Déclaration de la CES : Appel à un moratoire sur les licenciements forcés

Déclaration de la CES : Appel à un moratoire sur les licenciements forcés

Adoptée lors de la réunion du Comité exécutif des 10-11 décembre 2024

 

Dans toute l'Europe, les communautés de travailleurs ont subi d'importantes suppressions d'emplois au cours des derniers mois. Chaque semaine, de nouvelles promesses de restructuration apparaissent dans de multiples régions et secteurs. Une nouvelle vague de licenciements menace les emplois dans l'industrie automobile et ses fournisseurs, les secteurs à forte intensité énergétique, la construction, la chimie, les transports, la technologie, l'agroalimentaire, le commerce de détail, les services et d'autres secteurs. Entre 2008 et 2023, 2,3 millions d'emplois manufacturiers ont été perdus dans l'UE. 811 000 de ces pertes ont eu lieu entre la mi-2019 et la mi-2024.

Les pertes d'emploi ne se limitent pas au secteur manufacturier. D'autres secteurs de l'économie subissent également des risques de licenciements forcés et de fermetures, qui affaibliraient l'économie européenne et entraîneraient la perte de milliers d'emplois. Les transitions verte et numérique accélèrent les tendances à la restructuration. Klarna, par exemple, a annoncé son intention de réduire de moitié ses effectifs en raison de l'automatisation, et une analyse de Citigroup suggère que jusqu'à 50 % des emplois dans le secteur bancaire sont menacés. Sans protections renforcées, l'Europe fait face à un avenir d'inégalités et d'insécurité croissantes.

Les travailleurs unis pour exiger une meilleure protection

En tant que représentante de 45 millions de travailleurs à travers l'Europe, la CES reconnaît que ces pertes d'emploi nous poussent vers une crise sociale sans précédent. Bien sûr, dans les transitions, tous les emplois ne seront pas maintenus. Mais l'ampleur de la crise sociale émergente frappe au cœur de l'industrie européenne et des secteurs clés nécessaires à la décarbonisation verte. Une décennie de politiques d'austérité avait déjà affaibli les infrastructures essentielles, et de nombreuses entreprises privilégient désormais de plus en plus les marges bénéficiaires à court terme des actionnaires au détriment de la sécurité de l'emploi, des emplois de qualité et de la planification stratégique. 

De nombreuses entreprises annonçant des licenciements ont été fortement touchées par les conséquences de l'absence de politiques européennes climatiques et industrielles réalistes et par une concurrence mondiale déloyale. Beaucoup d'autres entreprises sont loin d'être en détresse financière, leur décision de fermer ou de licencier est souvent motivée par les exigences des actionnaires qui veulent des marges bénéficiaires plus élevées. La baisse de la demande due à la crise du coût de la vie, la réduction des investissements publics en raison des contraintes budgétaires, les surcapacités mondiales et les pratiques commerciales déloyales exacerbent la situation. L'Europe ne peut pas se permettre de ne pas avoir de politique industrielle ou d'en avoir une qui donne la priorité aux bénéfices des entreprises au détriment des travailleurs et de la résilience à long terme. La politique industrielle devrait couvrir tous les secteurs et toutes les transitions et devrait être soutenue par des investissements renforcés et communs et des conditionnalités sociales. 

Pour y remédier, nous appelons à un moratoire à l’échelle européenne sur les licenciements forcés dans toutes les industries ainsi qu’à la préservation des emplois et des capacités économiques et industrielles stratégiques. Nous entendons par là une interdiction temporaire de tous les licenciements afin de stopper l'hémorragie et de planifier les transitions avec les industries concernées.  Les articles 151 et 153 du TFUE, ainsi que l'art. 30 de la CFR et le Socle européen des droits sociaux exigent que l'Europe agisse et lui fournissent des outils ; elle doit maintenant relever le défi. Des solutions alternatives devraient être explorées avant la restructuration. La consultation a posteriori des syndicats après la décision, sans possibilité de revenir sur celle-ci, est également considérée comme un licenciement forcé. 

Pendant la pandémie de COVID-19, plusieurs pays européens ont mis en place des moratoires temporaires sur les licenciements forcés. L'Italie, par exemple, a adopté une approche globale pour prévenir les licenciements pendant la crise. La France et l'Allemagne, par le biais de leurs systèmes de relations industrielles, ont donné la priorité à l'exploration de solutions alternatives avant même d'envisager des licenciements. Ces modèles prouvent que les mesures nationales peuvent fonctionner, mais qu'elles doivent être renforcées et améliorées par des normes européennes afin d'éviter la fragmentation. 

Le moratoire sur les licenciements forcés devrait permettre d'avancer rapidement sur trois politiques essentielles à mettre en place pour gérer le changement et prévenir les licenciements forcés :

Une politique industrielle européenne pour des emplois de qualité élaborée avec les syndicats 

Il est urgent de mettre en place une politique industrielle européenne forte, élaborée avec les syndicats. Elle doit être élaborée et mise en œuvre par le biais du dialogue social. Son objectif devrait être avant tout de protéger et de créer des emplois de qualité, y compris par le biais de conditionnalités sociales dans tous les financements publics. Il est inacceptable que des entreprises rentables procèdent à des licenciements forcés après avoir bénéficié d'un financement public. La politique doit s'atteler efficacement à la protection de l'industrie européenne confrontée aux défis internationaux, tels que la surcapacité, les pratiques commerciales déloyales, le dumping, les subventions étrangères et les investissements directs étrangers, tout en intégrant des accords commerciaux qui contribuent à des emplois de qualité et à des normes sociales et environnementales en Europe et dans les pays partenaires, soutenus par des normes de travail applicables et des sanctions en cas de violation de ces normes. Pour soutenir les travailleurs des secteurs en difficulté, la CES demande la mise en place d'un système européen permanent de réassurance chômage (SURE 2.0 adapté aux défis actuels et futurs).

Une facilité d'investissement au niveau de l'UE

L'Europe a besoin d'un instrument d'investissement permanent doté d'une capacité de dépense significative. La CES soutient la mise en place d'une capacité d'investissement financée et déployée au niveau de l'UE, dont l'objectif final est d'aider à combler le déficit d'investissement nécessaire pour rendre notre économie durable, résistante au climat et prospère pour les personnes et les travailleurs.  Ce mécanisme doit s'attaquer à la polycrise à laquelle nous sommes confrontés - économique, sociale et environnementale - en veillant à ce que les solutions soient guidées par l'équité et la durabilité, et non par l'austérité. La concurrence internationale croissante et l'incertitude auxquelles nous sommes confrontés exigent un changement d'approche fondamental. Tout en étant un instrument d'investissement et non un dispositif de maintien de l'emploi, la facilité d’investissement devrait également garantir la priorité donnée au travail du programme SURE, en investissant et en transformant de manière fluide les industries clés où les emplois des travailleurs sont en danger.

Une directive sur la transition juste pour anticiper et gérer le changement 

Une directive sur l'anticipation et la gestion du changement fondée sur le dialogue social et la négociation collective est essentielle, car elle garantit une consultation et des négociations précoces et significatives avec les syndicats afin de prévenir de manière proactive les pertes d'emploi et de ne gérer les restructurations que lorsqu'elles sont essentielles à la sauvegarde des emplois et des capacités. L'implication des syndicats et des comités d'entreprise dans les processus de restructuration est souvent mis de côté, les syndicats étant exclus dans plus d'un tiers des cas. La moitié des comités d'entreprise européens sont consultés trop tard, souvent après que les décisions ont été annoncées publiquement, et leur participation entraîne rarement des changements dans les plans de l'entreprise. Pour se requalifier et monter en compétence  pour être prêts pour les transitions, les travailleurs devraient avoir le droit à la formation rémunérée pendant le temps de travail.

Les licenciements forcés ne sont pas inévitables, ce sont des choix qui peuvent et doivent être évités. 

Nous ne pouvons accepter le démantèlement de la base économique de l'Europe, le mépris des droits des travailleurs et la remise en cause de notre avenir collectif. Il est temps de s'engager véritablement dans des transitions qui ne laissent personne de côté.