Projets de plans nationaux intégrés en matière d’énergie et de climat, évaluation de la CES

Adoptée Projets de plans nationaux intégrés en matière d’énergie et de climat, évaluation de la CES

Adoptée lors du Comité Exécutif des  27-28 juin 2019

L’urgence climatique requiert que l’UE accélère ses efforts de réduction des émissions de gaz à effet de serre de manière à atteindre zéro émission nette pour 2050 au plus tard. La CES déplore que les dirigeants de l’Union européenne n’aient pas été capables de souscrire clairement à cet objectif lors du sommet européen du 20 juin 2019 et les presse à s’engager le plus rapidement possible à atteindre le zéro net émission pour 2050 au plus tard et à relever l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre pour 2030 à -55%. Les projets de Plans nationaux intégrés en matière d’énergie et de climat (PNECs) soumis par les Etats membres confirment malheureusement que le niveau d’ambition de l’action climat n’est pas en phase avec les objectifs de température de l’Accord de Paris. Les PNECs finalisés doivent planifier des actions transformatrices pour mettre l’UE réellement sur la voie de la neutralité carbone en 2050, tout en garantissant une transition juste qui ne laisse personne de côté.

Contexte général

L’UE a adopté les objectifs climatiques suivants pour 2030 : réduire ses émissions de gaz à effet de serre d’au moins 40 % par rapport au niveau de 1990, atteindre au moins 32 % d’énergies renouvelables dans la consommation énergétique finale et au moins 32,5 % d’amélioration de l’efficacité énergétique. Ces objectifs devraient préparer l’UE à atteindre des objectifs à plus long terme en vue d’atteindre zéro émission nette d’ici 2050. En 2015, la Commission européenne a lancé l’Union européenne de l’énergie, qui se compose de cinq objectifs interdépendants : sécurité, solidarité et confiance ; marché intérieur de l’énergie pleinement intégré ; efficacité énergétique ; action climatique et décarbonisation de l’économie ; recherche, innovation et compétitivité.

Afin de suivre les progrès réalisés par les États membres, l’UE a adopté un règlement sur la gouvernance de l’Union de l’énergie et de l’action pour le climat (2018/1999). L’objectif du mécanisme de gouvernance ainsi mis en place est de faire en sorte que les États membres contribuent de manière adéquate à la réalisation des objectifs de l’UE en matière de climat ainsi qu’à la mise en œuvre de politiques conformes aux cinq dimensions clés de l’Union européenne de l’énergie.

Le principal vecteur de ce mécanisme de gouvernance sont les « Plans nationaux intégrés en matière d’énergie et de climat (PNEC) » que les États membres doivent soumettre tous les dix ans à la Commission, principalement pour décrire leurs objectifs nationaux ainsi que les politiques et mesures prévues pour les atteindre[1]. Le rôle de la Commission est d’évaluer si ces plans sont compatibles avec les objectifs de l’UE en matière de climat et d’énergie et de formuler des recommandations pour améliorer les projets de plans avant leur finalisation. Ce nouveau cycle d’élaboration des politiques aura lieu pour la première fois en 2019. Conformément au Règlement, les États ont dû soumettre un premier projet de leurs plans fin 2018. La Commission européenne a publié l’évaluation des recommandations le 18 juin 2019[2] afin de s’assurer que les plans finaux qui doivent être soumis avant fin 2019 contribueront de manière adéquate à la réalisation des objectifs climatiques et énergétiques de l’UE, tant individuellement que collectivement.

L’objectif de ce document politique de la CES n’est pas d’évaluer individuellement les projets de plans des Etats-Membres, mais plutôt de rappeler certaines exigences clés pour une transition juste que la CES souhaiterait voir figurer dans les plans finaux. Suite à son récent projet sur « Comment impliquer les syndicats dans l’action climatique pour construire une transition juste », la CES continue à travailler avec ses affiliés dans les années à venir pour surveiller la gouvernance de l’Union de l’énergie.

Des objectifs et des politiques adéquats

Les objectifs de température de l’accord de Paris et les scénarios d’émission correspondants doivent constituer la base de l’ambition climatique de l’UE pour 2030 et 2050. Les objectifs climatiques fixés pour 2030 dans les PNEC devraient être à la hauteur des objectifs de l’accord de Paris ainsi qu’en phase avec l’objectif de zéro émission de gaz à effet de serre nette d’ici 2050 pour l’UE, en prenant en compte les différences entre les Etats membres. Les États membres devraient donc considérer les objectifs de l’UE 2030 comme un seuil minimal plutôt que comme un plafond maximal pour les ambitions climatiques nationales. La récente position de la CES « Revendications clés pour construire une transition juste et stimuler l’action climatique après les élections européennes » a clairement mentionné que « L’objectif d’atteindre 55 % de réduction des émissions d’ici 2030, par rapport aux niveaux de 1990, permettrait de mieux aligner l’ambition de l’UE pour la prochaine décennie sur le sentiment d’urgence qui sous-tend l’objectif 2050 et le rapport du GIEC à 1,5 °C » [3] Sur cette base, la CES prend note de l’évaluation de la Commission et souligne la nécessité d’intensifier les efforts pour réduire les émissions dans tous les secteurs, et notamment dans ceux qui ne sont pas couverts par le Système européen d’échange de quotas d’émissions et particulièrement celles du transport. De la même manière, l’évaluation de la Commission montre également que l’objectif de 2030 en matière d’efficacité énergétique nécessitera des mesures additionnelles de la part des Etats-membres.  

La position récente de la CES rappelle également qu’un objectif ne constitue pas une politique[4]. Les PNEC doivent décrire en détail le portefeuille de politiques et de mesures qui permettront aux États membres d’atteindre ces objectifs. Ces politiques doivent clairement faire référence aux principales sources d’émissions de gaz à effet de serre et proposer une stratégie crédible de décarbonation pour 2030, en cohérence avec les objectifs de neutralité climatique de 2050. Il est crucial ici de quantifier clairement les besoins d’investissement et d’identifier tant les stratégies de financement que les scénarios de développement technologiques. Dans cette perspective, une meilleure articulation entre les PNEC et le soutien apporté par le budget de l’UE et la politique de prêt de la BEI dans le domaine de l’énergie contribuerait à mieux mobiliser les investissements publics en faveur de projets d’énergie et de transport propres. Dans cette recherche de cohérence, la CES accueille favorablement l’attention portée aux besoins d’investissement des Etats membres dans l’efficacité énergétique, les énergies renouvelables et l’action climatique, dans le cadre du cycle 2018-2019 du Semestre européen. Néanmoins, la CES rappelle que le verdissement des systèmes fiscaux des Etats membres et le renforcement des services publics doivent être considérés comme des éléments indispensables à l’atteinte des objectifs climatiques de l’UE.

Une forte dimension sociale

Les PNEC devraient démontrer que l’emploi de qualité est au cœur de la stratégie de l’UE en matière de décarbonisation. Ils doivent fournir une évaluation de l’impact sur l’emploi des mesures à mettre en œuvre et proposer une stratégie crédible pour anticiper ces impacts, éviter les licenciements collectifs et assurer la transition professionnelle par le recyclage des travailleurs en difficulté à cause de la décarbonation. La CES accueille favorablement l’attention apportée à la dimension sociale dans les recommandations publiées par la Commission et soutient la demande faite aux Etats membres « d 'assurer une transition socialement juste et équitable » dans la version finale de leur PNEC. Bien entendu, les engagements ne sont satisfaisants que s’ils débouchent sur des actions et politiques concrètes des Etats-membres. 

La décarbonation a déjà eu de nombreux effets positifs dans l’UE. Par exemple, l’UE représente plus de 1,19 million de travailleurs dans le secteur des énergies renouvelables[5] et entre 50 et 100 milliards d’euros ont été investis chaque année dans les énergies propres au cours de la dernière décennie[6]. Malheureusement, ces avantages ne sont pas partagés également entre les États membres et entre les régions. Les PNEC doivent aider les pays en retard à obtenir le soutien nécessaire pour rattraper leur retard en termes d’investissements et d’emplois dans l’économie à faible intensité de carbone. La Commission européenne doit aider tous les États membres à concevoir des PNEC qui jetteront les bases d’un cadre politique stable susceptible de catalyser la diversification économique à faible intensité de carbone et de créer des emplois de qualité. Les propositions de la Commission européenne de prendre en compte les PNEC, et les besoins d’investissement qu’ils identifient, dans le financement des politiques de cohésion est de la plus grande importance.

Une attention particulière devrait être accordée aux régions encore fortement dépendantes des activités économiques liées aux combustibles fossiles. Les PNEC devraient déboucher sur des stratégies de développement régional vertes et intelligentes, en particulier pour ces régions, afin qu’aucune d’entre elles ne soit laissée pour compte. Là encore, les synergies avec le Fonds européen de développement régional et la politique de cohésion revêtiront une importance stratégique. Les initiatives lancées dans le contexte de la Plateforme européenne pour les régions charbonnières en transition devraient être étendues et intensifiées. Les PNECs doivent aussi viser à renforcer la coopération régionale, notamment avec les Etats tiers membres de l’Espace Economique Européen et les pays signataires de la Communauté de l’énergie.

La pauvreté énergétique et l’impact distributif des instruments de politique climatique sont également des éléments cruciaux à évaluer dans les PNEC. Partout en Europe, les travailleurs n’accepteront pas d’être coincés entre la précarité et les bas salaires, d’une part, et l’augmentation des factures énergétiques, d’autre part. Dans ses recommandations, la Commission européenne identifie bien la pauvreté énergétique comme un des principaux défis pour la politique européenne de l’énergie. La Commission invite également à ce que les PNEC traitent la pauvreté énergétique d’une manière plus systématique, notamment via une quantification et un suivi plus systématiques. La Commission devrait toutefois aller plus loin et analyser les effets distributifs des mesures fiscales liées à l’énergie. De même, les PNEC devraient décrire clairement quelles sont les politiques à mettre en place pour éviter que les politiques climatiques et énergétiques ne conduisent à une aggravation des inégalités. Dans son rapport sur l’état de l’Union de l’énergie, la Commission européenne devrait identifier et promouvoir des mesures qui limitent l’impact régressif des instruments de tarification du carbone. La réallocation des recettes fiscales destinées aux ménages à faible revenu, notamment pour isoler les logements, l’investissement public dans la rénovation de logements sociaux ou des transports publics abordables dans les zones rurales et reculées, ou l’interdiction des déconnexions sont des exemples de bonnes pratiques qui pourraient contribuer à partager les avantages de la transition à faible émission de carbone de manière plus équitable. Ici encore, les travailleurs, et plus largement les citoyens européens, attendent de l’action et pas uniquement des slogans et de la compassion.

Pas de transition juste sans syndicats

Le règlement sur la gouvernance prévoit spécifiquement la consultation des partenaires sociaux nationaux lors de la préparation des PNEC. La CES considère cette consultation comme fondamentale pour assurer l’appropriation des PNEC et des politiques à mettre en œuvre. Les modalités varieront bien sûr en fonction des États membres et de leurs modèles respectifs de relations industrielles, mais la CES souhaiterait que la Commission européenne évalue cette consultation avec la plus grande attention et fournisse dans son rapport sur l’état de l’Union énergétique un baromètre de la consultation des partenaires sociaux. Malheureusement, dans ses recommandations de juin 2019, la Commission européenne n’a pas évalué l’implication des partenaires sociaux dans la préparation des projets de PNEC et elle n’a pas identifié la consultation des syndicats comme une priorité pour la finalisation de ceux-ci par les Etats membres. La CES déplore fortement le manque d’attention à la participation des organisations de travailleurs dans la préparation des PNEC. Il serait inacceptable et dangereux que certains États ne se contentent que d’une consultation de façade. La consultation des partenaires sociaux vise en effet d’abord à ’impliquer les employeurs et les syndicats dans le processus de décarbonation afin d’anticiper les changements que ce processus va entraîner pour les travailleurs. Ensuite, c’est un moyen très efficace de faire en sorte que les compétences et les politiques climatiques évoluent au même rythme. En effet, de nombreux secteurs de l’économie devront procéder à une mise à jour en profondeur du profil de compétences de leur main-d’œuvre au cours des prochaines années pour être en mesure de traduire les objectifs climatiques dans la réalité. Enfin, les lieux de travail joueront un rôle central dans la transition et les partenaires sociaux ont un rôle très spécifique à jouer à cet égard, notamment en termes de sensibilisation et de renforcement des capacités. Les lieux de travail sont liés à de nombreuses sources d’émission et les travailleurs devraient pouvoir jouer un rôle plus actif dans leur transformation. La participation des partenaires sociaux aux PNEC ne devrait pas être considérée comme une précaution cosmétique, mais au contraire comme un élément essentiel pour approfondir la base de connaissances et renforcer l’appropriation des PNEC par la société. De la même manière, la CES regrette l’absence d’examen par la Commission européenne des processus participatifs mis en place par les Etats membres pour associer tous les niveaux de pouvoir, les partenaires sociaux , les institutions scientifiques, les associations et communautés locales.

2019 est une étape importante pour l’action climatique et une transition juste dans l’UE. Les États membres doivent à présent produire des PNEC qui garantiront que l’UE est en bonne voie d’atteindre ses objectifs climatiques pour 2030 et d’atteindre des émissions quasi nulles d’ici 2050. Ils doivent également traduire les principes d’une transition juste, désormais bien identifiés comme principes directeurs de l’action climatique au niveau international[7], en politiques concrètes qui garantissent que personne ne sera laissé pour compte sur la voie vers zéro émission nette. Dans la perspective des objectifs climat pour 2030 et 2050, la Commission européenne doit continuer à superviser les politiques climat et énergie des Etats membres tout en assurant que ces politiques mèneront à une transition juste pour tous les travailleurs.


[1] Les États membres devront également soumettre des stratégies à long terme couvrant les perspectives à 30 ans, d’ici le 1er janvier 2020.

[2] https://ec.europa.eu/energy/sites/ener/files/documents/recommondation_en.pdf

[3] https://www.etuc.org/fr/document/position-de-la-ces-sur-les-revendications-cles-pour-construire-une-transition-juste-et

[4] Ibidem

[5] IRENA, " Renewable energy and jobs - Annual Review 2018 ", p. 17 ;    https://irena.org/-/media/Files/IRENA/Agency/Publication/2018/May/IRENA_RE_Jobs_Annual_Review_2018.pdf

[6] ETUI, « Benchmarking Europe 2019 », p. 16 ; https://www.etui.org/Publications2/Books/Benchmarking-Working-Europe-2019

[7] See:  ILO “Guidelines for a just transition towards environmentally sustainable economies and societies for all”, Preamble of the Paris Agreement and the “Solidarity and Just transition Silesia Declaration” adopted at UNFCCC COP 24.