Réponse de la CES à la deuxième phase de consultation des partenaires sociaux par la Commission dans le domaine du droit des travailleurs à la déconnexion et au télétravail
Adoptée lors de la réunion du Comité exécutif des 1er et 2 octobre 2025
La Confédération européenne des syndicats (CES) se félicite de la deuxième phase de consultation des partenaires sociaux européens au titre de l'article 154 du TFUE concernant le télétravail et le droit à la déconnexion. Cette réponse fait suite à notre réponse à la première phase de consultation, dans laquelle la CES a exposé en détail sa position sur le télétravail et le droit à la déconnexion. Elle s'appuie sur la contribution de la CES à la première phase de consultation.
Il ressort clairement de la consultation et du document analytique qu'un instrument législatif prévoyant des exigences minimales pour protéger les travailleurs au niveau européen est nécessaire. Le télétravail et le droit à la déconnexion soulèvent d'importantes considérations juridiques et politiques qui nécessitent une intervention législative. Il s'agit notamment des implications transfrontalières et des préoccupations en matière de santé et de sécurité au travail.
Avant d'aborder directement les questions posées dans le document de consultation, il est important de souligner certains aspects transversaux liés à cette initiative.
Afin de garantir l'efficacité de la législation européenne traitant des questions soulevées dans la consultation, le rôle des partenaires sociaux doit être pleinement soutenu et respecté. La CES se félicite des déclarations figurant dans le document de consultation, selon lesquelles le dialogue social et les conventions collectives joueront un rôle clé dans l'établissement des modalités du télétravail et du droit à la déconnexion.
En outre, dans ce contexte, la CES a adopté un programme d'action lors de son congrès statutaire à Berlin en mai 2023. Dans cette deuxième phase de consultation des partenaires sociaux européens, la CES réitère les paragraphes suivants de son programme d'action :
« L'une des tâches essentielles de la CES est de promouvoir les droits sociaux et les droits des travailleurs dans le cadre juridique de l'UE. Les défis auxquels sont confrontés les travailleurs dans les États membres de l'UE sont différents, mais la lutte pour des salaires plus élevés et de meilleures conditions de travail est universelle. Le marché intérieur intégré de l'UE rend plus importante que jamais la lutte pour des conditions de concurrence équitables, sans dumping social et dans le respect des droits sociaux et du droit du travail.
La CES soutiendra toujours ses affiliés nationaux dans leurs efforts pour négocier collectivement et dans leur liberté de maintenir, conclure et appliquer des conventions collectives, qui peuvent constituer un meilleur outil pour mettre en œuvre et compléter les initiatives législatives de l'UE en fonction des pratiques et des cadres nationaux. À cet égard, il convient de reconnaître l'importance pour les partenaires sociaux de disposer d'une marge de manœuvre pour négocier et conclure des accords collectifs. Il faut prévenir les effets négatifs et les abus de la part des employeurs ou des syndicats « jaunes ».
La CES réaffirme que le droit à la déconnexion est déjà établi dans la législation européenne et nationale existante, la directive européenne sur le temps de travail fournissant une base juridique claire pour son application. Les employeurs ne peuvent prétendre disposer du temps des travailleurs au-delà des heures de travail convenues. La tâche du législateur européen n'est donc pas de créer un nouveau droit, mais de clarifier, de faire respecter et de renforcer le droit existant par le biais d'une législation européenne contraignante. Ce point a été clairement exprimé dans la réponse de la CES à la première phase de consultation, mais le document de la deuxième phase est quelque peu incohérent, car il mentionne souvent « l'introduction » ou « l'établissement » du droit à la déconnexion. La CES réitère donc son appel, formulé lors de la première phase de consultation, à faire référence à l'application du droit à la déconnexion.
La CES souligne une fois de plus que la classification des emplois comme pouvant ou ne pouvant pas faire l'objet de télétravail ne peut constituer un point de départ. Il convient plutôt de faire la distinction entre les tâches pouvant ou ne pouvant pas faire l'objet de télétravail. Les tâches de nombreux emplois remplissent les conditions requises pour le télétravail. Dans la pratique, cependant, la mise en œuvre échoue souvent en raison du refus de l'employeur.
Le télétravail habituel des travailleurs transfrontaliers s'est considérablement développé à la suite de la pandémie de COVID-19. La directive devrait prévoir l'égalité de traitement totale avec les collègues nationaux en termes de droits individuels et collectifs, une garantie explicite du droit à la déconnexion dans les accords de télétravail transfrontalier et un renforcement du rôle du dialogue social transfrontalier.
Enfin, la CES note que la Commission indique dans le document de consultation qu'elle a entamé l'évaluation juridique de l'accord sur la numérisation (y compris les dispositions relatives au télétravail et au droit à la déconnexion) négocié par les partenaires sociaux européens dans les administrations centrales (SDC CGA) en vue d'une éventuelle mise en œuvre législative. Tout en reconnaissant qu'il s'agit d'un processus distinct de la présente consultation, la CES invite instamment la Commission à prendre toutes les mesures nécessaires et immédiates pour mettre en œuvre l'accord sectoriel par le biais d'une directive, en toute transparence et en coopération avec les signataires de l'accord.
Question 1 : Que pensez-vous des objectifs d'une éventuelle action de l'UE énoncés à la section 7.1 ?
La CES se félicite que la Commission européenne reconnaisse les risques liés au télétravail et la prévalence d'une culture du travail « toujours connecté ». Dans un souci de sécurité juridique, la CES tient à préciser qu'elle comprend que les références à la culture du « toujours connecté » dans le document analytique concernent le droit à la déconnexion. Afin d'éviter la fragmentation réglementaire et d'assurer la cohérence, la CES souligne la nécessité d'un discours harmonisé et de définitions cohérentes dans tous les instruments juridiques.
Cette référence, incluse dans le document de consultation de la deuxième phase, reflète le résultat du plaidoyer des syndicats lors de la consultation de la première phase, qui a souligné la nécessité d'aborder explicitement cette question.
Garantir la transparence et améliorer les conditions de travail pour un télétravail équitable et de qualité nécessitera des mesures visant à assurer, entre autres, l'équilibre entre vie professionnelle et vie privée, l'égalité de traitement et les droits collectifs.
Par conséquent, l'objectif général ainsi que l'objectif spécifique sont correctement identifiés comme des domaines nécessitant une action législative de l'UE. Plusieurs considérations doivent être prises en compte lors de la présentation d'une initiative législative.
L'initiative législative ne doit pas porter atteinte à la législation existante ni créer d'ambiguïté quant à l'applicabilité de la législation existante, notamment en matière de santé et de sécurité au travail, d'information et de consultation, de respect de la vie privée et familiale, de protection des données à caractère personnel ou de relations contractuelles entre employeurs et travailleurs. En outre, la promotion des questions liées à la santé et à la sécurité au travail dans le contexte du télétravail et du droit à la déconnexion ne doit pas être utilisée comme argument pour empêcher l'adoption d'une future directive sur la prévention des risques psychosociaux.
Question 2 : Que pensez-vous des pistes d'action possibles pour l'UE afin de lutter contre la culture émergente du « travail permanent » telle que décrite à la section 7.2.1 ?
La CES considère qu'une législation européenne contraignante prévoyant des niveaux minimaux de protection est essentielle pour relever les défis soulevés dans le document de consultation. Les recommandations ou les initiatives volontaires ne peuvent garantir une protection adéquate.
Comme indiqué ci-dessus, le droit à la déconnexion existe déjà dans le droit européen. La directive 2003/88/CE concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail et la directive-cadre 1989/391/CEE sur la santé et la sécurité au travail, ainsi que les conventions collectives et les contrats de travail individuels, réglementent le temps pendant lequel le travailleur est à la disposition de l'employeur. Au-delà de cela, l'employeur n'a aucun droit sur le temps du travailleur. Il en résulte un droit pour le travailleur de ne pas être contacté ni obligé de travailler de quelque manière que ce soit en dehors des heures de travail convenues. Cela inclut toutes les formes de contact telles que les courriels, les appels téléphoniques, les SMS, les messages instantanés et les plateformes numériques. Il s'agit donc de clarifier et de faire respecter davantage ce droit à la déconnexion. L'action de l'UE doit se concentrer sur la clarification et l'application de ce droit, et non sur sa création par le biais d'une directive traitant spécifiquement de l'application du droit à la déconnexion.
Une action législative est nécessaire pour garantir le droit à la déconnexion pour tous les travailleurs. Le droit à la déconnexion ne doit pas se limiter au télétravail. Conformément aux principes énoncés dans la première phase de réponse de la CES, des mesures sont nécessaires, entre autres, pour interdire les représailles à l'encontre des travailleurs qui exercent leur droit à la déconnexion et pour garantir que la charge de la preuve incombe aux employeurs en cas de traitement défavorable. La mise en place de systèmes objectifs et fiables d'enregistrement du temps de travail, conformément à la jurisprudence de la CJUE, est une condition préalable à l'application du droit à la déconnexion.
La mise en œuvre du droit à la déconnexion exige des employeurs qu'ils s'attaquent aux charges de travail excessives et aux pénuries de personnel, qui obligent sinon les travailleurs à rester connectés en dehors des heures de travail, y compris à être excessivement connectés pendant les heures de travail, sans respecter les pauses obligatoires, ce qui peut avoir des effets négatifs sur leur santé et leur bien-être. La CES rejette toute suggestion laissant à la discrétion des employeurs la possibilité de créer des exceptions.
L'initiative législative devrait permettre aux États membres et aux partenaires sociaux de mettre en œuvre et de compléter les exigences conformément à leurs traditions nationales, comme indiqué dans le programme d'action de la CES mentionné ci-dessus. Un contrôle et une application efficaces, y compris des sanctions, devront être assurés et devraient tenir compte des systèmes nationaux, notamment du rôle des inspections du travail et des syndicats au niveau national.
Question 3 : Que pensez-vous des pistes d'action possibles pour l'UE afin d'améliorer les conditions de travail pour un télétravail équitable et de qualité, telles qu'énoncées à la section 7.2.2 ?
La CES estime que des normes minimales pour le télétravail en tant que mode de travail doivent être fixées par une initiative législative européenne établissant des niveaux minimaux de protection. Une telle initiative doit également garantir un rôle important aux partenaires sociaux, par le biais du dialogue social et des négociations collectives à tous les niveaux pertinents.
La CES salue l'analyse présentée dans cette deuxième phase de consultation. Il convient toutefois de rappeler que la CES ne considère pas le terme « télétravailleur » comme approprié. Le télétravail n'est en aucun cas une nouvelle forme d'emploi ou une autre catégorie de travailleurs. Le fait d'exercer une activité de télétravail ne devrait avoir aucune incidence sur le statut professionnel du travailleur ni sur la relation contractuelle.
Comme indiqué ci-dessus, la CES tient à souligner une fois de plus que le fait de classer les emplois comme pouvant ou ne pouvant pas faire l'objet de télétravail ne reflète pas les réalités du marché du travail moderne et n'est donc pas approprié. Il convient plutôt de faire la distinction entre les tâches pouvant ou ne pouvant pas faire l'objet de télétravail. Les tâches de nombreux emplois remplissent les conditions requises pour le télétravail.
La CES rappelle les principes énoncés dans sa réponse à la première phase de consultation, qui définissent ces normes minimales. Les principales exigences sont les suivantes :
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Volontariat et réversibilité : le télétravail doit toujours être volontaire et réversible. Les travailleurs doivent conserver le droit à un lieu de travail permanent dans les locaux de l'employeur.
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Égalité de traitement : le télétravail ne doit pas entraîner de différence de traitement en matière, entre autres, de rémunération, de conditions de travail, de formation, d'évolution de carrière, de normes de santé et de sécurité au travail et de droits syndicaux. Le télétravail ne doit pas être interprété ou compris comme une autre forme d'emploi ou une autre catégorie de travailleurs.
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Responsabilité de l'employeur en matière de coûts : l'employeur doit prendre en charge tous les coûts liés au télétravail, tels que l'équipement, l'internet, la protection des données, les logiciels et l'énergie, ainsi que la formation appropriée.
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Santé et sécurité au travail : les employeurs doivent évaluer les risques liés au télétravail et mettre en place des mesures préventives. Les risques psychosociaux et physiques, les troubles musculo-squelettiques, l'isolement et la violence sexiste dans le contexte du télétravail doivent être pris en compte. Des évaluations des risques à distance doivent être assurées et respecter la vie privée. Les évaluations des risques peuvent être garanties par une formation, des conseils ou des outils appropriés, tels que le logiciel OiRA de l'EU-OSHA[1] . L'employeur doit veiller à ce que les travailleurs disposent de moyens clairs et accessibles pour contacter les services de santé au travail.
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Suivi et surveillance : les outils de suivi doivent être négociés et convenus entre les partenaires sociaux, au niveau approprié. L'employeur ne peut contrôler les performances professionnelles, y compris dans le cadre du télétravail, que pendant une période limitée et dans des domaines limités afin de vérifier que le travailleur respecte ses obligations et ses devoirs dans le respect de la dignité humaine. Ce contrôle doit être légal (c'est-à-dire respecter pleinement les droits fondamentaux à la vie privée, y compris les règles plus spécifiques prévues par le RGPD) et ne peut être fondé sur le consentement individuel. Le contrôle ne peut donner lieu à aucune sanction à l'encontre du travailleur et doit faire l'objet d'une évaluation collective chaque année. Les employeurs doivent également fournir les outils et la formation nécessaires pour garantir le respect des règles de sécurité par les travailleurs en télétravail. Les travailleurs ne doivent pas être sanctionnés pour toute violation de la sécurité ou des données. Les travailleurs et leurs représentants doivent avoir le contrôle sur la collecte et l'utilisation des données.
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Salle syndicale numérique et canaux de communication : les syndicats et les représentants des travailleurs doivent disposer d'informations sur les travailleurs effectuant du télétravail et avoir un accès numérique garanti aux travailleurs et vice versa, et l'employeur doit prendre toutes les mesures possibles pour garantir cet accès et leur fournir un canal de communication sécurisé et confidentiel, en veillant à ce que les droits de participation soient pleinement respectés.
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Participation et droits collectifs : la participation des travailleurs en télétravail à toutes les activités de l'entreprise doit être encouragée afin que la vie sociale dans l'entreprise et l'exercice de leurs droits collectifs ne cessent pas d'exister. Les droits de participation des travailleurs en télétravail, y compris le droit de grève, doivent être pleinement respectés. Le télétravail ne doit pas renforcer les inégalités en matière de soins non rémunérés ni isoler les groupes vulnérables. Le recours au télétravail, lorsqu'il est équilibré entre les sexes, peut contribuer à une répartition plus équitable des responsabilités familiales. Une approche horizontale et sensible au genre est essentielle. Des garanties doivent être accordées aux travailleurs handicapés. Le télétravail ne doit pas être utilisé comme substitut aux services de soins et aux filets de sécurité nécessaires, tels que les congés maladie payés, les congés parentaux et les congés pour enfants malades.
La législation en matière de sécurité et de santé au travail doit être renforcée et mise à jour, en particulier compte tenu de l'évolution rapide des outils numériques et des nouvelles méthodes d'organisation du travail en matière de télétravail.
La CES estime que les directives sur la sécurité et la santé au travail et sur les écrans de visualisation doivent être mises à jour et que les avis du Comité consultatif pour la sécurité et la santé (CCSS) concernant leur révision doivent être dûment pris en considération. Il est essentiel d'éviter la fragmentation et la création de régimes réglementaires parallèles en matière de sécurité et de santé au travail. Plutôt que d'élaborer des réglementations distinctes exclusivement consacrées au télétravail et au droit à la déconnexion, il convient de s'attacher à identifier et à traiter les risques spécifiques dans le cadre plus large de la législation existante en matière de SST. C'est pourquoi la CES soutient l'idée que les aspects liés à la SST du télétravail et du droit à la déconnexion soient traités dans le cadre de la révision des deux directives SST relatives au lieu de travail et aux écrans de visualisation. En outre, il convient de mettre en évidence les dimensions SST du droit à la déconnexion, en soulignant que nous cherchons à faire respecter un droit existant prévu par la directive sur le temps de travail, qui ne devrait pas être remis en cause.
Enfin, nous devons veiller à la cohérence entre la formulation des avis du CSTC et celle du document de consultation, notamment en ce qui concerne l'utilisation des références au télétravail, à la « culture du travail permanent » et au « travail à domicile ». Cela est essentiel pour éviter les lacunes réglementaires, compte tenu notamment des discours divergents utilisés par certaines parties prenantes lorsqu'elles font référence au télétravail ou au travail à domicile dans les deux textes.
Les statistiques sur les accidents du travail déclarés survenus pendant le travail à distance devraient être collectées et rendues publiques afin de soutenir les efforts de prévention.
Question 4 : Les partenaires sociaux européens sont-ils disposés à entamer des négociations en vue de conclure un accord au titre de l'article 155 du TFUE concernant l'un des éléments énoncés à la section 7.2 ?
La CES a toujours démontré son engagement en faveur d'un dialogue social européen fort qui apporte des résultats tangibles aux travailleurs en Europe. Dans le programme de travail du dialogue social européen 2022-2024, la CES a accepté de négocier un accord européen sur le télétravail et le droit à la déconnexion, qui sera mis en œuvre sous la forme d'une directive européenne. Au cours de 15 cycles de négociation s'étalant sur 13 mois, la CES s'est pleinement engagée à conclure un accord juridiquement contraignant sur le télétravail et le droit à la déconnexion dans le cadre du dialogue social européen. À l'issue de ce processus, le refus des employeurs de soumettre l'accord négocié pour adoption a effectivement mis fin à notre travail commun dans ce domaine au niveau européen.
Les documents de consultation préparés par la Commission pour cette consultation en deux étapes ont clairement montré qu'une directive est plus que jamais nécessaire. La CES reste déterminée à recourir au dialogue social pour élaborer une législation visant à améliorer les conditions de travail dans la mesure du possible. Toutefois, en ce qui concerne le télétravail et le droit à la déconnexion, la reprise ou la réouverture des négociations ne constituerait pas un moyen efficace de trouver les solutions nécessaires.
Par conséquent, les employeurs ayant refusé de soumettre l'accord négocié pour adoption, la CES invite instamment la Commission à présenter sans délai une proposition législative.
La CES s'est appuyée sur les discussions qui ont eu lieu pendant les négociations pour fournir des réponses complètes à cette consultation et reste déterminée à soutenir la Commission et les colégislateurs dans leurs efforts pour relever les défis identifiés.
[1] https://oira.osha.europa.eu/en