Brussels, 01/06/2012
1. Le 16 février 2012 la Commission a publié son Livre Blanc sur les pensions, intitulé « Une stratégie pour des retraites adéquates, sûres et viables » (COM (2012) 55 final). Sa parution coïncide avec le début de « l’Année 2012, année européenne du vieillissement actif et de la solidarité entre les générations ». Mais, il paraît également dans une période de crise, aggravée par la pression des marchés financiers et des impacts forts sur les systèmes de retraites avec des réductions sévères des montants des pensions.
2. Si la CES approuve l’analyse développée dans le Livre Blanc concernant l’impact de la dépendance économique sur l’avenir des systèmes de pensions, elle déplore, toutefois, l’approche générale qui consiste à se focaliser sur l’importance macroéconomique des pensions et à ignore leur finalité sociale dans la mise en place d’une société inclusive en ne proposant que deux solutions :
- reporter l’âge légal de la retraite, quelles soient la durée d’activité ou la pénibilité des emplois exercés ;
- renforcer l’adhésion aux régimes privés de pensions.
3. Pour ce qui est du report de l’âge légal de la retraite, il convient d’une part de rappeler que cette question relève de la compétence exclusive des Etats membres. La CES est cependant consciente que les préconisations ainsi faites par la Commission peuvent servir de prétexte commode, pour les Etats membres qui sans autres considérations que de prétendre ainsi soulager les finances publiques, seraient tentés de repousser cet âge légal. D’autre part, cette question est étroitement liée aux politiques de l’emploi mises en œuvre dans les Etats membres et donc à l’existence même ou non de ces emplois.
4. La CES est clairement opposée au report de manière indistincte de l’âge légal de la pension sans prendre en compte les – longues - durées de carrière, la pénibilité des emplois et des professions ainsi que les accords conclus en ce sens par les partenaires sociaux, en faveur de préretraites et/ou de retraites anticipées. Ce serait ainsi faire l’impasse sur une autre réalité, à savoir l’inégalité de l’espérance de vie à la retraite selon le type et la pénibilité des emplois exercés durant la vie professionnelle. Dans cet esprit, il convient de prendre en compte un autre indicateur que le seul indicateur de l’augmentation de l’espérance de vie, à savoir celui de l’espérance de vie « en bonne santé » au moment de la retraite. Le Livre Blanc ignore le caractère ardu/pénible de ces professions, qui devraient pouvoir ouvrir un droit à un départ à la pension à un âge plus précoce.
5. La CES se réjouit qu’une attention spéciale soit portée aux énormes écarts dans les allocations de retraite accordées aux hommes et aux femmes. La CES partage ce souci, mais la seule solution concrète proposée dans le Livre Blanc est le report de l’âge légal de la retraite pour les femmes afin de l’aligner avec celui des hommes. Une réponse qui n’est nullement adéquate pour résorber les disparités de salaire, de carrière et en conséquence, de niveaux de pension existant entre hommes et femmes.
6. Pour la CES le contenu et les initiatives proposées dans le Livre Blanc ne répondent ni aux attentes soulevées par son intitulé ni surtout aux défis auxquels les systèmes de pensions sont confrontés, dans le contexte de l’austérité actuel.
7. La CES tient à réaffirmer sa conviction que, la meilleure manière de garantir des pensions « adéquates, sûres et viables » ne se résume pas à développer des pensions de deuxième, voire de troisième pilier, mais bien de renforcer et d’améliorer les régimes de retraites du premier pilier (versées par la Sécurité Sociale), fondés sur la solidarité inter-, mais aussi intra- générationnelle. La CES ne prend pas pour acquis la nécessité de devoir s’éloigner davantage des prestations publiques. C’est pourquoi la CES appelle à plus de solidarité dans les systèmes de pensions plutôt que de favoriser les solutions privées et individuelles qui sont plus onéreuses pour diffentes catégories de travailleurs (euses) et qui remettent en cause les principes de solidarité.
8. Ce renforcement doit passer par des politiques actives du marché de travail qui cherchent à rétablir le plein emploi et les salaries décentes, et par la recherche de modalités financières – afin d’assurer la durabilité des pensions publiques à un niveau le plus élevé possible, par le biais de la fiscalité en particulier et à travers la chasse à l’évasion ou aux niches fiscales qui ne profitent qu’à celles et ceux qui ont déjà des revenus conséquents, mais aussi en luttant contre l’économie « grise » ou souterraine, donc contre le travail non déclaré.
9. Pour la CES, garantir des systèmes de pensions de qualité implique la responsabilisation, non seulement des travailleurs(euses) – largement évoquée dans le Livre Blanc - mais aussi celle des employeurs et des Etats membres. Tout ceci nécessite aussi bien en ce qui concerne les employeurs que les Etats membres, que soient prises les mesures appropriées tout au long de la vie professionnelle des travailleurs(euses), afin de leur permettre de la mener à terme en bonne santé.
10. Responsabilité des employeurs, dans leur volonté et dans la mise en œuvre de dispositifs (droit et accès à la formation tout au long de la vie, adaptation de la carrière, des horaires et des postes de travail en fonction de l’âge, mesures de retraites progressives, etc...) – notamment à travers le dialogue social à tous les niveaux - permettant aux travailleurs et travailleuses de rester dans l’emploi, sans pour autant remettre en cause de manière indifférenciée les mesures de préretraites conventionnelles ou justifiées par la pénibilité et les conditions de travail.
11. Responsabilité aussi des Etats membres, en concertation avec les syndicats, dans la définition de ce qu’est une retraite « adéquate » avec la fixation d’objectifs pour y parvenir et d’indicateurs permettant d’apprécier les progrès réalisés. Mais aussi dans les réformes à entreprendre et dans leur mise en œuvre, ici encore en y associant les partenaires sociaux et notamment les syndicats. Et afin de garantir les critères de sûreté et de viabilité prévues dans le Livre Blanc, la CES demande que des règles soient établies pour empêcher des interventions des Etats membres destinées à réduire les pensions publiques déjà existantes ainsi que la diminution du pouvoir d’achat. La CES demande également, qu’en accord avec les syndicats, des instruments soient prévus pour l’indexation des pensions au fil des ans.
12. Et la CES dénonce la manière dont l’Union Européenne entend intervenir dans ce domaine, via le Traité sur la Gouvernance économique, prévoyant des sanctions pour les Etats membres qui ne mettraient pas en œuvre suffisamment rapidement et radicalement, les réformes visant à diminuer le poids des pensions (donc leur montant) dans les budgets publics.
13. Concernant la révision de la directive sur les institutions de retraite professionnelle (IORP), la Commission indique son souhait en vue d’assurer l’égalité de traitement avec les compagnies d’assurance, de leur appliquer les règles de solvabilité, prévues dans la directive Solvency II. La CES est convaincue que l’augmentation des coûts générés par l’application de ces exigences quantitatives seraient élevés de manière disproportionnées et réduiraient la possibilité d’obtenir des pensions d’un niveau adéquat à un prix raisonnable
14. Enfin, pour la CES, pour que les réformes soient réussies, elles doivent s’inscrire dans le temps, ce qui, comme elle l’avait écrit dans sa réponse au Livre Vert, est une condition de leur acceptabilité sociale. Mais aussi, elles ne peuvent ignorer les organisations syndicales ni leurs propositions. Encore faut-il, tant au niveau national qu’européen, les entendre et les écouter.
{{Annexe 1
Mémorandum explicatif}}
15. Pour la Commission il semblerait que le défi principal – pour ne pas dire unique – à relever soit tout d’abord celui d’assurer la « soutenabilité financière » des systèmes de pensions. Et la solution qu’elle préconise, en dehors des mesures de soutien (études, recherches, séminaires, etc ...) qui pourraient être apportées aux Etats membres qui se sont engagés dans la voie de la réforme de leur système de pensions, est que le maintien d’un niveau adéquat de pension ne sera possible que :
- si l’age légal de la pension et la durée de cotisation sont relevés ;
- et s’il y a un encouragement au développement des régimes de « second pilier» (systèmes privés de pensions professionnelles/complémentaires/fonds de pension), voire de « troisième pilier » (épargne individuelle)
Le report de l’âge légal de la retraite
16. Pour justifier son insistance à vouloir reporter l’âge légal de la pension, la Commission, de nouveau, revient sur la question démographique et l’augmentation de l’espérance de vie, en se fondant sur des projections démographiques à long terme, que la CES a déjà dénoncées et dont les modalités ont, également, été contestées dans le rapport conjoint du Groupe de travail de la Protection Sociale et du Comité économique et d’emploi en 2009.
17. Certes, l’augmentation de l’espérance de vie est une réalité – souvent heureuse – à ne pas ignorer ainsi que l’impact de la démographie sur les pensions. Toutefois, la Commission feint de croire qu’il suffit de décréter qu’il faudrait travailler plus longtemps pour que l’emploi existe.
18. Mais ici aussi, il ne faut pas se tromper de débat. En effet, quand il s’agit de parler du financement des pensions et lorsque cette question est abordée sous l’angle de la démographie, ce qui est important comme la CES l’a rappelé dans sa réponse à la consultation sur le Livre Vert, ce n’est pas le rapport entre le nombre de personnes en dessous de 65 ans et le nombre de personnes qui sont au-dessus de cet âge, jeunes et personnes âgées, mais le rapport de dépendance économique - évoqué dans le Livre Blanc, mais tout aussi vite oublié dans la suite du document - à savoir le nombre de celles et ceux qui sont dans l’emploi et qui donc contribuent au financement, sur le nombre de celles et ceux qui ne sont pas dans l’emploi. Ce qui renvoie aux politiques de l’emploi mises en œuvre dans chacun des Etats membres.
19. Outre le fait que cette proposition portant sur l’âge n’est pas de compétence communautaire mais de celle des Etats membres,, cette proposition ne prend pas en compte la réalité des 50% de travailleurs (euses) qui sont exclu(e)s du marché du travail à partir de 55 ans (sinon plus tôt) - ces sorties précoces ayant comme effet direct d’amputer, notamment dans les systèmes d’assurances sociales, le montant de leur pension: que signifie alors de devoir travailler plus longtemps que leur âge légal de pension qu’ils (elles) n’atteignent déjà pas quand ils(elles) sont dans l’emploi ou pour les plus jeunes qui n’y ont pas accès ?
20. En résumé, pour la CES réduire le débat sur les retraites et sur leur durabilité à la seule question de la prolongation de la durée d’activité, n’est pas la bonne réponse. Elle entend profiter de « l’Année européenne du vieillissement actif et de la solidarité entre les générations et dans le cadre de la Conférence qu’elle tiendra en octobre à Chypre sur ce thème », pour proposer avec ses organisations membres un plan syndical d’actions répondant à l’ensemble de cette problématique.
Le développement des pensions privées et aussi des régimes de troisième pilier
21. L’encouragement au développement des pensions privées comme réponse à la garantie des pensions adéquates est une proposition inadéquate car elle ne prend pas en compte un certain nombre de réalités.
22. Il y a, tout d’abord, le constat que les régimes de pension professionnelle qui se développent aujourd’hui sont essentiellement des régimes à «cotisation définie » dont les mécanismes sont purement financiers, donc soumis aux aléas des crises financiers, et qui n’offrent aucune garantie quant au montant de la pension future. De plus, ils aggravent souvent les disparités entre hommes et femmes, car au moment de la transformation du capital en rente, au moment de la retraite, la grande majorité de ces régimes à cotisation définie, prennent en compte l’espérance de vie actuarielle des uns et des autres. Ceci se traduit très concrètement par une rente verse moins importante pour les femmes que pour les hommes, pour un même capital accumulé par les cotisations.
23. Quant au développement de systèmes de troisième pilier pour garantir les pensions futures, c’est une pure fiction et la CES est très critique à une telle approche et pour plusieurs raisons.
24. Tout d’abord, par nature, il ne s’agit pas de systèmes de pensions visant à assurer une rente viagère aux retraité(e)s, mais de systèmes d’épargne individuelle, purement financiers, qui peuvent être limités dans le temps, comme les systèmes d’assurance-vie et dont les finalités sont multiples : certes ils peuvent constituer un revenu d’appoint au moment de la retraite, mais ils peuvent aussi, par exemple, permettre d’acheter un logement, de payer les études des enfants ou de faire face à une difficulté personnelle passagère... Que restera-t-il donc au moment de la retraite ?
25. Mais surtout, ces systèmes ne sont pas accessibles à tout le monde : ils ne favorisent que celles et ceux qui disposent de revenus suffisants pour se constituer une épargne, ce qui dans le contexte d’austérité croissante actuelle et de précarité grandissante de l’emploi est loin d’être le cas. Surtout, s’ils doivent constituer un revenu surcomplémentaire au moment de la retraite, le montant de l’épargne doit être suffisamment conséquente, mais aussi pour résister au fil du temps aux évolutions/fluctuations des marchés financiers.
26. Leur préconisation et/ou leur développement auront pour conséquence d’aggraver les inégalités déjà existantes.
27. Dans ce débat sur les pensions professionnelles, la CES rappelle sa position constante en ce domaine : la préférence doit être donnée aux systèmes collectifs, par exemple négociés au niveau d’une branche professionnelle ou de l’entreprise et dans lesquels les syndicats qui représentent à la fois les futur(e)s bénéficiaires et les retraité(e)s sont impliqués, notamment au niveau du contrôle des organismes de gestion mais aussi en ce qui concerne les stratégies d’investissements de ces organisme, dont dépendra, in fine, le montant des rentes versées.
Dans les propositions formulées pas de nouvelles mesures législatives
28. Tout en reconnaissant qu’elle n’a pas de pouvoir législatif pour intervenir dans l’organisation et le fonctionnement des systèmes nationaux de pension, la Commission rappelle qu’elle peut légiférer sur les sujets qui affectent le fonctionnement du Marché Intérieur.
29. Et s’il n’y a pas dans ce Livre Blanc de nouvelles mesures législatives, deux sont néanmoins annoncées mais qui sont
- soit, la révision de la directive existante sur les activités et la surveillance des régimes de pensions professionnelles (2003/41/CE), IORP directive
- soit la reprise de la directive ancienne, visant à l’amélioration de la portabilité des droits à pension professionnelle (proposition COM(2005) 507, modifiée en 2007)
30. Une autre initiative de la Commission est envisagée celle visant à rendre plus effective la protection des droits des travailleurs, notamment en ce qui concerne leurs droits à pension, dans le cadre de l’article 8 de la directive 2008/94/EC, mais sans vraiment préciser de quelle manière. La CES a, à quant à elle, notamment au sein du Forum des pensions, constamment plaidé pour une révision de cet article qui fixe le principe de la garantie, mais sans fixer un pourcentage défini de droits garantis.
31. D’autres initiatives, sont, également, annoncées par la Commission notamment en direction des Etats membres qui sont engagés ou voudraient développer des réformes - mais pouvant aussi impliquer les partenaires sociaux- sous forme d’études, de consultations, d’échanges de bonnes pratiques, etc... Suivant les sujets et les sollicitations, la CES s’impliquera, en concertation avec ses organisations membres, sur ses propres bases et tout en étant vigilante sur les propositions faites.