Une perspective syndicale sur la productivité
Adoptée lors de la réunion du Comité Exécutif des 19 et 20 novembre 2025
La productivité dépend des investissements et de la participation des travailleurs, pas des réductions salariales
Les véritables moteurs de la productivité sont l'investissement dans les ressources humaines, la technologie et des infrastructures publiques solides. L'augmentation de la productivité ne peut pas et ne sera pas obtenue par la compression des salaires, la réduction de la protection de l'emploi ou la remise en cause de la santé et de la sécurité au travail. La productivité ne peut être améliorée que par la modernisation de l'industrie, la garantie d'emplois de qualité et l'accès à une formation et à une innovation de haute qualité pour tous les travailleurs.
L'écart de productivité entre l'Europe et les États-Unis n'est pas dû aux salaires ou à la protection des travailleurs. Il reflète un sous-investissement chronique, en particulier dans les infrastructures et l'intensification du capital. Comme l'a souligné Mario Draghi (2024), les salaires réels aux États-Unis ont augmenté près de quatre fois plus vite que dans la zone euro depuis 2008, ce qui contredit encore davantage l'affirmation selon laquelle la modération salariale stimule la productivité. Au contraire, les règles budgétaires qui privilégient les plafonds de déficit au détriment des investissements ont aggravé le problème, laissant les dépenses publiques trop faibles pour soutenir la croissance ou mobiliser les investissements privés.
La clé pour accroître la productivité, revitaliser l'économie européenne et créer des emplois de qualité réside dans le renversement de la tendance au sous-investissement. Une politique industrielle forte et des réinvestissements publics et privés massifs sont nécessaires de toute urgence pour reconstruire la base productive de l'Europe et soutenir la transition climatique.
Les syndicats s'intéressent de près à la productivité, car c'est l'un des nombreux facteurs qui influencent les négociations salariales. Trop souvent, la faiblesse de la productivité est utilisée pour justifier la modération salariale, la déréglementation du travail ou l'austérité, en rejetant la responsabilité sur les travailleurs. Des mesures telles que la production par heure travaillée ne sont pas neutres, elles reflètent des hypothèses économiques étroites. Elles promeuvent l'idée que la productivité doit s'améliorer avant que les salaires ou les conditions de travail puissent s'améliorer. Or, la productivité dépend des investissements, de la technologie, de la structure sectorielle et de la participation des travailleurs, elle ne peut être obtenue en réduisant les salaires ou en affaiblissant la protection de l'emploi.
Des institutions de négociation collective solides, la démocratie au travail et la participation des travailleurs sont des éléments essentiels d'une économie productive. Les données issues des systèmes de négociation coordonnée montrent que les salaires minimums négociés, la qualité élevée des emplois et les mécanismes de participation solides favorisent l'innovation, la stabilité et les investissements productifs.
Les salaires sont un moteur de la productivité, et non un obstacle
Les salaires ne suivent pas simplement la productivité, ils contribuent à la créer. Des salaires plus élevés augmentent la demande et poussent les entreprises à moderniser leurs technologies, à améliorer l'organisation du travail et à investir dans les compétences. Cet effet, connu sous le nom de « changement technique biaisé par Marx », montre qu'une meilleure rémunération conduit à une meilleure productivité, et non l'inverse.
Malheureusement, dans l'UE, les salaires sont à la traîne par rapport à la productivité depuis des décennies, ce qui affaiblit la demande intérieure. Pour combler cet écart, il faut non seulement aligner les augmentations salariales sur la croissance actuelle de la productivité, mais aussi compenser les travailleurs pour les sous-rémunérations passées. En outre, les progrès réels devraient inclure une réduction du temps de travail sans perte de salaire, car les progrès technologiques rendent ces gains possibles.
Une approche erronée : déréglementation et intensification du travail
L'accent mis sur la croissance de la productivité basée sur la compression des salaires et des conditions de travail a conduit à des politiques néfastes. Les institutions ont utilisé le discours de la « stagnation » pour justifier les attaques contre les négociations collectives, la déréglementation du travail et la modération salariale. En réalité, cette approche a conduit à :
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Une intensification du travail, un épuisement professionnel et une surveillance numérique ;
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Une automatisation sans protections ;
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À un abaissement des normes de santé et de sécurité.
Il ne s'agit pas là de moyens d'accroître la productivité, mais bien de menaces pour les travailleurs et le modèle social européen, ainsi que pour la réussite économique de l'UE. La durabilité sociale et environnementale , les négociations collectives et le respect du rythme de travail et du bien-être des travailleurs doivent guider les stratégies de productivité.
Remettre en question les indicateurs : que mesurons-nous réellement ?
La manière dont la productivité est mesurée n'est pas neutre. Les indicateurs standard tels que la « valeur ajoutée par heure travaillée » reposent sur des hypothèses économiques dépassées qui attribuent souvent la faible productivité aux travailleurs, tout en ignorant les causes systémiques.
Ils ne permettent pas de mesurer correctement :
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Les secteurs des services publics tels que la santé, l'éducation et les soins, où les résultats sont difficiles à quantifier ;
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La qualité du travail, y compris le travail non rémunéré et non déclaré ;
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L'impact de l'évasion fiscale, qui fausse la valeur nationale et abaisse artificiellement les indicateurs de productivité (par exemple, -10 % en France, Banque de France 2021).
Les modèles actuels ignorent les limites environnementales et favorisent une croissance sans fin au détriment de l'équité sociale. Les syndicats exigent une redéfinition de la productivité qui inclue l'équilibre écologique, la justice sociale et le contrôle démocratique sur la manière dont la valeur est créée et partagée.
Les contributions récentes des lauréats du prix Nobel ont souligné l'importance des « institutions de contrepoids » pour garantir que la croissance de la productivité reste inclusive et socialement bénéfique. Cette reconnaissance croissante parmi les économistes traditionnels, qui s'aligne sur les perspectives syndicales de longue date, souligne que des institutions solides sur le marché du travail et la négociation collective sont indispensables pour que les gains de productivité soient véritablement européens et largement partagés.
La CES :
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Souligne que les véritables moteurs de la productivité sont l'investissement dans les personnes, la technologie et des infrastructures publiques solides. L'augmentation de la productivité ne peut et ne sera pas obtenue par la compression des salaires, la réduction de la protection de l'emploi ou la remise en cause de la santé et de la sécurité au travail.
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Demande un programme d'investissements massifs, publics et privés, afin de créer des emplois de qualité, de mener une transformation verte et numérique équitable et de moderniser la base productive de l'Union européenne.
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Appelle à un renforcement des institutions de négociation collective, à des augmentations salariales et à la garantie d'un salaire adéquat assurant un niveau de vie décent, afin de garantir une répartition équitable des gains de productivité et de restaurer la demande intérieure en augmentant la part des salaires.
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Insiste sur le fait que la productivité et la croissance économique ne peuvent être réalisées au détriment des droits, de la santé et de la sécurité des travailleurs.
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Reconnaît le rôle clé des services publics en tant que moteur et multiplicateur de la productivité.
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Rejette la conception de la productivité comme un problème de productivité du travail et insiste sur le fait qu'il s'agit d'une question systémique liée au capital, à l'innovation, à la formation et à la gouvernance, en mettant fortement l'accent sur le versement de dividendes par rapport à l'investissement privé.
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Demande que le versement de dividendes soit limité lorsqu'il nuit au réinvestissement, et soutient la réorientation des bénéfices vers les salaires, les équipements et les compétences.
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Demande que des mesures énergiques soient prises contre l'évasion fiscale, notamment une transparence fiscale totale, des règles anti-évasion strictes et une imposition équitable des entreprises, afin de préserver l'emploi et les recettes publiques.
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Décide que les politiques de productivité doivent être fondées sur la qualité sociale, la répartition équitable (notamment par la réduction du temps de travail sans perte de salaire), la santé au travail et la durabilité environnementale.