Position de la CES sur l’initiative de la Commission relative au recours accru au vote à la majorité qualifiée (VMQ) en matière de politique sociale (dite « clause passerelle »)

ETUC Secretariat 2019

Position de la CES sur l’initiative de la Commission relative au recours accru au vote à la majorité qualifiée (VMQ) en matière de politique sociale (dite « clause passerelle »)

Positon adoptée à la réunion du Comité exécutif du 20 septembre 2019

Introduction

La CES a depuis longtemps identifié la nécessité d’améliorer le processus décisionnel de l’UE. La publication de la communication de la Commission européenne « Une prise de décision plus efficace en matière de politique sociale : renforcer le passage au vote à la majorité qualifiée dans certains domaines »[1] le 16 avril 2019, a ouvert une discussion sur la manière de résoudre les problèmes liés à la nécessité de l’unanimité avant que des progrès puissent être réalisés dans le domaine social. Il convient de rappeler qu’à l’heure actuelle, le Conseil de l’Union européenne doit voter à l’unanimité sur un certain nombre de questions, notamment la politique étrangère et de sécurité commune, la citoyenneté, l’adhésion à l’UE, l’harmonisation des législations nationales en matière de fiscalité indirecte, les finances européennes, ainsi que l’harmonisation des législations nationales en matière de sécurité sociale et de protection sociale et d’autres questions relatives au domaine social.

La communication de la Commission est axée sur l’utilisation des « clauses passerelles » disponibles dans le traité UE pour passer au vote à la majorité qualifiée et à la procédure législative ordinaire dans le domaine de la politique sociale.

Messages principaux

 À ce stade, les principaux messages de la CES sont les suivants :

a) Procéder à l’activation de la clause passerelle dans le domaine de la politique sociale, mais avec prudence et dans le plein respect du rôle des partenaires sociaux européens et de leurs accords,

b) Inclure dans la décision du Conseil mettant en œuvre la « clause passerelle » une clause de non-régression,

c) Les partenaires sociaux devraient être associés à la décision d’activer la clause passerelle au cas par cas,

d) Adopter une approche progressive, en commençant par l’adoption de la « clause passerelle » à l’article 19 du TFUE (non-discrimination). Cela nous aidera à déterminer dans quelle mesure l’utilisation de « clauses passerelles » rend la prise de décision plus efficace.

Contexte 

En vertu du traité de Lisbonne, les décisions dans certains domaines de politique, y compris en matière de politique sociale, doivent encore être prises à l’unanimité dans le cadre de « la procédure législative spéciale ». Cependant, dans certains cas, des clauses dites passerelles sont prévues afin de permettre de changer des procédures législatives initialement envisagées par les traités et de passer, sous certaines conditions, de la procédure législative spéciale à la procédure législative ordinaire, de même que du vote à l’unanimité au vote à la majorité qualifiée[2].

En matière de politique sociale, cela est le cas dans les domaines suivants :

  • Article 153 [2] du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE)    concernant :
    • la sécurité sociale et la protection sociale des travailleurs,
    • la protection en cas de résiliation du contrat de travail,
    • la représentation collective des intérêts des travailleurs et des employeurs,
    • les conditions d’emploi des ressortissants de pays tiers se trouvant en séjour régulier      sur le territoire de l’Union.
  • Article 19 [1] du TFUE relatif aux mesures nécessaires en vue de combattre toute           discrimination fondée sur le sexe, la race ou l’origine ethnique, la religion ou les    convictions, un handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle ;
  • Article 21 [3] du TFUE concernant le droit des citoyens de l’Union à circuler et à séjourner librement sur le territoire des États membres (aspects relatifs à la sécurité sociale et à la protection sociale).  

Bien qu’ils ne fassent pas partie de la consultation, il existe d’autres domaines étroitement liés à la politique sociale et aux intérêts des travailleurs, tels que la lutte contre le dumping social et la concurrence fiscale (ex. : la fiscalité dans l’article 113 du TFUE) et l’environnement (ex. : l’article 192 [2] du TFUE), le recours aux « clauses passerelles » est également prévu par les traités.

Dans son discours sur l’état de l’Union 2018, et notamment dans sa lettre d’intention adressée au président Antonio Tajani et au chancelier Sebastian Kurz[3], le président de la Commission, Jean-Claude Juncker, a fait part de sa volonté de garantir un processus plus efficace d’élaboration des textes législatifs grâce à un recours accru à la « clause passerelle », clause qu’il qualifie de « beauté oubliée du Traité actuel », et ce dans les domaines suivants : la politique étrangère et de sécurité commune, l’environnement et le changement climatique, la fiscalité et la politique sociale, et tous les éléments semblent montrer que la future Commission en fera de même.

Conformément à son programme de travail 2019, la Commission a lancé des initiatives non législatives (c’est-à-dire des communications) pour ces trois derniers domaines d’action au premier trimestre 2019[4]. Avant de lancer la Communication pour une prise de décision plus efficace et plus démocratique dans la politique sociale de l’UE le 16 avril 2019, la Commission avait également lancé le 20 décembre 2018 sa feuille de route[5] pour cette initiative et la CES a soumis son avis à ce sujet le 23 janvier 2019. (voir l’annexe 2 du présent document). Le 3 avril 2019, les partenaires sociaux européens ont rencontré la Commission pour discuter de leurs préoccupations et questions initiales sur l’initiative et, le 25 avril 2019, les représentants de la Commission ont présenté et discuté plus en détail la communication lors de la réunion du Comité de la législation du travail et du marché intérieur de la CES (et à laquelle les responsables nationaux des syndicats étaient également invités et présents), ainsi que lors de la réunion du Comité du dialogue social du 20 juin 2019.

Que propose la Commission ?

En résumé, la Commission propose principalement de lancer

« un débat ouvert sur le recours accru au vote à la majorité qualifiée ou à la procédure législative ordinaire dans le domaine de la politique sociale sur la base de la communication avec le Parlement européen, le Conseil (européen), le CESE, le Comité des régions, les partenaires sociaux et toutes les parties prenantes ».

La Commission a exposé son point de vue sur l’utilisation des « clauses passerelles » dans le domaine social. Ses propositions sont assez limitées en dépit de l’identification pour chacune des questions, des lacunes de protection dans le cadre législatif causées par l’exigence de l’unanimité et de la volonté (ou non) politique dans quelques États membres.

En résumé, la Commission envisage l’approche suivante pour l’utilisation des « clauses passerelles » :

  • Non-discrimination (article 19 [1] du TFUE)

Bien qu’il existe déjà des dispositions juridiques communautaires complètes sur l’égalité de traitement entre les hommes et les femmes et fondée sur l’origine raciale ou ethnique, l’égalité de traitement fondée sur la religion ou les convictions, le handicap, l’âge et l’orientation sexuelle n’est pas suffisamment garantie (uniquement en matière d’emploi et de profession) et le vote à l’unanimité a conduit à un cadre juridique non cohérent.

La Commission indique que le recours à la clause passerelle générale de l’article 48, paragraphe 7, du traité UE dans un avenir proche pourrait assurer le développement d’une protection égale contre la discrimination et de mécanismes de recours efficaces pour tous. La Commission souligne les possibilités particulières suivantes

  • (Réanimer) la proposition de directive du Conseil relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité  de traitement entre les personnes sans distinction de religion ou de convictions, de handicap, d’âge ou d’orientation sexuelle (COM [2008] 426 final)[6] dans tous les domaines autres que l’emploi 
  • La nécessité de garantir un ensemble plus commun de règles communautaires de protection contre la discrimination dans l’accès aux biens ou aux services (mais la Commission soutient en même temps que « les particuliers et les entreprises devraient avoir un accès transparent aux quatre libertés fondamentales dans les mêmes conditions ») ;
  • La nécessité de dispositions juridiquement contraignantes pour le fonctionnement des organismes nationaux de promotion de l’égalité de traitement (jusqu’à présent, seules des lignes directrices non contraignantes ont été adoptées via la recommandation [2018] 3850 final de la Commission du 22 juin 2018) ; certaines questions particulières à traiter sont mentionnées : assistance aux victimes, autres activités visant à promouvoir l’égalité de traitement, motifs encore différents pour la protection en fonction de l’État membre.

Il est toutefois très important de noter que pour toute action fondée sur l’article 19 [1] du TFUE, la « clause passerelle » générale (article 48 [7] du TUE) devra effectivement être utilisée. Mais cela implique, outre un vote à l’unanimité au Conseil et l’accord du Parlement européen, une notification aux parlements nationaux qui ont 6 mois pour s’y opposer. Si un parlement national s’y oppose, la clause passerelle ne sera pas utilisée. (voir plus loin les points 29 et suivants sur le fonctionnement des différentes « clauses passerelles »)

  • Sécurité sociale et protection sociale des travailleurs (en dehors des situations transfrontalières) (article 153 [1] [c] du TFUE)

Il est positif de constater que la Commission estime qu’il est nécessaire de réformer les systèmes nationaux de sécurité sociale et de protection sociale, principalement en raison des défis démographiques, de la nécessité de rechercher des sources autres que le travail et de l’émergence d’une variété de relations de travail (par exemple, en raison des plateformes numériques) et de la nécessité de garantir qu’elles sont couvertes par des systèmes de sécurité sociale et de protection sociale. En outre, la Commission estime qu’il est nécessaire d’investir massivement dans l’éducation et la formation tout au long de la vie, ainsi que dans la formation, la mise à niveau et le recyclage des compétences que les systèmes nationaux de protection sociale ne prennent pas suffisamment en compte aujourd’hui.

Toutefois, la Commission précise aussi clairement que toute action de l’UE doit respecter le principe de subsidiarité et tenir compte des grandes différences entre les États membres.

Par conséquent, la Commission considère que l’utilisation de « clauses passerelles » dans un avenir proche ne concerne que l’adoption de recommandations (donc non contraignantes) dans ce domaine. Il est important de noter à cet égard que la clause passerelle générale (article 48 du TUE) devra également être utilisée ici avec tous les obstacles procéduraux supplémentaires qu’elle comporte (voir ci-dessus).

  • Conditions d’emploi applicables aux ressortissants de pays tiers en séjour régulier sur le territoire de l’Union (article 153 [1] [g] du TFUE)

Compte tenu des différents actes juridiques relatifs à la migration légale et aux droits des différentes catégories de personnes (étudiants, travailleurs saisonniers, chercheurs et personnes transférées au sein de leur entreprise) adoptés par le vote à la majorité qualifiée (et la codécision du Parlement européen) en vertu de l’article 79 [2] du TFUE ainsi que de plusieurs recommandations (par exemple sur la garantie jeunesse) et applicables aux ressortissants de pays tiers résidant légalement dans un État membre, la Commission ne voit dans cet article que des possibilités limitées et aucune valeur ajoutée significative pour agir davantage en la matière, au titre de la « clause passerelle ».

Toutefois, à un autre endroit de la communication, la Commission fait allusion à un problème éventuel en déclarant qu’« il n’existe pas d’exigences minimales contraignantes de l’UE explicitement conçues pour leur intégration effective sur le marché du travail ».

  • Protection des travailleurs en cas de résiliation de leur contrat de travail (article 153 [1] [d] du TFUE)

Étant donné que la protection contre le licenciement est au « cœur du droit national », étroitement liée aux systèmes nationaux de protection sociale et aux institutions du marché du travail (y compris le rôle des partenaires sociaux et les traditions de négociation collective), la Commission considère que les législations nationales sont toujours les mieux placées pour traiter les spécificités de cette protection, notamment les considérations fiscales, et que l’on ne dispose actuellement d’aucun argument clair pour utiliser la « clause passerelle ».

  • Représentation et défense collective des intérêts des travailleurs et des employeurs (article 153 [1] [f] du TFUE)

À cet égard, la Commission utilise un langage plutôt contradictoire. D’une part, la Commission reconnaît les contraintes très strictes imposées par le traité à ses pouvoirs dans ce domaine (article 153 [5] du TFUE : exclusion du droit d’association, droit de grève et lock-out), mais elle souligne également qu’il n’existe pas de réglementation législative communautaire spécifique et complète en la matière, ni de règles et qu’il y a des traditions très divergentes entre États membres (par exemple, degré de représentativité des partenaires sociaux, leur participation générale au processus décisionnel, la prévalence et la centralisation de la négociation collective et des modèles de représentation au sein du conseil d’administration). Cette raison est en particulier utilisée pour conclure qu’il n’y a pas actuellement d’arguments clairs en faveur de l’utilisation de la « clause passerelle » dans ce domaine.  

Du côté positif, la Commission reste déterminée à soutenir le renforcement des capacités des partenaires sociaux et se félicite du programme de travail 2019-2021 des partenaires sociaux européens.

En résumé, la Commission ne voit qu’une certaine portée concrète pour utiliser la clause passerelle en matière de non-discrimination (article 19 [1] du TFUE) et de sécurité sociale (article 153 [1] [c] du TFUE), mais dans ce dernier cas uniquement pour adopter des recommandations. La Commission ne voit cependant pas de cas concret — pour l’instant — d’action dans les domaines des conditions d’emploi pour les pays tiers, de la protection des travailleurs en cas de résiliation de leur contrat de travail, ni en ce qui concerne la représentation collective des intérêts des travailleurs et des employeurs.

Position et préoccupations de la CES

Si la CES n’a pas jusqu’à maintenant adoptée de position précise sur les « clauses passerelles » (et leur utilisation), elle s’est toutefois exprimée à plusieurs reprises, dans le cadre de résolutions tant générales (par exemple en lien à des révisons ultérieures du Traité) que relatives à des questions spécifiques, sur la nécessité d’avoir des processus décisionnels plus efficaces (y compris des conditions de vote) au sein de l’UE et pour l’UE. Ainsi, dans sa « Résolution sur la CES et le Traité de Lisbonne » parue en 2009, la Confédération européenne des syndicats regrettait que sa demande pour que « le vote à la majorité qualifiée devienne la procédure habituelle en matière de politique sociale » n’ait pas été satisfaite. En outre, ce soutien général de la CES à l’application du vote à la majorité qualifiée ne s’est pas limité au domaine de la politique sociale, mais a également été demandé dans le domaine de la fiscalité, avec un accent particulier sur la fiscalité des entreprises, du capital et de l’environnement. (Pour lire un aperçu de ces positions de la CES, veuillez consulter l’annexe 1 à la présente position.)

Si la CES est largement favorable à la proposition de la Commission européenne d’explorer le recours aux clauses passerelles afin d’obtenir à l’échelle européenne des améliorations pour les travailleurs, leurs familles et les communautés, son soutien n’en est pas pour autant inconditionnel. Par-là, elle tient à souligner que toute tentative d’étendre le vote à la majorité qualifiée et de passer de la procédure législative spéciale à la procédure législative ordinaire devra être appréhendée avec prudence et dans le respect total du rôle des partenaires sociaux européens, en particulier pour ce qui concerne la négociation et la mise en œuvre des accords-cadres européens (articles 154-155 du TFUE).

Protéger le rôle des partenaires sociaux

La CES a voulu s’assurer auprès de la Commission notamment que le recours à la « clause passerelle » n’entrainerait pas un passage de la procédure législative spéciale à la procédure législative ordinaire modifiant ainsi le rôle des partenaires sociaux européens garanti par les Traités. Cette question se pose puisque les « clauses passerelles » autorisent les changements de procédure, non seulement en passant du vote à l’unanimité à celui à majorité qualifiée, mais aussi de la procédure législative spéciale à la procédure législative ordinaire. Il est vital que le recours aux clauses passerelles ne modifie aucunement la consultation des partenaires sociaux en vertu des articles 154-155 du TFUE, et que la Commission, conformément auxdits articles, continue de consulter les partenaires avant de faire des propositions en matière de politique sociale. De même, il convient de garantir les dispositions permettant aux partenaires sociaux de décider d’ouvrir des négociations et de régler une question en particulier au moyen d’un dialogue social bipartite à tout moment durant les deux phases (ou une seule phase) de consultation. En outre, le passage à la « procédure ordinaire » doit clairement être compris comme le fait que la demande des partenaires sociaux auprès de la Commission de soumettre leurs accords au Conseil pour qu’ils soient adoptés sous forme de directive ne crée pas de rôle renforcé pour le Parlement européen (un rôle de codécision au lieu de la situation actuelle où le Parlement européen est seulement informé). Par ailleurs, si les « clauses passerelles » fonctionnent au cas par cas (voir également le point 35 ci-dessous), leur utilisation doit alors être également soumise aux partenaires sociaux.

Dans sa réponse à la lettre de la CES du 10 juillet 2019, la Commission a finalement fourni davantage de précisions et d’assurances sur ces questions. La Commission « réaffirme que les clauses passerelles ne peuvent en effet pas être utilisées pour modifier le rôle, les pouvoirs et les droits des partenaires sociaux garantis par le traité. La communication de la Commission est claire à cet égard : le rôle des partenaires sociaux dans l’élaboration de la législation en matière de politique sociale ne sera pas affecté. Conformément à l’article 154 du TFUE, la Commission continuera donc à procéder à la consultation obligatoire en deux étapes des partenaires sociaux avant de soumettre de futures propositions dans le domaine de la politique sociale, y compris pour les propositions qui sont faites à la suite de l’utilisation d’une clause passerelle. En ce qui concerne la proposition de la Commission de déclencher la clause passerelle spécifique elle-même, toutefois, le traité ne précise pas l’obligation préalable de consulter les partenaires sociaux ». (Voir annexe 5 ; soulignement ajouté).

En outre, en ce qui concerne le rôle du Parlement européen, la réponse de la Commission précise que « dans la mesure où la majorité qualifiée s’appliquerait dans les domaines concernés par l’article 153 du TFUE sur la politique sociale, elle s’appliquerait également à la mise en œuvre des accords des partenaires sociaux au moyen de décisions du Conseil conformément à l’article 155 du TFUE, ce qui faciliterait l’application des accords des partenaires sociaux au niveau communautaire. La procédure législative ordinaire, par laquelle le Parlement européen et le Conseil adoptent conjointement un acte législatif, au sens de l’article 289 du TFUE, ne s’appliquerait pas dans de tels cas ». (Voir annexe 5 ; soulignement ajouté)

Recourir à la clause passerelle uniquement pour accélérer ou faciliter le processus décisionnel

Ladite communication devrait clairement définir en quoi l’extension du VMQ au domaine social pourrait faciliter et accélérer l’élaboration de politiques plus adaptées et bénéficier ainsi aux travailleurs, à leurs familles et aux communautés. Il semble que, même en cas d’application de ces « clauses passerelles », les États membres continuent de garder le pouvoir puisque la première étape doit toujours être décidée à l’unanimité soit par le Conseil, soit par le Conseil européen. Si c’est ainsi que fonctionnent ces clauses, elles risquent alors d’ajouter un niveau supplémentaire au processus décisionnel plutôt que d’en lever les obstacles. 

La CES a demandé — mais n’a pas encore reçu — des éclaircissements sur l’application du principe de subsidiarité/contrôle dans l’utilisation des « clauses passerelles ». Non seulement la communication confirme à plusieurs reprises la nécessité de respecter pleinement les principes de subsidiarité et de proportionnalité, mais aussi le programme « Mieux légiférer » « reste au cœur de l’élaboration des politiques communautaires ».

Par ailleurs, la CES souhaiterait voir clarifier l’application pratique de ces « clauses passerelles » et savoir notamment si leur recours se fera au cas par cas (c’est à dire, pour chaque initiative concrète envisagée) ou si ce changement aura lieu « une seule fois » (à savoir, une décision globale d’utiliser à l’avenir la « clause passerelle » dans le domaine de la politique sociale). La communication reconnaît clairement la nécessité d’utiliser « une approche sélective et au cas par cas » pour l’utilisation des « clauses passerelles » mais, d’autre part, elle précise également que « tous les domaines de la politique sociale (à l’unanimité) ne sont pas également essentiels pour améliorer la capacité d’action de l’Union ». L’approche au cas par cas pourrait toutefois se traduire par un allongement du temps consacré à la prise de décision plutôt que par une réduction de celui-ci. Lors de notre réunion du Comité de la CES sur la législation du travail et du marché intérieur du 25 avril 2019, la Commission a déclaré que les deux approches (au cas par cas et « une fois pour toutes ») pourraient être utilisées en fonction des enjeux et des objectifs à atteindre. Dans sa réponse du 19 septembre 2019, la Commission confirme que la « clause passerelle » « pourrait être activée dans des cas individuels (pour une proposition spécifique), ou pour l’utilisation d’une certaine base juridique (en tout ou en partie) à l’avenir ». (Voir annexe 5)

Dans cette même réponse, la Commission a également fourni des clarifications sur la question de savoir si, une fois que la décision d’utiliser la « clause passerelle » a été prise, le processus peut éventuellement être arrêté ou désactivé et dans quelles conditions (en particulier car les traités ne prévoient rien à cet égard). La Commission note que « les traités sont muets sur la question de savoir si et dans quelles conditions une décision d’activer une clause passerelle peut être révoquée », mais que « l’on peut soutenir que la compétence pour adopter un acte juridique implique également la compétence pour abroger cet acte par la même autorité selon la même procédure. Pour la clause passerelle générale, par exemple, cela signifierait qu’elle pourrait être désactivée par une décision du Conseil européen ». (Voir annexe 5)

Compte tenu du manque de certitude et de clarté à l’égard du fonctionnement des « clauses passerelles », mieux vaudrait commencer par en adopter une pour ensuite évaluer si ce changement améliore la capacité et la vitesse d’adoption des textes législatifs dans le domaine social. À cet égard, la CES recommande de faire avancer l’adoption de la « clause passerelle » pour l’article 19 [1] du TFUE relatif aux mesures nécessaires en vue de combattre toute discrimination fondée sur le sexe, la race ou l’origine ethnique, la religion ou les convictions, un handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle.

Conclusions

La CES salue le débat lancé par la Commission au vu des progrès nécessaires à réaliser pour accélérer le processus décisionnel au sein de l’UE. L’expérience des dernières années a montré combien le vote à l’unanimité ralentit l’adoption des textes législatifs revêtant un intérêt pour les travailleurs. Il confère de fait à chaque État membre un droit de véto qui limite l’incitation même des partenaires sociaux européens ou de la Commission à commencer à proposer des solutions aux problèmes les plus urgents auxquels sont confrontés les travailleurs en Europe. Il est évident qu’il existe des tensions voire une réticence au niveau des États membres à avancer vers une Europe plus sociale en adoptant des initiatives concrètes et qu’une solution doit être trouvée.

La CES soutient en général le passage au vote à la majorité qualifiée (tant dans le domaine de la politique sociale que dans celui de la fiscalité des entreprises, du capital et de l’environnement). La CES regrette la limitation de l’ambition limitée fixée par la Commission de passer au vote à la majorité qualifiée dans le domaine de la politique sociale, car elle ne voit pour l’instant aucun cas concret d’utilisation de la « clause passerelle » dans les domaines des conditions d’emploi des ressortissants des pays tiers résidant légalement sur le territoire communautaire, de la protection des travailleurs lorsque leur emploi est terminé et de la représentation et défense collective des intérêts des travailleurs, alors que dans le domaine de la sécurité sociale et de la protection sociale des travailleurs, elle considère le recours à la « clause passerelle » uniquement pertinent pour adopter des recommandations.

La CES salue et prend note des clarifications fournies par la Commission quant à la manière dont les différentes « clauses passerelles fonctionneront dans la pratique (par exemple, retards supplémentaires dans le processus décisionnel, utilisation ponctuelle ou au cas par cas, peut-elle être révoquée/renversée...) et ce que le passage à la procédure législative ordinaire implique réellement. Toutefois, pour assurer le respect des règles nationales existantes ainsi que des prérogatives et du rôle des gouvernements, parlements et partenaires sociaux nationaux, la CES estime nécessaire que toute décision pour laquelle le Conseil (européen) décide de passer de l’unanimité au vote à la majorité qualifiée contienne non seulement une clause de non-régression ferme et effective mais aussi une “clause de disposition plus favorable” rappelant que toute disposition adoptée conformément à la décision ne doit pas empêcher les États membres de maintenir ou d’introduire des mesures de protection plus strictes et favorables. (cf. article 153 [4] du TFUE)

La CES continuera de prendre part de façon constructive aux prochaines discussions avec la Commission, et ce à la lumière des garanties que nous espérons recevoir sur la protection du rôle des partenaires sociaux et sur l’efficacité du fonctionnement des clauses en question.

Toutefois, tant que les assurances et la clarté requises ne seront pas reçues comme précisé, la CES demande instamment à la Commission de ne prendre aucune mesure pour utiliser la “clause passerelle” pour les points entérinés dans l’article 153 [2] du TFUE (voir ci-dessous. En outre, la CES recommande une approche progressive commençant par l’adoption de la “clause passerelle” de l’article 19 du TFUE [non-discrimination]. Cela nous aidera à déterminer dans quelle mesure la “clause passerelle” rend la prise de décision plus efficace.

Enfin, un mot de mise en garde : il est essentiel que la prise de décision ne soit pas suspendue pendant que l’on discute de l’activation éventuelle des “clauses passerelles”. 

Annexes :

    • Annexe 1 : Note de l’Institut syndical européen (ETUI) « Les clauses passerelles dans le traité de Lisbonne » (Stefan Clauwaert, novembre 2018) (en anglais)
    • Annexe 2 : Avis de la CES sur la feuille de route de la Commission européenne intitulée « Un processus plus efficace d’élaboration des textes législatifs dans le domaine de la politique sociale : recensement de domaines en vue d’un recours accru au vote à la majorité qualifiée » (en anglais)
    • Annexe 3 : Textes de la « clause passerelle » dans les articles 48 [1] du TUE, 19 [1] et 153 du TFUE
    • Annexe 4 : Lettre de la CES à (e. a.) Joost Korte (Directeur général de la DG EMPL) du 10 juillet 2019.
    • Annexe 5 : Réponse de Joost Korte (Directeur général de la DG EMPL) à la lettre de la CES du 10 juillet 2019 (annexe 4), reçue le 19 septembre 2019.

 

 


[1] COMMUNICATION DE LA COMMISSION AU PARLEMENT EUROPÉEN, AU CONSEIL EUROPÉEN, AU CONSEIL, AU COMITÉ ÉCONOMIQUE ET SOCIAL EUROPÉEN ET AU COMITÉ DES RÉGIONS — Une prise de décision plus efficace en matière de politique sociale : renforcer le passage au vote à la majorité qualifiée dans certains domaines. COM (2019) 186 final, Strasbourg, 16/04/2019

[2]Pour en savoir plus sur les « clauses passerelles », veuillez consulter l’annexe 1 : « Les clauses passerelles dans le traité de Lisbonne », Note de l’Institut syndical européen (ETUI) préparée par Stefan Clauwaert, novembre 2018 (en anglais).

[3] https://ec.europa.eu/commission/sites/beta-political/files/soteu2018-letter-of-intent_fr.pdf

[4] COMMUNICATION DE LA COMMISSION Vers un processus décisionnel plus efficace et plus démocratique en matière de politique fiscale dans l'Union, Strasbourg, 15/01/2019, COM(2019) 8 final; COMMUNICATION DE LA COMMISSION Un processus décisionnel plus efficace et démocratique pour la politique de l'UE en matière d'énergie et de climat,  Bruxelles, 09/04/2019 COM(2019) 177 final.

[5] Pour consulter la feuille de route et les contributions reçues, voir https://ec.europa.eu/info/law/better-regulation/initiatives/ares-2018-6446089_fr

[6] Proposition de directive du Conseil relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre les personnes sans distinction de religion ou de convictions, de handicap, d’âge ou d’orientation sexuelle, COM (2008) 426 final du 2 juillet 2008.