Position de la CES sur le nouveau programme quinquennal de la Commission sur la migration (communication CE « Faire de l'Europe ouverte et sûre une réalité »)

Adoptée lors de la réunion du Comité exécutif de la CES les 11-12 juin 2014

 

 

 

La DG Affaires intérieures est à l'origine d'une communication visant à définir les priorités dans le domaine des politiques migratoires au cours des cinq prochaines années. La CES reconnaît qu'il s'agit là d'une nouvelle approche du phénomène migratoire en Europe.

Ce document soulève néanmoins certaines préoccupations et il est susceptible d'améliorations.

Les ressortissants de pays tiers doivent bénéficier d'une pleine égalité de traitement sur le lieu de travail et sur le marché du travail, y compris l'accès à l'emploi dans les services publics. Le programme de travail de l'UE requiert davantage de propositions concrètes pour garantir la participation des migrants au marché du travail avec des perspectives à long terme.

Les syndicats demandent instamment que des mesures soient prises pour éradiquer toute pratique d'exploitation de la main-d'œuvre migrante au sein de l'économie informelle. À cette fin, l'UE requiert un cadre d'action sur la régularisation des migrants.

Le système commun d'asile a permis une évolution positive, mais la « responsabilité » et la « solidarité » ne sont pas encore visibles. La CES poursuivra la recherche d'un consensus politique sur les 4 propositions formulées dans sa résolution pour une protection plus effective des migrants et des réfugiés, de leur vie et de leurs droits aux frontières de l'UE.

L'UE et ses agences doivent souscrire fortement au respect des droits de l'homme fondamentaux et des conventions internationales sur la protection des migrants, des demandeurs d'asile et des membres de leur famille.

La CES est disposée à avoir un dialogue structuré sur la migration avec la DG Affaires intérieures, en coordination avec la DG EMPL. La CES demandera par ailleurs un siège au forum consultatif de Frontex.

 

Contexte

 

 La DG Affaires intérieures de la Commission européenne a publié en mars 2014 une communication au Parlement européen et au Conseil intitulée « Faire de l'Europe ouverte et sûre une réalité » - COM(2014) 154 final.

La DG Affaires intérieures y définit les priorités des politiques migratoires pour les cinq prochaines années (2015-2019). Quatre chapitres sur cinq sont consacrés à la circulation des personnes à travers les frontières de l'UE, y compris les migrants économiques, les demandeurs d'asile et les voyageurs en règle.

Le précédent programme quinquennal (le Programme de Stockholm) étant parvenu à son terme, la Communication ouvre la voie à la définition de la prochaine politique de l'UE dans le domaine de la migration et déclenche le processus législatif auquel participeront le Parlement européen et les États membres sur un pied d'égalité (procédure de codécision).

La CES a fixé ses priorités dans le Plan d'action sur la migration et dans sa résolution pour une protection plus effective des migrants et des réfugiés, de leur vie et de leurs droits aux frontières de l'UE.

 

Les priorités de la CES concernant la migration économique peuvent être résumées comme suit :

a)    Rétablir un équilibre correct entre le droit à la libre circulation de la main‑d'œuvre et la protection des normes sociales, par l'intégration de l'égalité de traitement dans l'ensemble de l'acquis communautaire sur la migration et la promotion d'une approche de l'intégration et de l'inclusion fondée sur le droit.

b)    Renforcer l'accès aux services et à la protection du marché du travail, y compris la formation et la reconnaissance des compétences et qualifications, l'accès à la sécurité sociale et la transférabilité des droits à pension.

c)    Encourager la sortie des migrants sans papiers de leur situation irrégulière ou de l'emploi non déclaré.

d)    Encourager les États membres à promouvoir des politiques des politiques d'intégration effectives par un financement adéquat des services publics et renforcer la capacité des syndicats de fournir des services et une assistance aux migrants.

e)    Soutenir la négociation collective et le dialogue social - dynamisés par une affiliation croissante au sein de la population étrangère - comme un instrument permettant d'améliorer la gestion de la diversité sur le lieu de travail, et adapter les règles actuelles pour répondre à une présence croissante de ressortissants de pays tiers sur le lieu de travail et le marché du travail.

f)     Influer sur les facteurs sous-jacents des mouvements de ressortissants de pays tiers provoqués par le commerce international, en accordant une attention particulière au détachement de travailleurs ou à d'autres formes de fournitures de services transfrontaliers qui impliquent le mouvement de travailleurs.

g)    Renforcer la législation européenne, investir davantage dans un dialogue structuré sur la migration avec la DG Affaires intérieures, en coordination avec la DG EMPLOI, pour poursuivre différents objectifs : une  mise en œuvre renforcée et l'application de l'acquis existant ; une réduction de la fragmentation de la législation actuelle relative à la migration économique ; une législation favorable à la stabilité ou à la stabilisation des flux migratoires.

h)    Soutenir la ratification de la convention des Nations-Unies sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille (1990) par tous les gouvernements de l'UE.

 

Dans le domaine des mouvements liés aux personnes à la recherche d'une protection internationale, la CES souligne le besoin d'une politique d'asile renforcée et invite les États membres à faire preuve d'une responsabilité accrue à l'égard de la communauté internationale et, surtout, quant à l'obligation de respecter les vies humaines et les droits de l'homme des personnes à la recherche d'une protection.

Dans le contexte urgent de la pression croissante aux frontières méridionales de l'Union et dans le but de mettre un terme immédiat aux morts inacceptables en mer Méditerranée et aux frontières terrestres telles qu'entre le Maroc et l'Espagne à Ceuta et à Melilla, ou entre la Grèce et la Turquie, suite à la violation des obligations découlant de conventions internationales, la CES formule les propositions suivantes :

 

i. L'UE et les Etats Membres devraient partager les responsabilités de la politique des Migrations. Les institutions de l'UE et leurs agences doivent mettre en œuvre une véritable politique commune en matière d'asile et de migration. Les ressources doivent être adaptées aux missions qu'elles visent à accomplir pour autant qu'elles soient tenues d'assumer la responsabilité du respect des droits de l'homme fondamentaux tels qu'ils sont consacrés dans les traités européens.

ii. Le remplacement du refoulement à la mer des bateaux transportant des personnes par l'obligation de recherche et de sauvetage en mer. Un règlement européen devrait imposer la suppression de toute législation nationale permettant des poursuites à l'encontre des personnes qui fournissent une assistance aux personnes dans le besoin. La CES dénonce également l'utilisation de dispositifs de protection capables de causer de graves blessures, tels que ceux qui sont installés sur les barrières frontalières à Ceuta et à Melilla.

iii. La mise en place d'un programme intitulé FRONTAID, destiné à créer des structures publiques d'accueil sous l'égide de l'UE dans les régions exposées à des arrivées à grande échelle de migrants et de demandeurs d'asile, dans le respect des droits fondamentaux tels qu'ils sont consacrés par le droit communautaire. Ces structures d'accueil auront pour mission : l'administration des premiers soins ; le lancement et la gestion des procédures concernant l'identification des migrants ou des demandeurs d'asile ; un examen préliminaire des demandes d'asile afin d'indiquer l'État membre compétent conformément au règlement Dublin II ; la coopération avec l'État membre compétent pour instruire une demande pour d'autres types de permis ; la supervision du déclenchement des procédures de retour, le cas échéant.

 

Le renouvellement de l'engagement le plus fort du Secrétariat de la CES en faveur de la pleine mise en œuvre du Plan d'action sur la migration et de la résolution de la CES pour une protection plus effective des migrants et des réfugiés, de leur vie et de leurs droits aux frontières de l'UE ; compte tenu des discussions menées au sein du groupe de travail migration de la CES et des propositions formulées par ses membres.

 

Le Comité exécutif est invité à adopter le document suivant au titre de contribution à la communication « Faire de l'Europe ouverte et sûre une réalité ».

 

POUR ADOPTION

 

Une nouvelle approche du phénomène migratoire en Europe

 

La CES apprécie la tentative de changement d'approche du phénomène migratoire en Europe. La communication souligne que les migrants enrichissent nos sociétés par une excellente diversité et insiste sur la contribution des migrants à l'économie de l'UE.

 

L'UE entre dans une phase de consolidation des progrès accomplis jusqu'à présent. Aucune nouvelle initiative législative n'est prévue pour les années à venir. La Commission européenne souhaite centrer ses efforts en vue d'une meilleure cohérence dans les différents domaines des politiques migratoires. L'idée de s'orienter vers « un espace migratoire unique » est également intéressante, s'agissant de codifier et d'intégrer les conditions fondamentales d'admission ainsi que les droits des ressortissants de pays tiers.

 

La référence à la nécessité d'ajuster les politiques de l'UE aux besoins économiques à court comme à long terme peut être accueillie avec satisfaction. Il est reconnu que les personnes souhaitent venir travailler en Europe, certaines de façon temporaire, d'autres de façon plus permanente. Ceci devrait renforcer l'attention portée aux droits et aux possibilités des migrants à long terme, de leurs familles et enfants, et susciter davantage d'investissements dans les politiques d'intégration et d'inclusion.

 

La priorité accordée à la contribution des migrants à l'économie de l'UE centre l'attention sur le marché du marché du travail et son ouverture. Une attention particulière doit être accordée à la reconnaissance des qualifications, à l'accès et à la transférabilité des droits acquis dans le cadre des régimes de sécurité sociale et à la mobilité intra-communautaire des migrants.

 

Si la contribution à l'économie de l'UE peut être plus performante dans le cadre d'une analyse précise des besoins du marché du travail, la CES accueille avec satisfaction l'exigence de la Commission d'une participation plus étroite des partenaires sociaux à cet exercice.

 

Une nouvelle approche manifeste est l'intégration fondée sur les droits, à tous les niveaux politiques, qui sont invités à faire preuve de davantage de responsabilité. Il est urgent que les responsables politiques nationaux prennent des mesures témoignant d'une ferme résolution pour qu'une Europe ouverte et sûre garantisse les droits fondamentaux qui s'appuient sur la Charte des droits fondamentaux de l'UE.

 

Concernant la gestion de l'espace Schengen, les intentions de lever les obstacles à l'obtention de visas pour les voyageurs, les migrants et les demandeurs d'asile sont claires. Concernant ces derniers, une évolution positive devrait découler de l'intention déclarée d'inciter les États membres à faire preuve de davantage de responsabilité et de solidarité quant à la relocalisation des demandeurs d'asile ou aux urgences à l'origine d'afflux disproportionnés de personnes à la recherche d'une protection internationale.

 

Des propositions concrètes sont également formulées ou envisagées pour prévenir les voyages dangereux visant à franchir les frontières de l'UE et soustraire les futurs migrants des trafiquants.

 

Sujets de préoccupation et améliorations possibles

 

Face à cette évolution positive, la CES relève des motifs d'inquiétude et présente des propositions d'amélioration liées aux mouvements des migrants à travers les frontières de l'UE, groupées ici sous quatre chapitre reflétant la subdivision en quatre chapitres de la communication.

 

Chapitre 1. Une politique migratoire et de la mobilité efficace

 

L'égalité de traitement au travail doit devenir une norme de l'UE pour les ressortissants de pays tiers

 

La référence au traitement équitable et à l'accès non discriminatoire au marché du travail ne constitue pas une norme suffisante pour la législation de l'UE. Les ressortissants de pays tiers doivent bénéficier d'une pleine égalité de traitement sur le lieu de travail et sur le marché du travail, y compris l'accès à l'emploi dans les services publics. Ce principe ne devrait pas se limiter aux politiques d'intégration, mais comprendre les efforts globaux pour une meilleure mise en œuvre et application de l'acquis communautaire sur la migration.

 

Le programme de travail de l'UE requiert davantage de propositions concrètes pour garantir la participation des migrants sur le marché du travail avec des perspectives à long terme. En ce sens, il est important d'améliorer la reconnaissance des qualifications et compétences de tous les migrants et pas seulement des migrants hautement qualifiés.

 

La DG Affaires intérieures devrait établir une coordination plus étroite avec d'autres services de la Commission européenne. En particulier, la mobilité des ressortissants de pays tiers, le renforcement et la reconnaissance de leurs qualifications et l'adéquation de l'emploi aux compétences seraient mieux gérés s'ils s'inscrivaient dans un seul cadre d'action, à convenir avec la DG EMPL et la DG EAC.

 

Le même principe s'applique à tous les instruments disponibles de soutien à la mobilité, à la reconnaissance des compétences et des diplômes et à la non-discrimination qui sont en place pour les citoyens de l'UE en matière de mobilité et qui devraient être disponibles pour les ressortissants de pays tiers travaillant dans l'UE.

 

L'égalité de traitement devrait être garantie aux ressortissants de pays tiers employés dans un État membre comme c'est déjà le cas pour les citoyens de l'UE. Le principe de l'égalité de traitement doit protéger les ressortissants de pays tiers employés dans un État membre contre la discrimination fondée sur la nationalité, l'origine ethnique ou le genre dans l'accès à l'emploi, les conditions d'emploi et de travail, notamment en ce qui concerne la rémunération, le licenciement, les impôts et les avantages sociaux, en garantissant l'égalité de traitement en vertu du droit national, de la pratique et des conventions collectives, par rapport aux ressortissants de cet État membre (considérant 3, directive relative à des mesures facilitant l’exercice des droits conférés aux travailleurs dans le contexte de la libre circulation des travailleurs).

 

La CES est disposée à avoir un dialogue structuré avec la DG Affaires intérieures.

 

Un dialogue sur les politiques migratoires peut être structuré en s'inspirant des pratiques existantes dans d'autres services de la Commission européenne, comme le comité consultatif pour la libre circulation des travailleurs de la DG Emploi, ou d'autres formes de dialogue social structuré dans la DG REGIO et la DG EAC.

 

La DG EMPL devrait être chargée de garantir une protection uniforme des travailleurs migrants ou de détecter des risques de sous-protection ou de distorsions sur le marché du travail, y compris des pratiques indésirables de dumping social. La DG EMPL devrait faire meilleur usage de ses compétences au titre de l'article 153 TFUE et mettre au point une proposition de directive cadre sur les droits des ressortissants de pays tiers au travail.

 

Dans la DG Affaires intérieures, le Réseau européen des migrations compte déjà sur la participation de représentants de gouvernements nationaux au sein d'un réseau structuré qui peut être utilisé aux fins d'un échange plus étroit avec les syndicats dans les domaines les plus importants de la politique migratoire. L'élargissement et la mise en œuvre d'un tel réseau peuvent constituer le point de départ de l'établissement d'un dialogue tripartite approprié dans le domaine de la migration.

 

Ce dialogue structuré doit garantir que l'ensemble des initiatives législatives et des politiques visant à régir les conditions de travail et à mettre en œuvre l'intégration des ressortissants de pays tiers et de leurs familles (indépendamment de la base légale sur laquelle se fonde le séjour) soient l'objet d'une consultation appropriée avec les partenaires sociaux au plan européen avant leur adoption, ainsi qu'au plan national pour leur transposition et application.

 

L'UE a besoin d'une stratégie claire de régularisation des migrants et doit lutter contre leur exploitation au sein de l'économie informelle.

 

Selon les termes de la Commission européenne, une approche crédible de la migration irrégulière requiert une combinaison de mesures. Mais cette combinaison repose encore sur des politiques qui renforcent l'aspect « sécuritaire » du problème et qui se sont avérées insuffisantes. En effet, il est reconnu que l'offre par les employeurs de possibilités de travail illégal constitue un facteur d'attraction de la migration irrégulière ou une des raisons pour lesquelles les migrants plongent dans une situation irrégulière. Les syndicats dénoncent le fait que des secteurs entiers de l'économie de l'UE dépendent complètement du travail irrégulier des migrants. Les syndicats demandent instamment que des mesures soient prises pour éradiquer toute pratique d'exploitation de la main-d'œuvre migrante au sein de l'économie informelle et/ou liée à la situation des travailleurs sans papiers.

 

À cette fin, l'UE a besoin d'un cadre d'action sur les moyens légaux de la migration, qui ne soit pas limitée aux professionnels hautement qualifiés, ainsi que sur la régularisation des migrants. La directive relative à la sanction des employeurs ne constitue pas un instrument suffisant pour décourager l'emploi irrégulier de migrants, mais surtout, elle n'est pas un instrument adapté pour garantir aux travailleurs migrants des droits et des possibilités aptes à transformer leur emploi irrégulier en un emploi régulier, après évaluation au cas par cas. L'UE doit remédier à ce problème en vue d'offrir des possibilités de séjour régulier, d'octroyer des permis de séjour permanents et de garantir la pleine égalité de traitement, pour les migrants attirés et exploités par l'économie informelle. Ceci implique également la poursuite plus efficace des employeurs qui commettent des délits contre les travailleurs migrants.

Commerce international et ressortissants de pays tiers détachés dans le cadre de la 

prestation de services transfrontaliers

 

La CES demande instamment l'adoption d'une position claire sur la protection des droits fondamentaux des personnes réalisant leur travail sur le territoire des États membres. Cette question deviendra considérablement plus importante dans les années à venir. La Commission européenne lie les politiques migratoires aux politiques commerciales et souhaite encourager un mouvement à court terme de professionnels hautement qualifiés dans la prestation de services. Un système de visas plus flexible peut faciliter les séjours temporaires de travailleurs issus de pays tiers.

 

Les syndicats soulignent que les institutions européennes n'ont pas été capables de détecter les dangers inhérents à la mobilité professionnelle liée à la prestation transfrontalière de services. La directive établissant les conditions d'entrée et de séjour des ressortissants de pays tiers dans le cadre d'un détachement intragroupe récemment adoptée en est un exemple. Le régime de l'UE relatif aux détachements intragroupe, s'il n'est pas corrigé avant sa transposition dans les législations nationales, met en danger la protection des droits fondamentaux du travail de travailleurs réalisant leur travail sur le territoire de l'UE. Cette situation touche autant les travailleurs de pays tiers (qui auraient à faire face à une situation différente sur le marché du travail) que les travailleurs des pays de destination, qui, en raison du dumping social, auraient à faire face à la pression à la baisse de leurs conditions de travail.

 

Ce domaine, associant les mouvements de main-d'œuvre et le commerce international, requiert une stratégie renouvelée qui intègre les politiques en matière de délivrance de visas et les politiques relatives à la migration économique dans un cadre politique unique. Toutes les mesures visant à ouvrir les moyens légaux de migration professionnelle, impliquant la délivrance d'un permis de séjour ou d'un visa, doivent établir des règles claires quant aux conditions d'emploi et de travail concernées. Ces règles doivent strictement respecter l'état de droit sur le lieu de travail.

 

Chapitre 2. Schengen, visas et frontières extérieures

 

Une délivrance plus flexible des visas peut être une chance à saisir pour l'Europe. Cependant, elle doit être accompagnée de règles claires précisant que toutes les personnes sur le territoire de l'UE peuvent exiger le respect des droits fondamentaux de l'UE, et définissant des normes dans le contexte du travail, y compris la prestation de services. Ces droits doivent être fermement ancrés au principe de l'égalité de traitement sur la base du respect du droit applicable au lieu de travail. La CES considère que toutes les tentatives de régir les flux migratoires et les conditions d'emploi doivent toujours se conformer au principe de l'égalité de traitement, indépendamment du type de contrat de travail et de la durée du séjour.

 

La CES souligne les dangers issus du « commerce » des visas et permis. Cette situation crée une « double norme » inacceptable quand sont en jeu les droits de l'homme. La possibilité « d'acheter » des visas, des permis de séjour à long terme, voire la citoyenneté à de grands détenteurs de capitaux est une pratique de plusn en plus courante dans de nombreux États membres.

 

Cette pratique pour le moins libérale par laquelle la nationalité est considérée comme un produit qui peut être acquis sur le marché est inacceptable par les syndicats dont l'expérience quotidienne témoigne des difficultés (et souvent des tragédies humaines) qu'éprouvent des milliers de personnes en s'employant à ce que leurs droits fondamentaux soit enfin reconnus. Les ressortissants de pays tiers font face à des retards injustifiés ou au refus de leurs droits au regroupement familial. Il en va de même pour les personnes à la recherche d'une protection internationale.

 

Chapitre 3. Un régime d'asile européen commun dans la pratique

 

Le système commun d'asile a permis une évolution positive, mais la « responsabilité » et la « solidarité » doivent encore se matérialiser. Il est nécessaire de discerner les réformes structurelles de l'ensemble des dispositions législatives de l'UE relatives à l'asile des mesures prises pour faire face aux urgences causées par des afflux massifs imputables à des événements extraordinaires ou à des crises humanitaires.

 

Les réformes structurelles doivent inclure la révision du règlement de Dublin qui accroît la protection des demandeurs d'asile au cours du processus de détermination de l'État responsable de l'examen de la demande et clarifie les dispositions qui régissent les relations entre États membres[1]. Le déplacement des réfugiés est déjà possible dans le cadre du règlement de Dublin, mais les statistiques prouvent que la relocalisation des demandeurs d'asile est limitée à quelques cas. Une coopération plus étroite entre les autorités nationales et les institutions européennes peut déclencher des mécanismes de soutien mutuel, par une approche équilibrée qui tienne compte de la population et de la disponibilité du marché du travail de chaque pays, soulageant par ailleurs la situation des États membres soumis à un afflux disproportionné.

 

Les États membres doivent donner aux demandeurs d'asile une possibilité de déposer une demande de protection internationale dans leur propre pays ou dans un pays de transit, sans être obligés de faire face à de dangereux voyages à destination de l'UE, le plus souvent par l'intermédiaire d'organisations criminelles. La CES demande instamment à la Commission européenne de formuler des propositions après l'achèvement de l'étude de faisabilité sur le traitement conjoint des demandes en dehors de l'UE.

 

Les différents programmes et agences actifs au sein du système européen d'asile devraient enfin contribuer à une relocalisation plus efficace des demandeurs d'asile. Ces instruments doivent donner la priorité aux intérêts des migrants et respecter les droits fondamentaux de l'UE.

 

FRONTEX doit respecter les droits de l'homme fondamentaux: les garde-frontières et le personnel opérationnel de FRONTEX doivent se conformer aux conventions internationales et exiger le plein respect des droits de l'homme. En ce sens, la CES déplore le manque de véritable dialogue sur les droits syndicaux entre l'agence de l'UE et la FSESP, la Fédération syndicale européenne des services publics, notamment en ce qui concerne le programme commun de formation des garde-frontières. Il s'agit là d'un aspect très urgent étant donné les plans de la Commission européenne visant à renforcer le rôle de coordination des garde-frontières nationaux de FRONTEX.

 

La CES prendra les mesures nécessaires pour revendiquer un siège au Forum consultatif de FRONTEX. La mission de ce forum consultatif consiste à promouvoir le plus haut degré de transparence et de respect des droits fondamentaux dans l'ensemble des activités de FRONTEX.

 

Malheureusement, la situation aux frontières méridionales n'est pas encore sous contrôle. Des milliers de migrants et de demandeurs d'asile tentent de franchir les frontières terrestres et maritimes de l'UE et les États membres sont encore confrontés à des urgences.

 

L'UE doit disposer d'une stratégie d'accueil claire, qui fait encore défaut. L'architecture actuelle de la politique migratoire s'est construite sur l'idée de défendre les frontières de l'UE et d'empêcher les arrivées irrégulières. Trop de ressources ont été investies sans retours clairs. De nouvelles institutions et des ressources publiques appropriée sont nécessaires pour accroître les capacités d'accueil de l'UE dans son ensemble, pour améliorer la cohérence et la transparence des décisions concernant les demandes d'asile ou les demandes de protection internationale, pour la relocation des demandeurs d'asile dans un second État membre dans une logique de solidarité et de respect des droits des migrants et de leurs intérêts, pour leur offrir des perspectives de vie et de travail lorsque les décisions d'octroi de protection internationale sont encore pendantes. 

 

Concernant en particulier la situation d'urgence en mer Méditerranée, l'opération Mare Nostrum menée par le gouvernement italien a montré que les activités de recherche et de sauvetage peuvent être efficaces et que de de nombreuses vies peuvent être sauvées[2]. L'Italie éprouvait déjà de grandes difficultés d'accueil et d'assistance face aux afflux de migrants franchissant la Méditerranée, et plusieurs milliers de migrants devraient arriver au cours de l'été. Il est plus que temps de prendre des mesures appropriées pour partager cette charge entre États membres dans une logique de solidarité. Une meilleure coopération et une meilleure solidarité sont nécessaires entre les états membres. Il est nécessaire d'abandonner l'approche d'urgence et d'adopter un plan européen structuré, tant pour la gestion des couloirs humanitaires, la garantie du transport des réfugiés dans des conditions de sécurité que pour leur accueil et les soins nécessaires. Les Italiens pourront ajouter quelques chiffres sur les arrivées et les demandes d'asile acceptées. Il est plus que temps de prendre de sérieuses mesures pour partager cette charge entre États membres sur la base de la solidarité. Ce n'est qu'ainsi que la lutte contre le trafic d'êtres humains sera efficace.

 

Des propositions concrètes ont été formulées dans la résolution de la CES pour une protection plus effective des migrants et des réfugiés, de leur vie et de leurs droits aux frontières de l'UE, avec une référence particulière au programme FRONTAID, et la CES poursuivra la recherche d'un consensus politique afin d'ouvrir une discussion et des négociations ouvertes avec la Commission européenne sur cette question.

 

Dans la résolution susmentionnée, la CES demandait instamment l'établissement d'une nouvelle politique d'accueil[3]. Ces structures doivent être soumises au contrôle public et disposer de ressources humaines et matérielles suffisantes, y compris des possibilités d'interprétation et une formation appropriée sur les réglementations internationales, européennes et nationales sur le droit des réfugiés, afin de fournir un service équitable, rapide et responsable. Elles doivent également fournir les informations nécessaires sur les droits des travailleurs et les coordonnées des syndicats locaux et d'une aide juridique gratuite.

 

Chapitre 4. Dimension externe des politiques migratoires

 

L'approche globale de la question des migrations et de la mobilité (AGMM) définit les priorités de l'UE quant à l'orientation de la dimension externe des politiques migratoires[4]. L'AGMM devrait être en mesure de faire face aux causes de la migration et des mouvements de réfugiés à leur origine. Une attention particulière devrait être accordée aux pays frontaliers de l'UE.

 

Il est nécessaire de mieux analyser le rôle des investissements privés, notamment ceux des multinationales. En situant leurs activités dans des pays en développement ou en recrutant du personnel à l'étranger, les entreprises multinationales tirent souvent profit des écarts salariaux et de protection du travail entre pays développés et moins développés.

 

Dans le cadre de l'AGMM, la CES plaidera en faveur de mesures visant à ce que le secteur privé respecte la transparence et la responsabilité des entreprises, les normes du travail de l'OIT, y compris la priorité accordée au développement local par rapport à la réalisation de profits immédiats, comme le souligne la réponse des syndicats à la feuille de route de la Commission européenne relative à la communication sur le renforcement du rôle du secteur privé dans la réalisation d’une croissance durable et inclusive dans les pays en développement[5].

 

En outre, l'AGMM devrait être en mesure de repenser les relations entre les parties les plus riches et les plus pauvres du monde, au bénéfice d'une vision plus intégrée des aspects globaux de la migration. Les pays d'origine doivent être soutenus dans leur évolution vers la démocratie et doivent être aidés pour adopter des lois en matière de migration qui respectent les droits de l'homme et du travail des migrants et les normes internationales de protection des demandeurs d'asile à leur arrivée ou en transit sur leur territoire. Dans ce domaine, le mouvement syndical peut jouer un rôle en fournissant une assistance aux syndicats dans les pays d'origine. Le réseau de la CES renforçant l'assistance aux migrants offre une assistance à cet égard.

 

 


[1] Le règlement de Dublin prévoit des règles et des critères permettant un partage de la charge des réfugiés. Des directives européennes établissent des normes communes en matière d'asile et de protection des migrants et fixe les droits des réfugiés, de leurs familles et des ressortissants de pays tiers ayant droit à la protection internationale. RÈGLEMENT (UE) No 604/2013 DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride (refonte):

[2] Les opérations Mare Nostrum ont débuté en novembre 2013.Les estimations de FRONTEX indiquent une hausse de 82,3 % des arrivées au cours des 4 premiers mois de 2014 (25 650 personnes sont arrivées en Sicile et 660 personnes dans les Pouilles. 1 257 sont des mineurs.) À la fin de l'année, les arrivées s'élèveront à 80 000. En moyenne, 6 000 personnes arrivent par bateau chaque mois. Le gouvernement italien estime à plusieurs centaines de milliers le nombre de personnes désireuses de quitter les côtes libyennes pour franchir la mer Méditerranée. En 2012, l'Italie a reçu 17  352 demandes d'asile. Le nombre de réfugiés en Italie s'élève à 64 779, soit le 6e État membre par la présence de réfugiés.

[3]    Voir la quatrième proposition de la résolution de la CES pour une protection plus effective des migrants et des réfugiés, de leur vie et de leurs droits aux frontières de l'UE, disponible à l'adresse : http://www.etuc.org/fr/documents/r%C3%A9solution-de-la-ces-pour-une-protection-plus-effective-des-migrants-et-des-r%C3%A9fugi%C3%A9s-de#.U3jLq_l_sS8

[4]  L'AGMM (COM(2011) 743 final) constitue le cadre obligatoire de la politique migratoire externe de l'UE, complément de la politique extérieure de l'UE et de sa coopération au développement. Le dialogue et la coopération avec les pays tiers dans le contexte de l'AGMM est fondé sur l'identification des intérêts et des défis communs. Cette coopération porte actuellement sur quatre priorités principales :  améliorer l'organisation de la migration légale et de la mobilité facilitée ; prévenir et réduire la migration irrégulière de manière efficace et humaine ; renforcer les synergies entre migration et développement; renforcer les systèmes de protection internationale et la dimension externe de l'asile.

En outre, le respect des droits et de la dignité des migrants est une dimension transversale essentielle de ce cadre politique.

[5] Disponible à l'adresse : http://www.ituc-csi.org/IMG/pdf/tu_statement__ec_roadmap__private_sector_inclusive_sustainable_growth_.pdf