Adoptée: Position de la CES sur la stratégie de sécurité économique et la plateforme Technologies stratégiques pour l'Europe (STEP)

Position de la CES sur la stratégie de sécurité économique et la plateforme Technologies stratégiques pour l'Europe (STEP)

Adoptée lors de la réunion du Comité exécutif des 27-28 septembre 2023

 

Dans un contexte qui évolue rapidement, la Communication conjointe relative à la stratégie européenne en matière de sécurité économique (SES) revêt une pertinence particulière car elle englobe toutes les initiatives de mise en place de la Déclaration de Versailles de mars 2022 dans un cadre stratégique et financier unique. Articulée suivant 3 lignes d’action, cette position fait principalement référence à la promotion de la base économique de l’UE, à sa compétitivité et à sa croissance ainsi qu’à différents aspects du marché unique et des implications sociales et environnementales de la SES.

L’UE s’affirme en tant qu’acteur de la sécurité contre les menaces extérieures. Les investissements et les activités de la SES sont bien identifiés mais en grande partie financés par une reprogrammation de ressources du CFP de l’UE et en reportant à 2025 la discussion sur le projet de fonds européen souverain d’investissement.

La plateforme Technologies stratégiques pour l'Europe (STEP) est un outil supplémentaire financé en réaffectant des ressources de programmes existants de l’UE. Le « sceau de souveraineté » de l’UE devrait être décerné aux investissements reconnus comme soutenant la mise en œuvre des stratégies de sécurité économique en leur accordant un accès prioritaire aux voies de facilitation.

DÉFIS

L’Union européenne a besoin de nouvelles ressources financières. Investir dans les technologies stratégiques et dans des secteurs industriels spécifiques est essentiel pour accélérer la transformation et renforcer l’économie européenne. Le budget supplémentaire de 10 milliards d’euros est toutefois loin de suffire aux investissements nécessaires.

La stratégie de sécurité économique de l’UE représente un défi. Confronté à de sérieux risques  économiques et géopolitiques, aucun pays ne peut s’en sortir seul et il est impossible de coordonner 27 politiques nationales sans risquer d’éroder la solidarité européenne. Il est absolument impératif de maintenir l’unité de l’UE en en faisant un espace de paix où une confiance mutuelle alimente la coopération régionale et où le processus d’intégration européen est rendu irréversible.

La STEP risque de saper les objectifs sociaux et environnementaux de l’UE. Des ressources de l’UE sont réorientées selon les priorités STEP, ce qui les détournent de leurs objectifs initiaux. La réglementation identifie une dimension sociale de la STEP mais, curieusement, renvoie le problème aux autorités en charge de sa mise en œuvre qui sont encouragées (mais pas obligées) d’en tenir compte. Il est inquiétant de noter que l’UE ambitionne d’accroître les dépenses militaires annuelles des États membres au lieu de se concentrer sur les investissements dans une autonomie stratégique ouverte qui soient propices à la création d’emplois de qualité et durables.

En outre, la réglementation STEP risque potentiellement d’accroître encore les inégalités, en raison de l’accumulation disproportionnée d’actifs et d’emplois dans des régions, des secteurs et des entreprises subventionnés au détriment de travailleurs de régions, de secteurs et d’entreprises non subsidiés. Elle prévoit également le transfert de ressources (par exemple celles de la FRR) affectées à des investissements publics vers le secteur privé ou de ressources pour la cohésion sociale (telles celles du FEDER) à de grandes entreprises.

La STEP n’est pas liée à la création d’emplois et est peu claire en matière de conditionnalités sociales, lesquelles devraient inclure l’application des conventions collectives, le respect de la négociation collective, l’exercice d’information et de consultation des syndicats dans les décisions relatives aux fusions et acquisitions, la prévention des licenciements et de la détérioration des conditions de travail et l’activation de mesures de transition juste telles que la reconversion professionnelle et la création d’apprentissages de haute qualité.

STEP peut potentiellement activer des investissements de 165 milliards d’euros sans les soumettre à la moindre forme de conditionnalité sociale ni à des mesures anticorruption ou de lutte contre toutes les formes de crime organisé. Le sceau de l’UE n’impose pas le respect de critères de durabilité et n’implique pas les partenaires sociaux, ce qui pourrait affecter l’agenda européen pour le travail décent alors que la négociation collective et la participation des travailleurs sont des éléments clés pour atteindre les objectifs de justice sociale, d’équité économique et de transitions propices à l’emploi assurant ainsi l’acceptation sociale de profondes transformations parmi les travailleurs.

PROPOSITIONS DE LA CES

La CES demande aux institutions de l’UE de prendre urgemment en compte les propositions suivantes.

Les investissements nécessaires à la sécurité économique devraient être en sus de ceux déjà mobilisés pour le CFP et la FRR. La CES estime inapproprié de détourner des ressources du CFP ou de la FRR de leurs objectifs initiaux et demande que la SES, y compris la STEP, soit financée par des moyens supplémentaires également collectés par un fonds européen souverain d’investissement.

Une proposition d’investissement souverain européen devrait être présentée dès que possible et conçue de telle sorte que les technologies stratégiques les plus critiques fassent partie de la richesse commune de l’UE et de ses États membres, que tous les citoyens puissent en bénéficier de manière égale, que la stabilité politique, sociale et économique soit renforcée et que les technologies stratégiques ne soient utilisées que dans le but de maintenir et de promouvoir la paix. Il faut laisser à tous les États membres davantage de latitude pour les investissements publics en faveur d’une transition juste.

L’ensemble de la SES devrait inclure une dimension sociale plus forte. Dans ce contexte, le dialogue social est plus qu’un instrument de relations industrielles. Le dialogue social doit être un pilier de la démocratie et de légitimation de l’action de l’UE.

Tous les investissements, la constitution d’actifs stratégiques et les activités économiques, y compris celles marquées du sceau de l’UE, ne peuvent déforcer les normes environnementales et sociales et doivent être soumis à des conditionnalités sociales concernant l’application des conventions collectives, le respect de la négociation collective, l’exercice d’information et de consultation des syndicats dans les décisions relatives aux fusions et acquisitions, la prévention des licenciements et de la détérioration des conditions de travail et l’activation de mesures de transition juste telles que la reconversion professionnelle et la création d’apprentissages de haute qualité.

Ces conditionnalités, y compris l’attribution du sceau de l’UE, devraient être programmées et implémentées en consultation avec les partenaires sociaux en vue de conclure des conventions collectives pour garantir l’intégrité du marché unique, promouvoir de meilleures conditions de vie et de travail et prévenir toute forme de dumping social. Elles devraient en outre renforcer les services publics et s’aligner sur les critères sociaux et environnementaux définis dans la taxonomie européenne pour des investissements durables. L’accès à l’acquisition de compétences, à la reconversion professionnelle et à l’adéquation des compétences implique des investissements adéquats et de nouveaux droits pour les travailleurs.

Tous les acteurs économiques majeurs opérant dans le cadre de la STEP devraient avoir l’obligation de mettre en place des processus de participation des travailleurs et des processus de vigilance appropriée dans leur gouvernance et leurs principales décisions. Les investissements et les mouvements de capitaux devraient être correctement contrôlés afin d’éviter une accumulation excessive de capitaux et d’actifs stratégiques dans des pays qui profiteraient ainsi d’un avantage démesuré par rapport à d’autres États membres.

Les régimes des aides d’État devraient, dans un cadre bien déterminé et jusqu’à un certain point, être réévalués afin de créer une capacité supplémentaire de soutien aux technologies stratégiques. Les conditions de concurrence équitables du marché intérieur doivent de toute façon être sauvegardées car certains États membres peuvent ne pas avoir la même capacité budgétaire que d’autres pour subventionner leurs industries clés. Bien qu’une modernisation des régimes des aides d’État puisse, dans le très court terme, favoriser l’investissement, la capacité budgétaire de l’UE et la préservation de l’intégrité du marché unique contribueraient à maintenir les investissements et le plein emploi à moyen terme.

 

ANNEXE - Informations supplémentaires et contextuelles

Au vu de la complexité du sujet traité ici, quelques informations supplémentaires et contextuelles pourraient aider le Comité exécutif à prendre une décision en toute connaissance de cause.

Avec sa communication relative à la stratégie en matière de sécurité économique, la Commission européenne franchit une autre étape sur la voie de la Déclaration de Versailles de mars 2022 qui reste un événement marquant dans l’histoire récente de l’UE. A Versailles, l’UE et les États membres ont scellé leur partenariat pour préparer le continent à affronter les menaces extérieures et ouvrir une nouvelle ère dans le processus d’intégration européenne. Il fixe une nouvelle direction portant sur les capacités de défense de l’UE (sécurité), l’indépendance énergétique et une robuste base économique.

L’UE se profile comme acteur de la sécurité dans les domaines de la défense, des systèmes numériques, de la santé et de l’alimentation. Elle offre un refuge contre les menaces militaires, technologiques et économiques (matières premières critiques, alimentation, énergie, etc.) et couvre certains aspects sociaux en lien avec la pauvreté, la création d’emplois et la qualité du travail.

Cette communication devrait être lue en même temps que la Communication sur le climat et la sécurité traitant de l’impact du changement climatique et de la dégradation environnementale sur la paix, la sécurité et la défense. Les agendas de l’UE pour les affaires internes et externes sont maintenant coordonnés et avancent dans la même direction, qu’il s’agisse du maintien de la paix ou d’assurer la sécurité des citoyens européens, sans négliger l’agenda environnemental.

La Commission européenne propose une série d’actions (y compris des programmes d’investissement) qui élargissent le périmètre d’influence de l’UE à d’autres zones. A cet effet, l’UE a étudié toutes les voies possibles et autorisées par les traités pour opérer dans ces nouvelles zones. Nombre de ces programmes revisitent les règles en matière d’aides d’État comme celles de l’Encadrement temporaire de crise et de transition ou combinent des mesures d’aide d’État assouplies avec des facilitations ou des mesures autorisant l’activation d’investissements stratégiques tels que dans le Règlement pour une industrie zéro net, le Règlement sur l’approvisionnement en matières premières critiques, le Règlement sur les semi-conducteurs et la  Boussole stratégique pour la sécurité et la défense. Les projets importants d’intérêt européen commun demandent également un traitement particulier des investissements alignés sur les objectifs européens communs. Des objectifs communs sont également inclus dans la proposition de révision de la gouvernance économique de l’UE, justifiant ainsi une approche qui pourrait orienter la programmation stratégique des États membres lors de l’élaboration de leurs budgets à mi-parcours.

Plusieurs positions de la CES doivent être considérées dans l’évaluation de la proposition de stratégie de sécurité économique et de la STEP, y compris le programme d’action 2023-2027 de la CES. Cette position fait en particulier référence à la résolution de la CES pour une autonomie stratégique ouverte de l’UE avec un agenda social fort (2022), à la résolution pour la reprise et le progrès social (2021 et 2022) et à la résolution sur les initiatives européennes en matière de Green Deal : Loi sur le climat, plan d’investissement durable de l’UE, règlement établissant le Fonds pour une transition juste et nouvelle stratégie industrielle de l’UE (2020), telles qu’intégrées dans la position de la CES sur un cadre juridique pour une transition juste en complément du paquet «  Fit for 55 » (2022).

Concernant le financement, la communication conjointe mentionne les outils existants déjà tels que la FRR et ses plans nationaux et certains programmes de l’UE qui devraient se concentrer sur les carences du marché (InvestEU) et les technologies de défense innovantes. Reconnaissant le sentiment d’urgence, et afin de répondre à la forte demande de nouveaux investissements, qui, par le passé, avait incité la Présidence à envisager un fonds européen souverain d’investissement, la Commission propose un nouvel outil baptisé plateforme Technologies stratégiques pour l'Europe (STEP). Cette plateforme est un outil supplémentaire pour aider à la réaffectation de ressources en faveur d’investissements et de priorités destinés à développer plus directement et plus rapidement les outils de la stratégie de sécurité économique.

Le règlement STEP met en place la plateforme, en définit les objectifs et les ressources, les règles relatives au « sceau de souveraineté » de l’UE et au portail et les obligations de notification. La STEP intervient dans plusieurs domaines de compétence de l’UE développant l'industrie et la fabrication, orientant les mutations industrielles, la coopération et l'innovation, en accordant une attention particulière au développement des PME.

Elle intervient au moyen des instruments de cohésion économique, territoriale et sociale, contribue au cadre pluriannuel pour la recherche et le développement technologiques, dans le secteur spatial notamment, et poursuit les objectifs européens en matière de protection de l’environnement. Elle entre également dans le cadre du fonds social européen avec comme objectif d’adapter et de préparer les travailleurs aux progrès générés par la STEP.

C’est la raison pour laquelle la STEP change ou autorise des changements dans l’affectation des ressources du CFP et de la FRR pour activer 165 milliards d’euros de nouveaux investissements selon les objectifs et priorités de la STEP. Compte tenu de la taille des investissements, une complète mobilisation des financements prévus dans les programmes et fonds européens existants est nécessaire. La communication fait justement référence à des garanties budgétaires pour le financement des opérations et de la mise en œuvre d’instruments financiers et d’opérations de mixage, y compris des fonds propres et des quasi-fonds propres pour des activités stratégiques.

Plusieurs étapes de la stratégie de sécurité économique sont conditionnées à l’unanimité et donc au droit de véto des États membres qui poursuivent déjà des objectifs divergents dans le cadre de leurs politiques étrangères ou qui dévient dangereusement du cadre de la loi.

Une attention particulière devrait être accordée aux dépenses militaires et de défense. Selon l’examen annuel coordonné en matière de défense 2022, les dépenses de défense dans l’UE ont atteint 214 milliards d’euros en 2021 (soit une augmentation de 6% par rapport à 2020) et devraient augmenter encore de près de 70 milliards d’ici à 2025. Pourtant, moins de 20% de tous les investissements dans les programmes de défense au sein de l’UE font l’objet d’une coopération entre Etats membres, ce qui est bien en-deçà du critère convenu de 35%.

Le fonds européen de la défense a bénéficié d’un soutien de l’UE de près de 1,2 milliard d’euros en 2022. De nouveaux appels à propositions ont été publiés en juin 2022 pour un budget total de 930 millions d’euros à attribuer mi-2023. Ils suscitent toujours beaucoup d’intérêt de la part de l’industrie de l’UE (134 propositions ont été reçues de 26 États membres et de Norvège) et une forte implication de petites et moyennes entreprises (43% des projets sélectionnés). De plus, en 2022, les États membres ont lancé près de 100 projets coopératifs dans le cadre de l’agence européenne de défense pour un total de 672 millions.