Position de la CES sur un niveau minimum d’imposition pour les multinationales

 

Position de la CES sur un niveau minimum d’imposition pour les multinationales
Approuvée lors de la réunion virtuelle du Comité exécutif des 16 et 17 mars 2022

Points principaux :

  • La concurrence fiscale et l’optimisation fiscale des entreprises affectent les travailleurs de nombreuses manières : l’épuisement des budgets publics ; la réduction des recettes entraînant un financement insuffisant des services publics ; les inégalités entre la part de revenus du capital et celui du travail ; et l’entrave à l’obtention d’une juste part des bénéfices des entreprises à travers la négociation collective. Pour toutes ces raisons, la CES mène une campagne pour un taux minimal d’imposition des sociétés d’au moins 25 %.
  • La proposition de l’UE concernant un impôt minimum mondial représente un tournant fondamental en matière de concurrence fiscale. Cependant, la directive proposée indique un taux faible de 15 % et comporte un certain nombre de faiblesses qui nuiraient gravement à sa valeur ajoutée.
  • La proposition ne semble pas avoir fait l’objet d’une étude d’impact. La CES exhorte la Commission européenne à dialoguer avec les syndicats et à communiquer son analyse sur tout effet dynamique potentiel de cette proposition de directive sur l’emploi. 
  • Le taux minimum d’imposition mondiale doit être porté à au moins 25 %, sans exclusion ni exemption sectorielle. En particulier, le secteur financier doit être soumis au niveau minimal d’imposition.
  • Compte tenu de la marge de manœuvre limitée pour modifier une directive à cause de l’obligation d’obtenir l’unanimité, une coalition d’États membres disposés à prendre des mesures devrait introduire des réformes nationales supplémentaires, en plus de la directive de l’UE, afin d’entraîner un nivellement vertueux par le haut. La CES appelle les Institutions de l’UE à intégrer suffisamment de flexibilité dans la directive afin de permettre une plus grande ambition dans la lutte contre la concurrence fiscale. La CES appelle ses affiliés à promouvoir ces demandes d’amélioration auprès de leurs gouvernements.
  • Il est également essentiel de supprimer « l’impôt complémentaire national qualifié » de la proposition de l’UE, car cela pourrait exacerber la concurrence fiscale encore davantage.

Introduction
Une proposition de directive garantissant un niveau minimum mondial d’imposition pour les groupes multinationaux dans l’Union a été publiée le 22 décembre 2021[1]. Cette proposition vise à mettre en œuvre, dans le cadre juridique européen, l’accord mondial négocié par le Cadre inclusif de l’OCDE et approuvé par le G20 en octobre 2021. Il est étroitement aligné sur les règles très techniques du modèle, publiées par l’OCDE deux mois après l’accord politique du G20[2].

Malgré la nécessité d’un vote à l’unanimité, la présidence française de l’UE a annoncé son intention de faire adopter cette directive très rapidement, arguant que tous les États membres de l’UE (à l’exception de Chypre) ont déjà signifié leur engagement, au cours du processus G20/OCDE.

La présente position compare la proposition de l’UE aux demandes de justice fiscale de la CES. Elle analyse ensuite les nombreuses faiblesses de la directive et soutient que des réformes nationales doivent compléter cette directive européenne. Les campagnes syndicales au niveau national seront donc un élément important de réformes fiscales justes et efficaces pour les entreprises.

Le programme des travailleurs en matière de justice fiscale
La réforme de l’impôt sur les sociétés gagne en proéminence dans les programmes publics en raison du fait que les entreprises multinationales ne paient pas leur juste part d’impôt. Ce débat s’est récemment intensifié du fait que la pandémie exerce une pression considérable sur les finances publiques et nuit à la qualité des services publics en Europe et dans le monde.

En raison de l’augmentation des mouvements de capitaux et des profondes faiblesses des règles fiscales internationales actuelles, les entreprises multinationales sont en mesure de transférer leurs bénéfices des pays où l’activité économique réelle est réalisée vers des pays à faible imposition. De plus, il existe une concurrence fiscale entre les pays pour attirer les investissements. Les pays du monde entier réduisent leurs taux d’imposition des sociétés, mettent en œuvre des réformes structurelles régressives et offrent des incitations fiscales en vue d’attirer des investissements directs étrangers. Ce phénomène se produit alors que rien ne prouve que la réduction des taux d’imposition des sociétés ait un impact significatif sur le choix de la localisation des investissements réels par les entreprises.

La tendance au cours de la dernière décennie a été à l’augmentation des bénéfices des entreprises. Pourtant, en raison de l’optimisation fiscale des entreprises et des incitations fiscales, les grandes entreprises paient proportionnellement de moins en moins d’impôts. Cela affecte les travailleurs à bien des égards. Premièrement, des politiques fiscales progressives et saines sont nécessaires pour financer les budgets publics et, par conséquent, les services publics ainsi que les politiques publiques. La protection sociale, les services publics et le soutien de l’État nous permettent de traverser la crise ; par conséquent, l’insuffisance des recettes publiques sera un obstacle majeur à la reprise. Deuxièmement, l’optimisation fiscale empêche un juste partage des bénéfices de l’entreprise avec les salariés. Les bénéfices sont en effet extraits de filiales rentables et envoyés dans des paradis fiscaux où ils ne peuvent plus être investis dans de l’emploi et de l’investissement productif. Troisièmement, lorsque les entreprises ne paient pas leur juste part, le fardeau fiscal repose de manière disproportionnée sur les ménages à revenus moyens ou faibles.  Il est désormais largement admis que les réductions d’impôts ont un impact direct sur les inégalités de revenus. 

Pour ces raisons, la CES mène une campagne, conjointement au mouvement syndical mondial, en faveur de taux d’imposition effectifs plus élevés[3]. Le taux d’imposition effectif désigne le pourcentage d’impôts effectivement payés par les entreprises, par opposition au pourcentage légal, qui ne tient pas compte des crédits d’impôt et autres réductions d’impôts. À titre d’illustration, un taux d’imposition effectif de 25 % peut limiter drastiquement la concurrence fiscale. Il garantit en effet que les incitations fiscales nationales ne peuvent pas abaisser les taux d’imposition en dessous du taux effectif moyen actuel des pays de l’OCDE (entre 20 et 25 %[4]).

Les gains de recettes potentiels liés à un taux effectif d’imposition de 25 % sont substantiels : selon les estimations de l’Observatoire européen de la fiscalité, ils s’élèveraient à 234,3 milliards d’euros par an[5]. Comme le montrent les estimations fiscales citées en annexe au présent document, les gains de recettes sont substantiels pour chaque État membre de l’UE.

Bien qu’un taux d’imposition minimum soit un élément important de la justice fiscale, il doit être fixé à un taux élevé et complété par des réformes supplémentaires. La CES exhorte depuis longtemps la Commission à relancer l’ACCIS. L’imposition unitaire sur la base de facteurs d’allocation soigneusement pondérés est indispensable pour surmonter les faiblesses des règles actuelles en matière de prix de transfert et leurs incitations pour des structures d’entreprise fragmentées qui nuisent à l’emploi[6]. Pour renforcer l’application de la loi et permettre un contrôle public, il est également nécessaire d’améliorer la transparence fiscale via notamment un renforcement du reporting pays par pays à l’échelle mondiale. Les syndicats doivent avoir accès à des informations lisibles et précises sur tous les pays dans lesquels les entreprises déclarent leurs bénéfices.

La proposition de la Commission – un impôt minimum mondial avec des concessions pour les paradis fiscaux
Le pilier 2 de l’accord entre le G20 et l’OCDE n’est pas juridiquement contraignant. Cela signifie donc que les pays n’ont pas à introduire d’impôt minimum mondial. S’ils choisissent cette option, ils s’engagent à mettre en œuvre des règles qui se conforment au modèle détaillé de règles de l’OCDE. Si elle était adoptée, la directive relative à un impôt minimal mondial devrait cependant être transposée rapidement par les États membres.  Selon la Commission européenne, les principes de non-discrimination exigent un niveau minimum d’harmonisation dans l’Union.

La plupart des États membres de l’UE ont participé activement à l’approbation de l’accord mondial. La proposition de directive est donc plus susceptible d’être adoptée que les propositions précédentes, malgré l’unanimité obligatoire.

La proposition de l’UE vise à garantir que les grandes entreprises multinationales paient au moins 15 % d’impôt sur les recettes issues de chacun des pays où elles opèrent.

L’impôt minimum mondial a un champ d’application limité. La directive ne s’appliquerait qu’aux entreprises multinationales dont le chiffre d’affaires annuel est supérieur à 750 millions d’euros, bien que les États membres aient la possibilité d’étendre ce champ d’application aux grandes entreprises nationales. C’est une bonne chose, car l’application de cette option renforcerait la portée et les recettes potentiels de l’impôt minimum.  Même si une entreprise entre dans le champ d’application de la directive, tous ses bénéfices ne seraient pas couverts par le taux minimum de 15 %. La directive prévoit une exception liée à la substance (« substance-based carve-outs/ exclusion de bénéfices liés à la substance ») en vertu de laquelle un pourcentage fixe de la valeur des actifs corporels et des frais de personnel sera exclu de l’assiette fiscale. Sur les 10 premières années, ce pourcentage représente 8 % de la valeur des actifs corporels et 10 % des frais de personnel. Ainsi, les pays pourraient encore utiliser des incitations fiscales pour attirer les investissements.

Les exemptions sectorielles entraînent également des limites importantes à la portée de la directive proposée.  Les fonds d’investissement et de pension, le transport maritime international et les entreprises nationales cherchant à se développer à l’international ne seraient pas affectés. Pourtant, le secteur financier est largement sous-taxé en raison de ses activités de planification fiscale. Selon de récentes estimations, l’introduction d’un niveau minimum d’imposition pour les banques européennes générerait des gains de recettes importants, en plus d’une réglementation indispensable[7].

En vertu de la directive, l’État membre de résidence d’une multinationale serait tenu de percevoir, un impôt complémentaire allant jusqu’à 15 %, au titre des bénéfices réalisés par les filiales et établissements de cette multinationale. Le droit à un impôt complémentaire par les pays résidents est appelé règle d’inclusion du revenu (« RDIR »). La directive concernerait également les entreprises non européennes : si une multinationale réside dans un pays tiers et que ce pays résident décide de ne pas appliquer la RDIR, les États membres de l’UE où sont situés les établissements et les filiales seraient tenus de réclamer un impôt complémentaire proportionnel à l’activité économique se déroulant sur leurs territoires respectifs. Une répartition par formule basée sur les ventes et les actifs déterminerait le montant des bénéfices attribués à chaque État membre. Le droit à l’impôt complémentaire par les pays non-résidents est appelé la règle relative aux paiements insuffisamment imposés (« RPII »).

Ainsi, la directive proposée serait, du moins en théorie, une puissante incitation pour les pays à faible imposition à augmenter leurs taux d’imposition effectifs à au moins 15 %. Dans le cas contraire, les bénéfices seraient toujours imposés, mais les recettes seraient perçues par des pays non-résidents.

Cela étant dit, la directive proposée envisage également la possibilité que les États membres introduisent un « impôt complémentaire national qualifié » (« ICNQ »). Selon l’ICNQ, un État membre peut décider de ne pas appliquer un taux d’imposition effectif de 15 % pour tous les bénéfices des entreprises, mais uniquement pour les bénéfices qui relèvent du champ d’application de la directive. Un élément pertinent dans la décision des paradis fiscaux de l’UE d’introduire l’ICNQ au lieu d’augmenter les taux d’imposition effectifs pour tous les bénéfices des entreprises est ce qu’on appelle l’exception liée à la substance : les entreprises bénéficieraient toujours de réductions d’impôt pour leurs revenus liés aux actifs et aux frais de personnel. L’ICNQ se classe premier dans l’ordre de recouvrement, devant la RDIR et la RPII. Cela signifie que les recettes perçues en vertu de l’ICNQ seraient déductibles de l’impôt complémentaire qui, autrement, est payable dans le pays résident.

En termes simples, un effet pervers de l’ICNQ pourrait être d’encourager les paradis fiscaux de l’UE à réduire davantage leurs taux d’imposition sur les sociétés — potentiellement à zéro — en vue de continuer à attirer des capitaux, mais à un coût moindre pour leurs budgets publics puisqu’ils percevraient l’impôt complémentaire de 15 % pour les bénéfices inclus dans l’assiette fiscale de la directive. Dans sa proposition, la Commission estime que l’ICNQ est nécessaire pour préserver la souveraineté fiscale des États membres.

Analyse de la CES – une réforme nécessaire, mais insuffisante
Le principe d’un impôt minimal mondial est un tournant conceptuel fondamental dans la lutte contre la concurrence fiscale. La question est de savoir si la directive fournirait une base pour des améliorations futures ou si elle créerait des progrès bien trop limités pour parvenir à une justice fiscale. La proposition de l’UE affiche certaines faiblesses significatives.

Un taux minimal mondial de 15 % est inférieur aux demandes de la CES. Néanmoins, considérant qu’il n’y a aujourd’hui aucune limite à la concurrence fiscale, l’accord du G20/ OCDE et la directive européenne qui le met en application pourraient mettre un frein, bien qu’insuffisant, aux incitations fiscales.

Il faut toutefois rappeler qu’un taux de 15 % exerce un impact sur les perspectives de recettes. Selon les estimations de l’Observatoire européen de la fiscalité, l’Union devrait gagner 83 milliards d’euros. Elle réduirait donc de moitié ses perspectives de recettes en se fixant un taux de 15 % au lieu de 25%[8]. L’exception liée à la substance diminuerait encore les perspectives de recettes d’environ 23 %.

Plus important encore, un effet pervers de l’ICNQ pourrait être d’encourager les paradis fiscaux de l’UE à réduire davantage leurs taux d’imposition sur les sociétés afin de conserver leur rôle de « plates-formes d’investissement », tout en s’assurant que d’autres États membres ne sont pas en mesure d’imposer un impôt complémentaire.

La question se pose de savoir si la directive se contente d’introduire des normes minimales, permettant aux États membres volontaires de transposer leurs dispositions avec plus d’ambition. L’extrême complexité de cette directive, qui prévoit des dispositions détaillées sur le calcul de l’assiette fiscale et le calcul du taux effectif d’imposition pays par pays, ainsi que l’interaction délicate entre les prérogatives des pays de résidence et des pays non résidents risque de dissuader les États membres de dépasser 15 % dans leur mise en œuvre nationale. 

En outre, un grand nombre d’entreprises ne seront pas affectées par le taux minimal de 15 % en raison du champ d’application restreint.

La Commission européenne a choisi de ne publier aucune étude d’impact. Les pays qui ont conduit les négociations au niveau mondial, avec les nombreuses concessions qui en ont découlé, ont tout à la fois cherché à accroitre leurs recettes fiscales  et à réduire  la pression fiscale sur leurs multinationales opérant à l’étranger. Il est donc étrange que la proposition de directive de l’UE e ne soit pas accompagnée d’une évaluation d’impact sur les recettes fiscales. Les analyses économiques menées lors des négociations de l’OCDE, en supposant qu’elles existent pour chaque État membre, n’ont pour la plupart pas été rendues publiques.

En particulier, l’ICNQ a été introduit dans le modèle de l’OCDE à la dernière minute, après l’approbation politique par le G20 et en l’absence de toute consultation publique. L’ICNQ ayant le potentiel de neutraliser l’effet positif d’un impôt minimum mondial, son impact probable doit être soigneusement évalué.

Un aspect particulièrement inquiétant pour la CES est qu’il n’y a pas eu d’évaluation de l’impact des différents aspects de la réforme sur l’emploi. Ceci constitue une grande inquiétude, car plusieurs des concessions introduites dans la directive peuvent avoir un effet sur l’emploi. C’est notamment le cas de l’exception liée à la substance. Les charges liées aux frais de personnel permettant aux entreprises de réduire les impôts qu’elles doivent payer, un effet dynamique potentiel sur les emplois et les délocalisations aurait dû faire l’objet d’une analyse. Point crucial, l’ICNQ deviendrait attrayant pour les pays (y compris hors UE) qui souhaitent attirer des investissements et la création d’emplois sur leur territoire au moyen d’incitations fiscales.

En outre, l’impact sur l’emploi des exonérations sectorielles aurait dû être évalué. Certains fonds de pension étant connus pour leur gouvernance axée sur le court terme, les syndicats considéreront leur traitement fiscal préférentiel comme étant particulièrement injuste. L’exclusion du transport maritime est également une préoccupation majeure du point de vue de l’emploi. Comme le rapportent régulièrement l’ITF et l’ETF, l’industrie du transport maritime est en proie aux pratiques des sociétés boîtes aux lettres qui ont un impact négatif non seulement sur les impôts, mais surtout sur les conditions d’emploi et les cotisations de sécurité sociale. Un taux d’imposition minimum constituerait une étape décisive dans la lutte contre les pavillons de complaisance.

Enfin, la directive européenne ne permettrait pas de dégager des recettes suffisantes pour financer le développement. Accorder la priorité aux paradis fiscaux de l’UE (par le biais de l’ICNQ) et aux pays de résidence (par le biais de la RDIR) crée un important désavantage pour les pays à faible revenu, car ils accueillent peu de multinationales. Les perspectives de recettes sont particulièrement faibles pour les pays qui appliquent déjà un taux d’imposition supérieur à 15 %.

Demandes de la CES – nécessité d’une action complémentaire
Premièrement, la CES exhorte la Commission européenne à dialoguer avec les syndicats afin que les effets de l’optimisation fiscale des entreprises, de la concurrence fiscale et des incitations fiscales sur l’emploi et les recettes publiques puissent être pleinement pris en compte. Concernant la proposition de l’UE sur les entités-écrans, la CES formule la même demande. Il est inacceptable que des discussions sur les réformes fiscales se poursuivent sans qu’il soit tenu compte de leur impact sur les travailleurs, les services publics et les politiques publiques. 

Deuxièmement, il est vital que les taux effectifs d’imposition des sociétés de l’UE soient relevés au-dessus de 15 % sans l’exception liée à la substance, et ce, pour toutes les entreprises, afin d’augmenter les recettes publiques qui font cruellement défaut et de mettre fin à la concurrence fiscale. Pour y parvenir, des mesures complémentaires doivent être envisagées : soit au moyen de réformes unilatérales, soit par une coopération renforcée. Une coalition d’États membres désireux d’agir peut créer un cercle vertueux et entraîner un nivellement par le haut.

Sur la base de la dynamique créée par l’accord G20/OCDE et la directive européenne, les États membres devraient sérieusement envisager d’introduire dans leur propre législation nationale un niveau minimal d’imposition d’au moins 25 %. Cet impôt minimum devrait par ailleurss’ étendre le champ d’application de à tous les secteurs et aux entreprises dont le chiffre d’affaires est inférieur à 750 millions d’euros. À cet égard, la CES salue la récente réforme espagnole visant à appliquer un impôt minimum aux entreprises réalisant un chiffre d’affaires de 20 millions d’euros.

Par conséquent, la CES exige que la directive européenne n’empêche en aucun cas les États membres de maintenir ou d’introduire des mesures supplémentaires et plus ambitieuses, ciblant les bénéfices insuffisamment imposés à l’étranger. Cela exige notamment que la directive contienne une clause de non-régression forte. Il est également important d’intégrer suffisamment de flexibilité dans la directive afin de garantir que les mesures nationales soient considérées comme complémentaires à l’impôt minimum européen, et donc acceptées comme « impôts concernés » pris en compte dans le calcul du taux d’imposition effectif. Une clause de révision stricte doit également être introduite dans la directive afin de garantir que le niveau minimum d’imposition dans l’Union puisse être augmenté dans un avenir proche.

Troisièmement, la CES appelle les institutions de l’UE à retirer l’ICNQ de la directive européenne, car il pourrait mettre en échec le champ d’application d’un impôt minimum mondial et exacerber davantage la concurrence fiscale.

Quatrièmement, la directive doit uniquement être considérée comme un premier pas ; pas comme la fin de la route pour la lutte contre la concurrence fiscale. La CES demande aux institutions de l’UE d’introduire une clause de révision stricte et une approche progressive afin que l’impôt minimum mondial soit porté à 25% sur une courte période. Les États membres peuvent également avoir à s’adapter à l’impact dynamique de la directive.

Prochaines étapes pour une campagne syndicale
La CES poursuit activement son engagement au niveau européen avec la Commission européenne, le Parlement et le CESE. L’exigence d’unanimité, la faible implication du Parlement européen et la faible marge de manœuvre laissée par l’accord G20/OCDE rendront extrêmement difficile la mise en place de changements substantiels dans la proposition de la Commission. La présente position décrit comment la directive de l’UE constitue un pas nécessaire, mais insuffisant vers une réforme juste. Une action complémentaire au niveau national est indispensable pour mettre efficacement un terme à la concurrence fiscale et réduire les transferts de bénéfices.

La CES appelle ses affiliés à intégrer la demande d’un impôt mondial minimum d’au moins 25 % dans leurs revendications nationales pour des systèmes fiscaux plus équitables. Les États membres ne devraient pas s’arrêter à la directive de l’UE et devraient activement prendre des mesures supplémentaires pour une imposition minimum au niveau national. Jusqu’à présent, les pays se sont montrés réticents envers de telles règles, car ils craignaient de décourager les investissements étrangers. La situation est en train de changer, car des économies influentes (États-Unis, Royaume-Uni, Espagne) ont mis en place une imposition nationale forte ou envisagent de le faire.

Les arguments en faveur d’un taux de 25 % sont nombreux. Les perspectives d’accroissement des recettes sont très importantes, comme en témoigne l’estimation pays par pays annexée à ce document de position. Par ailleurs, un frein effectif à la concurrence fiscale dans l’Union exige un taux qui se rapproche de la moyenne effective actuelle.

Alors que de nombreux syndicats se battent pour une fiscalité plus progressive dans un contexte d’épuisement des budgets publics et de services publics en manque de ressources, les impôts minimaux nationaux contribueront grandement à garantir que les entreprises multinationales étrangères paient leur juste part dans chaque pays où elles exercent une activité économique rentable. 

En parallèle, la CES continuera ses travaux en vue d’une relance du débat sur la fiscalité unitaire dans l’UE, avec un champ d’application aussi large que possible.

La transparence fiscale reste une priorité importante de la CES. La Commission européenne s’est engagée à publier une proposition garantissant plus de transparence sur les taux d’imposition effectifs.  Cela pourrait être l’occasion de remédier à nouveau à certaines lacunes de la directive sur les déclarations (partiellement) publiques pays par pays, et en particulier au manque d’informations détaillées sur les paiements fiscaux réels dans chacun des pays où les multinationales font des affaires.   

Enfin, il convient d’attirer l’attention sur la nécessité de renforcer d’autres actions concernant la base d’imposition et le transfert de bénéfices (BEPS) dans les forums européens et multilatéraux afin de garantir la transparence. La CES rappelle la résolution du Parlement européen du 7/10/2021 pour une action accrue au niveau de l’UE dans la lutte contre l’évasion fiscale, le renforcement des mesures de lutte contre les pratiques fiscales nuisibles et pour une réforme du code de conduite dans le domaine de la fiscalité des entreprises, qui revêt une importance encore plus grande après un autre scandale fiscal appelé Pandora Papers.

ANNEXE : EFFETS DE L’IMPÔT MONDIAL MINIMAL SUR LES RECETTES : ESTIMATIONS PAYS PAR PAYS

Source : Observatoire européen de la fiscalité (octobre 2021)

Voir le tableau ci-joint.


[1] Proposition de directive du Conseil visant à assurer un niveau mondial d’imposition des groupes multinationaux dans COM(2021) 823 final de l’Union

[2] L’OCDE publie le modèle de règles du Pilier deux pour la mise en œuvre au niveau national de l’impôt minimal mondial de 15 % – OCDE

[3] Voir par exemple : ETUC resolution on EU taxation and own resources | CES ; Pour un impôt sur les sociétés équitable : demandes fondamentales de la CSI ; TUAC comments to OECD consultation on Pillar One and Pillar Two blueprints

[4] Statistiques de l’impôt sur les sociétés : Deuxième édition (oecd.org)

[5] Note-2-Revenue-Effects-of-the-Global-Minimum-Tax-October-2021.pdf (taxobservatory.eu)

[6] Pour des considérations sur l’impact de la pratique des sociétés boîte aux lettres sur l’emploi, cf. la position de la CES du 23 février 2022 sur les entités-écrans

[7] Observatoire européen de la fiscalité (2021), Les banques européennes ont-elles quitté les paradis fiscaux ?  Étude à partir de données pays par pays

[8] Ces estimations ont été publiées avant l’introduction d’un ICNQ dans la proposition. Si l’ICNQ est retenu dans la directive finale, les estimations de recettes devront être revues à la baisse de manière significative.