Position adoptée / Position de la CES concernant le paquet « Compétences et talents » de la Commission européenne

Position de la CES concernant le paquet « Compétences et talents » de la Commission européenne

Position adoptée lors du Comité exécutif de la CES des 27-28 octobre 2022

Contexte

Le 27 avril 2022, la Commission européenne a présenté sa communication intitulée « Attirer des compétences et des talents dans l'UE », donnant ainsi suite à son pacte sur la migration et l’asile, adopté le 23 septembre 2020. La CES regrette que le pacte n’ait avancé qu’un nombre très limité de propositions sur la migration de main-d’œuvre, lesquelles ont d’ailleurs été éclipsées par l’accent mis sur les expulsions et les contrôles aux frontières. Il est particulièrement décevant de constater que la question de la migration de main-d'œuvre a été articulée autour de la nécessité pour l’Union européenne « d’attirer les talents ».

La communication prévoit des initiatives juridiques, opérationnelles et politiques dans le domaine de la migration de main-d'œuvre. S’agissant du volet législatif, la Commission propose de réviser la directive sur le permis unique ainsi que la directive relative aux résidents de longue durée. La Commission propose également d'intensifier la coopération entre les États membres de l’UE ainsi qu’avec les pays partenaires grâce aux « partenariats destinés à attirer les talents » et à la mise en place d’un « réservoir européen de talents ». Une mesure spécifique destinée à soutenir les réfugiés d’Ukraine a été élaborée au titre de l’initiative pilote « réservoir européen de talents ». 

L’évaluation par la CES de la révision de la directive sur les résidents de longue durée

La révision de la directive sur les résidents de longue durée visait à créer un système d’acquisition du statut de résident de longue durée – UE plus efficace, plus cohérent et plus équitable, notamment en renforçant le droit des résidents de longue durée à circuler et à travailler dans d’autres États membres. La CES soutient la révision de cette directive, qu’elle accueille comme une possibilité de renforcer le statut accordé aux résidents.

Bien que la durée de résidence requise de cinq ans demeure la règle générale, la proposition introduit deux changements visant à faciliter l’acquisition du statut de résident de longue durée dans les cas de mobilité entre États membres. Premièrement, la Commission propose d’autoriser le cumul des périodes de séjour dans différents États membres pour atteindre le seuil des cinq ans. Deuxièmement, les personnes possédant déjà le statut de résident de longue durée dans un État membre devraient pouvoir acquérir ce statut dans un deuxième État membre en trois ans seulement.

  • Champ d’application et durée de résidence (articles 3 et 4)

Le champ d’application personnel de la directive est précisé, mais il demeure limité et flou. Par exemple, les réfugiés ukrainiens qui bénéficient d’une protection temporaire dans l’UE restent en dehors du champ d’application de la directive.

La proposition n’a pas tenu compte de la revendication de la CES de ramener la période de cinq ans à trois ans. La CES salue, toutefois, le fait que toute période de séjour passée par un ressortissant d’un pays tiers en tant que titulaire d’un visa de long séjour ou d’un titre de séjour délivré en vertu du droit de l’Union ou du droit national (y compris les séjours aux fins d’études ou d'une formation, les séjours en vertu d’une protection nationale ou temporaire, ou les séjours fondés sur des motifs temporaires) est prise en considération aux fins du calcul de la durée de cinq ans. Néanmoins, les périodes de séjour fondées sur un visa de court séjour ne sont pas comptabilisées (les travailleurs saisonniers et les personnes au pair sont exclus) et le titulaire doit avoir accumulé deux années de résidence légale et ininterrompue sur le territoire de l’État membre où la demande est introduite (le séjour dans un autre État membre est accepté).

Droits concernant la mobilité intraeuropéenne

La CES estime qu’il convient de faciliter la mobilité des titulaires de ce permis au sein de l’Union européenne et de mieux harmoniser le traitement des personnes qui se déplacent d'un État membre à l’autre, notamment les services et les droits dont les résidents de longue durée et de leur famille bénéficient (par exemple, régime de taxation, sécurité sociale, protection sociale).

  • Égalité de traitement (article 12)

La proposition étend l’égalité d’accès à la protection sociale et à l’aide sociale, en supprimant la possibilité pour les États membres de limiter cet accès aux prestations essentielles. Il est précisé que les résidents de longue durée devraient bénéficier du même droit d’acquérir un logement privé que les ressortissants du pays.

Cet article aligne la définition de la sécurité sociale et le droit à l’exportation des pensions et des prestations familiales sur les dispositions des dernières directives relatives à la migration régulière. En particulier, il est fait référence au règlement (CE) nº 883/2004 en ce qui concerne la définition de la sécurité sociale [paragraphe 1, point d)]; les résidents de longue durée – UE ou leurs survivants qui se rendent dans un pays tiers devraient bénéficier de la retraite légale dans les mêmes conditions et aux mêmes taux que les ressortissants des États membres concernés qui déménagent dans un pays tiers, conformément aux autres directives relatives à la migration régulière (paragraphe 6).

  • Membres de la famille (article 15)

La CES se félicite de la nouvelle disposition qui introduit l’obligation pour les États membres de ne pas imposer d’obligations d’intégration aux fins du regroupement familial ni de limite de temps en ce qui concerne l’accès des membres de la famille au marché du travail. Elle salue également le fait que les enfants d’un résident de longue durée qui sont nés ou ont été adoptés sur le territoire de l’État membre qui a délivré au résident le permis acquièrent automatiquement le statut de résident de longue durée. Par ailleurs, elle accueille favorablement le fait que les qualifications professionnelles des résidents de longue durée doivent être reconnues au même titre que celles des citoyens de l’Union.

  • Accès à l’information (article 27)

La CES avait souligné un autre aspect important, à savoir que, au cours de la procédure de demande de statut de résident de longue durée, des informations doivent être fournies sur l’existence du permis ainsi que sur les droits et les garanties qui y sont attachés. La CES se félicite de l'introduction de ce nouvel article, qui prévoit l’obligation pour les États membres de mettre à la disposition des demandeurs, de manière « facilement accessible », les informations relatives aux pièces justificatives nécessaires à une demande et aux conditions d’acquisition du statut (droits, obligations et garanties procédurales). Cette obligation pourrait être élargie aux personnes qui acquièrent le statut de résident de longue durée (informations sur les conditions de vie et de travail dans d’autres États membres, y compris sur les droits du travail et les droits syndicaux, dans la langue appropriée).

En conclusion, la CES considère que les deux propositions législatives constituent des mesures positives. De nombreuses revendications de la CES ont été prises en considération. Certains éléments pourraient, toutefois, être renforcés, notamment, les droits et la protection des travailleurs migrants (changement d’employeur, demandes introduites dans le pays, accès à l’information; cf. révision de la directive sur le permis unique) ainsi que les mesures visant à améliorer l’accès au statut de résident permanent et à éviter les irrégularités (cf. révision de la directive sur les résidents de longue durée). En ce qui concerne la révision de la directive sur les résidents de longue durée, le champ d’application se trouve précisé et n’exclut pas certaines catégories de migrants et de réfugiés. Des améliorations devraient y être apportées pour que les ressortissants de pays tiers puissent envisager leur intégration et leur inclusion sociale en Europe dans une perspective de long terme.

L’évaluation par la CES des partenariats destinés à attirer les talents et du réservoir européen de talents

La Commission propose un certain nombre de mesures visant à mettre concrètement en œuvre les partenariats destinés à attirer les talents, avec pour objectif de s’accorder sur les premiers partenariats (Égypte, Maroc et Tunisie) d'ici à la fin de 2022. Les partenariats destinés à attirer les talents s’appuieront sur les projets pilotes mis en place avec ces partenaires. Ils prévoient d’en accroître le champ d’application et le niveau d’ambition et de mobiliser toutes les parties prenantes concernées. D’après la Commission, ces partenariats cibleront tous les niveaux de compétence dans différents secteurs de l’économie, notamment les TIC, les sciences, l’ingénierie et les soins de santé.

La CES se montre critique à l’égard de ces partenariats et s'inquiète de la tendance favorable à l’utilisation d’accords bilatéraux en matière de migration de main-d'œuvre et de partenariats avec des pays tiers comme moyen de contrôle de la migration de travail. Il importe, dans le cadre des partenariats existants et à venir, de renforcer les garanties, la protection et les droits des travailleurs migrants.

Ces partenariats devraient s'inspirer de l’expérience acquise au cours des projets pilotes et être assortis d’un cadre réglementaire adéquat couvrant les domaines à améliorer qui ont été recensés par les parties prenantes, notamment par les syndicats. Il convient de prendre en considération le besoin de transparence, d'information et de participation des syndicats tant dans les pays d’origine que dans les pays de destination aux niveaux concernés, la prise en charge par les employeurs des frais de recrutement et des frais de déplacement, ainsi que l’accès des travailleurs à l’information concernant notamment les droits des travailleurs et des syndicats et les mécanismes de plainte et de recours.

En ce sens, la CES réitère ses appels à la Commission et aux États membres pour qu’ils promeuvent des normes de recrutement équitables et qu’ils interdisent notamment les pratiques et les frais de recrutement abusifs. Ils devraient prendre appui sur le travail approfondi que l’OIT a mené en matière de politiques et de principes de recrutement étique, sur le code de pratique mondial de l’OMS pour le recrutement international des personnels de santé et sur les initiatives des partenaires sociaux, telles que le code de conduite FSESP-HOSPEEM .  Par ailleurs, l’outil « Migrant Recruitment Advisor » de la CSI permet aux travailleurs migrants d’évaluer les performances des recruteurs à l’aune des principes de recrutement équitable de l’OIT, de déposer une plainte et de renseigner des pratiques de recrutement équitable.

En ce qui concerne le réservoir européen de talents, la Commission propose de mettre en place la première plateforme et outil de mise en correspondance à l'échelle de l'UE, afin de « rendre cette dernière plus attrayante pour les ressortissants de pays tiers à la recherche d'opportunités et d'aider les employeurs à trouver les talents dont ils ont besoin ». Pour répondre au besoin urgent de faciliter l'accès au marché du travail pour les personnes arrivées d'Ukraine, la Commission propose une initiative pilote. Le lancement de ce projet pilote est prévu pour octobre 2022.

La CES se montre très critique à l’égard de l’élaboration de cet outil, qui semble nous ramener à l’époque où les modèles de migration du travail étaient conçus par et pour les employeurs, ce que la CES rejette fermement. Cet outil devrait tenir compte de plusieurs aspects : le fait qu’il n’existe pas de base juridique pour la création d’un tel instrument, la gouvernance et la responsabilité de l’outil, ainsi que la participation des syndicats dans les pays d’origine et les pays de l’UE, à tous les niveaux concernés.

En outre, l’initiative pilote sera mise en œuvre à l’aide de la plateforme EURES, au moyen d’une page d’accueil spécifique, qui contiendra des informations et des instructions relatives à la manière d’utiliser l’initiative pilote et les fonctionnalités EURES sous-jacentes. La participation des États membres à cette initiative pilote se fera sur base volontaire.

La question de savoir qui contrôlera les conditions de travail et d’emploi, non seulement sur la plateforme du réservoir européen de talents, mais aussi dans le cadre de l'initiative pilote, et la manière dont ces contrôles seront effectués, constitue un aspect essentiel. Pour l'instant, cette responsabilité incombe aux points de contact nationaux ; les niveaux de protection varieront d’un État membre à l’autre. Si les points de contact nationaux devaient continuer d’exercer ce rôle clé, une base juridique formelle rendant les critères obligatoires pour les États membres serait nécessaire.

Il ne s’agit pas uniquement de « faire correspondre » des compétences ; il convient également de donner la possibilité aux travailleurs d’accéder à des emplois décents et de bonne qualité, conformément au principe d’égalité de traitement. L’initiative pilote ne devrait donner lieu à aucun traitement discriminatoire et/ou inégal. Il y a lieu de noter que toutes les personnes qui jouissent d’une protection temporaire et/ou d’une protection adéquate en vertu d’une législation nationale et qui ont accès au marché du travail auront la possibilité de prendre part à l’initiative pilote. Dans certains pays, tel que l’Espagne, les ressortissants de pays tiers ou les apatrides qui se trouvaient en séjour régulier sur le territoire ukrainien avant le 24 février (ainsi que les membres de leur famille) et les ressortissants ukrainiens qui étaient en situation irrégulière en Espagne avant le 24 février et qui, en raison du conflit, ne peuvent retourner en Ukraine sont inclus dans cette catégorie[1].

La validation et la reconnaissance des compétences et des qualifications constituent un autre aspect à prendre en considération. Il s’agit d’un obstacle concret auquel les travailleurs migrants se heurtent. L’arrivée des réfugiés ukrainiens a mis davantage en lumière cet aspect essentiel. Les bénéficiaires d'une protection temporaire ont le droit d’accéder au marché du travail de l’UE, mais aussi de suivre des cours d’enseignement et de formation professionnels et de formation des adultes. À juste titre, la Commission a suggéré aux États membres qui prennent des mesures concernant la cartographie et la reconnaissance des compétences et des qualifications de veiller à ce que ces dernières puissent être valorisées, évaluées et rapidement reconnues, le cas échéant, que des pièces justificatives soient disponibles ou pas. Cette recommandation n’est, toutefois, pas encore mise en œuvre. Il convient de noter que ces mesures devraient être élargies à d’autres réfugiés qui sont victimes de guerres (par exemple, au Yémen, en Syrie, à Gaza et en Birmanie).

Les considérations relatives à la protection des données, telles que la manière dont les données seront collectées et traitées, devraient s’appliquer au portail public. Des garanties strictes devraient être prévues pour les travailleurs migrants concernés.

Enfin, la Commission lancera une nouvelle plateforme qui permettra d’initier des débats sur des questions pratiques relatives à la migration de main-d'œuvre, notamment à la dimension extérieure de la politique migratoire, aux pénuries de main-d'œuvre et aux questions liées aux processus sur le marché du travail. La mise en œuvre des partenariats destinés à attirer les talents et du réservoir européen de talents sera étayée par les travaux de la plateforme.

La CES appelle à la prudence en ce qui concerne les pénuries de main-d'œuvre qui résultent de mauvaises conditions de travail, de salaires injustes, d'un manque de politiques actives du marché du travail ou d’un sous-investissement dans le domaine de l’éducation et de la formation. Il appartient aux entreprises d’améliorer les conditions de travail et les salaires et aux gouvernements de garantir l’efficacité des politiques actives du marché du travail et des politiques en matière d’éducation et de formation. Les travailleurs migrants ne doivent pas faire les frais de leur inaction. La CES rappelle un principe fondamental de la déclaration de Philadelphie de l’OIT, à savoir que « le travail n’est pas une marchandise ».

Prochaines étapes

En ce qui concerne les initiatives législatives, la CES a mis sur pied un groupe de travail chargé d’examiner les éventuels amendements qui seront présentés au Parlement européen. La CES se mobilisera tout au long du processus législatif afin que les revendications syndicales soient prises en considération. S’agissant des partenariats destinés à attirer les talents et du réservoir européen de talents, la CES contribuera au partenariat européen pour l’intégration ainsi qu’au groupe du réservoir européen de talents, qui a été établi par la Commission et placé sous l’égide de l’EMN. Par ailleurs, la CES participera à la nouvelle plateforme sur la migration de main-d'œuvre, une fois que celle-ci aura été mise en place.

 


[1] Des pays tels que l’Allemagne, l’Espagne, les Pays-Bas et le Luxembourg ont choisi d’élargir le champ d’application, tandis que des pays tels que la Hongrie et la Pologne ont opté pour un champ d’application restreint. Voir la fiche d’information de l’ECRE.