouvé, ce qui peut miner l’effet de cette disposition.

L’article 13.2 stipule que les tiers, qui ont un intérêt légitime à assurer le respect de cette directive, peuvent s’engager au nom ou en soutien d’un travailleur sans-papiers, dans toute procédure administrative ou civile. Cependant, les associations et les syndicats ont été empêchés d’accompagner la victime au tribunal (par exemple en Italie), ce qui fait que le travailleur sans-papiers est beaucoup plus réticent à dénoncer l’employeur par crainte de représailles.

  • Manque d’information et d’accès aux droits

Dans certains cas (par exemple en Allemagne), l’obligation d’informer les travailleurs migrants sans-papiers de leurs droits n’a pas été correctement mise en œuvre. Cette tâche a été déléguée aux autorités d’immigration. Cependant, elles peuvent également décider de l’expulsion et n’ont donc pas une position indépendante. Dans la pratique, l’information et le soutien dans de tels cas sont fournis par les centres de conseil des syndicats, qui fonctionnent sur la base de projets (aucun financement distinct ne leur est accordé à cette fin).

Une consultation précoce sur les droits du travail est nécessaire pour préparer les procédures judiciaires, notamment dans les cas d’emploi irrégulier, car la collecte rapide de preuves ou l’identification des sous-traitants est cruciale pour le succès de l’affaire.

  • Manque d’accès aux permis de séjour

Selon l’expérience des syndicats, un permis de séjour dans le but de réclamer des salaires devant le tribunal du travail n’est presque jamais accordé. Les permis sont généralement délivrés lorsqu’ils sont liés à des procédures pénales, et dépendent de la certification de l’autorité de poursuite et de la volonté du travailleur sans-papiers de participer aux procédures pénales. Le lien entre la participation à la procédure pénale et le droit de séjour a un effet contre-productif sur l’objectif de faire valoir les revendications salariales.

En Allemagne, l’autorité d’immigration exige également un permis de séjour, ce qui entraîne des difficultés particulières pour l’étranger qui poursuit sa demande de salaire impayé depuis l’étranger. L’expérience des centres de conseil montre que les actions en justice provenant de pays non membres de l’UE sont toujours associées à des difficultés extrêmes pour les travailleurs. Pour cette raison, les travailleurs sans-papiers décident très rarement d’engager des poursuites depuis l’étranger et seulement si le cas est accompagné par des conseillers. Le traitement de ces dossiers prend énormément de temps (traductions, transfert d’informations détaillées) et tous ne peuvent donc pas être pris en charge par les centres de conseil. Les travailleurs sans-papiers ont donc besoin d’un accès plus facile aux permis de séjour pour réclamer des salaires impayés.

Les défis de la conduite des inspections

  • Manque de ressources des inspections du travail 

Les autorités d’inspection dans l’UE manquent de personnel et de ressources financières, ce qui rend les inspections moins fréquentes et moins efficaces. Elles ont été affaiblies par des réformes constantes et des modifications de leurs missions fondamentales, à savoir la protection des travailleurs. Il y a également un manque de coordination entre les différentes autorités concernées pour faire respecter les droits sociaux et du travail des travailleurs migrants sans-papiers.

De plus, l’exploitation se produit dans les grandes entreprises comme dans les petites et microentreprises, qui constituent la réalité de nombreux secteurs tels que l’agriculture, le transport routier international, la construction, la transformation de la viande et l’hôtellerie. En outre, la fréquence des inspections du travail a encore diminué pendant la pandémie. Cela a entraîné davantage de violations des mesures de précaution en matière de santé et de sécurité mises en place pour protéger les travailleurs pendant cette crise.

L’UE devrait encourager les États membres à respecter la recommandation de l’OIT d’un inspecteur du travail pour 10 000 personnes employées. Des ressources supplémentaires devraient être mises à la disposition de l’Autorité européenne du travail afin de renforcer la capacité des inspections nationales par une assistance dans les situations transfrontalières.

Dans le cas du travail domestique, les inspections sont particulièrement difficiles ou inexistantes en raison de l’intimité des ménages, et les employeurs ne reçoivent donc aucune sanction. Des stratégies spécifiques sont nécessaires pour répondre aux préoccupations des travailleurs domestiques et de soins, qui vivent et travaillent au domicile de l’employeur.

Parallèlement au renforcement des capacités et des pouvoirs des organes d’inspection du travail, il est important de renforcer les mécanismes de plainte et les voies permettant aux syndicats d'agir au nom des travailleurs. Ces derniers permettent aux travailleurs de signaler les problèmes et de fournir des preuves aux autorités d’inspection. Les informations fournies par les travailleurs aident les inspecteurs à cibler leurs activités et à monter des dossiers solides contre les employeurs.

  • Collecte des données

Les services d’inspection gardent généralement trace du nombre d’inspections et de sanctions. Les données relatives aux plaintes déposées ne sont pas centralisées et sont désagrégées. C’est uniquement le nombre de plaintes qui est enregistré, sans suivi. Par conséquent, il n’existe pas de données sur les résultats obtenus par les travailleurs (égalité des salaires, compensations, droits sociaux, etc.). Dans la pratique, les inspections du travail se contentent de contrôler et d’enregistrer le nombre de plaintes et d’amendes, mais elles ne sont pas activement impliquées en ce qui concerne les droits des migrants.  

  • Comment les inspections sont effectuées

L’efficacité des inspections dépend, entre autres, de la confiance et de la volonté des travailleurs de coopérer avec les autorités de contrôle. Cet aspect est influencé négativement par les facteurs suivants :

  • Les autorités chargées de l’application de la loi, qui contrôlent les violations du salaire minimum lorsqu'il existe, sont en même temps généralement chargées de vérifier la validité des permis de travail ou d’effectuer des inspections en collaboration avec la police.
  • Les travailleurs indiquent que les employeurs sont informés des inspections à l’avance. L’entretien avec les autorités a lieu en présence de l’employeur. Parfois, l’employeur était impliqué en tant qu’interprète pour les autorités de contrôle.
  • Lors des inspections, les travailleurs sans-papiers ne sont généralement pas informés de leurs droits et ne sont pas interrogés sur leurs conditions de travail. Ils sont rarement informés de la suite de la procédure et/ou adressés à des organisations spécialisées.

La Convention 81 de l’OIT sur l’inspection du travail est claire sur le fait que le rôle premier des inspecteurs du travail est de faire respecter les dispositions légales relatives aux conditions de travail et à la protection des travailleurs. Ils ne devraient pas être chargés d’autres tâches qui interfèrent avec cela et rompent la relation de confiance avec les travailleurs. Dans sa jurisprudence, la Commission d’experts pour l’application des conventions de l’OIT a reconnu à plusieurs reprises que les devoirs d’application de la loi sur l’immigration et les inspections conjointes avec les acteurs de l’application de la loi sur l’immigration sapent cette confiance.

Voici les mesures possibles pour surmonter ces défis :

  • Le système d’inspection devrait être renforcé, en prévoyant davantage de ressources humaines et financières, notamment dans les secteurs où le risque d’exploitation des travailleurs sans-papiers est le plus élevé.
  • L’obligation pour les autorités du travail de signaler l’application des lois sur l’immigration devrait être levée. Des règles claires devraient être mises en place pour déterminer comment, dans quelle mesure et à quelles fins les inspections du travail peuvent utiliser les données relatives à l’immigration. Cela permettrait de s’assurer que le partage d’informations est bien défini et ne porte pas atteinte à leur rôle principal, qui est de protéger les droits de tous les travailleurs, quel que soit leur statut, et d’avoir leur confiance.
  • Les garanties fournies aux travailleurs doivent être améliorées : les centres de conseil syndical spécialisés doivent être impliqués pour assurer la confiance et le soutien professionnel des travailleurs sans-papiers.
  • Si les inspections sont effectuées en collaboration avec la police, toutes les autorités participantes doivent faire respecter les normes du travail et protéger les travailleurs — aucune mesure d’exécution en matière d’immigration ne doit être prise.
  • Les inspecteurs devraient être formés (culturellement) à travailler avec des travailleurs migrants sans papiers, car certains se sentent incompris et sont même considérés comme des délinquants.
  • L’inclusion d’un rôle possible pour l’Autorité européenne du travail (AET) dans la mise en œuvre efficace de la directive, comme le prévoit le Pacte sur les migrations et l’asile, ne doit en aucun cas renforcer le rôle des autorités nationales du travail, qui consiste à sanctionner les employeurs et à signaler les travailleurs sans-papiers aux autorités chargées des migrations, plutôt que de faire respecter leurs droits en matière de travail. Si l’AET doit jouer un rôle, ce doit être dans la perspective de garantir l’indépendance et l’efficacité des inspecteurs du travail dans leur rôle d’application des droits du travail pour tous les travailleurs, y compris les travailleurs mobiles et migrants, quel que soit leur statut.
  • Les tiers devraient pouvoir représenter les travailleurs dans les procédures judiciaires avec leur consentement. Tous les États membres devraient être tenus de veiller à ce que les tiers désignés, y compris les syndicats, puissent déposer des plaintes au nom des travailleurs migrants (article 13.1).

Le rôle et les devoirs des inspections du travail

Il est essentiel que les autorités d’inspection soient tenues d’informer les travailleurs sans-papiers de leurs droits et des mécanismes de plainte disponibles. Cependant, même si, au cours des inspections, les autorités fournissent des informations sur les droits, celles-ci ne sont pas suffisamment complètes et compréhensibles pour permettre aux travailleurs de faire valoir leurs droits en toute indépendance. Il est donc nécessaire de fournir aux travailleurs migrants des informations pertinentes avant que les inspections du travail n’agissent, en impliquant les syndicats ainsi que les organisations de la société civile. Les syndicats ont les compétences et l’expertise nécessaires pour aider les travailleurs migrants de manière efficace.

Les syndicats soutiennent les travailleurs migrants par des campagnes de sensibilisation sur le lieu de travail, ainsi qu’en les atteignant dans les espaces publics (dialogue avec les travailleurs/dépliants diffusés dans différentes langues) et avant le départ de leur pays d’origine. Les autorités publiques ainsi que l’UE devraient soutenir les services de conseil des syndicats.

Les mécanismes de plainte ne fonctionnent pas pour une raison très simple : en déposant une plainte, les travailleurs migrants sans-papiers risquent des représailles de la part des employeurs, une perte de revenus, la détention et l’expulsion. À la suite d’inspections, il reste courant d’émettre des ordres d’expulsion et de détenir les travailleurs sans-papiers sans examiner la violation de leurs droits en matière de travail. Cela signifie que les travailleurs sans-papiers n’ont pas vraiment le choix et que les répercussions sur les employeurs sont très limitées.

  • Tous les travailleurs migrants, y compris les sans-papiers, doivent pouvoir bénéficier d’un soutien et faire valoir leurs droits en matière de travail sans risquer de faire l’objet de mesures d’immigration et d’être expulsés. Compte tenu des conditions d’exploitation auxquelles ces travailleurs sont souvent soumis, les États membres doivent veiller à ce que ceux-ci — quel que soit leur statut en matière d’emploi ou de résidence — puissent effectivement accéder à la justice et exercer leurs droits en matière d’emploi devant les tribunaux civils, les tribunaux du travail, les inspections et autres mécanismes de plainte pertinents.
  • Cela implique également d’interdire le transfert de données personnelles sur les travailleurs sans-papiers aux services d’immigration par l’intermédiaire de l’inspection du travail sans leur consentement explicite (par exemple, ils pourraient consentir à être orientés vers des procédures de permis de séjour) et d’établir des politiques et des protocoles dans les services d’immigration afin de protéger les travailleurs contre les représailles de l’employeur et les répercussions négatives concernant leur statut à la suite de l’exercice des droits du travail.
  • Il serait possible, par exemple, d’accorder aux centres de conseil spécialisés des droits d’assistance ou de représentation des travailleurs sans-papiers dans les procédures judiciaires.
  • Les travailleurs migrants sans-papiers devraient être systématiquement informés — dans leurs langues respectives — de leurs droits et des procédures légales et avoir accès à une assistance juridique gratuite afin de demander des compensations.

Les défis liés aux sanctions appliquées aux employeurs

L’expérience a montré que les sanctions contre les employeurs pénalisent principalement les travailleurs. Ces sanctions doivent donc être appliquées avec modération et avec pour objectif premier de protéger les travailleurs. Une attention particulière doit être accordée aux femmes qui sont plus exposées à l’exploitation et à la traite.

Il y a trop peu de contrôles, par conséquent le risque à contrôler et à sanctionner est faible. Les plaintes étant très limitées (voir les raisons ci-dessus), les sanctions sont également appliquées trop rarement.

Les conséquences financières/pénales pour les employeurs qui exploitent les travailleurs ne sont pas visibles et sont inférieures aux avantages que procurent le travail non déclaré et le dumping social. Elles ne s’attaquent pas non plus à la pression à la baisse sur les salaires dans de nombreux secteurs. Par exemple, en Italie, avec la loi 199/2016 contre le « caporalato » (courtage illégal de main-d’œuvre), les sanctions contre les employeurs qui exploitent des étrangers en situation irrégulière ont été rendues plus sévères, mais la difficulté des inspections et la longueur des procédures judiciaires demeurent. Il existe des sanctions (administratives et pénales) qui sont appliquées dans certains cas aux employeurs qui utilisent et exploitent des travailleurs migrants en situation irrégulière : des amendes importantes, l’impossibilité de participer à des appels d’offres pour des travaux financés par des fonds publics, voire des condamnations pénales en cas de formes graves d’exploitation. Les sanctions sont augmentées proportionnellement au nombre de migrants exploités. Le problème est que les instruments publics de contrôle et d’inspection des lieux de travail (ainsi que l’action de protection des syndicats) ne sont pas suffisants comme mesures préventives. Ce n’est pas une coïncidence si le phénomène du « caporalato » ou le recours au travail non déclaré n’a pas diminué en Italie, notamment dans des secteurs tels que l’agriculture, la construction, le travail domestique et les soins, etc.

En outre, l’article 7 qui prévoit des sanctions supplémentaires telles que l’exclusion des marchés publics et des financements nationaux et européens (y compris les subventions de la PAC) n’a pas été transposé par tous les États membres. Cet article devrait devenir obligatoire pour tous les États membres. Notre membre, l’EFFAT, fait pression pour l’inclusion de cette directive dans le champ d’application personnel de la conditionnalité sociale de la PAC actuellement discutée au niveau européen. 

Les mesures possibles pour surmonter ces défis sont les suivantes :

  • Renforcer le système de contrôle, mieux utiliser les sanctions prévues à l’article 7 et veiller à ce que les employeurs soient tenus de verser l’intégralité des salaires dus, y compris les impôts et les cotisations de sécurité sociale.
  • Recueillir des données sur le nombre et les types de sanctions imposées aux employeurs afin d’évaluer les impacts réels de ces sanctions et les éventuelles mesures à envisager.

Mesures de protection des droits des travailleurs sans-papiers

Comme décrit ci-dessus, la CES souligne l’importance des mesures de protection prévues par la directive et la nécessité de leur application effective et complète dans la pratique. Afin de lutter efficacement contre l’emploi irrégulier, il est nécessaire de renforcer les mesures de protection des travailleurs sans-papiers, par exemple l’exemption de sanctions, le droit à la régularisation de la relation de travail, l’accès à un titre de séjour régulier. Les contacts des travailleurs sans-papiers avec différentes autorités (autorité d’exécution, tribunal du travail, autorité de poursuite) ne devraient pas être notifiés automatiquement à d’autres institutions publiques.

Le champ d’application de la directive est limité aux travailleurs migrants sans-papiers. Les ressortissants de pays tiers ayant un séjour régulier sans permis de travail ou un séjour quasi régulier, qui n’est pas destiné à des fins de travail, ne sont pas couverts par la directive (par exemple, les ressortissants de pays tiers qui sont détachés dans le cadre de la libre prestation de services), bien qu’ils soient confrontés aux mêmes problèmes pour faire valoir leurs droits. Afin de vérifier l’authenticité des détachements de ressortissants de pays tiers et de lutter contre l’utilisation de systèmes de détachement artificiels, il convient de tenir compte de la définition juridique du détachement, à savoir « un travailleur qui, pour une période limitée, effectue son travail sur le territoire d’un État membre autre que celui dans lequel il travaille normalement » (article 2, paragraphe 1, de la directive 96/71/CE sur le détachement de travailleurs). Le détachement d’un ressortissant de pays tiers qui ne répond pas à cette définition devrait être considéré comme factice et donc sans permis de travail valable dans l’État membre de destination. Par conséquent, il devrait être possible, en vertu de la directive sur l’emploi, de tenir pour responsable un contractant qui utilise de faux travailleurs ressortissants de pays tiers détachés, en plus de l’employeur détachant dans l’État membre d’origine.

Outre la responsabilité de la sous-traitance et la nécessité d’une responsabilité conjointe et solidaire tout au long de la chaîne de sous-traitance, la directive n’aborde pas suffisamment le rôle clé des intermédiaires dans l’entrée dans l’emploi irrégulier. Leur rôle est similaire à celui des employeurs, les sanctions ou mesures devraient donc également être dirigées contre les intermédiaires. De même, il faut s’assurer que les obligations de diligence raisonnable sont complémentaires et ne suppriment pas la responsabilité au titre de la responsabilité conjointe et solidaire. En outre, il doit être possible de tenir le contractant principal pour responsable des violations commises dans la chaîne de sous-traitance, même s’il a rompu le contrat de service, car cette possibilité a été utilisée dans certains États membres par les sous-traitants comme moyen d’échapper à leur responsabilité lorsque les contractants commencent à soupçonner des abus.

Actions possibles pour surmonter les mesures insuffisantes :

  • Dès que la preuve d’une relation de travail est établie, la procédure de régularisation par le travail doit être entamée et un permis de séjour incluant le droit de travailler doit être accordé.
  • Il faut introduire des règles plus strictes en matière de responsabilité conjointe et solidaire dans la chaîne de sous-traitance, y compris pour les intermédiaires.
  • Il est nécessaire de s’attaquer à l’utilisation abusive des faux ressortissants de pays tiers détachés, en veillant à ce qu’ils aient accès à un permis de travail dans l’État membre de destination, plutôt que dans un État membre d’envoi, avec lequel ils n’ont aucun lien.
  • Les travailleurs sans-papiers doivent être informés — dans leur propre langue — de leurs droits sociaux et du travail. Les services de conseil des syndicats doivent être soutenus. Des lignes d’assistance téléphonique 24 heures sur 24 (gratuites) doivent être mises en place pour signaler les violations respectives (avec des interprètes multilingues).
  • Des initiatives de sensibilisation doivent être mises en œuvre en coopération avec les organisations de la société civile et les syndicats, les autres acteurs concernés et les communautés locales afin de prévenir et/ou de signaler l’exploitation des travailleurs migrants.

Recommandations de la CES pour une mise en œuvre efficace de la directive

La Commission devrait :

  • Préciser aux autorités des États membres que la directive exige des mécanismes et des procédures de réclamation efficaces et que, par conséquent, des garanties doivent être mises en place pour protéger les travailleurs contre la répression de l’immigration. Les autorités d’inspection devraient engager des procédures à l’encontre des employeurs pour le paiement des salaires, des impôts et des cotisations de sécurité sociale dus, imposer des sanctions, et aider les travailleurs à accéder aux procédures de permis de séjour pertinentes.
  • Promouvoir la discussion et l’échange de bonnes pratiques à cet égard. Le groupe de travail de la Plate-forme européenne sur le travail non déclaré et le groupe de travail sur les inspections au sein de l’Autorité européenne du travail pourraient servir d’espace à cette fin, afin de promouvoir et de garantir des approches de l’inspection du travail conformes aux droits de l’homme, dans le respect des normes de l’OIT. Les partenaires sociaux et les organisations de la société civile devraient prendre part à ces discussions.
  • Recueillir et publier les données statistiques des États membres sur le

     - nombre d’inspections réalisées

     - nombre de plaintes déposées par les travailleurs

     - nombre de travailleurs sans-papiers qui ont réussi à faire valoir leurs revendications salariales, à recevoir une compensation, des contributions sociales

     - nombre et type de sanctions imposées aux employeurs

     - nombre et type de permis de séjour délivrés

  • Fournir des fonds pour aider les syndicats et les organisations de la société civile à offrir des informations et des conseils, une assistance juridique et des services de soutien aux travailleurs sans-papiers, conformément aux articles 6.2, 13.1 et 13.2.
  • Renforcer la cohérence et la mise en œuvre complète des droits des travailleurs sans-papiers dans le cadre de la directive sur les sanctions à l’encontre des employeurs, de la directive anti-traite, de la directive sur les victimes et de la stratégie en faveur des victimes. Cela peut se faire en promouvant des politiques de signalement sûres et des protocoles pratiques afin de garantir que les victimes sans papiers puissent signaler en toute sécurité aux forces de l’ordre les incidents d’exploitation du travail, de travail forcé, de traite des êtres humains, de violence et de harcèlement sur le lieu de travail, sans risquer de se voir appliquer les lois sur l’immigration. Une attention particulière doit être accordée aux femmes et aux filles.

La directive devrait :

  • Fixer des normes minimales en matière d’inspection du travail et de mécanismes de plainte pour les travailleurs migrants sans-papiers ; exiger des États membres qu’ils séparent l’application des normes d’emploi et des réglementations en matière d’immigration et reconnaître le droit et la nécessité pour les travailleurs sans-papiers de déposer des plaintes officielles sans risquer l’expulsion.
  • Interdire le signalement des travailleurs sans-papiers aux acteurs de l’immigration par l’inspection du travail.
  • Exiger des États membres qu’ils introduisent des garanties au sein des services d’immigration afin de protéger les travailleurs contre les représailles des employeurs et les répercussions négatives sur leur statut du fait de l’exercice de leurs droits en matière de travail.
  • Exiger des intermédiaires du travail, des agences de placement, ainsi que des autorités chargées de l’application des lois (y compris les inspections du travail) qu’ils fournissent des informations accessibles aux travailleurs migrants — y compris les sans-papiers — sur leurs droits et sur les endroits où ils peuvent obtenir soutien et réparation.
  • La période de présomption de 3 mois d’une relation de travail devrait être étendue et la charge de la preuve sur l’employeur devrait être renforcée.
  • L’article 8 doit être renforcé et une responsabilité conjointe et solidaire en chaîne complète doit s’appliquer dans tous les pays. La responsabilité de la chaîne complète de sous-traitance doit tenir compte d’une série de sujets différents, notamment les planchers salariaux ou les salaires minimums légaux (le contournement et l’évasion) des cotisations de sécurité sociale et des impôts, le travail non déclaré, la santé et la sécurité, et (la violation) des droits d’organisation et de négociation collective.
  • L’exclusion des marchés publics et des financements publics (y compris les financements européens) devrait devenir obligatoire et s’appliquer à tous les États membres.
  • Tous les travailleurs qui déposent une plainte devraient se voir accorder un permis de séjour en vertu de la directive.

[1]Directive 2009/52/CE du Parlement européen et du Conseil du 18 juin 2009 prévoyant des normes minimales concernant les sanctions et mesures à l’encontre des employeurs de ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier https://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/ALL/?uri=celex%3A32009L0052

[2]  La CES a fourni des contributions écrites à la consultation informelle proposée par la DG Affaires intérieures et a assisté à l'audition des partenaires sociaux organisée le 13 juillet 2021 par la DG Emploi et la DG Affaires intérieures à la demande de la CES.

[3] Protéger les migrants en situation irrégulière contre l'exploitation du travail - Rôle de la directive sur les sanctions à l'encontre des employeurs | Agence des droits fondamentaux de l'Union européenne (europa.eu)

[4] Voir la résolution de la CES sur la mobilité équitable et la migration https://www.etuc.org/en/document/etuc-resolution-fair-labour-mobility-and-migration.

[5] Voir PICUM 'A Worker is a Worker: How to Ensure that Undocumented Migrant Workers Can Access Justice’. Lien. PICUM Guidelines for developing an effective complaints mechanism in cases of labour exploitation or abuse. Lien.