Résolution de la CES pour garantir un recrutement équitable pour les travailleurs et travailleuses migrants dans l'UE
Adoptée lors de la réunion du Comité exécutif des 19 et 20 novembre 2025
Cette résolution présente les revendications du mouvement syndical européen en faveur de politiques européennes de migration de main-d'œuvre qui garantissent un recrutement équitable, l'égalité de traitement et la promotion du travail décent pour tous les travailleurs et travailleuses migrants, quel que soit leur statut d'immigration.
Cet appel de la CES intervient à un moment crucial où de nouvelles initiatives politiques européennes sont attendues, notamment la feuille de route pour des emplois de qualité et le paquet sur la mobilité équitable des travailleurs et travailleuses, parallèlement au plan d'action révisé du socle européen des droits sociaux et aux rapports de mise en œuvre attendus depuis longtemps sur la directive relative aux travailleurs et travailleuses saisonniers et aux sanctions à l'encontre des employeurs. Dans le même temps, la CES rejette fermement le projet de réserve de talents de l'UE, qui devrait être voté prochainement.
Alors qu'au niveau politique européen, les discussions sont centrées sur la « nécessité de recourir aux migrants pour combler les pénuries de main-d'œuvre », les politiques d'asile restrictives et répressives, telles que la proposition de « règlement sur le retour », combinées à des voies de migration de main-d'œuvre sûres et régulières limitées, créent davantage d'irrégularité, de précarité et d'exploitation.
Il est bien connu que les travailleurs et travailleuses migrants sont plus vulnérables en raison de leur statut irrégulier ou précaire, de leur méconnaissance de leurs conditions de travail et de leurs droits, et de leur dépendance vis-à-vis de leur employeur, non seulement en termes de revenus, mais aussi, dans de nombreux cas, en termes de logement et de permis de travail. Les travailleuses migrantes peuvent être exposées à des risques spécifiques liés au genre lors du recrutement. Trop souvent, les travailleurs et travailleuses ne connaissent pas l'identité de leur employeur réel, en raison des longues chaînes de sous-traitants. L'exploitation des travailleurs et travailleuses migrants est répandue dans tous les secteurs, notamment l'agroalimentaire, le transport routier de marchandises, la construction, les soins et le travail domestique, la livraison et la logistique, l'hôtellerie, le tourisme et la fabrication industrielle, et équivaut dans certains cas à la traite des êtres humains ou au travail forcé.
Les abus en matière de recrutement sont de plus en plus fréquents dans le cadre du détachement de ressortissants de pays tiers au sein de l'UE. Il s'agit d'un phénomène croissant dans de nombreux États membres, comme le confirme l'Autorité européenne du travail (ELA). Les détachements frauduleux et les détachements non authentiques par l'intermédiaire d'agences et de sociétés boîtes aux lettres sont de plus en plus utilisés pour contourner les règles nationales en matière de migration de main-d'œuvre dans le but de trouver une main-d'œuvre bon marché et flexible.
Les travailleurs et travailleuses migrants se retrouvent de plus en plus souvent piégés dans des systèmes d'intermédiation de main-d'œuvre abusifs qui contrôlent tous les aspects de leur vie, de l'obtention des permis de travail à leurs salaires, leur logement et leur transport. Ces formes d'intermédiation de main-d'œuvre impliquent des acteurs sans scrupules, tels que les chefs de gangs dans le secteur agricole ou les différentes formes d'agences de recrutement privées. Les syndicats rencontrent de plus en plus de travailleurs et travailleuses migrants qui ont dû payer des frais de recrutement et des coûts exorbitants à ces agences et intermédiaires afin d'obtenir un permis de travail en Europe. Ces travailleurs et travailleuses se retrouvent trompés, isolés, souvent fortement endettés et sans aucun soutien ni accès à un logement et à des conditions de travail décents.
Le recrutement équitable a été décrit comme « l'origine du travail décent ». Cependant, les recherches et les données de l'OIT montrent que les abus liés au recrutement restent très répandus, en particulier pour les travailleurs et travailleuses migrants, car ceux-ci sont plus susceptibles d'être piégés dans des pratiques de recrutement trompeuses ou coercitives et ne disposent pas des informations et des réseaux de soutien nécessaires pour accéder à la justice en cas d'abus. Les travailleurs et travailleuses migrants sont trois fois plus susceptibles d'être victimes de travail forcé que les autres travailleurs et travailleuses, en grande partie à cause de pratiques de recrutement déloyales. Les profits illégaux générés par les frais de recrutement et autres coûts connexes facturés aux travailleurs et travailleuses migrants sont estimés à 5,6 milliards de dollars US par an à l'échelle mondiale.
Dans ce contexte, la CES appelle à des actions spécifiques dans le cadre d'une approche plus holistique visant à garantir un recrutement équitable et un travail décent pour les travailleurs et travailleuses migrants en Europe :
- Réglementer la sous-traitance et l'intermédiation de main-d'œuvre : la CES réitère sa demande d'une directive européenne visant à réglementer les intermédiaires de main-d'œuvre et à introduire un cadre juridique à l'échelle de l'UE afin de limiter la sous-traitance et de garantir une responsabilité solidaire tout au long de la chaîne de sous-traitance.
- Lutter contre les acteurs et les pratiques abusifs en matière de recrutement : les actions de l'UE doivent s'aligner sur la convention C181 de l'OIT sur les agences d'emploi privées et sur les principes généraux et directives opérationnelles de l'OIT pour un recrutement équitable et la définition des frais de recrutement et des coûts connexes, afin de garantir que les recruteurs respectent les exigences minimales, puissent être tenus responsables et ne puissent pas répercuter les risques et les coûts sur les travailleurs et travailleuses.
- Financement permanent de l'UE pour un réseau de conseil syndical destiné aux travailleurs et travailleuses mobiles et migrants : l'accès à l'information et aux services d'aide aux travailleurs et travailleuses migrants doit être amélioré tout au long du processus de recrutement et une fois qu'ils sont employés. Le soutien de l'UE au conseil, à la coopération et au renforcement des capacités est essentiel pour développer et coordonner les services de conseil et d'orientation liés aux syndicats destinés aux travailleurs et travailleuses mobiles et migrants sur le terrain et dans toute l'Europe.
- Garantir l'accès à la justice et à des mécanismes de plainte et de recours efficaces, y compris pour les abus liés au recrutement. Tous les travailleurs et travailleuses, indépendamment de leur statut professionnel ou de leur lieu de résidence, devraient pouvoir signaler les violations de leurs droits du travail sans risquer de représailles, de détention et/ou d'expulsion. Il convient de garantir l'existence de pare-feu entre les autorités chargées de l'immigration et les inspections du travail. Des permis de séjour devraient être accordés aux travailleurs et travailleuses qui signalent des cas d'exploitation, et ils devraient bénéficier d'une indemnisation équitable et rapide.
- Il est essentiel de garantir que chaque travailleur migrant ait accès à un logement décent, afin d'éviter la dépendance vis-à-vis de l'employeur et d'éliminer les logements insalubres tels que les bidonvilles et les zones d’habitation informelles. Veiller à la bonne application des directives sur le détachement des travailleurs et travailleuses, afin de lutter efficacement contre les détachements fictifs, de combattre l'exploitation par les employeurs et de mieux protéger les travailleurs et travailleuses migrants détachés.
- Étendre le mandat de l'ELA afin d'inclure les travailleurs et travailleuses saisonniers, les sanctions à l'encontre des employeurs et les directives anti-traite afin de mieux protéger les travailleurs et travailleuses migrants dans l'UE. Il est toutefois important que le rôle de l'ELA reste limité à l'application des conditions de travail, par opposition aux règles en matière de migration, afin de garantir le respect des droits fondamentaux du travail et de préserver la confiance, l'indépendance et l'efficacité des inspecteurs du travail.
- Renforcer les capacités et les ressources des inspections du travail européennes afin de garantir un contrôle efficace des recruteurs, la détection des abus liés au recrutement, l'application des normes du travail applicables et l'accessibilité des mécanismes judiciaires pour les travailleurs et travailleuses migrants conformément aux conventions C81 et R81 de l'OIT.