Déclaration sur les négociations entre l'Union européenne et le Mercosur

Dans le contexte des négociations visant à établir une association birégionale entre le Marché commun du Sud (MERCOSUR) et l’Union européenne (UE), nous souhaitons faire la présente déclaration syndicale conjointe :

La CES et la CCSCS ont suivi les différentes étapes de ces négociations compte tenu de l’importance vitale qu’elles revêtent pour les citoyens et les travailleurs des deux régions. Au cours de la première phase, nous avons organisé plusieurs réunions et séminaires et publié un certain nombre de communiqués conjoints entre septembre 2001 et avril 2004. Après la rupture des négociations, nous avons continué d’exprimer nos positions à différentes reprises à l’occasion des sommets syndicaux bisannuels entre l’UE et l’Amérique latine (avec la participation de la CSI et de la CSA) ou de forme bilatérale, comme par le communiqué émis par la CCSCS et la CES le 17 décembre 2012 à la suite de l’annonce de la reprise des négociations.

Récemment (le 10 mai 2016), la CCSCS et la CES ont émis un communiqué conjoint, à la suite de l’échange de propositions entre les parties négociatrices, exigeant avant tout la transparence des négociations et la participation effective de la société civile.

La présente déclaration complète et précise ce qu’ont exprimé les syndicats dans ce communiqué.

 

Non à un simple accord de libre-échange

Nous présentons aux autorités des deux blocs notre exigence que ces négociations ne masquent pas le dessein de conclure un simple accord de libre-échange, à peine recouvert par de bonnes intentions par deux chapitres de moindre importance en matière de dialogue politique et de coopération.

Les mouvements syndicaux d’Europe et du cône sud se sont à plusieurs reprises montrés en faveur d’un accord équilibré et juste, qui permette de renforcer les relations politiques, économiques et culturelles entre les deux régions et de promouvoir le respect des droits de l’homme, l’emploi décent, le développement durable et les valeurs démocratiques.

 

Développement, croissance et emploi

Les propositions syndicales concernant le développement et l’emploi ont été largement diffusées par les documents de la CCSCS ou via le plan d’investissement présenté par la Confédération européenne des syndicats (CES).

Les travailleurs du MERCOSUR et de l’UE estiment que c’est seulement ainsi que l’économie mondiale en général, et nos pays en particulier, pourront renouer avec la croissance économique, la création de nouveaux postes de travail de qualité, la progression des salaires réels et l’amélioration des conditions de vie.

En ce sens, nous considérons qu’il est indispensable de revoir l’orientation néolibérale des négociations commerciales menées actuellement, afin de tenir compte de facteurs importants comme les asymétries entre les pays et les régions concernés, la nécessité impérieuse d’inclure des dispositions claires de « traitement spécial et différencié » en faveur des pays moins développés, et les dimensions sociale, de travail et environnementale.

Nous considérons que ces lacunes dans le cadre des négociations en cours, loin de conduire à la convergence des niveaux de développement de nos pays et des conditions de vie de nos travailleurs, finiront par renforcer la dépendance et les asymétries existant actuellement.

Si ce diagnostic est correct en termes structurels, sa validité apparaît de manière beaucoup plus évidente dans la conjoncture économique mondiale actuelle. Comme chacun le sait, l’économie mondiale traverse une crise profonde qui s’est déclenchée aux États-Unis et s’est étendue rapidement et dramatiquement en Europe, tant via les circuits financiers que commerciaux, faisant des ravages dans l’emploi et les conditions de vie. Aujourd’hui, l’effet de contagion s’est étendu aux pays de la périphérie en général et à ceux du Mercosur en particulier. Dans ce contexte, la libéralisation du commerce des biens et services, les investissements et les marchés publics comportent le risque de renforcer plutôt que d’atténuer les effets de la crise économique internationale.

C’est pourquoi nous considérons que le libre-échange n’est pas la formule pour sortir de la crise économique internationale. Il est aujourd’hui nécessaire de renforcer l'économie et de soutenir la demande réelle à l’intérieur de chacun de nos pays.

 

Négociations transparentes et participatives

 

En outre, nous refusons le secret et l’opacité dans lesquels les négociations sont menées et demandons instamment la divulgation du contenu des offres d’accès aux marchés, dans un souci de transparence à l’égard de l’opinion publique.

Nous exigeons que les équipes de négociation consultent formellement, réellement et effectivement les représentants de la société civile, notamment le Comité économique et social européen (CESE) et le Forum consultatif économique et social (FCES) du MERCOSUR.

Nous demandons également que les mouvements syndicaux des deux régions, représentés par la CCSCS et la CES, participent aux sessions de négociation et que leur point de vue soit pris en considération, en vue de protéger les intérêts des travailleurs des deux régions.

Dans le cas où les négociations progresseraient, nous considérons que les questions suivantes doivent impérativement s’inscrire dans le cadre de l’accord :

 

  1. La possibilité pour les pays en développement d’utiliser des instruments de politique industrielle, par exemple à travers des « clauses d’industrie naissante » ou des « mécanismes de sauvegarde », qui permettent de développer de nouveaux secteurs de production ou de protéger des secteurs hautement sensibles ;
  2. La possibilité de définir les priorités sectorielles dans le cadre d’un processus efficace de complémentarité de production industrielle ;
  3. La promotion des activités de coopération scientifique et des transferts de technologies entre les deux blocs, afin de favoriser un schéma d’intégration basé sur le développement durable et l’inclusion sociale ;
  4. L’inclusion de politiques répondant aux spécificités et problématiques propres des petites et moyennes entreprises (PME), dans le cadre du processus de restructuration productive ;
  5. La nécessité d’ouvrir des lignes de crédit et de financement souples pour les entreprises fortement créatrices d’emplois ;
  6. La mise en rapport des perspectives de développement avec les objectifs de la COP21 et le programme de développement durable à l’horizon 2030 des Nations Unies, en particulier les objectifs liés au développement des investissements. À cet égard, les investissements réalisés par les États des deux blocs doivent faire l’objet d’un suivi étroit, afin de garantir que ces investissements soient de nature réellement productive et effectivement créateurs d’emplois ;

g)         L’exclusion de toute clause liée à la protection des investissements et à la délégation de juridiction en cas de différend éventuel entre les investisseurs étrangers et les États nationaux des deux régions, s’agissant dans les deux cas de prérogatives souveraines de chaque État ;

h)         L’exclusion de toute offre d’accès aux marchés des services dans les secteurs de l’éducation et de la santé, s’agissant dans les deux cas de droits de nos peuples, et non pas de marchandises ;

i)        Étant donné que les marchés publics sont l’une des politiques fondamentales dont disposent les États pour promouvoir le développement de leurs industries, il est nécessaire de restreindre l’accès à ces marchés, conformément à la législation nationale et au respect des droits sociaux.

 

Chapitre social et du travail

Nous rappelons aux autorités de l’UE et du Mercosur que, lors de la phase de négociation antérieure, un consensus avait été atteint à la table des négociations sur certains points que les syndicats avaient soumis :

 

  1. L’inclusion d’une section se référant aux conventions fondamentales de l’Organisation internationale du travail (OIT) et au travail décent en particulier, y compris l’inclusion dans l’accord de mécanismes de sanction en cas de violation de ces conventions ;
  2. La création d’un comité consultatif mixte, composé par le CESE et le FCES et institutionnalisé dans le cadre de l’accord, qui entre autres compétences puisse participer aux analyses d’impact et dispose d’un droit de recours auprès des instances responsables de la gestion et de la supervision de l’accord ;
  3. La reconnaissance, dans le cadre d’un accord éventuel, d’un « forum du travail », consacré aux thèmes spécifiques du travail.

 

Par ailleurs, nous réaffirmons la validité et l’actualité de la plupart des points contenus dans notre proposition de « Chapitre social et du travail », qui avait été présentée au comité de négociation, notamment :

  • Que l’accord fixe comme seuil les conventions internationales de l’OIT et les instruments existant au sein des deux blocs, la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et la Déclaration socioprofessionnelle du MERCOSUR ;
  • Que figure dans le corps du texte l’intention manifestée par les parties de promouvoir le développement économique et la justice sociale et de réduire l’asymétrie et l’inégalité socioéconomique entre l’Union européenne et le MERCOSUR ;
  • Que soit reconnu le fait que toute personne a le droit au travail, à la formation professionnelle, au libre choix de son emploi, à accéder à un service gratuit de placement professionnel et à la protection contre le chômage ;
  • Que l’accord reconnaisse comme l’un de ses principaux objectifs et responsabilités l’obtention et le maintien d’un niveau élevé et stable d’emploi, en vue d’atteindre le plein emploi ;
  • Que l’accord garantisse à tout travailleur migrant, et à sa famille, le droit de migrer, de ne pas migrer, de séjourner et de retourner librement, indépendamment de sa nationalité, ainsi que le droit à l’aide, à l’information, à la protection et à l’égalité des droits et des conditions reconnus aux ressortissants du pays dans lequel il exerce ses activités, tout en garantissant en particulier les droits à la sécurité sociale des travailleurs migrants ;
  • Que les entreprises ou les groupes d’entreprises multinationales exerçant des activités sur le territoire des pays des deux régions se conforment à la Déclaration de principes tripartite sur les entreprises multinationales et la politique sociale de l’OIT et aux Principes directeurs pour les entreprises multinationales de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) (texte révisé, le 27 juin 2000).

La CES et la CCSCS continueront de défendre les revendications des normes du travail et le principe général selon lequel les relations UE-Mercosur doivent contribuer à la construction de modèles de développement économiquement plus équilibrés, d’une plus grande cohésion et justice sociale, dans le respect de l’environnement.

Comme à tant d’autres reprises, le mouvement syndical se montrera à la hauteur des circonstances. Nous en attendons de même de la part de nos gouvernements.

 

Genève, le 3 juin 2016