Bruxelles, 19-20/10/2011
La Charte sociale européenne (CSE) a, depuis son adoption par le Conseil de l’Europe le 18 octobre 1961, contribué à l’amélioration des conditions de travail et de vie des citoyens européens. Elle représente l’un des derniers garde-fous assurant la protection des travailleurs et des citoyens, en particulier des plus vulnérables. La charte a été le premier document social international à reconnaître explicitement le droit de grève ; elle a également été porteuse d’innovations en matière de droits du travail, de conditions de travail et de rémunération, pour ne citer que quelques-uns des 19 droits sociaux qu’elle garantit. Tous ces droits doivent être pleinement respectés et mis en œuvre de manière efficace.
Ces droits ont été élargis et font maintenant partie des 31 droits sociaux entérinés dans la Charte sociale européenne révisée (CSER) adoptée en 1996. Des 47 États membres du Conseil de l’Europe, 43 ont ratifié la charte originale ou révisée. Cependant, seuls 14 d’entre eux sont liés par le protocole relatif à la procédure de plainte collective, qui permet aux syndicats de soulever des questions concernant les violations de la charte.
Au niveau européen, la charte constitue le point de référence du droit primaire de l’UE, notamment dans les préambules du traité sur l’Union européenne ou encore dans le chapitre « Politique sociale » de celui-ci. La plupart des droits sociaux fondamentaux consacrés par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne sont basés sur des articles de la Charte sociale européenne. Enfin, les tribunaux européens reconnaissent son importance lorsqu’ils interprètent la législation européenne ou la convention européenne des droits de l’homme.
En temps de crise, lorsque les droits sociaux sont remis en question et même ébranlés, il est d’autant plus important que les normes sociales assurent une protection minimale au citoyen. Les États membres qui tentent de restreindre certains droits sociaux fondamentaux (par exemple la Grèce, la Hongrie, la Roumanie, la République tchèque, l’Espagne et le Portugal) doivent justifier les mesures qu’ils souhaitent prendre au regard des obligations qu’ils ont contractées en vertu de la Charte sociale européenne.
La CES a contribué activement à la mise au point de la charte, a pris part à la procédure de supervision de celle-ci et reste pleinement engagée dans le système qu’elle a permis de mettre en place.
Par conséquent, à l’occasion du 50e anniversaire de la Charte sociale européenne, la CES :
- rappelle l’importance de celle-ci et de ses évolutions à venir dans la création d’une Europe plus sociale ;
- appelle les États membres à respecter pleinement les obligations qu’ils ont contractées en vertu des normes sociales et de la jurisprudence du Comité européen des droits sociaux (CEDS) ;
- appelle tous les États membres à profiter de ce 50e anniversaire pour adhérer pleinement à l’ensemble des instruments mis au point dans le cadre de la charte et plus particulièrement à la CSER et au protocole relatif à la procédure de plainte collective ;
- souligne l’importance du respect de ces droits par l’Union européenne et de la prise de mesures concrètes pour favoriser l’adhésion aux instruments liés à la charte ; et
- appelle le Conseil de l’Europe et ses institutions ainsi que les États membres à améliorer la mise en œuvre des droits sociaux consacrés par la Charte sociale européenne.
{Annexe }
{{Pour des droits sociaux fondamentaux européens
plus efficaces en pratique}}
{{
I. Introduction : la Charte sociale européenne en tant que pierre angulaire de la protection des droits sociaux fondamentaux en Europe}}
Le 50e anniversaire de la Charte sociale européenne (CSE) nous offre l’occasion de faire le point sur la protection des droits sociaux en Europe et de formuler des propositions visant à la renforcer et à contribuer au progrès social sur l’ensemble du continent, en particulier en ces temps de crise économique et financière.
1. Objectif de la Charte sociale européenne
1.1. Promouvoir les droits sociaux fondamentaux dans le respect des droits de l’homme.
1.2. Accroître l’incidence de la charte sur les organisations internationales, le système judiciaire, les administrations nationales, les partenaires sociaux, la société civile et les citoyens.
2. Accomplissements
2.1. La charte a bénéficié de développements supplémentaires, principalement dans le cadre du protocole d’amendement de Turin (1991), du protocole relatif à la procédure de plainte collective (1996) et de la Charte sociale européenne révisée (1996).
2.2. Le processus de ratification par les États membres du Conseil de l’Europe s’est déroulé de manière telle que seuls quatre États membres n’ont ratifié ni la CSE ni la CSER.
2.3. Une nouvelle dimension a été introduite par la procédure quasi judiciaire de plainte collective, qui offre au Comité européen des droits sociaux (CEDS) l’occasion de conférer aux droits sociaux fondamentaux une signification concrète et un cadre juridique cohérent.
2.4. L’incidence de la charte s’est amplifiée :
2.4.1. particulièrement en matière d’évolution des droits sociaux fondamentaux dans le cadre de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
2.4.2. et en termes de références à celle-ci dans les décisions des tribunaux européens et nationaux.
2.5. Les conséquences positives de la charte sont aujourd’hui visibles dans de nombreux États membres, tant en termes de législation que d’amélioration des conditions de vie et de travail.
3. Problèmes
3.1. Les droits sociaux fondamentaux restent encore souvent considérés comme des droits de l’homme « de deuxième classe ». L’indivisibilité des droits de l’homme ne se ressent pas suffisamment en pratique.
3.2. La crise économique et financière a entraîné une dévalorisation des droits fondamentaux.
3.3. Les droits sociaux fondamentaux ne sont pas suffisamment respectés. Le nombre de violations reste important, en particulier dans les domaines sensibles comme le droit à l’action collectif. Il arrive par ailleurs que des problèmes relevés depuis des décennies ne soient toujours pas résolu par les parties contractantes.
3.4. Le système de supervision de l’application de la charte ne fonctionne pas comme il le devrait. Le nombre de recommandations individuelles (qui constituent les conséquences les plus graves des violations de la charte) est pratiquement tombé à zéro au cours des dernières années.
3.5. Le non-respect de certaines des dispositions du protocole d’amendement de Turin continue à poser de graves problèmes.
3.6. Les inégalités entre les États qui ont ratifié le protocole relatif à la procédure de plainte collective et ceux qui ne l’ont pas ratifié s’amplifient.
4. Rendre la charte plus efficace pour toutes les parties impliquées en adoptant une approche plus cohérente
4.1. Les propositions qui suivent doivent être considérées comme un ensemble de mesures visant à renforcer la cohérence de l’application de la charte au profit de toutes les parties impliquées.
4.2. Les initiatives proposées ont pour vocation de se renforcer mutuellement.
4.3. Il conviendra de développer une véritable volonté politique d’avancer dans la durée.
4.4. Il est, de manière générale, indispensable de renforcer la Charte sociale européenne et la procédure de plainte collective.
{{
II. Propositions visant à accroître l’efficacité des droits sociaux fondamentaux}}
La CES appelle
1. les États membres du Conseil de l’Europe, et plus particulièrement leurs gouvernements respectifs, à activer le cadre juridique des droits sociaux fondamentaux et à accroître leur incidence pratique :
1.1. pour les États qui ne l’ont pas encore fait, en ratifiant, au plus tard pour le 20e anniversaire de la CSER en 2016, tous les instruments liés à la charte et en acceptant dans la plus large mesure possible les dispositions de ces instruments, en particulier :
1.1.1. pour les quatre pays qui n’ont encore adopté aucun des instruments précités et les pays qui n’ont pas encore ratifié la CSER, en mettant tout en œuvre pour ratifier la CSER et pour accepter le plus grand nombre possible de ses dispositions,
1.1.2. pour les nombreux pays qui n’ont pas encore accepté toutes les dispositions de la CSER, en acceptant le plus grand nombre possible de ses dispositions,
1.1.3. pour les quatre pays qui n’ont pas encore ratifié le protocole d’amendement de Turin, en procédant à sa mise en œuvre complète, notamment en demandant à leur Assemblée parlementaire d’élire des membres du Comité européen des droits sociaux (CEDS), afin de garantir l’indépendance et l’impartialité de celui-ci,
1.1.4. pour les nombreux pays qui n’ont pas encore ratifié le protocole relatif à la procédure de plainte collective, en le ratifiant ;
1.2. en effectuant un suivi efficace des éventuelles conclusions négatives de la CSER et plus particulièrement :
1.2.1. en procédant, au niveau concerné (national/régional/local) aux changements législatifs et/ou pratiques requis, et
1.2.2. en effectuant un suivi des résultats ;
1.3. en renforçant, au sein de l’Union européenne, le respect et la promotion des dispositions de la charte, plus particulièrement en abordant, en substance, la CSER comme avait été abordée la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne en termes de législation et de mesures politiques ; toutes les institutions, et plus particulièrement la Commission, le Parlement et le Conseil, doivent les considérer comme équivalentes et les intégrer à leurs procédures respectives ;
1.4. en prenant des mesures de sensibilisation et plus particulièrement :
1.4.1. (en traduisant et) en assurant une diffusion à plus grande échelle des conclusions annuelles de la CSER,
1.4.2. en organisant des séminaires (et autres événements) dans le milieu judiciaire, dans les universités, dans l’administration publique, chez les partenaires sociaux,
1.4.3. en usant de tous les moyens possibles pour intégrer les dispositions de la CSE aux procédures judiciaires ;
1.5. en améliorant les procédures de rapport au Secrétariat de la CSE, et plus particulièrement :
1.5.1. en envoyant les rapports à temps,
1.5.2. en améliorant leur contenu (notamment en soulignant plus précisément les problèmes spécifiques liés au respect des dispositions de la charte) ;
2. le Comité des ministres du Conseil de l’Europe à mettre en place un nouveau cadre pour les droits sociaux fondamentaux :
2.1. en accordant une plus grande importance politique à la CSE dans les activités du Conseil de l’Europe ;
2.2. en accélérant la ratification des instruments liés à la CSE, et plus particulièrement :
2.2.1. en lançant une campagne générale de ratification des instruments en question et en assurant un suivi annuel de cette campagne,
2.2.2. en menant à terme la ratification de la « vieille charte » (version de 1961) et du (premier) protocole supplémentaire (de 1988) ;
2.3. en procédant à un suivi plus efficace, et plus particulièrement :
2.3.1. en adaptant le système de transmission de rapports actuel afin de prévoir un rapport bisannuel concernant les articles les plus importants (Articles 1, 5, 6, 7, 12, 13, 16, 19 et 20),
2.3.2. en révisant les règles du protocole relatif à la procédure de plainte collective afin de garantir la cohérence entre la procédure de transmission de rapports et la procédure de plainte collective (exemple : toute résolution du Conseil des ministres devrait être adressée au Comité gouvernemental au cours du cycle suivant l’adoption de ladite résolution afin de donner aux gouvernements le temps de prendre les mesures nécessaires),
2.3.3. en procédant à un suivi efficace des conclusions résultant du système de transmission de rapport et des décisions résultant de la procédure de plainte prévue par la CSER, notamment en adoptant plus fréquemment des recommandations et en incluant des mesures concrètes et des calendriers de mise en œuvre dans lesdites recommandations,
2.3.4. en accélérant la procédure interne afin que le rapport de la CSER puisse être publié avant l’échéance de 4 mois ;
2.4. en entamant les travaux sur l’adhésion de l’UE à la Charte sociale européenne révisée, et ce, en donnant au Comité de pilotage le mandat nécessaire pour monter un groupe de travail dont les partenaires sociaux européens feraient partie en tant qu’observateurs ;
2.5. en renforçant la consultant des partenaires sociaux européens à tous les niveaux ;
2.6. en augmentant le budget consacré au personnel et aux activités de promotion ;
3. l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe à donner aux droits sociaux fondamentaux un rôle plus déterminant :
3.1. en tenant régulièrement des audiences consacrées à certains droits ;
3.2. en observant et en faisant la promotion du rôle des parlements dans l’harmonisation et le développement des droits sociaux eu Europe conformément à la Résolution 1824 (2011) et à la Recommandation 1976 (2011) du 23 juin 2011 ;
4. le Comité européen des droits sociaux à faire pleinement usage de ses pouvoirs, en particulier :
4.1. en nouant et/ou en intensifiant ses contacts et le dialogue avec les institutions compétentes telles que les tribunaux européens (Cour européenne des droits de l’homme, Cour de justice de l’Union européenne) ou les organismes internationaux supervisant les droits sociaux fondamentaux (Bureau international du travail en général et sa Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations en particulier, Comité des droits économiques, sociaux et culturels de l'ONU, etc.) afin de contribuer à l’harmonisation entre les jurisprudences des différents organismes de supervision et au code européen de sécurité sociale ;
4.2. en tentant de compenser la prolongation des périodes de référence par la prise de mesures complémentaires, telles que la diffusion d’informations avant le cycle normal ;
4.3. en organisant des audiences ou consultations impliquant, entre autres, les partenaires sociaux européens ;
5. le Comité gouvernemental de la CSE à réagir efficacement aux défis, en particulier :
5.1. en révisant les règles de procédure afin de prévoir un suivi efficace des politiques, plus spécifiquement concernant la restructuration et la fusion du Comité d'experts en matière de sécurité sociale avec le Comité gouvernemental ;
5.2. en révisant les méthodes de travail afin de prévoir, notamment :
5.2.1. une position forte contenant des propositions de recommandations individuelles à l’encontre des pays qui ne soumettent pas leurs rapports et/ou ne fournissent pas à temps les informations demandées par la CSER,
5.2.2. une lettre annuelle aux délégués, avec copie à (i) leur gouvernement national, (ii) leur représentant permanent au sein du Conseil de l’Europe et (iii) leurs partenaires sociaux nationaux, lettre soulignant leur contribution au renforcement de la CSE, dressant la liste des situations nationales non conformes, reprenant les informations fournies et les conclusions adoptées par le Comité gouvernemental,
5.2.3. une décision annuelle concernant toute « conclusion négative » évaluée oralement pour la première fois conformément à des critères objectifs, à savoir (i) caractère grave de la situation, (ii) importance des droits concernés, (iii) nombre de personnes concernées, (iv) nombre de plaintes collectives, (v) menace grave résultant de conditions conjecturales, etc.
6. le Secrétariat de la CSE à renforcer ses activités de promotion :
6.1. en amplifiant ses campagnes de sensibilisation au sein des administrations publiques, chez les partenaires sociaux et dans la société civile, et plus particulièrement :
6.1.1. en organisant des séminaires (impliquant les partenaires sociaux) ;
6.2. en traduisant les conclusions de la CSER dans toutes les langues des parties contractantes ;
6.3. en consultant régulièrement les partenaires sociaux ;
6.4. en intensifiant sa coopération avec le Bureau international du travail.
Déclaration de la CES pour téléchargement
Pour télécharger la déclaration de la CES cliquez sur l’icône ci-dessous.