Position de la CES sur le droit à la déconnexion

ETUC Secretariat 2019

Position de la CES sur le droit à la déconnexion

Adoptée par le Comité exécutif de la CES lors de sa réunion des 22-23 mars 2021

Principales revendications de la CES :

La CES demande à la Commission de lancer sans plus attendre une initiative législative sous la forme d’une directive européenne sur l’application et la mise en œuvre du droit à la déconnexion. La directive européenne devrait garantir, entre autres, les éléments clés suivants :

  • fixer des exigences minimales et prévoir des mesures efficaces pour les travailleurs et leur représentant syndical/élus des travailleurs pour appliquer et faire respecter le droit à la déconnexion ;
  • veiller à son application à tous les travailleurs, quels que soient leur statut professionnel, leurs activités et le secteur, tant public que privé, dans lequel ils sont employés. Une attention particulière doit être accordée aux travailleurs les plus vulnérables et à ceux qui ont des responsabilités familiales ;
  • empêcher efficacement les employeurs d’exiger ou d’encourager les travailleurs à être directement ou indirectement disponibles ou joignables en dehors de leur temps de travail convenu. Les collègues doivent également s’abstenir de contacter ou de communiquer avec les travailleurs en dehors des heures de travail convenues collectivement à des fins professionnelles ;
  • rappeler que le temps pendant lequel un travailleur est disponible ou joignable pour l’employeur est du temps de travail, et veiller à ce que le droit à la déconnexion ne soit pas seulement lié au temps de travail mais aussi à la charge de travail et à l’évaluation de la charge de travail ;
  • veiller à ce que les travailleurs (y compris les travailleurs transfrontaliers) soient pleinement informés de leurs conditions de travail en général et, en particulier, de tous les éléments pertinents aux fins de l’application et du respect du droit à la déconnexion ;
  • confier aux partenaires sociaux ainsi qu’aux autorités de contrôle de la protection des données le rôle de veiller à ce que les outils de surveillance/suivi ne soient utilisés que lorsque cela est nécessaire et de manière proportionnée afin de garantir le droit à la vie privée et à la protection des données des travailleurs ;
  • à condition que toutes les activités d’apprentissage et de formation professionnelle (numériques) soient comptabilisées comme activité professionnelle et se déroulent pendant les heures de travail convenues ;
  • garantir que les travailleurs, y compris ceux qui sont représentants syndicaux/élus des travailleurs, qui utilisent les mesures/instruments pour appliquer et faire respecter leur droit à la déconnexion ne doivent pas être exposés au risque de conséquences négatives, telles que le licenciement ou d’autres mesures de rétorsion ;
  • garantir aux travailleurs et à leurs représentants syndicaux/ élus des travailleurs un accès adéquat et rapide à des procédures judiciaires et administratives contre tout traitement défavorable résultant du fait qu’ils exercent ou font valoir tous les droits prévus par la présente directive ou cherchent à le faire ;
  • garantir que les États membres assurent une mise en œuvre adéquate, d’une part, par les partenaires sociaux et, d’autre part, par les autorités nationales d’inspection du travail ou autres ;
  • prévoir une forte clause de non-régression et de dispositions plus favorables qui précise également que rien dans la directive ne doit être interprété comme restreignant ou portant atteinte aux droits consacrés par les normes internationales et européennes en matière de droits de l’homme.

Contexte politique et juridique

Depuis plusieurs décennies, le monde du travail, tant au niveau mondial qu’européen, a été témoin et caractérisé par une numérisation et une utilisation accrues des outils numériques. Cette évolution a certainement apporté des bénéfices et des avantages économiques et sociétaux aux employeurs et aux travailleurs (par exemple, une flexibilité et une autonomie accrues, davantage de possibilités d’assurer l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée, une réduction des temps de trajet, etc.)). Cependant, elle a également conduit à une culture perverse de l’organisation du travail, dans laquelle les employeurs donnent aux travailleurs l’impression illégale et erronée qu’ils doivent être toujours disponibles et connectés pour répondre aux demandes liées au travail en dehors des heures de travail convenues. Les technologies numériques ont en effet entraîné des changements profonds du travail, permettant techniquement aux travailleurs d’être joignables et, dans de nombreux cas, d’effectuer la majeure partie de leur travail en tout lieu et à tout moment. En particulier, elles ont rendu la frontière entre vie professionnelle et vie privée plus floue que jamais.

Ces changements ont eu et ont encore des effets néfastes sur les droits fondamentaux des travailleurs et sur des conditions de travail équitables, notamment une rémunération équitable, y compris des heures supplémentaires non rémunérées, le non-respect du temps de travail, en particulier des périodes de repos, de loisirs et de vacances, l’augmentation de la charge de travail et les dispositions relatives à l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée. En conséquence, les travailleurs souffrent de graves problèmes de santé physique et mentale et de sécurité, tant sur le lieu de travail que pour leur bien-être général, tels que les troubles musculo-squelettiques, les radiations cancérigènes, la technodépendance/le stress, l’isolement, l’épuisement émotionnel/physique et les burnouts.[1]

Un effet néfaste supplémentaire est lié à la ­surveillance des appareils ­mobiles ou autres ­des travailleurs qui permet techniquement aux ­employeurs d’obtenir des ­informations de­ suivi­ GPS permettant de déterminer leur ­localisation ou leurs ­habitudes quotidiennes, mais aussi des ­informations­ privées, y compris relatives à l’­état de santé ­des travailleurs.

La pandémie actuelle de Covid-19 a été transformatrice à cet égard. Elle a aggravé la situation et les problèmes connexes, de nombreux États membres ayant fortement recommandé, voire rendu le télétravail obligatoire pour tenter de combattre le virus. Par exemple, une étude récente d’Eurofound[2] a révélé que 27 % des personnes interrogées travaillant à domicile ont déclaré avoir travaillé pendant leur temps libre pour répondre à des exigences professionnelles. Et l’on s’attend à ce que le travail à distance et le télétravail restent plus élevés et même augmentent par rapport à avant la crise du COVID-19.

Du point de vue juridique et des droits de l’homme, aucun des instruments internationaux et européens pertinents en matière de droits de l’homme ne prévoit ou ne mentionne explicitement et/ou spécifiquement un droit à la déconnexion. Ils constituent toutefois une base solide pour garantir et faire respecter les droits des travailleurs garantissant des conditions de travail équitables, des limitations du temps de travail, la garantie de périodes de loisir/repos/congés, des dispositions permettant de concilier vie professionnelle et vie privée, ainsi la santé et à la sécurité au travail en général. Une référence particulière peut être faite, entre autres, aux dispositions suivantes :

  • Article 24 de la Déclaration universelle des droits de l’homme des Nations unies (Toute personne a droit au repos et aux loisirs et notamment à une limitation raisonnable de la durée du travail et à des congés payés périodiques),
  • Article 7 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels des Nations unies (toute personne a droit à un salaire équitable, à des conditions de travail sûres et salubres et au repos, aux loisirs, à la limitation raisonnable de la durée du travail et aux congés payés périodiques, ainsi qu’à la rémunération des jours fériés.),
  • Conventions de l’OIT et recommandations connexes sur les éléments suivants :
    • Temps de travail : la convention (n° 1) sur la durée du travail (industrie) de 1919, la convention (n° 30) sur la durée du travail (commerce et bureaux) de 1930,
    • Équilibre entre vie professionnelle et vie privée : convention de 1981 sur les travailleurs ayant des responsabilités familiales (n° 156)
    • Négociation collective : Conventions n° 87, 98, 151 et 154

Dans les contextes de l’OIT, il y a aussi la déclaration du centenaire de l’OIT de 2019 sur l’avenir du travail,

  • Charte sociale européenne révisée du Conseil de l’Europe (article 2 — le droit à des conditions de travail équitables, y compris à une durée de travail raisonnable et à des périodes de repos, article 3 — le droit à des conditions de travail sûres et saines, article 6 — le droit de négociation collective et article 27 — la protection des travailleurs ayant des responsabilités familiales).

Au niveau de l’UE également, il n’existe actuellement aucune législation européenne qui traite directement du droit à la déconnexion et de la portée ou du moment de la communication électronique liée au travail entre les employeurs et les travailleurs.[3] Cependant, il existe plusieurs instruments législatifs primaires et secondaires de l’UE qui se rapportent indirectement à ces différents aspects du droit à la déconnexion et qui sont donc particulièrement pertinents dans le contexte de l’application et de la mise en œuvre du droit à la déconnexion :

Certains principes du socle européen des droits sociaux au chapitre III sur les conditions de travail équitables, sont également pertinents dans ce débat, notamment les principes n° 5 (traitement juste et équitable en matière de conditions de travail, quel que soit le type de relation de travail), 7 (information sur les conditions de travail et protection en cas de licenciement), 8 (dialogue social, négociation collective et implication des travailleurs), 9 (équilibre entre vie professionnelle et vie privée) et 10 (environnement de travail sain, sûr et adapté et protection des données).

Les partenaires sociaux européens au niveau interprofessionnel et sectoriel ont également accordé, dans le cadre de leur dialogue social européen, une importance particulière à l’impact et aux défis de la numérisation et du télétravail sur le monde du travail et les marchés du travail. Pour le dialogue social interprofessionnel, on peut se référer à l’accord-cadre de 2002 sur le télétravail (qui traite, entre autres, du caractère volontaire du télétravail, des conditions et de l’organisation du travail [y compris le temps de travail], de la santé et de la sécurité, de la formation, des équipements, de la protection des données et des droits collectifs) et à l’accord-cadre de 2020 sur la numérisation qui, outre les compétences numériques et la sécurité de l’emploi, l’intelligence artificielle et la garantie du principe de l’homme aux commandes, le respect de la dignité humaine et l’interdiction de la surveillance indue, prévoit également un chapitre spécifique sur les modalités (et donc pas le droit) de connexion et de déconnexion. Toujours dans le cadre du dialogue social sectoriel européen, des instruments très pertinents ont été adoptés et mis en œuvre dans différents secteurs (pour une liste non exhaustive, voir l’annexe).

Au niveau institutionnel européen, le 21 janvier, le Parlement européen a adopté son propre rapport d’initiative législative sur le droit à la déconnexion. Le Parlement européen demande à la Commission de proposer une directive européenne sur le droit à la déconnexion. Le rapport présente sa propre proposition législative décrivant les exigences minimales pour l’utilisation des outils numériques à des fins professionnelles en dehors du temps de travail. Il prévoit pour tous les travailleurs européens le droit de se déconnecter, d’éteindre et de s’abstenir de s’engager dans des tâches, activités ou communications liées au travail en dehors du temps de travail. Il prévoit également des garanties pour les travailleurs contre toute victimisation ou répercussion négative s’ils font usage de ce droit. Le rapport reconnaît également le rôle des partenaires sociaux dans la mise en œuvre au niveau national, régional, sectoriel et de l’entreprise. [9]

Cependant, sous la pression notamment des organisations patronales européennes, un amendement a été introduit (et adopté) dans le rapport demandant à la Commission de ne pas lancer d’initiative législative sur le droit à la déconnexion pendant la période de mise en œuvre de l’accord-cadre européen sur la numérisation. Cet amendement a été fortement contesté par la CES et ses affiliés car rien dans le Traité sur le Fonctionnement de l’EU (TFUE) (en particulier les articles 154-155) ne prévoit la possibilité d’empêcher la Commission d’exercer son droit d’initiative législative. En outre, une telle recommandation ne relève pas des compétences du Parlement européen et interfère avec l’équilibre institutionnel des compétences des institutions de l’UE. Il convient également de noter que la Commission, dans sa communication de 2004 intitulée « Partenariat pour le changement dans une Europe élargie - Renforcer la contribution du dialogue social européen » (COM [2004] 557 final), a prévu que « la Commission peut également exercer son droit d’initiative à tout moment, y compris pendant la période de mise en œuvre, si elle conclut que les partenaires sociaux retardent la réalisation des objectifs communautaires ».

Par ailleurs, le Comité économique et social européen (CESE), à la demande de la présidence portugaise de l'UE, a également adopté le 23 mars un avis sur « Les défis du télétravail : organisation du temps de travail, équilibre entre vie professionnelle et vie privée et droit à la déconnexion ».[10]

D’un point de vue national, la réglementation du droit à la déconnexion par la législation et/ou les conventions collectives (au niveau national, sectoriel et de l’entreprise) varie considérablement d’un État membre à l’autre.[11]

Principales revendications de la CES relatives à une directive européenne sur le droit à la déconnexion, en mettant l’accent sur son application.

Pour la CES, il est clair que l’impact de la numérisation sur le monde du travail doit être guidé par le respect des droits de l’homme et des droits et valeurs fondamentaux de l’UE. Le cadre juridique existant, tel que décrit ci-dessus, est pleinement applicable aux modalités de travail numérique, mais il est trop souvent ignoré dans la pratique.

Il est donc urgent de veiller à ce que le droit fondamental à la déconnexion et son application soient effectivement accordés à tous les travailleurs, car ne pas les protéger en n’appliquant pas le droit à la déconnexion aurait de graves conséquences humaines et sociales.

Compte tenu de l’absence actuelle d’instruments internationaux et européens traitant spécifiquement de l’application du droit à la déconnexion, et conformément au programme d’action 2019-2023 de la CES adopté lors de son congrès de Vienne visant à « promouvoir le droit à la déconnexion, y compris par des moyens législatifs » (§188) », la CES demande donc à la Commission de lancer sans plus tarder, conformément aux dispositions du chapitre sur la politique sociale des traités de l’UE, une initiative législative sous la forme d’une directive européenne, fondée notamment sur l’article 153, paragraphe 1, points a), b) et i), du TFUE, sur l’application et la mise en œuvre du droit à la déconnexion.

D’un point de vue général, cette directive devrait adopter une approche fondée sur les droits de l’homme, conformément aux instruments internationaux et européens relatifs aux droits de l’homme (et à la jurisprudence y afférente) mentionnés ci-dessus. En outre, la directive devrait non seulement respecter pleinement, mais aussi assurer une meilleure application des exigences minimales établies dans les directives susmentionnées, en particulier les exigences de ces directives qui concernent les heures de travail maximales et les périodes de repos minimales, les régimes de travail flexibles et les obligations d’information.

En outre, cette directive européenne devrait garantir, entre autres, les éléments clés suivants liés à l’application et au respect du droit à la déconnexion :

  • Description du droit à la déconnexion : les travailleurs ont le droit d’éteindre leurs appareils numériques et ne devraient pas être tenus de s’engager dans des activités numériques liées au travail et dans l’utilisation de la communication électronique, comme la consultation/réponse aux courriels, en dehors de leur temps de travail légal et/ou convenu collectivement. Les travailleurs ne doivent pas non plus subir de traitement défavorable de la part de leur employeur pour s’être déconnectés ;
  • Les mesures d’application et de mise en œuvre du droit à la déconnexion doivent s’appliquer à tous les travailleurs, quels que soient leur statut professionnel, leurs activités et le secteur, tant public que privé, dans lequel ils sont employés, une attention particulière devant être accordée aux travailleurs les plus vulnérables et à ceux qui ont des responsabilités familiales ; ; la directive devrait également veiller tout particulièrement à l'inclusion des cadres et à l'application à ce groupe de travailleurs pour éviter de risquer une dérogation à leur protection par la directive ;
  • Si l'on tient compte de la responsabilité des employeurs en matière de protection de la santé et de la sécurité en général, l’objectif de la directive devrait être de protéger la santé et la sécurité et d’améliorer les conditions de travail de tous les travailleurs en fixant des exigences minimales pour l’application et le respect du droit à la déconnexion
  • Les travailleurs devraient disposer de mesures efficaces pour faire respecter et appliquer le droit d’éteindre les outils liés au travail et de ne pas répondre aux demandes des employeurs en dehors du temps de travail convenu collectivement, ni de s’engager dans des tâches, activités ou communications liées au travail en dehors du temps de travail, au moyen d’outils numériques, tels que les appels téléphoniques, les courriels ou autres messages ; Les CEE pourraient servir de forum important pour faciliter cet échange d'informations, la sensibilisation et le dialogue entre ces parties.
  • Les employeurs devraient être effectivement empêchés d’exiger ou d’encourager les travailleurs à être directement ou indirectement disponibles ou joignables en dehors de leur temps de travail convenu, de même que les collègues devraient s’abstenir de contacter ou de communiquer avec les travailleurs en dehors des heures de travail convenues collectivement à des fins professionnelles ; en outre, en particulier dans les entreprises internationales travaillant dans des fuseaux horaires différents, les partenaires de l’entreprise et/ou des filiales devraient être informés et sensibilisés au droit à la déconnexion (par exemple en signant une charte avec l’employeur),
  • La directive devrait également rappeler que le temps pendant lequel un travailleur est disponible ou joignable pour l’employeur est du temps de travail, étant donné le lien inhérent entre le droit à la déconnexion et le temps de travail, l’enregistrement effectif du temps de travail peut contribuer au respect du temps de travail contractuel et la directive devrait veiller à ce que les employeurs mettent en place un système objectif, fiable et transparent permettant d’enregistrer/mesurer la durée du temps de travail, conformément à la jurisprudence de la CJUE, notamment son arrêt du 14 mai 2019, Federación de Servicios de Comisiones Obreras (CCOO) (C-55/18) ;
  • Au-delà des exigences minimales en matière de temps de travail, la directive devrait lier le droit à la déconnexion non seulement au temps de travail mais aussi à la charge de travail et à son évaluation.[12] Même si le droit à la déconnexion est respecté, sa pleine efficacité repose donc également sur une réglementation raisonnable de la charge de travail ;
  • Les travailleurs doivent également être pleinement informés de leurs conditions de travail en général et en particulier aux fins de l’application et de la mise en œuvre du droit à la déconnexion, ce qui doit se faire en temps utile et sous une forme écrite ou numérique à laquelle les travailleurs ont facilement accès ; les employeurs doivent fournir aux travailleurs des informations écrites suffisantes sur les modalités pratiques de l’extinction des outils numériques à des fins professionnelles, sur tout outil de contrôle ou de surveillance lié au travail, sur la manière dont le temps de travail est enregistré, sur l’évaluation applicable en matière de santé et de sécurité, ainsi que sur les mesures de protection des travailleurs contre les traitements défavorables et sur la mise en œuvre du droit de recours des travailleurs ; en ce qui concerne ce droit à l’information, il convient également de veiller à ce que les travailleurs transfrontaliers soient correctement informés des mesures visant à faire respecter et à appliquer leur droit à la déconnexion ;
  • L’utilisation d’outils numériques sur le lieu de travail soulève également de graves préoccupations concernant la vie privée, la surveillance et le contrôle accrus des travailleurs et de leurs performances, ainsi que la collecte disproportionnée, voire illégale, de données à caractère personnel ; ces outils ne devraient être utilisés que lorsque cela est nécessaire et proportionné, et le droit des travailleurs à la vie privée devrait être garanti conformément[13] aux normes internationales et européennes en matière de droits de l’homme ; les employeurs doivent fournir aux travailleurs des informations adéquates sur la portée et la nature du contrôle et de la surveillance et sont tenus de justifier les mesures et de minimiser leur impact en déployant les méthodes les moins intrusives ; la directive doit confier aux partenaires sociaux et aux autorités de contrôle de la protection des données le rôle de veiller à ce que les outils de surveillance et de contrôle ne soient utilisés que lorsque cela est nécessaire et de manière proportionnée afin de garantir le droit à la vie privée et à la protection des données des travailleurs ;
  • La directive devrait prévoir que toutes les activités d’apprentissage et de formation professionnelle (numérique) doivent être considérées comme des activités professionnelles et se dérouler pendant les heures de travail convenues. Elle devrait également promouvoir le soutien aux sessions de formation individuelles visant à améliorer les compétences informatiques de tous les travailleurs (et de leurs responsables) afin de garantir une exécution correcte et efficace de leur travail ;
  • Les travailleurs, y compris les représentants syndicaux/professionnels, qui utilisent les mesures/instruments pour appliquer et faire respecter leur droit à la déconnexion ne devraient pas être exposés au risque de conséquences négatives, telles que le licenciement ou d’autres mesures de rétorsion (y compris en matière de promotion), les travailleurs et leurs représentants syndicaux/professionnels qui signalent des situations de non-respect des mesures visant à appliquer et à faire respecter le droit à la déconnexion sur le lieu de travail ne devraient pas être pénalisés ; 
  • Les travailleurs et leurs représentants syndicaux/professionnels devraient avoir un accès adéquat et rapide à des procédures judiciaires et administratives contre tout traitement défavorable résultant du fait qu’ils exercent ou font valoir tous les droits prévus par la présente directive ou qu’ils cherchent à le faire ;
  • La directive devrait prévoir la mise en place de mesures de prévention internes, telles qu’un mécanisme d’alerte interne permettant d’annoncer/de signaler la dégradation des conditions de travail des travailleurs dans l’entreprise ;
  • La directive devrait respecter l’autonomie des partenaires sociaux, dans le respect des modèles nationaux de marché du travail et conformément à ceux-ci, et prévoir la pleine participation des partenaires sociaux, non seulement à la mise en œuvre de la présente directive en tant que telle, mais aussi à l’application et à la mise en œuvre effectives du droit à la déconnexion sur le lieu de travail. En particulier, les modalités pratiques de l’exercice et de l’application du droit à la déconnexion devraient être convenues par les partenaires sociaux au moyen d’une convention collective aux niveaux appropriés (national, sectoriel et/ou de l’entreprise) ; les modalités établies unilatéralement par l’employeur ou basées sur des accords individuels avec les travailleurs concernés devraient être interdites ;
  • Les États membres devraient également veiller à une application correcte de la législation, d’une part par les partenaires sociaux qui peuvent faire appliquer les lois et les conventions collectives, conformément aux modèles nationaux de marché du travail, et d’autre part par les autorités nationales d’inspection du travail ou d’autres autorités d’inspection, ce qui implique notamment que ces autorités d’inspection disposent de ressources financières et humaines suffisantes ;
  • La directive devrait également prévoir une clause de non-régression et de dispositions plus favorables qui précise également qu’aucune disposition de la directive ne doit être interprétée comme restreignant ou portant atteinte aux droits et principes reconnus, dans leurs domaines d’application respectifs, par le droit de l’UE ou le droit international et par les accords internationaux auxquels l’UE ou les EM sont parties, y compris la Charte sociale européenne et les conventions et recommandations pertinentes de l’Organisation internationale du travail.

Enfin, la possibilité d’une directive sur le droit à la déconnexion ne devrait pas empêcher la Commission européenne de présenter une proposition de directive sur la prévention des risques psychosociaux.

 

 


[1] Voir par exemple Eurofound (2020) COVID-19 unleashed the potential for telework - How are workers coping?, juin 2020.

[2] Idem fn. 1.

[3] Voir également le service de recherche du Parlement européen (EPRS) Briefing sur le « droit à la déconnexion », juillet 2020.

[4] JO L 183 du 29.6.89, p. 1 ; outre la directive 91/383/CEE, la directive 89/391/CEE est complétée par de nombreuses directives dites individuelles qui sont également pertinentes à cet égard, comme la directive 90/270/CEE sur les équipements à écran de visualisation.

[5]  JO L 206 du 29.7.91, p. 19.

[6]  JO L 299 du 18.11.2003, p. 9.

[7]  JO L 186 du 11.7.2019, p. 105.

[8]  JO L 188 du 12.7.2019, p. 79.

[9] Voir également l'étude d'évaluation de la valeur ajoutée européenne de l'Unité de valeur ajoutée européenne du Service de recherche du Parlement européen (EPRS) intitulée "Le droit à la déconnexion", PE 642.847, juillet 2020 ; https://www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/BRIE/2020/642847/EPRS_BRI(2020)642847_EN.pdf.

[10] CESE SOC(660), rapporteur Carlos Manuel TRINDADE, ‘Défis du télétravail: organisation du temps de travail, équilibre entre vie professionnelle et vie privée et droit à la déconnexion’ ; le 23 mars également, le CESE a adopté un autre avis pertinent sur ‘Télétravail et égalité entre les hommes et les femmes – conditions pour que le télétravail n’exacerbe pas la répartition inégale des tâches domestiques et de soins non rémunérées entre les femmes et les hommes, et pour que celui-ci soit un moteur de promotion de l’égalité entre les genres’.

[11] Voir, entre autres, le rapport d'Eurofound du 31 juillet 2019 intitulé "The right to switch off" et le document de travail d'Eurofound intitulé "The right to disconnect in the 27 EU Member States" (juillet 2020).

[12] Voir également à cet égard le chapitre 2 de l'accord-cadre européen 2020 sur la numérisation, qui mentionne, au titre des mesures à envisager, que "l'organisation du travail et la charge de travail, y compris les effectifs, sont des aspects essentiels qui doivent être identifiés et évalués conjointement" et "des échanges réguliers entre les cadres et les travailleurs et/ou leurs représentants sur la charge de travail et les processus de travail".

[13] Article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH) et règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE (règlement général sur la protection des données) (JO L 119 du 4.5.2016, p. 1).