Position sur la Réforme de la gouvernance économique (vers un pacte européen pour l'emploi et les investissements

Position sur la Réforme de la gouvernance économique (vers un pacte européen pour l'emploi et les investissements)

Position approuvée lors de la réunion du Comité exécutif des 30 et 31 mars 2023

La réforme de la gouvernance économique de l’Union européenne publiée le 9 novembre 2022 devrait être considérée comme insuffisante. La proposition de la Commission européenne (CE) semble en contradiction tant avec la Déclaration de Versailles du 11 mars 2022 qu’avec les conclusions du Sommet social de Porto en 2021. Le cadre social et le cadre de la durabilité, notamment le SEDS et les ODD, sont ignorés.

La proposition de la CE reflète certaines exigences de longue date de la CES telles que le renforcement de l’appropriation nationale des réformes, des trajectoires d’ajustement budgétaire différenciées, la suppression de la règle rigide de 1/20 pour la consolidation dette-PIB ainsi que du critère de déficit structurel, moins de pertinence du ratio dette-PIB de 60%, la possibilité d’appliquer des clauses dérogatoires à certains pays, une réforme immédiate du PSC et de la législation secondaire. Ces aspects positifs sont maintenus dans un projet de réforme qui pourtant reste silencieux sur trop de points pour pouvoir dégager un consensus total du mouvement syndical.

La proposition actuelle échoue à faire de la transformation verte, numérique et démographique une opportunité pour les travailleurs européens. Elle reste silencieuse sur la manière dont la gouvernance protègera les revenus des travailleurs ou les pensions dans une situation d’inflation élevée et de flambée du coût de la vie. Elle néglige le rôle des partenaires sociaux et du dialogue social. Un narratif propice aux investissements est bien présent mais il n’est toutefois pas certain que les budgets nationaux et européens puissent pallier les déficits d’investissements. La proposition échoue également à s’inspirer de la Déclaration des partenaires sociaux européens suggérant des indicateurs pour compléter le PIB comme dans les conclusions du Conseil européen de Porto le 6 mai 2021.

Le modèle social de l’UE, l’euro et le marché unique sont des biens européens communs également importants. La CES plaide donc en faveur d’un pacte européen pour l’emploi et les investissements à inclure dans les conclusions du Conseil afin de compléter et de rééquilibrer un pacte de stabilité et de croissance réformé, ce qui implique une révision du droit dérivé et l’abrogation du pacte budgétaire. L’UE doit inviter les partenaires sociaux à présenter des propositions.

La CES insiste sur le fait que la gouvernance économique réformée devrait être une gouvernance économique et sociale qui génère le plein emploi ainsi qu’une amélioration des conditions de travail et de vie et qui inclut des contraintes environnementales dans ses horizons à moyen terme. La gouvernance économique devrait renforcer la capacité de l’UE à répondre rapidement aux crises en s’inspirant des leçons tirées du plan NextGenerationEU et du mécanisme SURE.

La qualité démocratique de la gouvernance économique devrait être améliorée en confiant un rôle plus important au dialogue social dans la conception et la mise en œuvre des plans nationaux. Les partenaires sociaux doivent être consultés aux différentes étapes du Semestre et devraient être autorisés à présenter des propositions pour les RSP négociées. Les parlements nationaux et le Parlement européen devraient être en mesure de décider concernant la définition et la mise en œuvre des plans nationaux ainsi que la définition des grandes orientations économiques qui sous-tendent le Semestre européen. Ils devraient aussi co-décider concernant les mesures d’application et les sanctions relevant des différents processus de la gouvernance économique et sociale réformée.

CE, gouvernements et partenaires sociaux devraient œuvrer dans un esprit constructif de coopération en mettant l’accent sur le partenariat et des incitants positifs. La CES s’oppose à ce que le décaissement de fonds de l’UE soit soumis à des conditionnalités macroéconomiques (p.ex. en imposant des réformes portant sur la soutenabilité des systèmes de retraite). La gouvernance économique devrait être un processus basé sur des règles renforçant le processus de convergence européen avec une dimension sociale plus marquée et soutenant la justice sociale, l’état de droit et la lutte contre la corruption. Elle devrait contribuer à réduire les inégalités tout en préservant l’unité du marché unique contre toute forme de dumping fiscal, social ou environnemental.

Pour un cadre budgétaire et macroéconomique qui fonctionne pour les travailleurs européens

Le cadre institutionnel devrait être rendu moins technocratique et plus spécifique aux États membres (EM) à commencer par le cadre budgétaire commun qui oriente la définition des plans budgétaires et structurels à moyen terme. La gouvernance économique devrait être transparente et donc sans limites arbitraires de dette et de déficit qui favorisent les réductions indifférenciées des dépenses publiques sans suffisamment tenir compte des objectifs de l’UE, des besoins de la zone euro et de la qualité des dépenses – l’impact sur les investissements publics devenant un dommage collatéral. Le principe consistant à « ne pas causer de préjudice important » devrait devenir la pierre angulaire de la gouvernance économique de telle sorte que les investissements et les réformes qui aggravent la situation des générations futures soient exclus.

Insister sur le seuil de déficit de 3% pourrait entraîner une limitation des dépenses publiques courantes et potentiellement empêcher une augmentation des salaires et le recrutement de personnel dans des domaines critiques des services publics. Cela pourrait être évité à travers des politiques budgétaires équitables et progressives.

Une règle en matière d’investissement devrait être incluse afin de maintenir les investissements financés au plan national à un niveau satisfaisant pour faire face aux transitions. Le cadre de l’analyse des risques (ASD – analyse de la soutenabilité de la dette) devrait être défini de telle sorte à couvrir les risques environnementaux et sociaux. La méthodologie de l’ASD demande du travail et doit éviter l’utilisation de variables non observables. Cela devrait laisser de la marge pour des dépenses sociales adaptées à une population vieillissante avec comme critère contraignant l’adéquation avec les performances de protection sociale, y compris les pensions.

Le cadre macroéconomique devrait être plus symétriquement sensible, tant aux déficits excessifs qu’aux positions excédentaires des comptes courants des EM, et s’inscrire dans une trajectoire d’ajustement macroéconomique de la zone euro. Des sanctions doivent être uniformément appliquées à tous les EM et leurs conséquences sociales doivent être analysées. Ces sanctions doivent éviter les atteintes à la réputation qui pourraient compromettre l’accès des EM aux marchés financiers.

Le tableau de bord macroéconomique devrait être revisité pour s’adapter aux défis actuels des transitions verte et numérique, à une autonomie stratégique ouverte et aux conditionnalités en matière d’emploi et sociales.

Bien que les règles relatives aux aides d’État devraient être réformées et que les règles budgétaires devraient prévoir une plus grande marge de manœuvre, de tels changements de politique pourraient s’avérer insuffisants et déstabilisants s’ils ne s’accompagnent pas d’une nouvelle capacité budgétaire en matière d’investissement, d’un fonds européen de souveraineté pour une transition socioécologique équitable, et de dans un cadre où les marchés financiers sont très demandeurs d’un actif européen sûr. Un tel fonds devrait également financer d’importants projets d’intérêt européen commun dans le but de protéger les investissements de l’UE et la compétitivité générale de l’économie européenne au sein du marché mondial.

Vers un pacte européen pour l'emploi et les investissements. Se référant à l’article 148 du TFUE, le Conseil devrait solennellement s’engager en faveur d’objectifs sociaux et d’investissement et mandater la CE pour opérationnaliser les mesures suivantes qui constituent un pacte européen pour l’emploi et les investissements.

Adopter un critère de référence pour les investissements publics permettant à l’Europe de rester en tête de ses principaux concurrents mondiaux. Il serait souhaitable de définir des critères quantitatifs minimums au niveau de la croissance publique et des investissements nets ainsi qu’une règle d’or applicable aux investissements et un budget d’investissement financé par une dette européenne.

Veiller à ce que les plans nationaux progressent vers la concrétisation des ODD, des grands objectifs de Porto et du plan d’action du SEDS. Une procédure de convergence sociale qui détecte et supprime les déséquilibres sociaux devrait finalement être approuvée.

En accord avec ou sur proposition des partenaires sociaux européens, mais aussi à la lumière de la recommandation sur le renforcement du dialogue social au sein de l’UE, dresser une liste de critères qualitatifs et procéduraux pour l’implication des partenaires sociaux dans la gouvernance économique. Cela devrait inclure la possibilité pour les partenaires sociaux de présenter des RSP négociées.

Confirmer un instrument destiné à stabiliser l’emploi sur base du modèle SURE dans sa version révisée, amélioré au plan de la gouvernance et étendu en termes d’objectifs et de ressources comme dans la Proposition de la CES pour un SURE 2.0.

ANNEXE à la Position sur la Réforme de la gouvernance économique

ÉVALUATION BUDGÉTAIRE ET MACROÉCONOMIQUE

Changement du traité. La communication de la Commission n’envisage pas un changement du traité pour permettre une nouvelle gouvernance économique. Les valeurs de référence de déficit budgétaire de 3% du PIB et le ratio dette-PIB de 60% resteraient inchangées bien qu’elles ne reposent pas sur une logique économique. Alors que les États membres devraient afficher des tendances à la baisse de leur ratio dette-PIB, le risque d’un consolidation budgétaire exacerbé persiste. En effet, alors que le seuil de 3% de déficit pose problème puisqu’aucune référence n’est faite à une règle d’or pour les investissements publics (voir ci-dessous), le ratio dette-PIB de 60% devient beaucoup moins important dans l’élaboration de la politique budgétaire étant donné que les États membres doivent présenter des ratios dette-PIB décroissants sans disposer d'une norme numérique unique.

Appropriation nationale. Le manque d’appropriation de la politique budgétaire des États membres était considéré comme étant la principale raison du manque de mise en œuvre des recommandations relatives à cette politique. La communication de la Commission propose une position plus favorable à ce sujet. En prenant comme base la méthodologie de la facilité pour la reprise et la résilience, la Commission suggère que « Le plan budgétaire et structurel national à moyen terme serait au centre du pacte de stabilité et de croissance réformé et serait proposé par l’État membre sur la base d’un cadre commun de l’UE » garantissant l’égalité de traitement et la coordination multilatérale des politiques.

Politique budgétaire. Les plans budgétaires et structurels nationaux à moyen terme à un horizon de 4 ans seraient basés sur des trajectoires d’ajustement de référence définies par la Commission européenne et liées à la soutenabilité de la dette, ce qui implique que les États membres confrontés à des défis budgétaires importants ou modérés devraient démontrer que, même en l’absence de nouvelles mesures budgétaires, leur ratio d’endettement se maintient sur une trajectoire descendante plausible après la période d’ajustement budgétaire et que leur déficit reste sous le seuil de 3% du PIB. L’analyse de la soutenabilité de la dette, la trajectoire d’ajustement pluriannuelle de référence et le niveau correspondant du solde budgétaire primaire au terme de la période d’ajustement seraient rendus publics par la Commission. Les États membres pourraient demander, et obtenir, une extension (de 3 ans maximum) de la période d’ajustement pour autant qu’ils accompagnent leurs plans d’une série de réformes et d’investissements en faveur d’une croissance durable et de la soutenabilité de leur dette. A cet égard, comme l’a justement indiqué la Commission, le nouveau cadre établit une différence entre États membres sur base de leur situation budgétaire, des risques en matière de soutenabilité et d’autres vulnérabilités et, comme la CES l’avait demandé, supprime la référence actuelle de réduction de la dette connue sous le nom de règle du 1/20ème.

Nouvel indicateur. Les plans budgétaires et structurels nationaux à moyen terme (4 à 7 ans) et leur impact attendu sur les objectifs relatifs au ratio d’endettement seraient soutenus par un indicateur opérationnel unique, les dépenses primaires nettes, c.-à-d. les dépenses après déduction des mesures discrétionnaires liées aux recettes et à l’exclusion des dépenses d’intérêt ainsi que des dépenses conjoncturelles de chômage (notamment la variation des recettes et dépenses échappant au contrôle direct de l’État). A cet égard, la proposition de la Commission répond au besoin crucial de simplicité et de clarification. Aucune référence n’est faite à des mesures structurelles touchant aux comptes publics ou à de potentielles mesures de développement économique.

Trajectoires d’ajustement. Les plans budgétaires et structurels nationaux à moyen terme (4 à 7 ans) devraient être liés au déficit budgétaire de 3% du PIB soutenu par des trajectoires de dépenses primaires pluriannuelles nettes. Les États membres seraient définis comme étant confrontés à des difficultés d’endettement « importantes » ou « modérées » par rapport à leur profil de risque selon l’analyse de la soutenabilité de la dette de la Commission européenne[1]. Les États membres confrontés à d’importantes difficultés d’endettement devraient s’assurer qu’à politiques inchangées et après la mise en œuvre de leurs plans budgétaires et structurels à moyen terme de 4 ans, leur endettement sur 10 ans suive une trajectoire descendante plausible et continue tout en maintenant leur déficit sous le seuil de 3% du PIB. Les États membres présentant des difficultés moyennes auraient 3 années de plus pour assurer que leur endettement sur 10 ans suit une trajectoire descendante plausible et continue à politiques inchangées. Cette différence de traitement pourrait déboucher sur une sorte de procyclicité ou d’austérité dans l’élaboration des politiques budgétaires, singulièrement pour les États membres fortement endettés.

Traitement des investissements publics dans le nouveau cadre proposé. L’approche de la Commission pourrait être potentiellement propice aux investissements : l’effet positifs des investissement publics sur sera explicitement reconnue dans l’analyse de la soutenabilité de la dette et les États membres bénéficieront de plus de temps pour leur assainissement budgétaire s’ils proposent des plans d’investissement et de réforme. La CES regrette que la règle d’or applicable aux investissements publics ne fasse pas partie de l’agenda de réforme qui pourrait garantir un traitement préférentiel de ces investissements. La proposition de réforme de la Commission ne fait pas la différence entre investissements publics et dépenses publiques courantes, alors qu’en même temps, elle maintient à 3% le seuil de déficit budgétaire. Il y a donc risque que les augmentations de déficit soient avant tout vues comme des augmentations futures de la dette nominale sans tenir dûment compte de leur impact sur l’évolution du PIB et du ratio dette-PIB menant ainsi à une austérité sévère. Vu l’énorme volume d’investissements publics nécessaires pour faire face à la transformation socio-écologique de nos économies ainsi que l’important soutien aux politiques sociales et les besoins de services publics universels de qualité[2], il serait malavisé d’empêcher certains États membres d’investir à l’échelle nécessaire ou de réduire les dépenses sociales. Cela mènerait à une sorte de procyclicité dans l’élaboration des politiques budgétaires. Pour atténuer de telles tendances négatives, des écarts par rapport au critère de 3% de déficit devraient être autorisés si la marge de manœuvre budgétaire est utilisée pour des investissements publics renforçant la croissance. Outre cela, et conformément aux principes « garantissant des finances publiques saines » comme le réclame la Commission, des augmentations de la fiscalité seraient certainement nécessaires pour assurer un niveau de couverture sociale élevé, effectif et adéquat mais devraient être basées sur les principes de justice fiscale et sociale et de progressivité englobant revenus, patrimoine et systèmes de sécurité sociale.

L’Union économique et monétaire. La CES déplore que le nouveau cadre de gouvernance économique ne fasse pas état d’une capacité budgétaire européenne pour répondre aux défis d’investissements et en matière sociale auxquels les États membres sont confrontés ou seront confrontés dans les années à venir. Il n’est pas tenu compte du maintien des capacités européennes nouvellement promulguées telles que le mécanisme SURE ou NextGenerationEU. Ceci est très important car, contrairement à la demande de la CES, la BCE ne dispose pas de mandat en matière de plein emploi.

Gouvernance européenne. Les futures propositions législatives de la Commission portant sur les plans budgétaires et structurels à moyen terme de 4 à 7 ans devraient fixer des normes minimales de contrôle parlementaire et d’implication des partenaires sociaux, tant au niveau national qu’au niveau européen. Cela augmenterait les responsabilités et la démocratie dans l’élaboration des politiques, en particulier lors de la rédaction des plans budgétaires et structurels nationaux à moyen terme de 4 à 7 ans, tout en prévenant les politiques préjudiciables aux travailleurs et au bien-être sociétal. En effet, la proposition actuelle laisse de très larges pouvoirs discrétionnaires à la Commission européenne, ce qui exige un rééquilibrage du contrôle démocratique et de la responsabilisation. C’est la raison pour laquelle l’opinion de l’institution budgétaire indépendante concernant les plans budgétaires nationaux devrait être soumise pour avis aux partenaires sociaux afin de ne pas laisser les conseils en matière budgétaire aux seuls technocrates. Enfin, le Conseil ECOFIN des ministres des finances et l’Eurogroupe doivent être plus transparents en publiant les positions des ministres nationaux ainsi que les travaux préliminaires du groupe de travail de la zone euro.

Le début du processus ayant mené à la proposition actuelle de réforme de la gouvernance économique remonte à plus de 2 ans. Dans l’intervalle, la CES a adopté des positions qui aujourd’hui encadrent son évaluation de la proposition publiée par la Commission européenne en novembre 2022. Tous les documents pertinents sont disponibles via le lien : https://est.etuc.org/?p=1193.

A propos du cadre de gouvernance sociale, si les plans nationaux sont tenus de progresser vers la concrétisation des ODD, des grands objectifs de Porto et du plan d’action du SEDS, la gouvernance réformée devrait définitivement inclure dans les plans nationaux un chapitre faisant rapport des progrès réalisés au niveau des objectifs de développement durable, en ce compris les investissements financés par l’UE dans le but de créer des biens publics européens grâce à des investissements publics et des investissements privés durables.

Elle devrait également définir des règles pour les plans budgétaires et structurels à moyen terme, fixer des échéances et des objectifs pour réaliser les grands objectifs de Porto, faire du socle européen des droits sociaux et de son plan d’action ainsi que du tableau de bord social un vecteur de politiques sociales, particulièrement dans le contexte du Semestre européen et en veillant également à la valorisation des lignes directrices pour l’emploi comme bras opérationnel du socle européen des droits sociaux.


[1] L’analyse de la soutenabilité de la dette de la Commission européenne devra faire l’objet d’une évaluation renforcée, particulièrement eu égard aux risques climatiques liés au budget.

[2] En particulier dans le domaine de la santé et des soins de longue durée. La pandémie a révélé que beaucoup reste à faire pour rendre nos services de santé et de soins plus résilients. La nécessité de s’attaquer à ces défis devrait être reconnue.