Position sur l'accord-cadre UE/États-Unis
Adoptée lors de la réunion du Comité exécutif des 1er et 2 octobre 2025
L'accord-cadre UE/États-Unis sur des échanges commerciaux réciproques, équitables et équilibrés a été présenté comme une étape nécessaire pour garantir la stabilité et la prévisibilité des relations transatlantiques dans un monde de plus en plus instable. La CES reconnaît les défis géopolitiques et l'importance d'un partenariat transatlantique stable pour la sécurité économique européenne – les travailleurs ne tirent jamais profit des guerres commerciales. Toutefois, dans sa forme actuelle, le résultat manque d'équilibre, d'équité et de réciprocité. Il comporte des risques importants pour les travailleurs européens, notre modèle social, nos normes environnementales et nos priorités d'investissement à long terme. La CES exige que les négociations qui suivront et qui donneront corps aux différentes parties du cadre contiennent également des garanties plus solides concernant nos préoccupations.
Le cadre n'est pas juridiquement contraignant et ne repose sur aucun mandat démocratique. Le texte représente une série d'engagements pris au plus haut niveau politique, mais rien n'empêche les États-Unis de menacer d'imposer ou de réintroduire de nouveaux droits de douane – la prévisibilité pourrait donc être de courte durée. Pour remédier à ce risque, l'UE devrait se tenir prête à retirer ses concessions tarifaires (en tout ou en partie) comme le prévoit l'article 3 de la proposition de règlement, insister sur une clause de statu quo et déployer l'instrument anti-coercition, qui a été conçu pour dissuader et, si nécessaire, répondre au chantage économique des partenaires commerciaux, y compris lorsque la coercition menace l'application des règles en matière de travail et de fiscalité.
Les négociations futures doivent également être fondées sur un mandat de négociation déterminé démocratiquement, comme pour les autres accords commerciaux, avec un contrôle approprié du Conseil et du Parlement. Les syndicats doivent être consultés de manière significative et un dialogue sur le commerce et le travail doit être relancé. En outre, la CES demande une évaluation d'impact détaillée sur les secteurs et les emplois, ainsi que des mesures d'accompagnement[1] pour soutenir les travailleurs et stimuler la demande intérieure européenne.
Le résultat est asymétrique et incompatible avec les règles de l'OMC, ainsi qu'avec la propre politique commerciale de l'UE. Alors que l'UE a pris des engagements de grande envergure, les États-Unis n'ont fait que peu de concessions en retour. Cela sape la crédibilité de l'UE en tant que défenseur des intérêts économiques et sociaux de l'Europe et promoteur d'un ordre fondé sur des règles et du système multilatéral, compromettant notre capacité collective à agir à l'avenir plutôt que de poursuivre des intérêts nationaux étroits.
À l'avenir, en ce qui concerne les marchandises et l'accès au marché, l'UE devrait chercher à élargir la liste des marchandises exemptées et viser des droits de douane « zéro pour zéro ».
Dans le cadre de son engagement continu avec les États-Unis, l'UE devrait également chercher à renforcer notre autonomie stratégique et inclure un chapitre exécutoire sur le commerce et le développement durable ou des contre-mesures axées sur les activités économiques qui violent les normes fondamentales du travail de l'OIT. L'UE doit utiliser son pouvoir de négociation en tant que deuxième économie mondiale et mettre dans la balance les exportations américaines de services et de produits numériques vers l'UE.
L'UE doit promouvoir un programme mondial visant à (re)construire un régime multilatéral de commerce équitable et les institutions qui s'y rapportent, en œuvrant à la mise en place d'un système progressiste, fondé sur des règles internationales, avec une OMC pleinement opérationnelle qui ne porte pas atteinte au respect intégral des conventions de l'OIT et soutient les efforts nationaux en matière d'application, y compris dans l'économie numérique. Si les engagements à travailler conjointement sur la question du travail forcé et de la surcapacité sont les bienvenus, l'UE devrait insister sur le fait que, dans les deux cas, l'Europe n'est pas à l'origine de ces problèmes et que les droits de douane punitifs imposés par les États-Unis ne sont pas justifiés.
La coopération réglementaire, telle qu'elle est définie dans la déclaration commune, met l'accent sur la « flexibilité ». La CES craint que cela n'entraîne un affaiblissement des normes européennes durement acquises et que le rapprochement avec les normes américaines n'augmente les coûts de mise en conformité pour nos industries et ne risque de compromettre les normes en matière de négociation collective. Même si la Commission a déclaré que le droit de réglementation de l'UE était préservé, l'objectif étant de faciliter les procédures administratives, d'aider les entreprises américaines à se conformer à la réglementation européenne et que la reconnaissance mutuelle ne se ferait que lorsque les normes seraient équivalentes, la CES continuera à s'opposer à toute tentative de déréglementation : la Commission doit défendre le principe de précaution de l'UE, le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF) sa directive sur la diligence raisonnable ainsi que les pratiques européennes de normalisation inclusives qui impliquent les syndicats (contrairement aux États-Unis).
La CES s'engage à mettre en œuvre de manière cohérente la loi sur les services numériques (DSA) : en aucun cas, les pressions exercées par l'administration et les entreprises américaines ne doivent conduire à un affaiblissement de cette loi, ni empêcher l'UE et ses États membres d'imposer des taxes numériques, comme le demande la CES.
La CES se félicite des efforts déployés pour traiter les politiques de tiers telles que la sécurité économique, la concurrence déloyale, la résilience des chaînes d'approvisionnement, la surcapacité et la lutte contre le travail forcé, mais souligne la nécessité d'aborder ces problèmes d'une manière qui contribue à (re)construire un régime commercial équitable fondé sur des règles multilatérales.
Engagements en matière d'investissement : l'objectif de 600 milliards d'euros d'investissements de l'UE dans l'économie américaine et pour se procurer de l'énergie, des puces d'IA et du matériel militaire constitue une menace directe pour les emplois européens. Mario Draghi a appelé à investir en Europe afin de garantir la transition écologique, de renforcer la compétitivité et d'assurer des emplois décents. Pour la CES, encourager les investissements à l'étranger est une contradiction inacceptable : cela risque d'enfermer l'Europe dans une dépendance aux énergies fossiles tout en sapant sa puissance industrielle et son autonomie stratégique. Les investissements ainsi que des transferts de technologie doivent être canalisés avant tout vers l'avenir de l'Europe et ses besoins. Le commerce doit servir à soutenir la réindustrialisation et à créer des emplois manufacturiers de qualité en Europe. L'UE ne peut se permettre une nouvelle vague de désindustrialisation provoquée par des concessions commerciales asymétriques. La CES appelle les PDG des entreprises à faire preuve de transparence quant à leurs plans d'investissement : les travailleurs doivent être informés et consultés sur ces plans, ainsi que sur les instruments de l'UE soutenant les investissements à l'étranger (prêts, garanties, etc.).
Préoccupations en matière de sécurité : la CES reconnaît que le contexte géopolitique général et la nécessité de garantir l'approvisionnement énergétique ont joué un rôle décisif dans l'élaboration de cet accord. Mais la sécurité ne doit pas servir de prétexte pour affaiblir le modèle social européen ou pour donner la priorité aux engagements extérieurs par rapport à nos propres besoins économiques et sociaux, notamment la réalisation de nos objectifs de neutralité carbone. L'UE doit veiller à ce que la politique commerciale et d'investissement soutienne la politique industrielle européenne, la transition verte et la cohésion sociale. L'UE doit défendre ses intérêts économiques et mettre en œuvre une politique de réduction des risques afin de réduire nos dépendances stratégiques vis-à-vis des États-Unis et d'autres partenaires qui fondent leur compétitivité sur une déréglementation agressive et un dumping social et fiscal. L'UE devrait réduire sa dépendance à l'égard de relations commerciales vulnérables en diversifiant ses approvisionnements et en développant de nouveaux marchés d'exportation avec des partenaires commerciaux disposés à conclure des accords commerciaux équitables et socialement responsables, fondés sur des règles universelles, le respect des droits des travailleurs et des règles de durabilité, avec la participation des syndicats. La stimulation de la demande intérieure et des chaînes d'approvisionnement nationales, notamment pour l'énergie et les matières premières, doit également faire partie de cette stratégie de réduction des risques.
La CES reconnaît la nécessité de stabilité et de prévisibilité en période d'incertitude, mais rejette toute approche qui fait passer la flexibilité des entreprises et les priorités d'investissement des États-Unis avant les travailleurs européens et les emplois de qualité. Au contraire, la CES appelle à la conclusion d'accords qui garantissent une prospérité durable pour les deux parties, favorisent les industries et le travail décent de chacun et respectent les principes démocratiques et les normes internationales. L'Europe doit exporter son modèle social, et non importer la déréglementation.
[1] https://www.etuc.org/en/pressrelease/eu-urgently-needs-plan-protect-jobs-and-production-eu-after-us-trade-deale et droits de douane américains : l'UE doit prendre des mesures d'urgence pour protéger l'emploi | CES