Bruxelles, les 17-18 mars 2004
1. Suite aux terribles événements du 11 mars, la CES exhorte la présidence irlandaise de continuer à placer le suivi de la stratégie de Lisbonne au premier rang de ses priorités lors du sommet de printemps, qui aura lieu les 25 et 26 mars. Des efforts considérables sont nécessaires pour permettre à l'Europe de devenir, d'ici 2010, l'économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde, capable d'une croissance économique durable accompagnée d'une amélioration quantitative et qualitative de l'emploi et d'une plus grande cohésion sociale ! Il apparaît d'ores et déjà que d'importants objectifs intermédiaires en matière de croissance et d'emploi ne seront pas atteints d'ici 2005. Dans le rapport qu'elle a rédigé en vue du sommet de printemps, la Commission européenne admet ouvertement, entre autres choses, que l'objectif intermédiaire de porter le taux d'emploi à 67 % d'ici 2005 ne peut plus être réalisé.
2. Les causes de la faiblesse de la croissance européenne et des problèmes du marché de l'emploi qui lui sont liés résident principalement en Europe ! La CES a appelé à plusieurs reprises à l'adoption d'un train de mesures macroéconomiques équilibrées et à une mise en œuvre raisonnable du pacte de stabilité et de croissance. La CES s'inquiète aussi des politiques unilatérales menées par de nombreux États membres, qui, s'appuyant exclusivement sur des réformes structurelles étroites, mènent en réalité des politiques uniquement axées sur l'offre, visant à augmenter la flexibilité, déréguler les marchés du travail et démanteler les services de prévoyance sociale. De telles politiques sapent la confiance des consommateurs et des travailleurs en Europe.
3. La CES a explicitement salué la stratégie de Lisbonne et a demandé à plusieurs reprises sa mise en œuvre effective[[Cf. la résolution adoptée tout récemment par le Comité exécutif de la CES des 4 et 5 décembre 2003 : « Donnons une chance à la reprise de l'économie européenne : relance de la stratégie de Lisbonne ».]]. Toutefois, les syndicats rejettent le recours partial à cette stratégie pour légitimer des approches néolibérales. La stratégie de Lisbonne doit être mise en œuvre d'une manière équilibrée sur le plan économique, social et écologique.
4. Dans le contexte de l'élargissement de l'UE et dans celui d'une zone économique européenne, nous avons plus que jamais besoin d'une nouvelle orientation économique, qui accorde la même importance aux aspects de l'offre et de la demande et qui remette la dimension sociale de l'Europe au centre de la politique. Ce n'est que de cette manière que le taux d'emploi pourra être élevé à 70 % d'ici 2010, car une telle avancée implique la création de 15 millions d'emplois supplémentaires dans l'Europe des Quinze et de pas moins de 22 millions dans l'Europe des Vingt-Cinq. Seul un changement tangible d'orientation politique rétablira la confiance des travailleurs et des travailleuses dans l'Europe. Ce n'est que de cette manière qu'il sera possible de renforcer la confiance des consommateurs dont l'Europe a un besoin urgent pour relancer l'économie et de permettre à l'énorme excédent de l'épargne privée, qui s'élève à 3,8 % du PIB, d'être canalisé vers les activités d'investissement et de consommation.
L'Europe doit trouver des moyens d'exploiter le potentiel de croissance de l'Europe
5. Une action urgente doit être menée afin de soutenir le développement durable. La reprise attendue ne s'avère pas assez forte et est menacée par les turbulences sur les marchés des changes. La demande intérieure doit prendre le relais et jouer le premier rôle pour assurer la reprise.
{{
}}6. Vu la faiblesse de l'inflation, la Banque centrale européenne (BCE) doit tenir compte, dans les politiques qu'elle mène, de son obligation de préserver la croissance et l'emploi. Les diminutions des taux d'intérêt décidées par la BCE ont eu lieu trop tard et ont été excessivement timides. Une nouvelle diminution des taux d'intérêt est nécessaire pour stimuler vigoureusement et durablement l'économie.
7. La stratégie de Lisbonne ne pourra être réalisée seulement lorsque le Pacte de Stabilité et de Croissance et (PSC) deviendra un pacte de stabilité et de croissance pour des emplois plus nombreux et de meilleure qualité. La poursuite d'une politique fiscale restrictive ne peut que compromettre les possibilités de relance économique. Nous devons appliquer le pacte de stabilité avec intelligence et souplesse. Le sommet de printemps devrait envoyer un signal clair de manière à ce que les investissements publics nécessaires soient favorisés plutôt que freinés et que les États membres puissent stabiliser efficacement leurs économies sans mettre en péril l'équilibre à long terme de leurs budgets nationaux. Dans sa résolution de décembre 2003, le comité exécutif de la CES a fait des propositions pratiques pour une lecture intelligente du PSC [[Cf. la résolution du comité exécutif de la CES :'La suspension du Pacte de Stabilité et de Croissance : Le Pacte de stabilité doit devenir un pacte de stabilité et de croissance' (décembre 2003)]]. D'autre part, nous avons besoin d'une meilleure coordination et harmonisation de certaines politiques fiscales dans le but d'éviter un dumping fiscal sur les taxes d'entreprises, de l'épargne, et également des taxes écologiques.
8. La BCE a aussi la responsabilité primordiale d'empêcher une nouvelle flambée de l'euro. La Commission et les ministres européens des Finances (ECOFIN) doivent atteindre un accord sur les orientations générales des changes visant, entre autres choses, à stabiliser le taux de change entre l'euro et le dollar. Sur ce point aussi, la BCE a un rôle déterminant à jouer.
9. À cet égard, la CES réitère son soutien à l'Initiative européenne pour la croissance, et souligne une fois de plus la nécessité de réaliser des progrès importants sur le plan de son financement et de tenir compte de domaines importants, tels que l'investissement dans les ressources humaines, les technologies environnementales et les initiatives d'aménagement du territoire social et écologique.
10. La CES partage le point de vue de la présidence irlandaise selon lequel les technologies environnementales peuvent apporter une contribution importante à l'innovation technologique et, dans le même temps, renforcer la compétitivité, ouvrir de nouveaux marchés et créer de nouveaux emplois qualifiés. Dans leur Manifeste pour l'investissement durable : investir pour un avenir durable, la CES, le Bureau environnemental européen (BEE) et la plate-forme des ONG sociales ont soumis au sommet de printemps des propositions spécifiques d'investissements durables dans les secteurs du logement et du transport[[CES, BEE, Plate-forme sociale : Manifeste pour un développement durable : investir dans un avenir durable.]].
Le potentiel européen d'emploi et de productivité doit être libéré
11. Malgré certains progrès dans le sens d'un taux d'emploi plus élevé, nous sommes encore loin d'atteindre l'objectif consistant à porter le taux d'emploi général à 70 % d'ici 2010. Le potentiel d'emploi européen reste largement sous-exploité. La Commission ne considère plus comme réaliste d'atteindre un taux d'emploi de 65 % d'ici l'année prochaine. Entre-temps, le chômage a de nouveau augmenté et est actuellement supérieur à 8 % en Europe. La situation des jeunes reste particulièrement choquante : leur taux de chômage atteint jusqu'à 17 % en Europe. Parmi les travailleurs âgés, le taux d'emploi est de l'ordre de 40 %. Si l'on veut atteindre la cible de 50 % d'ici 2010, il faudra créer sept millions d'emplois pour les personnes âgées de 55 à 64 ans. Dans ce contexte, la discussion menée dans plusieurs États membres sur un relèvement éventuel de l'âge légal de la retraite est tout simplement hors de propos.
12. Bien que certains progrès aient été enregistrés dans les tentatives visant à augmenter le taux d'emploi des femmes - qui est actuellement de 55,6 % -, les mesures adoptées pour réduire la discrimination entre les sexes sur le marché du travail sont absolument inadéquates. L'écart salarial entre hommes et femmes n'a jamais été aussi grand : il s'élève à 16 %, voire même à 21 % dans le secteur privé ! Pour la CES, un plan spécifique doit être élaboré pour combattre de manière effective la discrimination entre les sexes. Un tel programme d'action doit comprendre des moyens qui permettent aux femmes et aux hommes d'avoir les mêmes possibilités d'accéder au marché du travail: c'est-à-dire: assurer des services appropriés pour les crèches, un congé parental, de meilleures conditions de travail et de meilleurs horaires de travail.
13. La productivité du travail affiche des tendances décevantes. La croissance de la productivité s'est considérablement ralentie : en 2003, elle n'était que de 0,6 %. Certes, ce ralentissement résulte, dans une certaine mesure, d'une croissance économique faible, mais d'autres facteurs, tels que la modération salariale, la décentralisation - pas toujours planifiée - des négociations collectives, la « fuite » des employeurs des fédérations, l'augmentation des formes d'emploi atypiques et des investissements inadéquats dans les ressources humaines, sont également responsables de l'évolution insatisfaisante de la productivité. Les politiques actives de l'emploi qui obligent les chômeurs à accepter des emplois qui ne sont pas du tout compatibles avec leurs qualifications ne peuvent qu'avoir des effets néfastes sur la productivité.
14. Là où les partenaires sociaux se sont engagés à renforcer la formation et l'apprentissage tout au long de la vie, de bien meilleurs résultats sont obtenus. Dans les sociétés qui ont conclu des conventions collectives, plus de la moitié du personnel participe à des programmes de formation ; dans les autres, cette proportion n'est même pas d'un tiers[[Source: Communication de la Commission sur l'amélioration de la qualité au travail - Com (2003) 728 final, novembre 2003]]. Les entreprises doivent trouver le moyen de briser le cercle vicieux d'un investissement insuffisant dans la formation si l'on veut libérer le potentiel productif de l'emploi en Europe. Une mise en œuvre plus systématique du Cadre d'actions pour le développement des compétences et des qualifications tout au long de la vie, qui a été adopté au niveau européen, contribuera à réduire l'écart des connaissances entre les travailleurs et entre les entreprises.
15. Ainsi, l'Europe a non seulement besoin d'une nouvelle orientation de politique économique, mais aussi d'une nouvelle politique d'innovation et structurelle, plus positive.
Encourager l'innovation et le partenariat social
16. La CES salue l'accent mis par la présidence irlandaise sur l'innovation et le partenariat social, qui sont essentiels au succès de la stratégie de Lisbonne. L'innovation dans le domaine des nouveaux produits et des nouveaux procédés de production est capitale pour l'avenir du modèle social européen. On n'obtiendra pas une innovation réussie et durable en se concentrant uniquement sur le renforcement de la compétitivité des entreprises européennes. À cet égard, la CES rappelle ses propositions et exigences antérieures :
une augmentation importante des dépenses publiques et des dépenses de R&D afin d'atteindre l'objectif des 3 % d'ici 2010 ;
des investissements adéquats dans les ressources humaines afin d'atteindre les points de référence fixés pour l'enseignement, la formation professionnelle et l'apprentissage tout au long de la vie ;
une politique industrielle innovante conçue sur la base de plans d'action sectoriels et intersectoriels, avec la participation des partenaires sociaux.
17. Le partenariat social, le dialogue social et la participation des travailleurs sont non seulement des éléments essentiels du Modèle social européen, mais aussi d'importants facteurs favorisant l'innovation et la mise en œuvre d'une réforme soucieuse du facteur humain et adaptée aux besoins de l'équilibre social. La CES a plaidé à maintes reprises pour une relation équilibrée entre la flexibilité et la sécurité. Au sommet de printemps, les chefs d'État ou de gouvernement auront une fois de plus l'occasion de montrer qu'ils ne sont pas seulement concernés par la flexibilité mais également par la sécurité dans l'intérêt des travailleurs.
18. La participation des travailleurs, fondée sur le droit à une information effective et à la consultation, ne fait pas obstacle à la compétitivité, mais au contraire la sert. Aussi la CES appelle-t-elle à :
une révision rapide de la directive sur le Comité d'entreprise Européen (CEE)
l'incorporation des droits de participation dans la directive sur les fusions, sur la base de dispositions similaires à celles de la directive sur la Société Européenne (SE) ;
une révision fondamentale de la communication de la Commission sur la gouvernance des entreprises ;
un amendement à la directive sur le temps de travail visant à mettre fin à l'opt-out.
19. La CES juge inadmissible que, dans le cas de la communication de la Commission sur la gouvernance des entreprises et de la 10e directive sur le droit des sociétés, il n'y ait pas eu de consultation préalable des partenaires sociaux européens, comme le Traité le prévoit.
{{Conclusions
}}
20. L'élargissement de l'Union européenne, le 1er mai 2004, fera entrer le processus d'intégration européenne dans une nouvelle phase décisive. Dans une Europe unie, la réussite économique doit aller de pair avec la justice sociale. La compétitivité, la croissance durable, l'amélioration quantitative et qualitative de l'emploi et la cohésion sociale ne pourront être obtenues que par la voie royale de l'amélioration de la productivité, du développement de compétences appropriées et de l'augmentation des salaires. Au sommet de printemps, les chefs d'État ou de gouvernement auront l'occasion de s'engager dans une nouvelle voie politique et de contribuer ainsi à la réussite de la stratégie de Lisbonne. La CES et ses organisations affiliées sont prêtes à apporter leur contribution à une stratégie de réforme équilibrée du point de vue économique, social et écologique.
21. La CES a de sérieux doutes quant à la création d'un groupe à haut niveau qui serait chargé d'effectuer une évaluation à mi-parcours de la stratégie de Lisbonne. Cette évaluation devrait être menée sous les auspices de la Commission. La participation systématique et en temps voulu des partenaires sociaux est indispensable.
22. La proposition de nommer un « super commissaire » aux réformes économiques n'est pas acceptable. Elle ne ferait qu'accentuer une orientation partiale dans la mise en œuvre de la stratégie de Lisbonne. Le progrès social et écologique serait soumis aux dictats de la politique de la concurrence, ce qui va à l'encontre de l'équilibre et d'une meilleure coordination entre les politiques économique, sociale et écologique exigées par la CES.
La CES accueille favorablement la proposition de la présidence irlandaise: « le partenariat européen pour le changement », comme moyen de promouvoir l'innovation et la productivité par le biais de la cohésion sociale et d'un dialogue social renforcé et également de soutenir des politiques macroéconomiques de demande qui devraient favoriser la reprise.
{{
}}
******
{{{ {{{ {{{ {{{ { {{Annexe: }}} }}} }}} }}} }}}
{{Document de base de la CES en vue du
Conseil de printemps 2004
}}
I. Introduction
Lisbonne n'est plus dans la course. Le récent rapport conjoint sur l'emploi reconnaît ouvertement que l'objectif à moyen terme d'un taux d'emploi de 67% en 2005 ne peut plus être atteint.
Par ailleurs, l'évolution en matière de croissance et de productivité du travail est préoccupante. ‘Lisbonne' devrait consister à construire une économie compétitive, à croissance rapide et à taux élevé d'emploi, sur la base de l'innovation et d'une productivité élevée. Dans le scénario de Lisbonne, réaliser une croissance élevée est crucial si l'on veut combiner une création intensive d'emplois et une productivité élevée. En réalité cependant, c'est le contraire qui se passe. Nous obtenons une image dans laquelle l'Europe connaît de faibles niveaux de croissance, ainsi qu'une faible croissance de la productivité. Et, même si ce faible niveau de productivité amortit quelque peu le coup porté aux chiffres de l'emploi, il est clair que cela n'est pas compatible avec l'agenda de Lisbonne, et que ce n'est pas cette voie qui fera avancer l'Europe.
Ce document de base avance comme argument que cette évolution décevante (résultats faibles en termes de croissance et de productivité) n'est pas une coïncidence, mais plutôt une conséquence des décisions prises par les décideurs européens. Au cours des dernières années, l'Europe a suivi un calendrier serré de politiques déséquilibrées:
L'Europe a poursuivi l'objectif de stabilité monétaire et financière, en oubliant la nécessité de soutenir la dynamique de croissance.
L'Europe a systématiquement essayé d'accroître la concurrence sur le plus grand nombre de marchés possible, diminuant ainsi la nécessité de politiques organisant la coopération dans certains domaines, en particulier en ce qui concerne la construction de la dimension sociale de l'Europe, ou encore la nécessité de protéger les services d'intérêt général d'une libéralisation croissante.
Le message-clé de ce document consiste à dire qu'une révision et un rééquilibrage radicaux des politiques sont cruciaux. Si l'Europe veut réellement remettre Lisbonne sur les rails, il convient alors de mettre en œuvre une politique à deux niveaux:
Pour revenir à une croissance élevée, l'Europe a besoin de politiques d'offre et de demande, ce qui nécessite des actions urgentes afin d'assurer la reprise économique en Europe (voir partie I).
Afin de soutenir la croissance de la productivité du travail, l'Europe doit respecter et utiliser le potentiel de productivité et d'innovation que peuvent offrir le dialogue social, les négociations collectives et les lignes directrices européennes en matière sociale. La promotion de l'Europe sociale devrait être replacée au centre des décisions politiques (voir partie II).
{{II. Réaliser le potentiel de croissance de l'Europe
}}
Le principal défi politique auquel l'Europe est confrontée consiste à réaliser son potentiel de croissance.
{
}Le débat officiel sur la politique européenne qui s'est déroulé au cours des dernières années a souligné à plusieurs reprises que l'Europe avait besoin d'augmenter son potentiel de croissance. La croissance potentielle en Europe (en d'autres termes, le taux de croissance susceptible d'être obtenu sans provoquer de pressions inflationnistes) est estimée aux alentours de 2 à 2,3%, ce qui est un niveau trop faible pour pouvoir faire reculer substantiellement le chômage.
Bien évidemment, un taux de croissance potentiel de 2% est une estimation extrêmement conservatrice. En fait, la liste des réformes structurelles que l'Europe a mises en œuvre au cours des années 1990 est assez spectaculaire: marché intérieur, concurrence dans les secteurs organisés en réseaux et modération structurelle des salaires, combinés à une augmentation structurelle de la rentabilité et à l'introduction d'une monnaie unique qui fait disparaître les tourbillons monétaires à l'intérieur de l'Europe et diminuer les taux d'intérêt à long terme. Affirmer, à l'encontre de ce contexte de réforme structurelle continue, que la croissance potentielle a en réalité chuté pour passer de 2,8% pendant la période 1982-1991 à 2% au cours des années 1990 est donc incompréhensible !
Depuis 2001, toutefois, l'économie européenne n'a même pas atteint cette estimation pessimiste de son niveau de croissance potentielle. Cela fait maintenant trois ans de suite que la croissance est systématiquement inférieure à 2%. Si l'on effectue des corrections pour tenir compte de l'effet ‘année bissextile', 2004 pourrait bien être la quatrième année consécutive à connaître une croissance sensiblement inférieure à la croissance potentielle.
Ce chiffre de croissance décevant a inauguré un ‘relâchement' dans l'économie qui est maintenant comparable à la non-utilisation des capacités de production qui avait fait son apparition à la suite de la profonde récession de 1993. L'OCDE, dans son document “Perspectives économiques” de décembre, estime par exemple que la production dans la zone euro est inférieure de 2,5% à son niveau potentiel pour 2004. Le graphique I présente ces chiffres de l'OCDE sur l'écart de production, en comparant, respectivement, l'évolution dans la zone euro et aux Etats-Unis. Il apparaît que la zone euro a suivi les États-Unis dans son renversement de tendance économique de 2001, mais n'a pas réussi à les suivre dans la reprise qu'ils ont connue après le marasme. Le graphique II indique l'écart de production pour les autres pays européens. Au cours des années 2004 et 2005, le Royaume-Uni, ainsi que le Danemark et la Suède, se voient confrontés à une certaine sous-utilisation des ressources de production dans leur économie, mais certainement pas dans la même mesure que ce qui se passe dans la zone euro. Il convient également de relever le fait que l'écart de production négatif chute dans tous les pays, sauf dans ceux de la zone euro.
A l'intérieur de la zone euro, d'importantes différences apparaissent également (voir graphique III). Le degré de relâchement économique n'est pas aussi évident en Espagne. L'Irlande et la Grèce semblent même ne pas présenter d'écart de production positif, ce qui signifie que la demande et la production effectives dépassent en fait leurs capacités de production. D'autre part, l'Allemagne, et aussi la France dans une moindre mesure, connaissent des écarts de production très nettement négatifs.
Graphique I
Source: Perspectives économiques de l'OCDE, Décembre 2003
Graphique II
Source: Perspectives économiques de l'OCDE, Décembre 2003
Graphique III
Source: Perspectives économiques de l'OCDE, Décembre 2003
En même temps, ce degré extraordinaire de relâchement économique représente une chance. Il signifie en effet que l'économie européenne est capable de croître au cours des trois ou quatre prochaines années à un rythme de croissance supérieur à son potentiel, en absorbant le relâchement existant de l'économie. Concrètement, cela signifie que l'Europe pourrait atteindre les 3% de croissance au cours des trois ou quatre années à venir, sans pour autant ranimer le spectre de l'inflation et de l'instabilité des prix. L'Europe ne peut pas se permettre de manquer cette occasion. Continuer sur le chemin d'une croissance faible aurait pour conséquence:
d'entraîner des restructurations continues dans le domaine de l'emploi, une désindustrialisation plus rapide et un chômage croissant
d'entraîner un déficit moyen de l'euro supérieur au critère de référence de 3%
de nous rapprocher dangereusement du spectre de la déflation
de décourager les investissements, réduisant ainsi le volume de capital, et par conséquent le taux de croissance potentielle de l'économie elle-même
L'Europe a donc besoin, de toute urgence, de politiques visant à faire en sorte que l'économie se remette très rapidement de sa récession, qui dure depuis quatre ans.{{
}}{{ {
...mais, en premier lieu, les décideurs politiques européens s'accrochent désespérément aux recettes qui nous ont conduits dans cette mauvaise passe
} }}{
}Toutefois, les recommandations politiques issues jusqu'à présent du processus de Lisbonne n'ont pas été très rassurantes. Les décideurs politiques européens, et en particulier les ministres du Conseil Ecofin, entendent continuer à suivre un calendrier économique qui reste entièrement focalisé sur l'aspect de l'approvisionnement. La stabilité des prix, le respect du Pacte de stabilité et la réforme structurelle restent les options politiques choisies. La responsabilité du volet “demande” de la reprise européenne est laissée, une fois de plus, à la demande extérieure et à la reprise de l'économie mondiale, et notamment américaine, et à des effets de ‘confiance' hautement incertains qui seraient déclenchés par la ‘réforme structurelle'[[L'expérience enregistrée en Allemagne ne confirme pas cet état de choses. Bien au contraire, l'approbation des principaux chapitres de l'agenda 2010 en décembre 2003 a immédiatement eu pour répercussion des chiffres décevants de la consommation. ]].
Ce sont exactement les mêmes politiques qui ont été suivies au cours des dernières années et qui n'ont pas pu protéger l'économie européenne de la récession constatée également dans le reste du monde. De 2000 à 2003, les déficits structurels dans la zone euro n'ont guère évolué, alors que la réduction des taux d'intérêt de la BCE a été à la fois ‘trop faible et trop tardive'. Même si ces deux évolutions n'indiquent pas forcément qu'il faille appliquer une politique restrictive, elles impliquent un manque de soutien actif de la croissance économique. Ceci apparaît clairement au graphique IV, qui montre bien les impulsions fiscales et monétaires que la zone euro, le Royaume-Uni et les États-Unis ont données à leurs économies dès le début de la crise (en l'an 2000), et ce jusqu'en 2003. Au Royaume-Uni et aux États-Unis, les politiques monétaires et fiscales ont apporté un soutien bien plus important à la croissance que cela n'a été le cas dans la zone euro.
Graphique IV : Politiques fiscales et monétaires: évolution de 2000 à 2003
Si l'on poursuit sur la même voie en 2004-2005, on pourrait bien retarder la reprise et obtenir une nouvelle année de croissance extrêmement faible:
Les incidences de la reprise économique sur les marchés extérieurs seront freinées par l'impact négatif qui découle de l'appréciation de l'euro. Premièrement, les effets décalés de la vague d'appréciation qui s'est manifestée de la mi-2002 à la mi-2003 continueront à exercer leur influence négative. La vague récente d'appréciation (5% depuis la fin de 2003) vient encore s'y ajouter. Nous estimons (voir le rapport séparé sur la BCE) que cela fera diminuer la croissance en 2004, pour la faire passer à un piètre niveau de 1,3%. Étant donné que le taux d'inflation structurelle aux États-Unis continue de chuter, et a maintenant atteint un creux historique de 1%, un dollar dont la valeur continue de baisser (provoquant une poursuite de l'appréciation de l'euro) pourrait bien être l'option privilégiée par les États-Unis afin d'éviter que leur économie ne tombe dans la déflation.
Certains signes montrent déjà que les ménages européens tirent leurs propres conclusions du refus par les décideurs politiques de prendre la responsabilité de la gestion de la reprise. Le rétablissement de la confiance des consommateurs, qui reste encore inférieure à sa moyenne sur le long terme, semble s'être enlisé (voir graphique V). La plupart des chiffres récents concernant les ventes du commerce de détail (novembre 2003) sont également décevants. Les travailleurs craignent pour leurs emplois, et le fait que de nombreux gouvernements tentent de faire passer en force un démantèlement de l'État-providence n'est pas de nature à aider à la reprise de cette confiance.
Graphique V: Confiance des consommateurs de la zone euro
Source: site Internet de la DG II
D'autres indicateurs récents confirment le fait que la reprise en cours semble déjà traverser quelques difficultés. L'indicateur avancé de l'OCDE pour la zone euro, qui anticipe la production industrielle effective avec environ 6 mois d'avance, a enregistré un renversement de tendance au mois de décembre 2003. Si cette tendance se confirme, cela signifiera que la reprise pourrait bien, encore une fois, être reportée à plus tard. Ce renversement de tendance n'est pas observé aux États-Unis ou au Royaume-Uni, où l'indicateur de l'OCDE pour la production industrielle continue à se renforcer (graphique VII).
Graphique VI
Source: OCDE
{{Graphique VII
}}
{{
}}Source: OCDE
Enfin, les taux d'utilisation des capacités dans l'industrie au cours du dernier trimestre de l'année 2003 sont retombés, et demeurent inférieurs à la moyenne à long terme, réduisant ainsi l'espoir que les investissements industriels puissent aider à la reprise économique.
Graphique VIII
Source: site Internet de la DG II
Que faut-il faire pour garantir la reprise ?{{
}}
Sans soutien, ou avec un soutien limité venant de l'extérieur en raison de l'impact de l'appréciation de l'euro, la première ligne de défense consiste à faire en sorte que la demande domestique reprenne le dessus.
Il reste à la politique monétaire une marge de manœuvre pour soutenir la reprise en réduisant les taux d'intérêt. Le taux politique dans la zone euro est encore supérieur de 100 points de base si on le compare aux Etats-Unis. La réduction de cette différence de taux d'intérêt découragerait l'épargne et stimulerait la consommation intérieure. Elle découragerait également les flux spéculatifs qui vont des dollars, associés à des taux d'intérêt faibles, vers les euros, associés à des taux d'intérêt plus élevés, ralentissant du même coup quelque peu le processus d'appréciation de l'euro. Le danger inflationniste ayant entièrement disparu, il n'y a aucune raison, pour la BCE, de ne pas exécuter le second volet de la mission qui lui est attribuée par le Traité, et qui consiste à contribuer à la croissance.
Des politiques fiscales restrictives auraient pour effet de briser une reprise déjà incertaine, et doivent être évitées. Le Pacte de stabilité, qui, sous sa forme actuelle, s'est déjà révélé impraticable, doit faire l'objet d'une lecture intelligente et flexible. Le Conseil de printemps devrait trouver une issue à cette situation d'impasse qui divise actuellement Commission européenne et ministres des Finances au sujet du Pacte de stabilité, et devrait faire état de la nécessité, pour les ministres, de discuter de la manière dont ce Pacte de stabilité fonctionne. Dans sa résolution de décembre 2003, le Comité exécutif de la CES a avancé plusieurs propositions pratiques sur la manière de transformer ce pacte en pacte de stabilité et de croissance.
Éviter les politiques restrictives est une chose, faire en sorte que des politiques fiscales stimulent la reprise à court terme et contribuent à l'agenda de Lisbonne en matière d'innovation à moyen terme en est une autre. Avec un surplus d'épargne privée de presque 4% du PIB et un surplus d'épargne globale égal à 1% du PIB, il n'y a pas de raison que l'Europe n'utilise pas ce surplus d'épargne pour investir dans sa base productive en accroissant les efforts de recherche, de développement et d'innovation. Le Conseil des ministres Ecofin affirme lui-même qu'un investissement supplémentaire égal à 1% du PIB dans les activités de recherche et de développement viendrait ajouter chaque année une croissance supplémentaire d'un demi pour cent à partir de 2010, et induirait à long terme d'importants effets de retour financier sur investissement. Le Conseil de printemps devrait en particulier lancer un programme d'investissement majeur et coordonné équivalent à 1% du PIB européen, en vue de faire de l'Europe le leader mondial dans le domaine du développement durable, et ce en créant un marché promouvant l'innovation et la recherche en matière de sources d'énergie durables, de techniques de production à la fois propres et sûres, le logement durable et les systèmes de transport écologiques. Ce programme d'investissement devrait être exclu de la définition du déficit public dans le Pacte de stabilité.
Par ailleurs, le programme de démarrage rapide, qui couvre 54 projets d'investissement transfrontaliers ‘prêts à démarrer' en coopération avec la BEI, devrait recevoir le ‘feu vert' du Conseil Ecofin.
La seconde ligne de défense consiste à contrôler et à ralentir le rythme d'appréciation de l'euro. Depuis son creux historique atteint à la fin de 2000, le taux de change effectif de l'euro a maintenant atteint 28%. Il convient d'empêcher que l'appréciation ne se poursuive à court terme ou, du moins, de faire en sorte qu'elle se ralentisse.
Là encore, la BCE joue un rôle important. La BCE peut stabiliser le taux de change euro/dollar en achetant les dollars vendus sur les marchés de change, accroissant ainsi ses réserves de devises étrangères. La BCE ‘battant' sa propre monnaie, l'euro, il n'y a pas de contraintes techniques.
En tout état de cause, La BCE devrait mettre fin à la politique qu'elle a pratiquée en 2003, consistant à vendre des réserves de devises étrangères, faisant monter l'euro encore plus haut. Au cours de l'année 2003, la BCE a vendu environ un cinquième de ses réserves de devises, provoquant une pression supplémentaire sur l'euro.
La gestion du taux de change de l'euro est une responsabilité partagée. Agissant sur une proposition de la Commission, le Conseil des ministres Ecofin peut adopter des lignes directrices sur le taux de change devant être respectées par la BCE, à condition que celles-ci ne menacent pas la stabilité des prix. Si cela se révèle nécessaire, la Commission doit exercer la responsabilité que lui a conférée le Traité sur l'Union européenne.
Déployer le potentiel de l'Europe sociale en termes d'emploi et de productivité
L'évolution de la productivité du travail est décevante...
{
}La partie I décrivait la manière dont l'Europe, et la zone euro en particulier, se débat avec la gestion de la demande qu'implique son cycle économique. Mais l'Europe déploie aussi une action médiocre sur cet autre thème de l'agenda de Lisbonne qu'est l'obtention de résultats en termes d'innovation et de productivité élevée du travail.
La productivité du travail au cours des dernières années présente une nette tendance au ralentissement. Si l'on considère une période plus longue, le pourcentage d'augmentation de la productivité du travail a chuté dans presque tous les pays, avec des chutes particulièrement abruptes en Italie et en Espagne. Seules l'Irlande, la Suède et la Grèce ont enregistré une tendance témoignant d'une productivité en hausse. En Allemagne, au Danemark, en Autriche et en Finlande, le ralentissement de la croissance de la productivité du travail (par comparaison avec la décennie des années 1980) a été plus modéré. Dans certains pays (Italie et Pays-Bas), la productivité horaire du travail ne s'est pas simplement ralentie, mais s'est véritablement effondrée en 2003.
{{Tableau I
}}
| |1981-1990 |1991-1995 |1996-2000 |2001-2002 |2003 |
|Belgique |2,5 |1,7 |2,6 |1,6 |0,9 |
|Danemark |1,8 |1,9 |1,4 |1,6 |2,3 |
|Allemagne |1,9 |0,7 |1,8 |1,6 |1,2 |
|Grèce |0,1 |0,6 |2,8 |3,1 |4,2 |
|Espagne |2,8 |1,9 |0,8 |0,8 |0,7 |
|France |3 |1,5 |1,4 |1,5 |0,4 |
|Irlande |4,2 |3,6 |5,4 |5,1 |4,6 |
|Italie |2 |2,3 |1 |0,7 |-1 |
|Pays-Bas |2,2 |1,5 |1,2 |1 |-0,5 |
|Autriche |2,6 |3,4 |2,7 |2,1 |1,4 |
|Portugal |3,3 |2,9 |3,1 |2,3 |0,3 |
|Finlande |3 |3 |3,1 |2,7 |1,4 |
|Suède |1,1 |2,5 |2,3 |2,1 |3,1 |
|Royaume-Uni |2,3 |3,1 |1,7 |1,6 |1,1 |
|UE à 15 |2,2 |2,4 |1,6 |1,4 |0,6 |
Source: Étude “Économie européenne” 2003, rapport conjoint sur l'emploi 2003
{{... et est également liée aux choix politiques en Europe
}}Dans une certaine mesure, la décélération de la croissance de la productivité est due au ralentissement de l'activité économique, qui incite certains secteurs à conserver leur main-d'œuvre en espérant que la reprise soit bientôt au rendez-vous. Elle peut également être liée au fait que la structure de l'économie européenne s'est modifiée et que les services (où il se peut que les restructurations d'emplois soient moins sujettes aux renversements de tendance cycliques) représentent maintenant une proportion plus élevée du PIB.
Cependant, d'autres facteurs sont également à l'œuvre. Il s'agit des choix politiques explicites qui ont été faits en Europe:
La modération salariale générale qui a eu cours en Europe au cours des années 1990 est allée très loin. Non seulement, elle a entraîné une augmentation de la rentabilité des investissements, mais elle a aussi diminué en termes relatifs le coût du travail par comparaison avec le capital. Par conséquent, un processus de substitution du travail au capital a été déclenché. Avec un capital relativement plus faible à la disposition des travailleurs pour être utilisé dans le processus de production, la productivité du travail a souffert.
La Commission présente, dans deux études récentes[[Commission européenne (2002): ‘Facteurs de croissance de la productivité' dans l'étude ‘Économie européenne' publiée en 2003 par l'Union européenne, et Commission européenne (2003): ‘Croissance, productivité et emploi' dans le rapport sur la compétitivité publié par l'Union européenne en 2003.]], des éléments qui attestent ce fait. Ces études déterminent, au sein de la croissance de la productivité du travail, la part revenant au renforcement de l'intensité capitalistique d'une part, et d'autre part la manière dont le facteur de production du travail est utilisé dans le processus de production. Cette dernière composante est appelée ‘productivité totale des facteurs' et représente l'accumulation des connaissances et l'utilisation de concepts de travail innovants. Si l'on compare respectivement la première et la seconde moitié des années 1990, on en arrive à la conclusion que le ralentissement de la productivité du travail en Europe (- 0,8 point de pourcentage) peut essentiellement s'expliquer par le fait que la modération salariale a rendu les travailleurs moins chers, et a déclenché ce processus de substitution du travail au capital. Les deux tiers (0,6) du ralentissement global de la productivité en Europe peuvent s'expliquer ainsi. Le tiers restant (-0,2) et dû à un ralentissement de la croissance de la productivité totale des facteurs, ce qui implique que l'Europe a perdu quelque peu de sa capacité à introduire de la productivité, accroissant la part des innovations dans le processus de production.
{{
Tableau II
}}
| |1991-1995 |1996-2000 |Différence entre les deux périodes |
|Productivité du travail aux États-Unis |1 |1,6 |+0,6 |
|Dont productivité totale des facteurs |0,8 |1,2 |+0,4 |
|Dont renforcement de l'intensité capitalistique
|0,2 |0,4 |+0,2 |
|Productivité du travail dans l'UE à 15 |2,4 |1,6 |-0,8 |
|Dont productivité totale des facteurs |1,4 |1,2 |- 0,2 |
|Dont renforcement de l'intensité capitalistique
|1 |0,4 |- 0,6 |
Source: Étude “Économie européenne”, 2003
Le tableau II permet d'effectuer une comparaison avec les États-Unis. Les États-Unis se sont fiés au mécanisme inverse consistant à augmenter la productivité du travail en insérant plutôt plus de capital dans le processus de production. Mais la principale contribution à l'augmentation de la productivité du travail aux États-Unis vient de la productivité totale des facteurs, ce qui laisse penser que les Etats-Unis ont amélioré leur utilisation des nouvelles technologies et de l'innovation dans l'organisation du travail. Néanmoins, le tableau II montre également une convergence frappante entre les Etats-Unis et l'Europe dans la seconde partie des années 1990. Les chiffres des États-Unis et de l'UE à 15 pays sont similaires, et se recoupent entièrement ! Ceci apporte une certaine crédibilité à l'opinion communément répandue selon laquelle les États-Unis, notamment grâce à leurs marchés (du travail) flexibles, sont une économie plus innovante....
La modération salariale globale s'est accompagnée d'une pression en faveur de négociations décentralisées, par exemple via des clauses d'ouverture non soumises à un contrôle, dans le cadre des négociations sectorielles. La préservation de l'emploi dans les firmes où la productivité est relativement faible a accentué le processus de substitution du travail au capital, qui s'étend à toute l'économie.
Par ailleurs, plusieurs pays ont choisi de construire un secteur à bas salaires et à faible productivité en réduisant les contributions des employeurs aux bas salaires (‘ouvrir la distribution salariale par le bas') ou par d'autres méthodes de subventionnement de l'emploi à bas salaire et à faible productivité (‘chèques-service', par exemple). Une fois de plus, ceci a changé la structure de l'économie, en donnant aux secteurs à faible productivité une part plus importante dans l'économie globale, tirant ainsi le niveau moyen de productivité vers le bas.
En conséquence de quoi, la croissance est réellement devenue plus intensive en main-d'œuvre, amenant ainsi un certain soulagement au vu des piètres résultats de la croissance. Certaines de ces mesures restent valables pour les travailleurs pour qui une reconversion n'est pas envisageable. Mais lorsqu'elles sont appliquées massivement dans tous les secteurs de l'économie, les effets à long terme de ces mesures doivent être pris en considération:
Les incitations à investir dans l'éducation se trouvent faussées. La réduction des contributions des employeurs aux catégories des bas salaires incitera les employeurs à revoir le niveau des salaires et à garder le plus grand nombre de travailleurs possible dans la catégorie subventionnée des bas salaires. Les travailleurs qualifiés auront tendance à se retrouver de plus en plus souvent dans les catégories de bas salaires, d'où une réduction des retours à la formation continue. En outre, l'existence d'emplois en grand nombre dans les secteurs à faible productivité pourrait envoyer aux jeunes un signal pervers les laissant croire qu'il n'est pas vraiment nécessaire d'investir dans l'éducation, de nombreux emplois (à faible productivité) étant facilement disponibles.
Les entreprises sachant qu'elles seront ‘renflouées' par les travailleurs en cas de difficultés, les incitations à investir dans l'innovation et la productivité sont également faussées.
Enfin, dans un monde qui se globalise, la concurrence livrée sur la base d'une stratégie à bas salaires et à faible productivité est condamnée à l'échec.
Le rôle de l'Europe sociale dans l'augmentation de la productivité: fermer le chemin des taux faibles de croissance et de productivité
L'image que nous obtenons est celle d'une Europe qui n'a produit qu'une faible croissance et une faible productivité, tout en créant suffisamment d'emplois pour empêcher le chômage d'augmenter en flèche. L'Europe doit pouvoir faire mieux. L'Europe a besoin d'une forte croissance qui, combinée à une forte productivité, entraînerait des créations d'emplois substantielles.
L'Europe sociale est une partie intégrante indispensable de cet agenda. L'Europe sociale n'a pas uniquement des effets bénéfiques sur l'insertion sociale. En limitant la concurrence perverse sur la base des bas salaires et des mauvaises conditions de travail, les normes sociales obligent les forces du marché et les entreprises à se faire concurrence sur la base de la productivité et de l'innovation. Le Conseil de printemps qui s'annonce doit reconnaître ce fait. L'agenda social européen peut consolider les forces productives de l'économie dans les domaines suivants:
L'apprentissage tout au long de la vie et les règles de concurrence
L'investissement dans la formation des travailleurs afin d'éviter une pénurie de main-d'œuvre qualifiée est un domaine dans lequel la libre concurrence ne fonctionne pas.
La nécessité, pour les travailleurs, d'avoir accès à ces formation est bien établie. Des études nous montrent que lorsque le nombre de travailleurs ayant accès à la formation augmente de 1%, cela entraîne une augmentation de 0,3% de la productivité. Actuellement, 50% des travailleurs n'ont pas accès aux formations. Le fossé est particulièrement large en ce qui concerne les personnes âgées ou peu qualifiées, dont, respectivement, 2,3% et 3,3% participent aux formations. En raison de leur surreprésentation dans les formes de travail atypiques, de nombreuses femmes sont également exclues de la formation. Cela comporte beaucoup d'effets négatifs en chaîne, tels que, par exemple, l'accentuation de l'écart des salaires entre hommes et femmes, la ségrégation des sexes sur le lieu de travail, ainsi que la sous-utilisation des compétences et des qualifications.{{
}}
Malheureusement, il existe, sur ce point, une importante lacune du marché. Comme l'affirme le récent rapport Kok, de la Task force spéciale sur l'emploi, ‘les entreprises doivent briser le cercle vicieux du sous-investissement systématique dans la formation'. Si on les laisse agir librement, les différentes entreprises seront victimes du ‘dilemme du prisonnier'. Elles s'abstiendront inévitablement d'investir dans la formation des travailleurs, espérant les ‘débaucher' en pratiquant une surenchère sur les salaires dans le but d'attirer des travailleurs employés dans des entreprises qui, elles, investissent dans la formation. Bien entendu, si toutes les entreprises agissent de la sorte, l'investissement dans les activités de formation n'atteindra plus le niveau optimal et des pénuries de main-d'œuvre qualifiée feront augmenter les salaires et l'inflation alors que le taux de chômage reste encore élevé.
Une façon de sortir de ce cercle vicieux est de pratiquer des négociations collectives aux niveaux sectoriel et intersectoriel. Dans un certain nombre de pays européens (la Belgique, les Pays-Bas, et d'autres aussi), les partenaires sociaux négocient des conventions collectives sectorielles qui obligent tous les employeurs à cotiser à un fonds sectoriel permettant de proposer des formations à tous les travailleurs du secteur, mais aussi aux chômeurs peu qualifiés. Ces programmes corrigent cette lacune typique du marché, et contribuent à l‘agenda de Lisbonne en matière de productivité forte et de croissance non inflationniste. Les statistiques confirment le rôle positif que peuvent jouer les négociations collectives. En 2000, plus de la moitié des travailleurs employés dans des entreprises et couverts par des négociations collectives ont participé à des programmes de formation. Dans les entreprises qui ne sont pas couvertes par les négociations collectives, la proportion de travailleurs ayant accès à la formation était beaucoup plus faible (un tiers seulement). Le nombre d'heures de formation est deux fois plus élevé dans les entreprises qui s'engagent dans des négociations collectives. Il est également important de noter que les négociations collectives permettent un meilleur accès aux formations pour les travailleurs peu qualifiés.
En dépit du vaste consensus sur le rôle positif que les négociations collectives peuvent jouer, les règles de la Commission en matière de concurrence visent à s'attaquer à ce type de résultats négociés au niveau sectoriel. La Direction générale ‘Concurrence' de la Commission avance que les cotisations des employeurs, qui découlent d'une convention collective sectorielle juridiquement étendue, constituent des fonds publics, qui doivent être considérés comme des aides d'État illégales lorsque ces fonds sont recyclés dans un secteur spécifique. Le Conseil de printemps doit envoyer un signal politique signifiant que l'objectif d'investissement dans la formation et l'apprentissage tout au long de la vie est prioritaire sur les règles de concurrence. Il faut au contraire soutenir ces programmes, par exemple en apportant un soutien du Fonds social européen à ce type de conventions collectives.
‘Flexicurité'
{{
}}La concurrence entre les chômeurs peut également avoir pour conséquence une flexibilité excessive, sous la forme de contrats de travail atypiques. Même si le travail à temps partiel, le travail à durée déterminée et le travail intérimaire procurent aux entreprises de la flexibilité et peuvent être présentés comme des ‘tremplins' vers de meilleures conditions de travail, ces contrats peuvent aussi constituer des pièges de ‘faible productivité' ou d'inactivité' affectant les salariés de façon disproportionnée :
Les travailleurs disposant de tels contrats ont moins de probabilité d'obtenir un emploi à plein temps et davantage de chances de perdre leur emploi. Trente-neuf pour cent des travailleurs possédant un contrat à durée déterminée se trouvent toujours dans la même situation un an plus tard, et 22% de ces travailleurs reviennent à l'inactivité.
L‘accès à la formation est limité pour ces travailleurs, empêchant ainsi la mobilité professionnelle dans le sens de la promotion.
Le travail intérimaire se concentre dans des secteurs qui présentent des taux records d'accidents du travail. Un contrôle approprié des licences des agences d'intérim, et même l'exclusion de certains secteurs à haut risque du travail intérimaire est donc nécessaire.
Différentes formes de discrimination, par exemple dans les systèmes de sécurité sociale ou la gestion des ressources humaines, rendent les contrats atypiques moins attrayants, incitant les travailleurs à rester inactifs ou à revenir à l'inactivité.
La promotion artificielle du travail à temps partiel (par exemple en accordant aux employeurs des réductions de leurs cotisations, indépendamment du nombre d'heures travaillées) a pour conséquence une situation dans laquelle ces travailleurs se voient systématiquement refuser l'accès aux emplois à plein temps. Bien évidemment, il s'agit d'un gaspillage de capital humain qui, en dernière analyse, est susceptible d'aggraver le problème de la pénurie de travailleurs qualifiés. C'est aussi une façon de perpétuer la culture de la pauvreté ouvrière. Et là encore, il y a un important aspect lié au sexe, les travailleuses étant plus exposées. En lieu et place, il est possible de rendre le travail à temps partiel attractif pour les travailleurs en se fondant sur une approche d'égalité des droits qui ait pour effet de renforcer et de consolider les droits et les conditions de travail de ces travailleurs.
En général, la sécurité de l'emploi est un facteur-clé de la satisfaction des employés et d'une main-d'œuvre productive. Introduire à tout prix la flexibilité en négligeant la sécurité pourrait bien devenir contreproductif pour ce qui est de la productivité de la main d'œuvre.
Afin d'éviter ces effets pervers, la flexibilité doit aller de pair avec la sécurité, ce qui implique les ‘freins et contrepoids' suivants:
Étendre la sécurité à des thèmes comme des salaires décents, la qualité du travail et l'accès à l'apprentissage tout au long de la vie, mais aussi la protection contre la discrimination et les licenciements injustes.
Être attentifs à l'interaction avec les mesures relatives à la protection sociale et à un marché du travail actif. Le Danemark, par exemple, ne dispose pas d'une législation solide en matière de protection de l'emploi, mais il a des prestations de chômage élevées. Le Danemark se distingue également par le fait que les entreprises ne consacrent pas une partie importante de leurs ressources à la formation des travailleurs. C'est le gouvernement qui intervient à sa place, et qui assure les formations et prend d'autres mesures favorisant un marché du travail actif.
Participation des partenaires sociaux, qui négocieront sur l'équilibre entre flexibilité et sécurité.
Éviter un marché du travail dual sur lequel règne une ‘flexibilité excessive' dans la catégorie moins favorisée, et ce en donnant à tous les travailleurs des droits équivalents (protection sociale, accès à la formation et accès à la promotion).
Une flexibilité consistant à concilier vie professionnelle et vie de famille peut également profiter aux travailleurs. Cela implique un agenda prévoyant de meilleurs services de prise en charge (des enfants) ainsi que des possibilités de congé parental rémunéré afin de permettre à la fois aux hommes et aux femmes de combiner vie professionnelle et vie de famille. Cela implique aussi une réduction de longues heures de travail.
Le Conseil européen doit respecter cette approche et ne peut pas se contenter d'appeler à l'élimination des obstacles aux formes flexibles d'organisation du travail sans accorder une attention pleine et entière à la mise en œuvre correcte de la dimension de la sécurité. De même, dans le but de faire bénéficier les travailleurs intérimaires d'un ensemble de droits garantis, la directive sur le travail intérimaire doit être repoussée sur l'agenda politique.
Faire entendre la voix des travailleurs: les droits d'information et de participation des travailleurs
L'‘Enronite' ne se limite pas aux États-Unis. Les entreprises européennes sont atteintes de la même maladie. Les récents scandales en Europe ont montré que ce sont les travailleurs et les épargnants qui font les frais d'une gestion médiocre et malhonnête. Par conséquent, il est inacceptable que toutes les directives de dernière génération de la Commission européenne affaiblissent gravement les droits de participation des travailleurs et de leurs représentants.
L'expérience montre que les entreprises présentant des structures solides de participation sont en mesure de gérer efficacement toute conséquence sociale ou économique négative entraînée par les restructurations. De plus, et contrairement aux intérêts à court terme des marchés financiers, les travailleurs et leurs syndicats ont des attentes à long terme qui représentent une valeur ajoutée due à une stabilité accrue de la politique d'entreprise. La participation représente pour les entreprises un facteur de compétitivité, et non un fardeau.
Par conséquent, nous appelons à une révision en profondeur de l'actuelle communication sur le gouvernement d'entreprise. Dans cette communication, il apparaît que les travailleurs n'existent pas et que, pour qu'une entreprise soit bien gouvernée, les instruments d'information et de consultation sont superflus.
Par ailleurs, la 10ème directive sur les fusions est encore plus dangereuse, car elle supprime les dispositions du statut de la Société européenne (SE). Cette proposition contient en fait une disposition qui sape gravement les résultats atteints grâce à la directive sur la Société européenne, en n'autorisant des négociations que dans les cas où il n'existe absolument aucune participation. Si l'on prend en considération les systèmes très différents de participation dans les États membres de l'Union européenne, cela signifie que l'on pourrait choisir le plus bas niveau pour la fusion d'entreprises. La réduction du niveau de participation des travailleurs est clairement en contradiction avec la disposition fondamentale du traité CE appelant à une amélioration des conditions de travail, afin de rendre possible leur harmonisation, tout en maintenant également les améliorations. Par conséquent, la CES exige que les dispositions de la directive sur la Société européenne soient maintenues dans les cas de fusions transfrontalières.
Pour les mêmes raisons, la CES appelle de toute urgence à une révision de la directive sur les comités d'entreprise européens, révision qui est déjà retardée depuis cinq ans par la Commission, et qui vise à améliorer les droits d'information et de consultation au niveau international.
Enfin, la CES souligne que ces propositions, à la fois en ce qui concerne la 10ème directive et la communication sur le gouvernement d'entreprise, ont été mises en œuvre sans la moindre consultation préalable des partenaires sociaux. Par conséquent, ce ne sont pas seulement les droits des travailleurs qui se trouvent affaiblis, mais le rôle des partenaires sociaux ainsi que les dispositions des articles 137 et 138 du Traité sont, eux aussi, gravement entamés.
{}
{}
Temps de travail
Le temps de travail est encore un autre domaine dans lequel des normes sociales communes peuvent amener de meilleurs résultats en matière sociale et économique. La compétition entre les travailleurs sur la base d'horaires de travail chargés aura pour conséquence, à plus long terme, une main-d'œuvre exploitée et épuisée, sapant ainsi le concept de vieillissement actif. Il existe également une relation à plus court terme entre le nombre d'heures de travail et la productivité. Les expériences de réduction du temps de travail, comme par exemple en France et Allemagne, montrent qu'une réduction du nombre d'heures de travail donne un coup de fouet à la productivité. En réalité, la France (semaine de 35 heures) est l'un des rares pays à n'avoir pas enregistré de chute de la productivité du travail horaire au cours des années 1990.
L'Europe devrait par conséquent adapter sérieusement la directive sur le temps de travail et mettre fin au régime de l'option de refus.
{}
Politique industrielle et restructurations sociales
L'Europe est confrontée à une évolution significative en direction de la désindustrialisation. Il convient de s'attaquer à cette tendance. Il faut retenir en Europe un noyau dur d'activité industrielle. La protection industrielle, même si elle est intensive en capital et ne crée plus directement et massivement des emplois industriels, demeure importante en raison de ses liens avec le reste de l'économie, en particulier pour le secteur qui fournit des services à l'industrie. Un emploi dans le secteur industriel correspond à une multitude d'emplois dans d'autres secteurs de l'économie.
En même temps, l'industrie européenne doit choisir le chemin de la qualité et de l'innovation. De faibles coûts du travail et des normes sociales et environnementales faibles ne sont pas (à long terme) une solution. Afin de pouvoir imposer cet agenda d'innovation et de politique industrielle, travailleurs et syndicats doivent être consultés. La Commission, en coopération avec les partenaires sociaux, doit élaborer des plans de reconversion sectoriels, avec pour objectif de préserver les principales activités industrielles en Europe. Ce point est lié au principal plan d'investissement dans le développement durable (voir plus haut).
La vague de restructurations des emplois qui frappe l'Europe doit également être traitée. Sur ce point, il faut que les partenaires sociaux au niveau européen entament des discussions sur les restructurations industrielles. Ces discussions doivent recevoir le soutien de la Commission et du Conseil, par exemple par la mise en place d'un Fonds européen pour les restructurations qui fournirait un apport financier aux conventions collectives sur les restructurations d'emplois, prévoyant des formations pour les travailleurs licenciés et des mesures favorisant un marché du travail actif.
L'innovation, la société de la connaissance et le dialogue social:
Le capital social au lieu d'un superviseur économique{{
}}{{ {
} }}Plusieurs chefs d'État plaident en faveur de la création d'un poste de ‘supercommissaire' responsable de la réforme économique, qui assurerait la coordination et ‘aurait voix au chapitre' dans les travaux des autres commissaires. En même temps, des propositions sont formulées pour évaluer l'impact de la législation, y compris en matière sociale et environnementale, sur la compétitivité.
Une telle approche menace de tout bouleverser. Une fois de plus, nous répétons que Lisbonne possède plusieurs piliers d'égale importance: croissance et compétitivité, mais aussi emplois de bonne qualité et productivité élevée, ainsi que l'insertion sociale. Et alors que la croissance pourrait fournir davantage de moyens pour faire progresser l'insertion sociale, l'inverse est également vrai, et par exemple, grâce à la formation et à des prestations sociales appropriées, une amélioration de l'insertion sociale peut constituer la base d'une croissance plus élevée. La création d'un poste de Commissaire de la ‘super réforme économique' ne respecte pas l'équilibre de la stratégie de Lisbonne. Le fait de faire dépendre les initiatives en matière d'emploi et d'environnement du diktat de la ‘réforme économique' va bloquer la dimension sociale, ainsi que le développement durable, de l'Europe.
Au lieu de suivre un modèle basé sur la ‘méfiance systématique' de la part des acteurs responsables de la réforme économique, les décideurs politiques devraient défendre et promouvoir la construction d'un ‘capital social'. En effet, l'aptitude à travailler ensemble et à se faire confiance est cruciale pour une ‘société de la connaissance'. L'apprentissage au contact des autres et l'acquisition de compétences sont difficiles, sinon impossible, lorsque les groupes de travailleurs sont extrêmement divisés ou lorsqu'existent des structures hiérarchiques rigides et qu'il y a corruption. Par exemple, les travailleurs dont l'emploi est précaire et qui considèrent leurs collègues comme des concurrents pour leur emploi ne partageront pas leurs ‘connaissances' concernant le processus de production et les produits de l'entreprise, mais les garderont pour eux. De même, le dialogue structurel entre les partenaires sociaux au sujet des réformes et de leurs implications sociales accentuera la perception selon laquelle les coûts et les profits sont partagés plus équitablement, favorisant ainsi la volonté de changement.
Par conséquent, la lutte contre la ‘segmentation' sociale, la prévention de l'accentuation des inégalités de revenu et le dialogue social sont des conditions essentielles de la stimulation des processus d'innovation. Il s'agit là de l'agenda en matière d'innovation qui devrait être suivi par les décideurs politiques.
Un plan d'action spécial pour l'égalité entre hommes et femmes
La réalisation les objectifs de Lisbonne dépendra dans une large mesure du succès d'une stratégie cherchant à accroître le taux d'emploi des femmes. Un plan d'action spécial sur l'égalité entre hommes et femmes combinant différents axes politiques est donc nécessaire:
La conciliation de la vie professionnelle et de la vie familiale, à la fois pour les travailleurs et les travailleuses, dans des domaines tels que les crèches et la prise en charge des personnes âgées, le congé parental rémunéré, le maintien de droits à la sécurité sociale et l'amélioration des conditions et de l'organisation du travail, par exemple un temps de travail raisonnable.
Une attention spéciale portée à la mise en œuvre des directives existantes sur l'égalité de traitement et la formulation de nouvelles propositions de directives.
Améliorer l'accès à la formation pour les travailleurs au statut atypique (parmi lesquels les femmes sont surreprésentées afin d'enrayer les effets négatifs sur la différence de salaires entre femmes et hommes).
Un programme d'action contenant des objectifs, des cibles, et un calendrier destiné à s'attaquer aux disparités salariales entre hommes et femmes
Des négociations portant sur un cadre d'action pour l'égalité entre hommes et femmes
Une attention particulière à l'amélioration de la qualité du travail et à la discrimination (jeunes, personnes âgées, migrants, femmes).
{}
Concurrence fiscale et directive sur l'épargne
Construire une économie compétitive et innovante implique qu'un rôle-clé soit dévolu au gouvernement, mais le gouvernement ne peut pas fonctionner sans ressources. Si l'on confronte l'immense éventail de défis soulevés par l'agenda de Lisbonne, les gouvernements européens ne peuvent tout simplement pas se permettre un cycle supplémentaire de dumping fiscal compétitif. La directive sur la taxation de l'épargne, qui offre à l'Europe la possibilité de déplacer une partie de la charge fiscale des travailleurs vers le facteur de capital, ne devrait pas pouvoir être bloquée du fait de quelques petits pays tiers qui refusent de coopérer. Dans le domaine de la taxation des entreprises, un tarif minimum pour l'impôt sur les bénéfices doit être fixé si l'on veut éviter que les intérêts du capital international ne jouent à monter les différents gouvernements les uns contre les autres.
Élargissement
Le 1er mai 2004, 10 nouveaux États membres entreront dans l'Union européenne, ce qui ne fera qu'accroître la pertinence des propositions du présent document:
La construction d'un marché européen élargi augmentera la productivité, renforçant ainsi les forces désinflationnistes et venant souligner de façon encore plus nette la nécessité de politiques expansionnistes de demande agrégée. Si les travailleurs perdent leur emploi à cause d'une délocalisation de la production, les macropolitiques doivent faire en sorte que le reste de l'économie soit suffisamment dynamique pour reprendre à bord les travailleurs licenciés.
L'absence d'Europe sociale entraînera une situation de concurrence, pas seulement entre l'Union européenne à 15 pays et les futurs États membres mais aussi, et dans une large mesure, entre les futurs États membres eux-mêmes.
Des règles visant à limiter la concurrence fiscale sur les revenus du capital et les bénéfices des entreprises seront particulièrement nécessaires pour empêcher les futurs États membres de se trouver entraînés dans une spirale descendante qui déboucherait sur un superbe ‘cadeau fiscal' pour les entreprises et des impôts élevés ainsi qu'une faible protection sociale pour les travailleurs.{{
}}
Cohésion sociale
L'emploi est important pour lutter contre l'exclusion sociale et la pauvreté. Mais le lien entre la création d'emplois et la réduction de la pauvreté n'est pas toujours garanti. Le graphique suivant (qui comprend les pays de l'Union européenne sauf l'Espagne et le Portugal, et inclut en sus les Etats-Unis) illustre clairement ce point. La pauvreté malgré le travail existe bel et bien, et des politiques rigoureuses visant à ‘rendre le travail payant' peuvent réduire les situations de ‘détresse absolue' en ayant en même temps pour conséquence des taux de pauvreté plus élevés.
{{
}}Source: CE, OCDE
L'Europe sociale peut certainement renforcer l'agenda de Lisbonne en matière d'emploi et de productivité. Mais si l'on souhaite réaliser l'objectif de cohésion sociale, des politiques sociales spécifiques sont nécessaires. Les politiques économiques ne peuvent pas remplacer les politiques sociales.
III. Dans quelle direction se dirige le Conseil de printemps du mois de mars ? (récapitulation des projets de conclusions du Conseil de printemps)
Le message central consiste à ‘accélérer substantiellement le rythme des réformes' et à ‘chercher à réformer tous les domaines'. En même temps, le Conseil de printemps sélectionne la ‘croissance durable' et ‘davantage d'emplois, et des emplois de meilleure qualité' comme étant les deux principales priorités méritant une attention spéciale.
En ce qui concerne la ‘croissance', les projets de conclusions reconnaissent que le principal défi auquel l'Europe se voit confrontée consiste à réaliser son potentiel de croissance. Il s'agit véritablement d'un changement radical par rapport aux messages précédents, qui considéraient systématiquement la question de l'augmentation du potentiel de croissance de l'Europe et restaient relativement silencieux quant à la croissance effective proprement dite. Malheureusement, les mesures envisagées (consolidation budgétaire conforme au Pacte de stabilité, réformes structurelles destinées à relancer la confiance), ne seront pas efficaces et peuvent même se révéler contreproductives dans le soutien à la croissance effective à court terme.
En ce qui concerne les ‘emplois', les obstacles au travail ‘flexible' doivent être éliminés (tout en ‘assurant la sécurité adéquate'), les impôts et les prestations sociales doivent être reconsidérés afin que le travail soit payant et que l'on puisse aborder les problèmes liés aux disparités salariales entre hommes et femmes. Le processus des lignes directrices en matière d'emploi doit être rendu plus strict par l'intermédiaire de recommandations spécifiques. Ce qui est préoccupant, c'est le fait que le document affirme qu'il existe un lien automatique et solide entre l'augmentation des taux d'emploi et l'insertion sociale.
Toutefois, le projet met également en avant un troisième thème. En fait, la ‘compétitivité' se voit accorder plus d'attention que la croissance ou les emplois.
Consolider la structure et renforcer le rôle du Conseil de la compétitivité dans la prochaine Commission.
Davantage de concurrence dans les services. Un accord général sur le paquet “services” pour le Conseil de printemps de 2005.
Un accord politique sur la reconnaissance mutuelle des qualifications professionnelles pour juin 2004 (!)
Compléter la lettre de ‘régulation' des quatre présidences par un programme de suivi.
Accroître les investissements des entreprises dans les activités de recherche et de développement en créant des incitations spécifiques, et garantir une participation accrue du financement privé aux investissements du secteur public.
Enfin, les différents pays devraient mettre en place des partenariats nationaux pour la réforme (avec les partenaires sociaux et la société civile), qui pourront être complétés par un ‘partenariat européen pour le changement' (un engagement des partenaires sociaux européens !). Un autre groupe de haut niveau devra identifier les mesures à prendre pour consolider l'agenda de Lisbonne (dans le contexte de la révision à mi-parcours).
La comparaison entre le projet du Conseil et le rapport initial de la Commission sur le Conseil de printemps révèle qu'un certain nombre de propositions ont été reléguées à l'arrière-plan:
Le renforcement des activités de formation et d'apprentissage tout au long de la vie proposées par le secteur privé et la référence au cadre des partenaires sociaux pour l'action en matière d'apprentissage tout au long de la vie.
Appeler les partenaires sociaux à discuter d'un accord sur les restructurations industrielles.
L'accès à la formation pour tous et l'amélioration de la qualité du travail.