Document de réflexion sur l'approfondissement de l'Union économique et monétaire – Evaluation de la CES (position de la CES)

Document de réflexion sur l'approfondissement de l'Union économique et monétaire – Evaluation de la CES (position de la CES)

Adoptée lors du Comité exécutif de la CES les 13 et 14 juin 2017

Sauf mention contraire, toutes les citations sont extraites du document de réflexion sur l'approfondissement de l'Union économique et monétaire,

Commission européenne, 31 mai 2017, disponible sur :

https://ec.europa.eu/commission/publications/reflection-paper-deepening-economic-and-monetary-union_fr

Introduction

« L’euro n’est pas qu’une monnaie. » En effet.

L’euro est un système monétaire, et un système monétaire demande inévitablement un certain engagement politique. L’euro est donc plus qu’une monnaie puisqu’il représente l’acceptation d’une unité politique et d’un ensemble de valeurs. C’est l’institution politique qui permet, dans le temps, de poser des choix économiques décentralisés.

En tant que système monétaire, l’euro englobe donc un choix politique et doit refléter une vision politique qu’il faut traduire en termes économiques et inscrire dans un cadre de gouvernance économique. La vision politique devrait réfléchir les valeurs essentielles des États membres de l’Union économique et monétaire. À l’ère de la globalisation, cela crée un espace politique de liberté, d’égalité, de démocratie et de fraternité que les États membres ne peuvent plus assurer seuls.

Si un paradigme permettant la réalisation de la vision politique ne peut être établi, des solutions de rechange pourraient être nécessaires, ce qui serait préjudiciable au projet politique. L’architecture du système de l’euro doit donc établir un lien entre le projet européen en tant qu’objectif politique et les politiques économiques nationales en tant que moyen pour parvenir à une situation satisfaisante.

En d’autres termes, la gouvernance économique européenne doit fournir les outils nécessaires à son objectif politique : l’Union.

Nous pensons qu’un trésor européen responsable du financement des investissements publics en Europe par émissions d’obligations d’investissement communes, mais sans transferts, pourrait remplir ce rôle.

Une réforme du cadre de gouvernance de l’Union économique et monétaire est urgente, en ce compris les objectifs et règles définis sous le régime du pacte de stabilité et de croissance. L’absence de réforme d’un système qui ne répond pas aux besoins et aux souhaits de la population ne peut durer indéfiniment.

Les mesures proposées dans le document de la Commission sont à tout le moins intéressantes et certaines sont nécessaires. Toutefois, la plupart des propositions font référence à l’Union des marchés des capitaux et à l’Union bancaire qui sont déjà opérationnelles. Les questions les plus importantes concernant l’Union économique et monétaire sont ouvertes à la discussion, donc reportées, et sont reléguées à la fin du document.

Les failles du système de gouvernance actuel

Le document de réflexion affirme que « l’euro est une réussite à maints égards » et que « des leçons importantes ont été tirées ». Cela ne semble pas être toujours et tout à fait le cas.

Il faut d’abord rappeler que la crise financière qui a frappé l’Union européenne en 2008 était avant tout une crise financière privée. C’est l’irresponsabilité d’acteurs privés des secteurs bancaire et financier qui a permis aux bulles et aux déséquilibres financiers de se développer. La crise de la dette publique n’a été que la conséquence de comportements court-termistes sur des marchés déréglementés. L’Espagne et l’Irlande étaient les parfaits exemples de la folie financière privée et de la rigueur financière publique.

La crise a toutefois eu pour conséquence l’apparition de situations économiques devenues ingérables dans le cadre de gouvernance économique existant. A cet égard, les leçons n’ont pas été tirées.

Les règles budgétaires intégrées dans le pacte de stabilité et de croissance et son appareil législatif sont procycliques et ne permettent pas d’assurer à la fois le bon fonctionnement des stabilisateurs automatiques et le maintien et le développement de stocks de capital privés et publics. Autrement dit, ces règles ont, durant une période de crise, empêché de préserver des services publics décents et de préparer l’avenir. De plus, interdire l’investissement et continuer de croire qu’augmentations salariales, institutions de négociation collective et réglementation des marchés des biens et du travail sont autant d’obstacles à l’emploi, ont conduit l’économie européenne au bord de la déflation en raison des contraintes affectant la demande globale qui ont ainsi provoqué des déséquilibres encore plus importants. Du fait de moyens économiques limités et d’une politique défaillante, la crise est vraiment devenue ingérable en 2011-2012 après que les mesures de relance prises au niveau des États membres aient été abandonnées.

Pour certains États membres, les taux d’intérêt devenaient de plus en plus élevés ou entraînaient des écarts de taux significatifs entre dettes souveraines. A ce moment-là, seule une institution européenne aurait pu gérer le problème en tant que prêteur de dernier recours.

Pourtant, les propositions politiques présentées n’ont d’aucune manière favorisé une reprise. Le problème de la Grèce n’est pas encore résolu même si des mesures institutionnelles ont été mises en place. Quant au mécanisme européen de stabilité, il permet l’émission d’obligations s’accompagnant de facilités spéciales pour couvrir les emprunts des États membres en difficulté mais à des conditions qui ne permettent pas une véritable relance économique.

En effet, seule une volonté européenne forte pourra empêcher que le projet financièrement rentable de faire l’Europe parte en fumée. Et en effet, une seule déclaration politique forte l’a bien exprimé : « La BCE est prête à faire tout ce qui est nécessaire pour préserver l'euro[1]. »

Toutefois, bien que la Banque centrale européenne soit une institution européenne, ce n’est pas une institution démocratique. Dès lors, le but de l’Union économique et monétaire est de mettre en place l’architecture de la gouvernance qui permettra de structurer démocratiquement l’objectif politique européen dans le temps et de développer les outils politiques pour y parvenir. En sa qualité de système monétaire, l’euro doit donc représenter l’objectif politique européen suprême, aussi bien géographiquement que dans la durée, et être soutenu par ces outils politiques.

La création d’un trésor européen pour émettre des obligations au niveau européen afin de soutenir les investissements publics ainsi qu’une révision ciblée du pacte de stabilité et de croissance permettant aux États membres d’investir seraient de bons outils pour un tel projet.

Désaccords sur certaines orientations du document de la Commission

L’Union économique et monétaire est confrontée à des déséquilibres dont les déterminants et les développements méritent une analyse minutieuse. Malheureusement, les politiques nécessaires pour les aborder ont été vraiment asymétriques. Nous pensons que de nombreuses réformes structurelles mises en place ont eu des effets négatifs sur la croissance et l’emploi. En réalité, nous croyons qu’elles ont eu des effets néfastes sur la demande globale mondiale et ont donc contribué à perpétuer une des causes de la crise, à savoir la tendance à la baisse de la part des salaires par rapport au PIB. Les déficits de la balance courante ont effectivement diminué, voire disparu, mais les déséquilibres persistent.

Nous ne pensons pas que l’Union européenne souffre d’un manque de compétitivité comme le niveau record des surplus du compte courant global le montre mais bien d’un manque de demande intérieure dû aux bas salaires et à la faiblesse des investissements privés d’une part et à la faiblesse des investissements publics et des dépenses publiques d’autre part. Tous ces facteurs sont artificiels et tous ces facteurs sont les conséquences d’analyses erronées du développement économique.

Nous reconnaissons que des efforts institutionnels ont été faits pour garantir la survie de l’euro (en particulier le mécanisme européen de stabilité) mais nous contestons les objectifs économiques et les outils politiques qui ont été proposés. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle l’Europe ne serait toujours pas en mesure de faire face si une nouvelle crise venait à frapper. Comme tel, le système de l’euro n’est pas viable. Dès lors, nous ne sommes pas en accord avec des orientations politiques qui conditionneraient les processus de développement et de convergence à des réformes structurelles si, comme par le passé, celles-ci portaient uniquement sur des mesures axées sur l’offre.

Un autre problème est la proposition concernant les titres adossés à des obligations souveraines comme moyen d’accroître l’offre sur les marchés des capitaux à travers une diversification du portefeuille des banques et de permettre une diminution des taux d’intérêt pour les États membres. Ce serait une sorte d’euro-obligations assimilables à des produits financiers titrisés, l’idée étant de permettre à une agence de la dette de produire un instrument spécial de titrisation de la dette à partir d’un panier d’obligations souveraines. Cette solution ne semble pas viable pour deux raisons. La première concerne la technique de titrisation proprement dite. Comme souligné dans la position de la CES sur l’Union des marchés des capitaux[2], nous sommes très inquiets de la réintroduction de ces produits titrisés sur les marchés financiers vu le rôle qu’ils ont joué dans la crise de 2008 aux États-Unis, en Espagne et en Irlande notamment. Cela permet aux banques d’alléger ou de réduire l’exposition de leur bilan pour éviter de lever des capitaux supplémentaires et pour disséminer les risques financiers parmi des acteurs financiers non réglementés (supposés être plus aptes à prendre des risques). La seconde est plus fondamentale. Les titres adossés à des obligations souveraines ne sont pas de vraies euro-obligations. Sans responsabilité conjointe, il est logique que les marchés fassent une distinction parmi les obligations souveraines en y associant des primes de risque propres aux pays concernés. Sous ce rapport, nous ne parviendrions toujours pas à un taux d’intérêt unique sans risque pour l’Union européenne mais nous verrions au contraire le retour de différentiels de taux d’intérêt entre États membres, en particulier en temps de crise. L’absence de responsabilité due à une technique de « saucissonnage » laisse la porte ouverte à une nouvelle augmentation des écarts en situation de stress (les taux d’intérêt sur la dette souveraine augmentent). A cet égard, l’ingénierie financière liée aux titres adossés à des obligations souveraines n’est pas une innovation par rapport au statu quo. Bien au contraire, la méthode qui sera utilisée pour mettre en œuvre ces produits financiers laissera certainement des obligations souveraines résiduelles. Conclusion : l’écart entre dettes non titrisées pourrait augmenter en raison de l’effondrement de la demande de garanties des banques se satisfaisant désormais des tranches senior des titres adossés à des obligations souveraines.

Autrement dit, la possibilité de vendre des obligations souveraines, qui est l’objet de la technique de titrisation, permettra aux marchés de différencier les risques sur une base géographique et donc de mettre à mal la coordination et la volonté d’unité du projet européen.

Vers une révision ambitieuse de l’Union économique et monétaire

En tant que structure de gouvernance, l’euro doit inclure et une fonction de prêteur de dernier recours comme dispositif de soutien commun du système euro, et des outils politiques pour permettre à l’économie de se développer tout en évitant de créer les conditions rendant nécessaire de faire appel à un prêteur de dernier recours. Au final, le système de gouvernance économique doit permettre aux États membres d’éviter les problèmes de refinancement et, si tel était malgré tout le cas, de leur donner les outils politiques leur permettant de faire face à la situation.

Les deux principaux obstacles au développement économique en Europe concernent les salaires et les investissements – publics et privés. Et comme le document de la Commission européenne le précise d’ailleurs, « il importe notamment d’éviter de mener des politiques budgétaires procycliques ». Pourtant, le pacte de stabilité et de croissance et l’appareil législatif qui l’a suivi n’autorisent pas les politiques anticycliques en temps de crise. En outre, une analyse erronée de la crise a identifié l’une des causes des déséquilibres dans l’Union européenne comme étant le manque de compétitivité en présentant des recommandations politiques qui ne s’attaquaient pas au problème, bien au contraire.

Sous ce rapport, le système européen de protection de l’investissement, conçu comme un trésor européen, serait la réforme institutionnelle la plus appropriée et la mieux adaptée proposée dans le document de la Commission européenne.

En 2013, les estimations de la carence en investissements publics et privés en Europe variaient entre 230 milliards et 370 milliards d’euros. Les investissements publics tant dans la zone euro que dans le reste de l’Union européenne ont diminué sans interruption depuis 2009. Cela laisse une marge de progression pour des investissements supplémentaires bien nécessaires. Si ceux-ci étaient financés par un trésor européen, cela permettrait aux États membres connaissant des situations difficiles, comme une récession économique, d’éviter de devoir sabrer dans les investissements publics.

Le rapport des cinq présidents demande qu’un tel mécanisme de stabilisation repose sur les principes directeurs suivants : il ne doit pas donner lieu à des transferts permanents entre pays ni affecter les mesures incitatives destinées à l’élaboration d’une saine politique budgétaire au niveau national.

Aujourd’hui, le développement des investissements publics est reconnu et soutenu par de nombreuses études menées par des institutions économiques internationales. Le FMI[3], l’OCDE[4] et la BCE[5] affirment qu’une augmentation des investissements dans les infrastructures publiques, en particulier après une crise économique, peut être bénéfique pour l’économie en améliorant les résultats à court terme, en stimulant la demande et en augmentant les capacités de production à long terme. En outre, toutes les études constatent des effets positifs sur les ratios dette/PNB.

Le principe serait de créer un trésor comme véhicule destiné à mutualiser les dépenses d’investissement public futures en Europe et à les financer par des bons du trésor européen. Les gouvernements des États membres décideraient du volume total d’investissements publics nécessaire, par exemple 3% du PIB de la région, et de son taux de croissance annuelle. Pour garantir qu’aucune mutualisation de la dette n’intervienne, chaque État membre bénéficierait d’une subvention proportionnelle à sa part dans le PIB total mais uniquement à des fins d’investissement. Chaque État membre serait ensuite libre de choisir dans quels secteurs investir. Les paiements d’intérêts effectués par les trésors nationaux des États membres suivraient la même règle évitant ainsi toute mutualisation des dettes.

La notion de dépenses courantes devra être redéfinie dans le contexte du système proposé puisque les nouveaux investissements publics (à l’exception des investissements sous financement national) seraient maintenant couverts par le trésor. Les États membres seraient toujours tenus de respecter toutes les règles du pacte de stabilité et de croissance, y compris les flexibilités récentes et les révisions qui ont suivi, mais seulement en matière de dépenses publiques courantes (et d’investissements publics financés nationalement) puisque les dépenses publiques courantes en capital feraient partie d’un budget d’investissement séparé financé par des bons du trésor commun. Le trésor convertit la « règle d’or » de saines finances publiques, postulant que les nouveaux investissements publics doivent être financés par l’emprunt, pour en faire la pierre angulaire du processus d’intégration européenne. Le trésor différerait automatiquement les aides à l’investissement – à hauteur du montant intégral de l’objectif manqué – en cas de non-respect de la règle relative à l’équilibre budgétaire (structurel) s’appliquant aux dépenses courantes (et aux dépenses en capital nationales supplémentaires). Les États membres seraient ainsi d’autant plus motivés à ne pas négliger les conditions des aides à l’investissement. Enfin, le volume global des investissements publics pourrait être revu à la hausse en cas de récession mondiale donnant ainsi une marge de manœuvre supplémentaire pour que les stabilisateurs automatiques puissent jouer leur rôle.

Tous les critères et seuils actuels du Pacte de stabilité et de croissance et du Pacte budgétaire doivent être révisés afin d’intégrer le Trésors et les investissements publics financés par la dette.

Outre le contrôle démocratique assuré par le Parlement européen, le trésor pourrait être placé sous la responsabilité d’un ministre européen des finances.

De plus, un fonds « pour les mauvais jours » pourrait être intégré au trésor européen. Tandis que le trésor assurerait le développement économique global, ce fonds servirait à garantir un développement économique équilibré.

La CES demandera davantage d’éclaircissements sur le mécanisme européen de réassurance chômage tel que proposé dans le document de la Commission et continuera à évaluer la question avec ses affiliés.

Conclusion

Dans un premier temps, la CES a demandé une révision du pacte de stabilité et de croissance pour ce qui concerne son caractère procyclique et son impact sur les investissements publics[6]. Un trésor européen supposerait également une révision du pacte de stabilité et de croissance mais garantirait un niveau minimum d’investissements publics dans tous les États membres[7].

Les bons émis par le trésor européen seraient un instrument de la dette conçu de la même manière que les bons du trésor américain – un instrument de la dette que la BCE pourrait utiliser pour soutenir ses objectifs en matière de politique monétaire et de stabilité financière. Par conséquent, le taux d’intérêt serait, pour l’Union, la référence générale d’une courbe unique de rendement sans risque.

Un tel cadre relierait l’euro et sa gestion, organisée de manière centralisée, aux orientations politiques arrêtées au cours du temps de manière décentralisée, permettant ainsi la survie de l’euro et la mise en œuvre du projet européen.

L’approfondissement de l’Union économique et monétaire implique également une révision du Semestre européen. La gouvernance actuelle se concentre trop sur des finances publiques saines et la réduction des déficits. Si une vision d’un État providence, avec un rôle actif pour le secteur public, est mise en avant, cela doit se réfléchir dans les critères de gouvernance et le tableau de bord macroéconomique. Une dimension sociale va de pair avec le respect des droits fondamentaux, la promotion de la négociation collective et le développement de services publics de qualité. Cela signifie également que ces derniers ne devraient plus être libéralisés. En outre, une harmonisation sociale et fiscale serait nécessaire.

Une amélioration continue de l’implication des partenaires sociaux, et en particulier des syndicats, est essentielle pour la réussite d’une gouvernance économique révisée, notamment dans le cadre du Semestre européen et du dialogue macroéconomique.

 

[1] Mario Draghi, Conférence d’investissement à Londres, 26 juillet 2012, disponible (en anglais) sur : https://www.ecb.europa.eu/press/key/date/2012/html/sp120726.en.html

[2] Position de la CES sur l’Union des marchés des capitaux, octobre 2016, disponible sur : https://www.etuc.org/sites/www.etuc.org/files/document/files/adopted_13-fr-etuc_position_on_the_capital_markets_union.pdf

[3] A. Abiad, D. Furceri & P. Topalova “Now Is a Good Time to Invest in Infrastructure”, IMFdirect, 2014.

[4] OCDE Perspectives économiques, juin 2016.

[5] Les investissements publics en Europe, Bulletin économique de la BCE n° 2/2016.

[6]Position de la CES relative à la flexibilité offerte par le Pacte de stabilité et de croissance, juin 2016, disponible sur : https://www.etuc.org/sites/www.etuc.org/files/document/files/fr-position-flexibilities-stability-growth-pact.pdf

[7] Position de la CES : Un Trésor européen pour les investissements publics, mars 2017, disponible sur: https://www.etuc.org/fr/documents/un-tr%C3%A9sor-europ%C3%A9en-pour-les-investissements-publics-position-de-la-ces#.WT1M_cZBrIU