Plateforme de la CES sur l'avenir de l'Europe

Plateforme de la CES sur l'avenir de l'Europe

Résolution adoptée lors de la séance du Comité exécutif des 26 et 27 octobre 2016.

Nous, les syndicats européens, voulons une Union européenne et un marché unique basés sur la coopération, la solidarité et la justice sociale – une Union européenne capable d’affronter la concurrence mondiale avec un modèle économique et social durable.

Ensemble, nous sommes plus forts – économiquement, socialement et démocratiquement. L’UE ne peut atteindre des niveaux de vie plus élevés pour tous sans une intégration plus équitable et une convergence à la hausse.

Nous méritons tous une meilleure Union européenne pour ses citoyens et ses travailleurs.

 

L’UE doit réagir à sa crise

La crise économique, le chômage élevé, l’exclusion sociale et le mécontentement, auxquels s’ajoutent l’urgence des réfugiés, le Brexit et le terrorisme, sont autant d’éléments qui contribuent à la crise de confiance des travailleurs et des citoyens vis-à-vis de l’UE mais aussi à la montée de sentiments populistes, nationalistes et xénophobes.

Rétablissement de frontières physiques et culturelles, conflits et divergences entre Etats membres empêchent de faire progresser des projets communs. L’Europe est tenue pour responsable de tous les maux que connaissent actuellement les peuples, bien que cette responsabilité soit principalement imputable aux décisions prises par les gouvernements et les institutions nationaux.

Le processus décisionnel de l’UE a été affaibli et les mécanismes intergouvernementaux mis en place à la suite de la crise économique ont souvent remplacé la méthode communautaire consacrée dans les Traités privant ainsi les citoyens du contrôle démocratique des décisions européennes.

Il est tout à fait évident que, tant que l’économie n’aura pas redémarré et qu’il ne sera pas mis fin à l’austérité et aux politiques néolibérales, et tant que les problèmes du chômage, de la pauvreté et de la fragmentation sociale n’auront pas été traités, l’espoir d’un avenir meilleur ne l’emportera pas sur la peur, l'incertitude et la colère des travailleurs.

L'Union européenne est aujourd’hui à la croisée des chemins : soit elle se réforme et se transforme en une Europe plus juste et plus sociale, soit elle risque de s’écrouler.

Les sondages révèlent toutefois que le Brexit a renforcé l’adhésion à l’UE parmi les citoyens dans plusieurs États membres. Nous sommes face à des défis et à des opportunités et nous devons travailler ensemble afin de bâtir une alternative positive.

Les principales réalisations du processus d’intégration européen (telles que la paix et la démocratie – le marché unique et la coopération économique – des niveaux élevés d’éducation, d’innovation, de développement technologique – la protection des droits humains et un modèle social performant – la liberté de circulation) ont fait de l’Europe un lieu de vie très agréable : cet héritage ne doit pas être dilapidé.

Le changement est urgent, et le mouvement syndical européen y contribue, conjointement avec d’autres acteurs qui se soucient de l’avenir de l’Europe.

 

Relancer l’UE : une plateforme syndicale pour l’avenir de l’Europe

La transformation de l’Europe, la relance du projet européen requièrent des politiques et des règles différentes ainsi qu’une plus grande participation des citoyens, des travailleurs et des organisations qui les représentent.

Cela nécessite une convergence à la hausse accrue en termes de conditions de vie et de travail entre les pays et en leur sein, une réduction des inégalités et davantage de cohésion économique et sociale. Une amélioration du niveau de vie de la population doit être initiée et soutenue par des politiques plus énergiques.

L’UE peut à nouveau se faire aimer des travailleurs et des citoyens si elle trouve et apporte des solutions concrètes à leurs problèmes, si elle favorise la création d’emplois de qualité et contribue au plein emploi, à l'égalité des chances économiques et sociales, à la protection sociale, à la sécurité et au bien-être de tous.

Nous proposons un nouveau Pacte pour l’avenir de l’Europe, fondé sur la prospérité, la justice sociale et la démocratie.

 

Une croissance économique durable pour la création d’emplois de qualité et de meilleures conditions de travail

L’UE a réagi à la crise économique mondiale en mettant uniquement l’accent sur la restriction des budgets publics et les exportations – réformes structurelles visant la flexibilité du marché du travail, réductions des dépenses publiques, des services et de la protection sociale, dépression salariale et démantèlement de la négociation collective ont été les principaux moyens d’ajustement.

Cela n’a résolu aucun des problèmes auxquels notre économie est confrontée mais a au contraire engendré une relance anémique, la stagnation et la déflation, des niveaux de chômage et de précarité inacceptables, la pauvreté et l’exclusion sociale.

Il est grand temps d’installer une croissance durable – ce qui, pour nous, signifie emplois de qualité, conditions de travail justes, égalité sur le marché du travail et dans la société, inclusion et intégration sociales pour tous. Cela implique également un agenda économique mondial et européen différent ayant pour objectif d’assurer de meilleures conditions de vie et de travail pour les citoyens. Pour y parvenir, des mesures urgentes s’imposent.

Un plan exceptionnel d’investissement et de création d’emplois de qualité est nécessaire comme la CES l’a déjà proposé dans son initiative « Une nouvelle voie pour l’Europe » lancée en 2013. Les investissements publics doivent être renforcés car ils représentent aussi le moyen le plus efficace de stimuler les investissements privés. Tout en soutenant une politique industrielle européenne, le « plan Juncker » doit être réorienté, surtout maintenant après l’annonce de sa seconde phase, vers les pays et les secteurs qui en ont le plus besoin et les moyens publics disponibles doivent être considérablement augmentés.

Afin de permettre aux Etats membres d’investir, le Pacte de stabilité et de croissance doit être révisé, en reconsidérant et en adaptant ses objectifs à la lumière du contexte macroéconomique actuel et en y introduisant une « règle d’or » stable et transparente en matière de flexibilité, en excluant des objectifs de déficit et de dette les investissements productifs en faveur des infrastructures matérielles et immatérielles, de l’économie verte, de l’innovation et de la recherche, de l’éducation et de la formation, des infrastructures sociales et des services publics.

En outre, l’Union européenne elle-même doit être autorisée à mobiliser des investissements publics pour des projets transnationaux via l’émission d’emprunts par la Banque européenne d’investissement (BEI) et en créant un budget et un trésor européens autonomes.

Une coordination de la fiscalité est nécessaire, tout comme le sont la lutte contre la fraude fiscale, la garantie d’une fiscalité juste et progressive pour les personnes et les entreprises et le soutien au budget de l’UE.

Le rôle essentiel de services publics efficaces et inclusifs pour la justice et la cohésion sociales ainsi que pour une croissance équitable et durable doit être reconnu et la propagande généralisée contre tout ce qui est public (investissements, services, travailleurs) doit être contrée.

Une coordination renforcée particulière doit être prévue pour l’Union économique et monétaire (UEM) dans le cadre du processus d’achèvement de son architecture, y compris la manière de lier le trésor européen au financement des investissements publics. De plus, le mandat de la BCE doit être revu et élargi en incluant le plein emploi parmi ses objectifs. Une politique économique et de l’emploi saine doit soutenir la monnaie unique et la création d’un Eurogroupe des ministres du travail doit être envisagée en plus de l’Eurogroupe des ministres des finances.

Les défis soulevés par le changement climatique, l’approvisionnement énergétique durable, la numérisation,  l’automatisation et les processus de restructuration qu’entraîne la mondialisation doivent être abordés à travers une stratégie de « transition juste » assurant que la création d’emplois de qualité compense la destruction d’emplois et que la priorité soit donnée à la protection des intérêts des travailleurs et des citoyens afin que ceux-ci puissent bénéficier de cette nouvelle révolution économique. L’Europe a en outre besoin d’une politique industrielle solide qui soutienne les secteurs matures tout en favorisant les secteurs innovants permettant cette transition juste.

Pour qu’ils soient progressistes et équitables, les accords de commerce internationaux doivent suivre la même logique et leurs dimensions sociale, environnementale et publique doivent être préservées voire même améliorées. Ces accords doivent laisser le droit et l’espace aux gouvernements à tous les niveaux de légiférer et d’assurer des services publics dans l’intérêt général mais également permettre aux partenaires sociaux de développer un dialogue social et des relations industrielles en toute autonomie.

La demande intérieure européenne doit être stimulée pour parvenir à une relance équitable. Ces dernières années, les salaires sont restés en retrait par rapport à la productivité dans tous les pays de l’UE alors que le coût de la vie a augmenté. Le temps d’une augmentation salariale généralisée pour les travailleurs européens est donc venu. Cela doit se faire en renforçant la négociation collective là où elle fonctionne, en la rétablissant là où elle a été démantelée  et en créant des institutions et des pratiques de négociation collective là où elles n’existent pas : renforcement des capacités des partenaires sociaux et cadres juridiques nationaux, là où ils s’avèrent nécessaires, sont les outils pour y parvenir. Une augmentation du salaire minimum et du salaire minimum vital doit également être programmée là où elle se justifie. La dimension d’une convergence salariale à la hausse, entre pays (en particulier entre pays d’Europe occidentale et d’Europe orientale) et entre secteurs, doit être envisagée comme principe essentiel visant à réduire les déséquilibres macroéconomiques, les inégalités (y compris les écarts de rémunération entre hommes et femmes) ainsi que toute forme de dumping salarial et de discrimination.

 

Relancer le modèle social européen : droits du travail et protection sociale renforcés

Nous sommes les témoins directs d’une crise sans précédent de la cohésion sociale européenne qu’illustrent le chômage des jeunes et le chômage de longue durée, la précarité, la fragmentation et les difficultés pour accéder au marché du travail, les inégalités, l’exclusion sociale et les discriminations croissantes. Le modèle social européen qui fut une référence pour le reste du monde a été affaibli, mis en péril et même démantelé dans certains pays.

L’Europe doit relancer et renforcer son modèle social et tout d’abord en modifiant le discours dominant selon lequel ce modèle fait obstacle à la compétitivité et à la croissance économique. Il faut reconnaître que les pays pratiquant des salaires élevés, un dialogue social et une négociation collective forts et ayant des systèmes de protection sociale solides sont ceux où l’économie se porte le mieux.

La dimension sociale de l’Union européenne doit acquérir la même pertinence que la gouvernance économique. Il est temps de mettre en place un Semestre européen social et de faire en sorte que le socle européen des droits sociaux ne soit pas simplement et uniquement un palliatif visant à réparer les dégâts de l’austérité mais bien qu’il fasse partie de la stratégie globale pour concevoir l’avenir de l’Europe. Il faut replacer l’« économie sociale de marché » décrite par Jacques Delors au cœur de l’Union européenne.

L’UE doit s’assurer que le Socle européen des droits sociaux ne soit pas une vaine promesse. Travailleurs et citoyens ont besoin de propositions concrètes, de mesures qui peuvent faire la différence dans leur vie de tous les jours et améliorer leurs conditions d’existence et de travail.

Des niveaux adéquats de protection sociale et de droits doivent être garantis à tous les citoyens, qu’il s’agisse d’emploi, de chômage ou de retraite. Des normes européennes doivent être fixées pour tous les pays et doivent être atteintes par une convergence à la hausse dans le plein respect des meilleures conditions existantes.

Des critères de référence, des recommandations, une législation et un financement effectifs et progressistes doivent être mis en place pour aider les Etats membres dans ce processus. Des outils spécifiques peuvent être créés au niveau de l’UE/UEM  pour soutenir et intégrer des mécanismes de protection sociale et de financement défaillants ou insuffisants au niveau national ainsi qu’en cas de crises de l’emploi ou de chocs sociaux. Par exemple, des régimes supplémentaires d’allocations de chômage et un encadrement du revenu minimum (tels que la garantie pour la jeunesse ou l’initiative pour l’emploi des jeunes) peuvent être envisagés pour les pays qui en ont le plus besoin tout en préservant l’autonomie des partenaires sociaux et les systèmes nationaux existants.

L’ordre de priorité doit être déterminé au niveau européen pour des domaines d’intervention spécifiques tels que chômage des jeunes et chômage de longue durée, inégalités et discrimination fondées sur le sexe, pauvreté, travailleurs pauvres et exclusion sociale, travail clandestin, compétences et formation tout au long de la vie, transition juste, allocations familiales, systèmes de retraite, soins de santé et de longue durée, discrimination envers les catégories de personnes défavorisées et vulnérables, maladie et invalidité. Tous ces domaines méritent une convergence à la hausse vers des normes plus élevées ainsi que des outils adéquats et efficaces pour y parvenir. En outre, le principe d’« égalité de traitement » doit être affirmé et appliqué dans toutes les politiques, initiatives et actes législatifs de l’UE.

La précarité et la fragmentation du marché du travail réclament une analyse spécifique tout comme les nouvelles formes d’activité économique et d’emploi influençant l’avenir du travail. Outre la lutte contre les anciennes et nouvelles formes d’exploitation, comme le travail clandestin et les faux emplois indépendants, les travailleurs atypiques et indépendants ont droit à des mesures et à des structures particulières qui leur garantissent les mêmes droits que les autres travailleurs tels que le droit de négocier leur rémunération, de bénéficier d’une protection en matière de sécurité sociale, de santé et de retraite, d’avoir accès à une formation continue et de s’affilier à un syndicat.

Le droit à la libre circulation doit être appliqué en protégeant le traité Schengen, en luttant contre le dumping social et en s’engageant en faveur d’une mobilité volontaire et juste, d’une égalité complète de traitement, de l’intégration et de l’inclusion des travailleurs autochtones et des travailleurs mobiles. La portabilité et la coordination de la protection sociale doivent être renforcées dans leur dimension transfrontalière. Un agenda européen plus juste en matière de migration doit être fixé en mettant l’accent sur l’intégration et l’égalité. Une politique d’asile plus affirmée et plus humaine doit être organisée et basée sur la solidarité, la responsabilité et la coopération.

Des cadres européens doivent être définis pour protéger et restaurer les droits syndicaux qui, ces dernières années, ont été attaqués et même démantelés suite à l’introduction de politiques d’austérité.

 

Plus de valeurs démocratiques : travailleurs et citoyens au cœur de l’Europe

Les institutions européennes doivent être plus démocratiques, transparentes, responsables et efficaces – les travailleurs et les citoyens veulent avoir le sentiment que les décideurs entendent leur voix et veulent pouvoir comprendre et influencer la gouvernance de l’UE (mais aussi les processus nationaux de prise de décisions).

Les travailleurs et les citoyens de l’UE doivent être traités de manière juste et équitable. Il faut rétablir les canaux de l’information, de la consultation et du dialogue entre les travailleurs et les citoyens de l’UE, les institutions européennes, les responsables politiques et les autres acteurs européens, y compris les partenaires sociaux et les organisations de la société civile.

Les élections européennes doivent être l’occasion d’une véritable expression démocratique en donnant aux citoyens la possibilité d’influencer les politiques et la gouvernance au niveau européen ainsi que la composition de la Commission. La Commission européenne doit être investie d’un pouvoir exécutif solide tandis que le contrôle démocratique et l’initiative législative exercés par le Parlement européen doivent être renforcés.

Le dialogue social, entre partenaires sociaux et au niveau institutionnel, et la participation et l’influence des travailleurs sur la politique de l’entreprise doivent être soutenus et renforcés, pour peser davantage et être pleinement appliqués dans les Etats membres et tous les secteurs, et également, là où cela s’avère nécessaire, à travers des cadres juridiques et des mesures obligatoires pour soutenir l’amélioration des capacités des partenaires sociaux.

Les négociations sur le Brexit et l’inclusion du Pacte budgétaire dans le Traité impliqueront des modifications du Traité. Ce doit être l’occasion d’organiser une Convention impliquant les partenaires sociaux et la société civile, de profondément modifier le Pacte budgétaire pour en faire un outil de soutien à une croissance durable et équitable, de réformer le Pacte de stabilité et de croissance et d’introduire un Protocole de progrès social, un Semestre social et un Socle européen des droits sociaux dans les Traités.

Les syndicats doivent être impliqués dans les négociations après le référendum britannique et sont en faveur du maintien de l’accès du Royaume-Uni au marché unique mais dans le plein respect des quatre libertés, en particulier la liberté de circulation des travailleurs, et le respect par le Royaume-Uni de l’acquis social communautaire. Le prix du Brexit ne doit pas être payé par les travailleurs.

Les négociations sur le Brexit, comme toute forme de modification du Traité, doivent devenir une opportunité de renforcer et de raviver les valeurs européennes de paix, de démocratie, de prospérité et de justice sociale – de construire une Europe meilleure et plus équitable pour les citoyens.