Position de la CES sur l’examen de la politique commerciale de l’UE

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Position de la CES sur l’examen de la politique commerciale de l’UE

Position de la CES adoptée par le comité exécutif à la réunion du 28-29 octobre 2020

La CES se félicite de l’examen précoce de la politique de l’UE en matière de commerce et d’investissement.[1] Le commerce a le potentiel de renforcer les performances économiques grâce à des emplois de qualité et de stimuler un développement durable et inclusif. Pour cela, le commerce doit être correctement réglementé, comme le décrit la réponse de la CES à la consultation publique « Une politique commerciale renouvelée pour une Europe plus forte » (en annexe). Cet examen arrive à point nommé, car la pandémie de Covid-19 a mis en évidence la fragilité et les risques liés au commerce international, aux chaînes d’approvisionnement mondiales et aux chaînes de valeur industrielles. Elle a également mis en évidence la manière dont le manque d’application des normes du travail et de l’environnement conduit à une croissance non durable.   

La pandémie a un impact profond sur le commerce et la mondialisation, avec des tendances nationalistes croissantes au lieu de la promotion d’une coopération multilatérale bien nécessaire. Une politique commerciale et d’investissement ambitieuse et progressiste doit donc s’inscrire dans un processus de refonte du système commercial multilatéral et doit faire partie d’une nouvelle politique économique, sociale et industrielle plus large de l’UE.

La CES appelle à une réforme de la politique européenne en matière de commerce et d’investissement qui mette au cœur de ses préoccupations la création d’emplois décents et la protection des droits fondamentaux et humains, y compris les droits des travailleurs et des syndicats ; la préservation de l’environnement et de la biodiversité et la conformité avec l’accord de Paris sur le changement climatique ; la sauvegarde de services publics de qualité ; et le renforcement de la base industrielle de l’Europe. Grâce à une telle réforme, le commerce peut devenir un outil plus efficace pour renforcer la performance économique avec des emplois de qualité et décents et pour stimuler un développement durable et inclusif.

Avant tout, la CES demande que les accords commerciaux de l’UE comprennent des dispositions applicables en matière de travail, assorties de sanctions en cas de violation des droits du travail. Il s’agit là d’une demande de longue date, qui bénéficie d’un soutien de plus en plus large. Plusieurs États membres de l’UE ont présenté des propositions visant à renforcer l’application des chapitres sur le commerce et le développement durable (CDD) dans les accords de libre-échange (ALE).[2] Les groupes consultatifs nationaux (GCN) de l’UE et du Canada, dans le cadre de l’AECG, appellent conjointement à une révision des chapitres CDD afin de rendre les normes du travail effectivement applicables.[3] Afin de mettre davantage l’accent sur la conformité et l’application, la Commission européenne a créé le poste de responsable de l’application des règles commerciales. Le nouveau commissaire européen au commerce s’est engagé à renforcer l’application des chapitres CDD et à étudier l’idée d’une réduction tarifaire conditionnelle.

Ces mesures sont les bienvenues et vont dans la bonne direction, mais il est urgent de prendre d’autres mesures concrètes en termes de respect des droits des travailleurs et des syndicats. Une nouvelle politique européenne en matière de commerce et d’investissement doit sortir du cadre des outils et des modèles existants pour atteindre cet objectif global. La CES propose d’explorer une série d’éléments qui pourraient étayer une nouvelle conception de l’application des normes de travail, notamment :

  1. Faire du droit du travail une clause d’élément essentiel.
  2. Un mécanisme de règlement des litiges relatif au CDD remanié, avec des sanctions.
  3. Mise en place d’un secrétariat du travail indépendant.
  4. Exigences de diligence raisonnable pour les investisseurs.
  5. Mécanisme de réaction rapide au niveau de l’entreprise, avec des recours.
  6. Lier la réduction tarifaire à la mise en œuvre du CDD.
  7. Plaintes directes des syndicats auprès du responsable de l’application des règles commerciales.
  8. Renforcer l’impact des recommandations des CGN
  9. Institutionnaliser une forte coopération avec l’OIT.
  10. Responsables des rapports sur le travail dans les délégations de l’UE dans les pays partenaires.

La CES rejette un programme européen de commerce et d’investissement axé sur les entreprises, qui conduit à des inégalités croissantes et compromet la fourniture de services publics de qualité pour tous. Les accords de commerce et d’investissement devraient donc exclure les services publics. La CES rejette également les mécanismes de protection des investissements, avec des privilèges spéciaux pour les investisseurs, qui sapent l’égalité et l’État de droit.

La crise du Covid-19 a montré l’importance stratégique de maintenir des chaînes de valeur industrielles fortes et diversifiées en Europe. L’UE doit identifier les chaînes de valeur industrielles qui sont d’une importance stratégique pour ses principaux objectifs politiques. Les principales chaînes de valeur devraient être renforcées en Europe ou partiellement réorganisées. L’UE doit également défendre les producteurs européens contre les subventions étrangères qui faussent et endommagent le marché intérieur et les travailleurs européens. En outre, un mécanisme d’ajustement frontalier pour le carbone devrait être envisagé pour prévenir les fuites de carbone et d’investissements ainsi que la concurrence internationale déloyale. Une plus grande autonomie stratégique va de pair avec la préservation d’une économie ouverte et la défense d’un commerce libre et équitable.

La résilience des chaînes d’approvisionnement mondiales repose sur leur durabilité sociale et environnementale. Un outil indispensable est l’application effective des dispositions relatives au travail tout au long de la chaîne d’approvisionnement, soutenue par des inspections du travail bénéficiant d’un financement adéquat et étayée par la nouvelle législation européenne sur le devoir de diligence[4]. Au niveau international, il est nécessaire d’adopter un traité des Nations unies sur les entreprises et les droits de l’homme et d’établir une convention de l’OIT sur le travail décent dans les chaînes d’approvisionnement mondiales.

Le cadre commercial multilatéral dans le contexte de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) doit être renforcé. La CES appelle à une réforme de l’OMC afin de promouvoir le développement durable, la justice sociale et le travail décent. Nous appelons à une coopération forte entre l’OMC et l’Organisation internationale du travail (OIT). L’OMC devrait inclure le respect des normes du travail, telles qu’elles sont fixées et contrôlées par l’OIT, dans ses politiques et dans les futurs accords et initiatives commerciaux multilatéraux. Une priorité doit également être de réformer l’OMC afin qu’elle puisse répondre aux pratiques commerciales déloyales et aux nouveaux modèles commerciaux en offrant des conditions de concurrence équitables et des règles transparentes adaptées au monde du commerce de demain.

Le système de préférences généralisées (SPG) de l’UE devrait contribuer à l’établissement d’une relation économique juste et prospère entre l’UE et les pays en développement — une relation dans laquelle l’exploitation de la main-d’œuvre et la dégradation de l’environnement ne sont plus des moyens acceptés de concurrence internationale. Un mécanisme de plainte fonctionnel, une plus grande transparence et la participation de la société civile et des syndicats sont nécessaires pour renforcer le respect des droits du travail. La CES attend un lien plus fort entre l’accès préférentiel et le respect des droits des travailleurs tels que définis dans les conventions et les normes de l’OIT.

La transparence et la participation des partenaires sociaux devraient être des éléments essentiels dans le suivi et le développement de la politique commerciale et d’investissement de l’UE à l’avenir. La CES insiste sur la transparence de toutes les négociations, le contrôle démocratique par les parlements européen et nationaux, ainsi que la consultation et la participation pleine et entière des partenaires sociaux et des organisations de la société civile. Les partenaires sociaux devraient être consultés de manière proactive et continue, y compris sur les objectifs des négociations avant qu’elles ne commencent, en particulier lors de la préparation du mandat de négociation du Conseil. En outre, l’impact des recommandations des GCN chargés du suivi des ALE par la société civile doit être considérablement renforcé.

Annexe: Position de la CES sur l’examen de la politique commerciale de l’UE

[1] " A renewed trade policy for a stronger Europe - Consultation Note ", 16 juin 2020

[2] Non-paper from the Netherlands and France on trade, social economic effects and sustainable development

[3] https://www.eesc.europa.eu/sites/default/files/files/joint_statement_eu_canada_dag_to_dag.pdf

[4] Position de la CES pour une directive européenne sur le devoir de vigilance en matière de Droits de l’Homme et de conduite responsable des entreprises