Lutter contre le changement climatique : une priorité sociale, des pistes pour l'action

Bruxelles, 18-19 ocotbre 2006

Introduction

1) Dans la perspective de l'arrivée à échéance en 2012 à la fois du protocole de Kyoto et du système européen d'échange de quota d'émissions de CO2, la Commission européenne a engagé une réflexion sur la future stratégie de l'UE en matière de lutte contre le changement climatique qui devrait déboucher sur la publication d'un Livre Vert à la fin de l'année.

2) Par cette résolution, la CES entend renouveler son soutien à une politique européenne de lutte contre le changement climatique ambitieuse, préciser les principes qui doivent guider la future stratégie européenne et fixer ses priorités quant aux leviers à mettre en oeuvre.

3) La CES considère qu'un climat maîtrisé et un environnement sain font partie de ses priorités sociales. Elle entend donc prendre toute sa part dans la lutte contre le changement climatique, sujet qui doit rapidement quitter le champ des seuls spécialistes et environnementalistes pour intégrer celui de la citoyenneté et de la démocratie, en utilisant les outils rénovés du dialogue social et de négociation collective.

II. L'exigence d'une transition énergétique équitable

4) Le Comité Exécutif considère le changement climatique comme l'une des menaces les plus importantes pour l'avenir de la planète. Le consensus scientifique existe désormais sur le fait que le réchauffement climatique est le résultat des activités humaines et sur les risques de changement climatique irréversible et d'impacts socio économiques désastreux. La CES estime donc que les preuves sont suffisamment fortes pour que l'on applique sans attendre des mesures fortes et significatives.

5) La CES s'inquiète du fait que, jusqu'à maintenant, la majorité des pays de l'Union européenne n'a pas pris la mesure de l'impact du réchauffement global sur son tissu économique et social. Si rien n'est fait, les populations qui souffriront le plus des dommages sont celles qui sont déjà les plus démunies, ce qui provoquerait des tensions sociales fortes. Le futur Livre Vert sur l'adaptation au changement climatique est donc le bienvenu à cet égard et la CES insiste pour qu'une attention particulière soit portée aux populations et aux emplois particulièrement vulnérables aux effets du changement climatique.

6) La CES déplore que la politique européenne pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, comme le protocole de Kyoto, ait fait jusqu'ici l'impasse sur la dimension sociale. La lutte contre le changement climatique impliquera de changer profondément notre modèle énergétique et de développement et d'infléchir les comportements individuels. Par conséquent, le niveau d'acceptabilité des mesures nécessaires dépendra dans une large mesure de la prise en compte des impacts sociaux, positifs et négatifs, et de leur accompagnement.

7) Pour sa part, la CES considère que ce changement comporte un bon nombre d'opportunités positives pour les travailleurs. Une utilisation moins intensive des ressources naturelles pourrait être compensée par une utilisation plus intensive du travail. De nombreuses études établissent que la lutte contre le changement climatique pourrait être globalement bénéfique pour l'emploi.

Réduire la dépendance aux ressources énergétiques fossiles de l'UE améliorera la sécurité énergétique. Cela devrait permettre de répartir ces ressources de manière plus équitable entre les pays industrialisés et les pays en développement, créant les conditions d'une paix négociée sur le plan énergétique. La réduction des émissions de CO2 devrait améliorer les conditions de travail et de santé des millions de personnes qui souffrent des effets de la pollution de l'air liée aux transports et aux activités industrielles, et en particulier les populations défavorisées ou les travailleurs des sites polluants qui sont les plus exposés à ces nuisances.

8)D'un autre côté, il est très probable que la mise en place des politiques climatiques changera considérablement la manière dont la production et le travail sont organisés. Les revenus, les emplois et les conditions de travail pourraient être affectés dans les secteurs les plus émetteurs de gaz à effet de serre et dans les unités de production non reconvertibles.

9)Ces considérations conduisent les organisations syndicales à demander que les conséquences des politiques climatiques sur l'emploi et les qualifications soient mieux estimées afin de prendre les mesures les plus adaptées. Des mesures de transition sociale doivent être mises en place. Les travailleurs et leurs représentants doivent être impliqués dans la négociation et la mise en œuvre des politiques énergétiques et climatiques, au sein des branches professionnelles et au plan interprofessionnel, dans les entreprises et les lieux de travail, et tant dans les Etats membres qu'au plan européen, au sein des comité de groupe européens et des comités de dialogue social sectoriel européens.

10)Le Comité Exécutif réaffirme le principe d'« une répartition équitable entre les secteurs, et avec les travailleurs, des responsabilités et des opportunités économiques engendrées par la lutte contre le changement climatique ».

11)Plus spécifiquement, la CES demande à la Commission, au Conseil et aux Institutions européennes, de :

a)Revoir les lignes directrices de la Stratégie Européenne de l'Emploi pour y inscrire l'objectif de réaliser pleinement l'important potentiel de création d'emplois lié au développement des énergies renouvelables, des procédés d'efficacité énergétique et des transports publics, de soutenir la professionnalisation de ces métiers et de renforcer leur attractivité pour les jeunes ;

b)Inscrire la question de « la transition sociale vers une économie sobre en carbone » dans le mandat de la task-force sur les restructurations mise en place par la Commission suite à la Communication de mars 2005 sur « Les restructurations et l'emploi ». Le champ d'application du « Fonds européen d'ajustement à la mondialisation » doit être clarifié afin de permettre son utilisation pour les salariés des secteurs exposées à la concurrence internationale les plus affectés par les limitations des émissions de gaz à effet de serre ;

c)Dans le cadre de la révision de la directive 94/45/CE sur les comités d'entreprise européens, accorder aux représentants des travailleurs des droits d'information, de consultation et de participation sur les sujets relatifs à l'environnement, en particulier l'énergie et le changement climatique, comme cela existe déjà pour les entreprises nationales dans certains pays de l'Union ;
12) De plus, le Comité Exécutif appelle la Commission à mettre en place une plateforme européenne pour le dialogue tripartite sur le changement climatique, réunissant les partenaires sociaux européens et les Directions Générales concernées. Cette plateforme aurait pour mission de prévenir, éviter et réduire les effets sociaux négatifs ainsi qu'exploiter les avantages sociaux qui pourraient résulter de la mise en œuvre des politiques climatiques, et en particulier ceux liés à l'emploi et à la compétitivité.
13) Enfin, la CES demande à la Commission de lancer une consultation sur la base de l'article 137 du Traité pour que les partenaires sociaux européens concluent un accord sur : i) les compétences des comités d'entreprise européens et le champ du dialogue social dans le domaine de l'énergie et du changement climatique ii) l'identification commune des secteurs touchés par les mesures de réduction des émissions ou disposant d'opportunités ; iii) les engagement d'actions de formation et en matière d'anticipation des restructurations.

{{II. Proposition pour les éléments d'une future politique climatique de l'UE
L'architecture internationale
}}

14) Le Comité Exécutif est favorable à la prolongation, après 2012, du Protocole de Kyoto, avec de nouvelles réductions chiffrées pour les pays industrialisés. La CES, de même que le mouvement syndical international, estime essentiel que les pays industrialisés non signataires du protocole de Kyoto intègrent un tel schéma et encourage l'Union européenne à déployer tous ses efforts dans cet objectif.
15) Les règles du commerce international devront tenir compte des efforts de réduction d'émission de gaz à effet de serre.
16)La CES estime également nécessaire d'élargir la participation internationale aux efforts de lutte contre le changement climatique aux pays en développement gros émetteurs de gaz à effet de serre selon le principe des responsabilités communes mais différenciées et des capacités respectives. La CES souhaite que soit étudiée l'opportunité d'inciter les pays en développement, et en particulier les pays gros émetteurs, à graduellement se donner des objectifs volontaires de réduction des émissions en offrant comme contrepartie un programme multilatéral de transfert de technologies de grande envergure impliquant, le cas échéant, la suspension des droits de propriété intellectuelle attachés à ces technologies.

{{La politique européenne du changement climatique
}}

17) Le Comité Exécutif s'inquiète de ce que l'Union européenne globalement et la grande majorité des Etats Membres ne sont pas sur la voie de respecter les engagements de réduction des émissions pris au titre du Protocole de Kyoto pour 2008-2012. La CES appelle la Commission à prendre des mesures supplémentaires et à être plus stricte dans l'approbation des plans nationaux d'allocation des quotas de CO2 pour 2008-2012.

18)Le Comité Exécutif est favorable à l'adoption d'objectifs ambitieux de réductions d'émissions des gaz à effet de serre pour l'UE de 25% d'ici 2020 et de 75% d'ici 2050 par rapport aux niveaux de 1990 et ceci, indépendamment de l'avancée des négociations internationales sur le post-Kyoto. La CES estime que les bénéfices pour l'UE de telles réductions surpassent les coûts à condition que :

a)les exigences en matière sociale énoncées plus haut soient remplies ;

b)le domaine d'application des politiques européenne soit étendu de manière à couvrir tous les gaz à effet de serre et tous les secteurs. Il devrait notamment inclure les émissions en rapide augmentation qui proviennent du transport routier, de l'aviation et du transport maritime. Il devrait couvrir aussi les émissions des autres gaz à effet de serre qui progressent fortement depuis 1990 ;

c)le système d'échange des quotas d'émissions de CO2 soit harmonisé autant que possible au plan européen, de manière à réduire les distorsions de concurrence au sein des secteurs ;

d)un cadre politique à très long terme pour le marché du carbone soit établi afin d'encourager et de sécuriser les investissements dans le nouveau secteur des technologies à faible intensité en carbone.

19) Le Comité Exécutif estime urgent d'établir un partage plus équitable de la charge des efforts de réduction des émissions entre les secteurs « domestiques » (transport, résidentiel, tertiaire) et les autres secteurs, notamment l'industrie, qui sont directement exposés à la concurrence internationale. Les efforts doivent s'accélérer dans les secteurs du transport et du résidentiel dont les émissions s'accroissent à un rythme très élevé.

20) Dans le même temps, les efforts réalisés par les secteurs de l'industrie et de l'énergie pour réduire leurs émissions doivent être poursuivis, avec l'appui de programmes européens de recherche et développement qui doivent être renforcés et réorientés de manière à accélérer la réalisation de percées technologiques permettant de réduire drastiquement les émissions associées aux processus industriels.
21 Dans le domaine des transports, la CES dénonce le manque d'ambition de l'Union européenne. Elle appelle à une stratégie coordonnée au niveau européen pour des transports durables, visant à transférer le trafic de la route et de l'avion vers les moyens de transport moins générateurs de gaz à effet de serre (rail, navigation fluviale, transports collectifs, vélo, marche) et le développement des transports inter-modaux. La CES demande :

a)Un cadre européen pour la tarification de l'usage des infrastructures de transport, visant à internaliser les coûts externes sociaux et environnementaux des différents modes de transport et permettant des financements croisés à partir de la route au-delà des financements nécessaires pour améliorer les conditions de travail dans le secteur du transport routier;

b)La construction du « réseau trans-européen de transport » en donnant la priorité aux projets liés à la prévention du changement climatique (ferroutage, liaisons fluviales). Il convient d'étudier la possibilité de financer ces projets par une nouvelle taxe européenne sur le transport maritime à fort tonnage et le kérosène utilisé dans l'aviation civile;

c)Le respect de l'accord volontaire établi entre les constructeurs automobiles européens pour limiter les émissions de CO2 des véhicules neufs à 140g/km en moyenne en 2008, et l'adoption d'une législation européenne établissant des normes obligatoires d'émissions de CO2 à 120 g/km en moyenne en 2012.

d)Une stratégie européenne pour la mobilité durable des travailleurs entre le domicile et le lieu de travail. La CES propose de rendre obligatoires, dans les entreprises dépassant une certaine taille, la désignation d'un responsable mobilité et l'élaboration de plans de mobilité impliquant la participation des représentants des travailleurs.

22) Reconnaissant l'énorme potentiel d'économie d'énergie et d'emplois lié à la rénovation des bâtiments et la nécessité de lutter contre la « pauvreté énergétique », la CES réitère l'appel du manifeste conjoint CES - Bureau européen de l'environnement - Plateforme des ONG européenne du secteur social intitulé « Investir pour le développement durable » en faveur d'un programme européen pour la rénovation énergétique des logements ciblant en priorité les logements des ménages défavorisés. Un tel programme doit bénéficier du soutien de la Banque Européenne d'Investissement et des fonds structurels européens.

23) En matière énergétique, la CES estime que l'UE doit intensifier son effort en matière de diversification des sources d'énergie, de manière à augmenter fortement la part des énergies renouvelables, de certains biocarburants et de la cogénération chaleur/électricité dans son bilan énergétique. La CES soutient l'appel unanime lancé par le Parlement Européen pour que 20% de l'énergie provienne de sources renouvelables en 2020.
La CES souhaite également que la Commission étudie les coûts et avantages en matière d'emploi, d'environnement, de compétitivité et de sécurité énergétique d'une stratégie européenne pour le déploiement des technologies du charbon propre incluant le captage et le stockage géologique du carbone.
Enfin, la CES souhaite attirer l'attention sur les contradictions potentielles existant entre les politiques de libéralisation et de privatisation de l'énergie, qui pourraient favoriser la course à la production et les investissements à courte vue de la part des opérateurs privés, et le besoin de maîtriser la consommation énergétique. Par conséquent, la CES demande que ces aspects soient pris en compte dans le rapport sur les progrès de la libéralisation du secteur de l'énergie que réalisera la Commission début 2007.

24)Le Comité Exécutif s'alarme de ce que nombre d'Etats membres envisagent de recourir à des achats massifs de crédits issus des Mécanismes de développement propre (MDP) pour respecter leurs objectifs au titre du protocole de Kyoto. La CES estime que, compte tenu de l'absence de limitation des émissions dans les pays hôtes, ces mécanismes ne sont acceptables des points de vue environnemental et social, qu'à la triple condition i) que leur utilisation soit complémentaire des mesures domestiques ii) que les projets respectent les normes sociales et environnementales reconnues internationalement, iii) que les syndicats dans le pays acquéreur et dans le pays hôte soient consultés sur les projets.
Par ailleurs, la CES invite la Commission à demander à l'ensemble des gouvernements européens qui acquièrent des crédits CDM d'instaurer un processus de consultation avec les parties prenantes nationales et d'imposer une clause de responsabilité sociale et environnementale sur les projets. La Belgique peut utilement être prise comme référence sur ce point.
Si cette évolution devait se confirmer, la CES demanderait à la Commission européenne de limiter de manière contraignante la proportion des mécanismes de flexibilité dans l'objectif de réduction des Etats membres.