Octroi du statut d'économie de marché à la Chine

La Chine est membre de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) depuis 2001 mais elle n’est reconnue comme économie de marché par aucun de ses principaux partenaires commerciaux, notamment l’Union européenne et les États-Unis. Le protocole d’accession de la Chine à l’OMC autorise les membres de l’organisation à ne pas octroyer le « statut d’économie de marché » (SEM) à la Chine jusqu’au 11 décembre 2016.

La non-application du SEM à la Chine permet à l’Union européenne de recourir à des méthodes alternatives pour calculer les marges de dumping (appliquées aux économies non marchandes et généralement calculées à partir des prix les plus élevés pratiqués dans les pays tiers).

La Chine estime qu’elle est en droit de recevoir automatiquement le SEM après décembre 2016. Toutefois, des analyses juridiques solides démontrent que l’Union européenne n’a aucune obligation légale d’accorder automatiquement ce statut à la Chine au terme de cette échéance. La CES ainsi que plusieurs organisations de syndicats et patronats européens contestent par ailleurs fermement ce droit.

L’Union européenne a établi cinq critères techniques permettant de définir une économie de marché et visant à déterminer si les conditions économiques dans le pays concerné ont évolué, de sorte que les prix et les coûts puissent être utilisés de façon fiable aux fins des enquêtes en matière de défense commerciale. Pour obtenir techniquement le SEM dans le cadre de ces enquêtes, les cinq critères doivent être satisfaits[1]. Ces critères stipulent que le pays doit démontrer :

i) un faible degré d’influence gouvernementale sur l’allocation des ressources et les décisions des entreprises, qu’elle soit directe ou indirecte (via des organisations publiques notamment), par exemple par l’utilisation de prix fixés par l’État, ou par des régimes fiscaux, commerciaux ou monétaires discriminatoires ;

ii) l’absence de distorsion d’origine étatique et liée aux privatisations sur les opérations des entreprises et l’absence de recours aux systèmes d’échanges non marchands ou de compensation ;

iii) l’existence et la mise en œuvre d’un droit des sociétés transparent et non discriminatoire, qui assure une gouvernance d’entreprise adéquate (utilisation des normes comptables internationales, protection des actionnaires, mise à disposition du public d’informations fiables sur les sociétés) ;

iv) l’existence et la mise en œuvre d’un ensemble cohérent, efficace et transparent de lois assurant le respect des droits de la propriété et le bon fonctionnement d’un régime de faillite;

v) l’existence d’un secteur financier autonome fonctionnant de manière indépendante de l’État et faisant l’objet, en droit et en pratique, d’obligations de garanties suffisantes et d’une supervision adéquate.

 

L’idée sous-jacente de ces cinq critères est de déterminer si les prix et les coûts des sociétés d’une économie en transition sont fiables pour la réalisation d’enquêtes antidumping. Par ailleurs, nous tenons à attirer l’attention sur le fait que, pour accorder le SEM à un pays, le ministère du Commerce des États-Unis examine « dans quelle mesure les taux de salaire [...] sont déterminés par des négociations libres entre les syndicats et le patronat[2] », un critère qui n’est pas pris en compte dans l’approche de l’Union européenne. L’intervention dans l’activité des syndicats — c’est-à-dire le contrôle étatique des organisations syndicales — et l’absence de négociations collectives n’ont pas été soulevées à cet égard auprès des autorités chinoises, toutefois, l’Union européenne et la CES estiment que cet aspect doit être pris en compte.

Pour que l'Union européenne reconnaisse le SEM à la Chine, le pays doit changer sa réglementation antidumping, une procédure qui prendrait presque un an.  Une telle décision aurait par conséquent dû etre prise avant la fin de l'année 2015.

Si l’Union européenne décide de considérer la Chine comme une économie de marché, des répercussions négatives, directes et immédiates seront ressenties au niveau des investissements et de la création d’emplois au sein de l’Union européenne. Les principales industries européennes seront notamment confrontées à des pratiques commerciales déloyales : l’efficacité du système de défense commerciale de l’Union européenne se verra compromise et le marché européen sera exposé au dumping sans limite de la Chine. Selon une récente étude indépendante, « l’augmentation des importations inhérentes à l’octroi du SEM à la Chine réduira la production de l’Union européenne de 114,1 milliards d’euros à 228 milliards par an, soit une baisse de 1 à 2 % du PIB (par rapport à 2011, la production annuelle de référence), ce qui se traduira par la perte de 1,7 à 3,5 millions d’emplois potentiels au niveau des entreprises importatrices concurrentes, de leur fournisseurs et des sociétés qui dépendent des salaires des travailleurs détachés. Outre ces emplois menacés directement ou indirectement, l’attribution du SEM à la Chine pourra mettre en péril jusqu’à 2,7 millions d’emplois directs dans les secteurs hautement exposés à la concurrence des importations. Les pertes d’emplois estimées dans ce rapport sont nettement supérieures à celles déjà enregistrées suite à la hausse des déficits commerciaux de l’Union européenne avec la Chine, et les déplacements d’emplois supplémentaires consécutifs renforceront par la suite l’augmentation des déficits commerciaux bilatéraux[3] ». Au regard de ces prévisions, la CES estime que la Commission européenne doit engager une évaluation des incidences sur la durabilité et demander au Comité économique et social européen d’émettre un avis sur cette question. Les partenaires sociaux et les organisations de la société civile doivent être officiellement consultés et le Parlement européen doit être mobilisé à toutes les étapes du processus de négociation avec le gouvernement chinois. Toutes les relations entre la Commission européenne et les autorités chinoises doivent impérativement être rapportées aux citoyens et aux parties prenantes concernées afin de garantir la plus grande transparence et mobilisation possible.

En somme, les arguments contre l’octroi du SEM à la Chine sont les suivants[4] :

· L’Union européenne n’a pas l’obligation d’octroyer automatiquement le SEM à la Chine à l’expiration de la clause 15 (a) (ii) du protocole d’accession. Les partenaires commerciaux de la Chine perdent uniquement un raccourci vers l’utilisation des méthodes de détermination antidumping des économies non marchandes.

· La Chine doit honorer les engagements qu’elle a pris lors de son entrée à l’OMC. À ce jour, elle n’a pas démontré qu’elle remplissait les critères techniques pour être considérée comme une économie de marché. Elle doit prouver qu’elle a un SEM tant à l’échelle globale qu’au niveau des sous-catégories de l’économie. Par ailleurs, nous pensons que les négociations collectives doivent faire partie des critères d’évaluation.

· Une décision unilatérale de l’Union européenne pourrait conduire à un afflux massif d’importations à bas coûts dans l’Union européenne causé par un détournement de trafic. Cela aurait un effet dévastateur dans de nombreux secteurs industriels au sein de l’Union européenne.

C’est pourquoi la CES appelle les institutions européennes (Commission, Parlement et Conseil) à ne pas octroyer le SEM à la Chine.

La CES s’efforcera de travailler avec toutes les organisations impliquées afin de construire un dossier solide s’opposant à l’attribution du SEM à la Chine et demande à ses adhérents d’exercer des pressions au niveau national pour s’assurer que les gouvernements veillent à ce que la Commission européenne n’accordera pas ce statut à la Chine.

 


[1] SEC(2008)2503

[2] L’article 771(18)(B) de la Loi américaine relative aux tarifs douaniers de 1930 (19 U.S.C. § 1677(18)(B)), tel qu’il a été amendé, demande aux autorités de considérer les éléments suivants :

(i) la mesure dans laquelle la devise du pays étranger concerné est convertible dans la devise des autres pays ;

(ii) la mesure dans laquelle les taux de salaire dans le pays étranger concerné sont déterminés par des négociations libres entre les syndicats et le patronat ;

(iii) la mesure dans laquelle les co-entreprises ou les investissements des sociétés étrangères sont autorisées dans le pays étranger concerné ;

(iv) la degré de propriété et de contrôle exercé par l’État sur les moyens de production ;

(v) le degré de contrôle de l’État sur l’allocation des ressources et sur les décisions de tarification et de production des sociétés ;

(vi) et tout autre élément que l’autorité administrative considère pertinent.

[3] Scott R. E. et Jiang X., 18 septembre 2015, Unilateral grant of Market Economy Status to china would put millions of EU jobs at risk, note d’information de l’IPE #407 – disponible en anglais à l’adresse : http://www.epi.org/publication/eu-jobs-at-risk/ 

[4] « No to dumping from China », note d’orientation 2015-13, Industriall – disponible en anglais à l’adresse : http://www.industriall-europe.eu/database/uload/pdf/Policy%20Brief%202015-13%20No%20to%20dumping%20from%20China%20final.pdf