Bruxelles, les 9-10 juin 2004
1. Le Comité Exécutif de la CES a pris connaissance avec intérêt de la communication de la Commission Européenne sur la dimension sociale de la globalisation ainsi que de son appréciation du rapport de la Commission mondiale mandatée par l'OIT sur le même thème.
2. La communication de la Commission Européenne offre une certaine évolution conceptuelle par rapport à sa communication de 2001 sur les normes fondamentales du travail et la gouvernance sociale. Il s'agit désormais d'une approche qui veut tendre à l'intégration de la dimension sociale, du travail décent et du développement durable dans la politique commerciale multilatérale et la coopération internationale de l'Union et de ses Etats membres.
3. Néanmoins, la question de l'acceptation internationale et de la mise en œuvre effective d'une telle politique intégrée reste entièrement ouverte. En effet, dans ses politiques extérieures (négociations de l'OMC, accords avec des pays et régions extérieures, accords de Cotonou) l'Union Européenne a jusqu'ici surtout privilégié le développement du libre-échange à une réelle coopération pour le développement.
4. Il est indispensable que très rapidement la CES soit consultée par la Commission sur les moyens de réaliser une telle perspective politique, tant dans sa politique commerciale au sein de l'OMC et dans les autres institutions internationales que dans les programmes résultant des accords de coopération bilatéraux et régionaux de l'Union, ainsi qu'au sein de l'Union elle même.
5. Le Comité Exécutif de la CES considère que le rapport de la Commission mondiale mandatée par l'OIT constitue une étape importante dans la lutte continue des syndicats et des organisations syndicales internationales afin que l'ensemble des organisations internationales assume la responsabilité de promouvoir les normes fondamentales du travail et, tout particulièrement, pour faire prendre en considération par l'OMC la dimension sociale et environnementale des échanges commerciaux et des investissements, afin de promouvoir un développement durable et équitable dans tous les pays.
Malgré les limites inhérentes à ce genre d'exercice (compromis entre des participants fort divers) les conclusions de la Commission mondiale dressent un constat que la CES partage : « Pour la vaste majorité des femmes et des hommes, la mondialisation n'a pas répondu à leurs aspirations, simples et légitimes, à un travail décent et à un avenir meilleur pour leurs enfants. »
Celui-ci argumente à partir d'une série de faits bien établis (croissance du commerce sans impact effectif sur le développement durable ; libéralisation des marchés financiers accompagnant une déréglementation sociale et fiscale ; conditions abusives des ajustements structurels et des restructurations dans le domaine de l'emploi, de l'éducation, de la santé et du droit du travail ; inégalités croissantes dans tous les pays y compris dans les pays industrialisés). La CES déplore en outre les conditions sociales dans lesquelles s'effectuent les délocalisations et le développement des gestions en flux tendus au sein de chaînes de sous-traitance internationales, l'informalisation croissante de l'économie, l'extension de la précarité des travailleurs ainsi que les attaques contre les droits syndicaux et la négociation collective, qui constitue un phénomène particulièrement inquiétant dans le cas des zones franches d'exportation.
Les changements que préconise la Commission mondiale sont nécessaires : ils doivent et ils peuvent être réalisés. C'est la tonalité positive de ce rapport.
6. Le commerce international peut contribuer au développement durable (social, économique et environnemental) à condition d'un encadrement strict comprenant, comme le préconise le rapport de la Commission mondiale:
- un cadre multilatéral de protection des migrants ;
- un cadre multilatéral de promotion de la protection sociale (dont 80% des populations sont démunies) ;
- un cadre multilatéral pour la promotion de l'emploi digne et juste, comme outil déterminant de la réduction de la pauvreté ;
- un cadre multilatéral pour la protection des droits des travailleurs, la sécurité alimentaire, la santé, l'éducation, l'égalité entre les sexes et l'accomplissement de l'autonomie des femmes.
La CES souhaite que les négociations de l'OMC prennent aussi en compte les dimensions sociale et environnementale. Elles doivent pour cela inclure des éléments indispensables au développement durable (mise en oeuvre des normes internationales du travail, appuis aux stratégies d'emploi décent, processus de création de systèmes de protection sociale, préservation des services publics, partage équitable des ressources, mesures de protection de l'environnement, santé et sécurité, développement des échanges Sud-Sud, etc...).
7. La CES partage l'avis de la Commission européenne et de la Commission Mondiale de l‘OIT pour dénoncer les obstacles au commerce des biens qui subsistent de la part des pays développés dans les secteurs où les pays en développement bénéficient d'un avantage comparatif.
Reconnaissant que le lien qui existe entre commerce, emploi et pauvreté se pose avec particulièrement d'acuité dans le domaine de l'agriculture, domaine qui reste au centre des intérêts des pays en développement, la CES soutien les recommandations de la Commission Mondiale concernant la suppression rapide des mesures de soutien aux exportations existant dans les pays du Nord. Ces mesures font obstacle aux importations en provenance des pays en développement et induisent également une concurrence déloyale sur les propres marchés de ces derniers.
La CES rappelle ainsi son attachement au principe de souveraineté des Etats en matière de sécurité alimentaire.
8. L'OMC doit fonctionner dans la transparence, de manière plus démocratique et coopérer de façon positive avec d'autres institutions internationales. La communication de la Commission Européenne se propose de promouvoir une telle approche, sans cependant en indiquer les modalités pratiques.
Le Comité exécutif appelle l'Union Européenne et ses Etats membres à jouer un rôle actif pour assurer l'application des recommandations de la Commission Mondiale. Constatant l'insuffisance des progrès enregistrés au regard des engagements figurant dans la Communication de 2001 sur les normes fondamentales du travail, la CES estime que la priorité réside désormais dans la mise en oeuvre d'actions concrètes en vue d'exploiter l'ensemble du potentiel des politiques de l'UE pour promouvoir la dimension sociale de la globalisation.
9. Le Comité exécutif partage le point de vue de la communication de la Commission Européenne qui soutient l'adoption de solutions normatives multilatérales, complétées et étendues par des options volontaires et des codes de conduite négociés entre parties prenantes comme cela doit être le cas pour l'exercice de la responsabilité sociale des entreprises.
10. La concertation entre pouvoirs publics et acteurs économiques et sociaux, nationaux, européens et mondiaux doit prévaloir dans l'élaboration des instruments de régulation afin de donner des finalités sociales et humaines aux activités économiques, aux échanges commerciaux et au développement des capacités technologiques.
Il convient ainsi qu'à partir de son nouveau cadre de références la Commission Européenne assure la promotion d'instruments d'information, de consultation, de négociation et d'évaluation impliquant les partenaires sociaux sur les questions liées à la mondialisation.
La Commission Européenne devrait sérieusement intensifier ses efforts pour que les interlocuteurs économiques et sociaux représentatifs, dans l'esprit du protocole social du traité, puissent trouver des issues contractuelles au dialogue social indispensable aux niveaux national, européen et international.
11. La Communication de la Commission Européenne reconnaît l'importance du modèle d'intégration sociale européen à la fois pour l'amélioration des conditions de vie et de travail, la construction d'une économie européenne compétitive et la gestion des répercussions sociales de la mondialisation.
Or, la CES estime que l'Union Européenne, bien qu'elle ait en effet accompli des pas importants vers l'intégration, est actuellement devant des choix décisifs. Le patrimoine social européen, fruit des luttes politiques sociales et politiques du mouvement ouvrier (relations et négociations collectives, véritables systèmes de sécurité sociale, droits du travail et droits sociaux, services publics et d'intérêt général, etc...) subit de réels affaiblissements, alors que ce patrimoine fournit tous les critères d'encadrement démocratique des marchés. Actuellement dans les Etats de l'UE et dans les Institutions européennes, on semble encore plus soucieux de satisfaire les marchés que les aspirations des populations, par exemple par le projet de directive sur les services dans le marché intérieur.
Dans ce sens, la CES a produit toute une série de propositions destinées à la Convention pour que l'Union Européenne change de cap, notamment en adoptant un pacte de croissance et de stabilité incluant des critères sociaux (emploi notamment) contraignants, notamment en matière d'emploi et de politique industrielle.
12. La CES est favorable à des processus d'intégration régionale afin de créer dans ces espaces territoriaux des voies et moyens de régulation, de cohésion sociale et de solidarité. Elle demande que la Commission Européenne offre des cadres de consultation et de négociation effectifs des partenaires sociaux dans l'élaboration et la mise en œuvre de tels processus.
La CES s'emploie, dans ses discussions avec les institutions de l'Union Européenne, à doter d'une véritable dimension sociale les relations de l'UE avec l'Amérique Centrale et du Sud, les pays méditerranéens et les 77 pays ACP (Accord de Cotonou), aussi bien que dans sa politique de bon voisinage en Europe, en coopération avec le mouvement syndical international.
13. La CES se réjouit des perspectives d'accord entre la Commission Européenne et le BIT, et en attend une meilleure prise en compte des aspects sociaux du développement, mais insiste pour cet accord se fasse dans une totale transparence vis à vis des partenaires sociaux.
Les engagements de la CES
14. Le Comité exécutif de la CES s'engage, avec toutes ses organisations et en coopération avec les organisations internationales, à utiliser pleinement les instruments existants :
- au niveau mondial :
Les normes fondamentales de l'OIT constituent un ensemble minimal de règles qui doivent s'appliquer au travail dans l'économie mondiale. Il convient d'inciter à la ratification et à l'utilisation des normes internationales du travail (8 Conventions fondamentales, autres conventions opérationnelles, recommandations, Déclaration de principes tripartite sur les entreprises multinationales et la politique sociale).
La CES entend promouvoir au niveau européen et mondial (via les mandats de leurs Etats) une coopération plus étroite et des complémentarités entre toutes les institutions internationales afin que des politiques intégrées favorisent la réduction de la pauvreté, le respect universel des droits syndicaux et humains et la création d'emplois décents. Elle supportera l'action de l'UE en faveur de l'établissement d'un Forum sur la Mondialisation et la mise en œuvre des Initiatives visant à la Cohérence des politiques, conformément aux recommandations du rapport de la Commission mondiale.
La CES maintiendra son appui aux campagnes internationales contre les dictatures, par exemple en Birmanie et au Belarus et les actions pour influencer la Banque Mondiale et le FMI.
L'extension de la globalisation nécessite de nouvelles règles pour les investissements directs étrangers, que l'Union européenne devrait soutenir. Aussi, la CES appuie la négociation d'un cadre multilatéral qui assure un juste équilibre entre les intérêts privés, les intérêts des travailleurs et les intérêts publics, ainsi qu'entre les droits et les responsabilités des diverses parties prenantes.
- au niveau européen :
La CES réitère sa demande pour que soient mises en place des procédures formelles de consultation des partenaires sociaux pour tous les aspects des politiques européennes qui concernent la globalisation (commerce, aide au développement, respect des normes sociales, relations bilatérales et régionales, investissement, etc...).
La CES réaffirme la nécessaire ratification et utilisation des normes du Conseil de l'Europe (droits de l'homme, charte sociale européenne révisée, convention européenne de sécurité sociale).
La CES entend continuer à promouvoir l'utilisation des accords bilatéraux de l'UE pour soutenir les droits syndicaux, et, en priorité, les accords du Mercosur et les accords de partenariat et programmes nationaux dans les ACP qui sont en cours de négociation.
La CES développera son action en faveur de la démocratisation du processus de globalisation en apportant sa contribution au débat sur la sécurité alimentaire mondiale, afin de faire émerger des espaces de cohérence entre les objectifs poursuivis par les différentes politiques européennes pertinentes (politique sociale et de développement durable, politique commerciale, politique agricole commune).
L'UE doit s'engager à promouvoir davantage l'application des lignes directrices de l'OCDE sur les sociétés multinationales et la déclaration tripartite de principes de l'OIT relative aux entreprises multinationales et à la politique sociale. La CES entend, en
coopération avec les fédérations professionnelles européennes, développer l'utilisation des comités d'entreprises européens pour une mise en oeuvre effective des normes fondamentales du travail dans le cadre de la responsabilité sociale des entreprises, et pour qu'ils deviennent des éléments moteurs des processus de négociation d'accords volontaires.
L'Union Européenne et ses Etats adhérents doivent s'affirmer en pratique comme des acteurs dynamiques et obstinés de la paix dans le monde et de la mondialisation de la justice sociale, facteurs de démocratie. Ceci devrait inclure la préparation de positions communes des Etats membres dans le FMI et la Banque Mondiale.
- au niveau national :
Les Etats nationaux restent des espaces pertinents pour le progrès social négocié. De plus, les Etats sont mandataires des institutions internationales qui produisent des normes. Ils y ont établi une hiérarchie de ces normes. Celles se rapportant à l'économie, aux finances et au commerce (FMI, Banque Mondiale, OMC, OCDE) sont considérées comme supérieures et contraignantes, par contre les normes se rapportant au social (OIT), à la santé (OMS), à l'éducation, à la culture (UNESCO) et à l'environnement sont considérées comme subalternes et volontaires. Cette situation est inacceptable et doit être revue pour que les normes sociales et environnementales des Nations Unies aient la primauté sur les normes commerciales et financières.
Comme le souhaitent les conclusions du rapport de la Commission mondiale, il est nécessaire d'instaurer un contrôle parlementaire et public des positions des Etats dans les diverses institutions internationales afin d'imposer des cohérences politiques et opérationnelles destinées à réformer profondément le système Onusien et de le doter progressivement d'un pouvoir de régulation et d'équilibre entre les normes internationales. Ce pouvoir pourrait s'exercer au sein d'un Conseil mondial de sécurité économique et social.
« Toute personne a droit à ce que règne sur le plan social et international, un ordre tel que les droits et les libertés énoncés dans la Déclaration puissent y trouver plein effet. » (art. 28 de la Déclaration universelle des droits de l'homme, ONU 1948).