Résolution de la CES pour une politique européenne progressiste en matière de commerce et d'investissement

Résolution de la CES pour une politique européenne progressiste en matière de commerce et d’investissement
Adoptée par le Comité exécutif de la CES lors de la séance des 13-14 juin 2017

 

La confédération européenne des syndicats appelle de ses vœux une politique européenne progressiste en matière de commerce et d’investissement articulée autour de la création d’emplois décents, de la protection des droits fondamentaux et des intérêts des travailleurs. Le commerce peut être un véritable tremplin s’il permet la création d’emplois de qualité et stimule une croissance durable. Le commerce extérieur participe du bien-être en Europe mais ne peut constituer la seule solution de sortie de crise. Le traité de Lisbonne ayant attribué à l’Union européenne de nouvelles compétences d’une vaste portée en matière de politique commerciale et d’investissement, la mise en place d’un agenda commercial progressiste est plus urgent que jamais. Les accords commerciaux de l’Union européenne sont de plus en plus « exhaustifs » et occupent une place centrale dans les préoccupations des syndicats.

Il est nécessaire de marquer un virage net et concret par rapport à la manière dont la politique commerciale est menée jusqu’ici. La politique commerciale progressiste doit s’inscrire dans le cadre d’une nouvelle politique économique et industrielle européenne plus large, vivement réclamée par la CES et ses organisations affiliées. En effet, la CES fait part de ses préoccupations concernant la viabilité du modèle axé sur l’importation uniquement, mis en place en Europe après 2008 afin de sortir de la crise économique. Nous pensons que cette stratégie met en péril l’économie européenne en maintenant les déséquilibres, au détriment de la demande interne globale (et plus particulièrement de l’investissement public et privé et de la consommation).

Une politique commerciale progressiste doit mettre les accords économiques au service d’objectifs prioritaires tels que le travail décent, la cohésion sociale, l’égalité et le développement durable. Les travailleurs ont subi les conséquences négatives des politiques qui ont entraîné la crise économique de 2008 et dont les effets sont encore prégnants aujourd’hui. Ces politiques, fondées sur la dérégulation et la libéralisation sans limite, ont créé des inégalités dans la répartition des revenus, du chômage, un affaiblissement des politiques sociales et une montée en flèche de la précarité.

Les syndicats européens se prononcent en faveur d'un nouveau système commercial juste et équitable, qui garantit l’égalité des droits et des avantages pour les travailleurs et l’ensemble des citoyens. Nous voulons un système commercial qui promeuve le développement durable et le travail décent[1]. Une politique commerciale doit garantir le plein respect des droits de l’homme, des droits des travailleurs et de l’environnement et prendre en compte les besoins de développement des pays en développement. Le commerce ne peut être un véritable tremplin que s’il permet la création d’emplois de qualité et stimule une croissance durable.

La réponse à la mondialisation n’est pas la fermeture des frontières - aux échanges ou aux flux de population - mais l’application de règles qui préviennent la course à l’abaissement des salaires, les mauvaises conditions de travail, le dumping social et l’exploitation, ainsi que la fraude fiscale et le non-respect du droit du travail par les entreprises multinationales. Le dernier document de réflexion de la Commission sur la mondialisation détermine un certain nombre de conséquences liées à la mondialisation effrénée, en particulier la montée en flèche des inégalités, bien qu’il reste timide dans les recours qu’il propose[2].

La mondialisation doit s’accompagner d’une dimension sociale afin de répondre aux préoccupations réelles des travailleurs quant aux effets négatifs du commerce international sur les emplois, les salaires et les conditions de travail. Nous rejetons un agenda européen en matière de commerce et d’investissement pour les entreprises qui entraîne une hausse des inégalités et porte atteinte à aux services publics de qualité et accessibles à tous, y compris les soins de santé et l’éducation. À l’inverse, la CES demande un agenda commercial qui protège et promeuve nos normes sociales et environnementales et respecte le principe de précaution[3].

Afin de façonner une mondialisation juste et équitable, les politiques de commerce et d’investissement de l’Union européenne doivent chercher à protéger et à promouvoir ses principes plutôt que de les mettre à mal. La politique commerciale doit toujours être en accord avec les objectifs suivants : la promotion d’un développement économique soutenu, inclusif et durable, le plein emploi et le travail productif fondés sur l’impératif du travail décent pour tous et la réduction des inégalités à l’intérieur des pays et entre les pays.

Pour la CES, un agenda commercial progressiste implique non seulement l’inclusion d’une dimension sociale dans tous les accords commerciaux mais également la sauvegarde totale et l’amélioration du droit des gouvernements et des autorités de réglementer l’économie au nom de l’intérêt public comme ils le jugent opportun.

Nous exigeons une approche ambitieuse de la part de la Commission européenne, qui promeuve et défende les droits sociaux avec une urgence et un engagement plus marqués que dans le cadre de réglementations économiques et fiscales. À ce titre, la communication de la Commission intitulée « Le commerce pour tous » peut constituer une transition positive vers une politique commerciale fondée sur les valeurs, mais elle n’a pas encore été traduite en actes : nous attendons des mesures concrètes afin de répondre aux préoccupations des travailleurs et des citoyens.

La politique commerciale doit également être conforme à la politique de développement de l’Union européenne, aux objectifs de développement durable des Nations unies et aux engagements de l’accord de Paris[4]. Des clauses suspensives doivent être introduites et activées à chaque fois que des accords commerciaux semblent entraîner une violation des principes susmentionnés.

L’Union européenne devrait donner la priorité aux solutions multilatérales dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) conformément à nos revendications pour une politique commerciale progressiste. La CES a systématiquement soutenu un commerce équitable réglementé par des institutions multilatérales et appelé de ses vœux une coopération étroite entre l’OMC et l’Organisation international du travail (OIT). Nous invitons l’Union européenne et ses États membres à mettre davantage de pression sur l’OMC en vue de l’inclusion du respect des normes du travail, telles qu’énoncées et contrôlées par l’OIT, dans ses considérations et dans les futurs accords commerciaux multilatéraux. L’Union s’est engagée dans plusieurs négociations birégionales et bilatérales au cours desquelles des accords commerciaux ont été intégrés à des accords stratégiques, d’association ou de coopération. Nous reconnaissons que les accords de commerce et d'investissement devraient s’inscrire dans une relation politique plus large et au cœur d’objectifs stratégiques de grande envergure.

Dans l’ensemble des négociations et des accords commerciaux, il doit être tenu compte des préoccupations et les propositions émanant des partenaires sociaux et de la société civile. La démocratie et la transparence doivent figurer parmi les points incontournables de l’agenda commercial de l’Union européenne.

La CES entend continuer de travailler étroitement avec les syndicats partenaires dans les pays et les régions concernés par les négociations[5]. La CES poursuivra également son étroite collaboration avec la Confédération syndicale internationale et les Fédérations syndicales internationales sur des questions multilatérales. Elle veut maintenir la coopération avec les organisations de la société civile dans le cadre d’initiatives qui feront progresser les politiques de la CES dans le domaine du commerce.

 

  1. Normes du travail

L’Union européenne doit promouvoir l’inclusion de dispositions sociales fortes sur les droits des travailleurs, le travail décent, les salaires, le développement durable et la protection de l’environnement dans le cadre des accords de commerce et d’investissement internationaux.

Nous rejetons l’idée selon laquelle le fait d’intégrer et d’appliquer des normes du travail à travers les accords commerciaux s’apparente à du protectionnisme déguisé ou à un moyen pour les pays européens de fermer leurs marchés aux biens provenant de pays tiers. Nous réfutons également l’idée selon laquelle les normes du travail ne peuvent être universalisées car elles doivent refléter la variété des circonstances économiques et culturelles. Au contraire, les droits relatifs au travail sont universels et nécessaires afin d’empêcher l’exploitation des travailleurs, en Europe comme dans le reste du monde[6]. L’aide européenne et les accords commerciaux devraient faire figurer ces droits en tant qu’« éléments essentiels », soumis à des clauses suspensives.

Les droits du travail, y compris le droit de former des syndicats, le droit à la négociation collective et le droit à la grève, sont déterminants dans la promotion du développement social et économique. Ils jouent également un rôle clé pour garantir des salaires moyens plus élevés et dans le traitement des inégalités de richesse[7]. Il est ainsi nécessaire de protéger les droits du travail à travers les normes de l’OIT afin de prévenir un nivellement par le bas en matière de réglementation. Les normes de l’OIT sont essentielles pour garantir que les entreprises respectent les droits des travailleurs ainsi que les autres droits de l’homme, à l’échelle nationale mais également sur leurs chaînes d’approvisionnement mondiales. À défaut de telles normes internationales, les pays risquent de subir des pressions les poussant à limiter les droits du travail afin d’attirer des investissements étrangers. C’est pourquoi la CES encourage le renforcement de l’OIT et l’adoption de nouvelles normes de l’OIT visant à améliorer les conditions de travail à l’échelle planétaire.

Les nouveaux accords commerciaux doivent non seulement comporter des règles solides et contraignantes sur les normes du travail minimales mais également faciliter le passage à une convergence vers le haut, en vue d’établir un terrain d’entente pour un commerce juste et équitable entre les pays. L’Union européenne doit œuvrer en permanence à l’amélioration des normes dans le cadre des accords existants.

Comme les accords commerciaux risquent également d’entraîner une compétition accrue entre les travailleurs, les droits doivent être plus rigoureux afin que nous puissions les défendre de manière collective. Nous demandons donc à l’Union européenne d’élargir les dispositifs en faveur de la participation des travailleurs et de l’information et de la consultation des employés dans les sociétés transnationales. Par l’intermédiaire de leurs syndicats, les travailleurs doivent avoir accès à l’ensemble des informations concernant les conditions financières et les actifs de l’entreprise qui les emploie.

La ratification et la mise en œuvre des huit normes fondamentales du travail de l’OIT[8] ainsi que la conformité aux conventions et aux instruments de l’OIT actualisés, tels que le protocole relatif à la convention sur le travail forcé et les conventions sur la santé et la sécurité au travail, doivent être une condition préalable pour entamer toutes négociations commerciales avec l’Union. Cependant, si un pays partenaire n’a pas ratifié ou mis en œuvre correctement ces conventions, il doit présenter dans un programme détaillé et contraignant la façon dont il entend atteindre ces objectifs en temps opportun. Les instruments actualisés de l’OIT doivent être intégrés à tous les accords commerciaux de l’Union afin qu’ils obtiennent force exécutoire.

L’Union européenne doit également s’engager à inclure la dimension du genre dans sa politique commerciale en veillant au respect des normes du travail internationales relatives à l’égalité des sexes et aux droits des travailleuses dans la sphère professionnelle. Plus particulièrement, nous appelons de nos vœux le respect de la Convention n° 100 sur l’égalité de rémunération, de la Convention n 111 concernant la discrimination (emploi et profession), qui promeut la non-discrimination sur le lieu de travail, et de la Convention n° 183 sur la protection de la maternité.

Un mécanisme de déclenchement indépendant en cas de violation doit nécessairement être institué, par exemple par la création d’un secrétariat au travail indépendant faisant partie du dispositif institutionnel des accords de commerce et d’investissement. En vertu des arrangements actuels, la CES insiste sur le fait que Commission doit donner suite de manière rigoureuse et pertinente aux plaintes formulées par les syndicats[9]. Quoiqu’il en soit, il doit être possible d’invoquer des conséquences économiques en dernier recours pour les affaires dans lesquelles une violation a été démontrée. Toute violation des droits du travail couverte par un accord doit entraîner des poursuites en vertu de la procédure en matière de règlement des différends, que cette violation soit ou non directement liée aux échanges commerciaux.

Nous invitons la Commission européenne à instaurer des feuilles de route claires, transparentes et contraignantes lors de la phase de pré-négociation, en mettant l’accent sur la mise en œuvre d’un cadre juridique et stratégique visant à garantir la liberté d’association et le droit à la négociation collective, ainsi que sur l’instauration d’inspections du travail strictes entraînant des pénalités en cas de mauvais traitement des travailleurs. Nous sommes ouverts à un dialogue constructif avec les institutions européennes sur notre vision et notre position en faveur de l’élaboration de chapitres ambitieux et solides sur le développement durable dans le cadre des négociations commerciales actuelles et futures.

L’ensemble des accords de commerce et d’investissement doit être étayé par un mécanisme de suivi impliquant les partenaires sociaux. La détermination d’une violation des droits du travail doit reposer sur l’expertise des systèmes de contrôle de l’OIT et être validée par ses résultats. Les instances de contrôle doivent être correctement financées et soutenues par la Commission européenne afin de permettre une participation syndicale significative des syndicats de l’Union et des syndicats hors Union qui n’ont pas les ressources nécessaires.

Les groupes consultatifs internes, qui sont les instances de suivi des accords de libres échanges de l’Union européenne composées de membres de la société civile, sont primordiaux pour s’assurer que les engagements formulés par les gouvernements quant au respect des instruments de l’OIT sont honorés et traduits en actes une fois l’accord signé. En outre, nous demandons à ce que le contrôle par les groupes consultatifs internes ne se limite pas au chapitre du développement durable, comme c’est actuellement le cas, mais couvre l’accord dans son intégralité.

La CES demande à nouveau que les délégations de l’Union dans les capitales clés comportent des responsables chargés d’effectuer un rapport sur le travail, en lien étroit avec les partenaires sociaux de ces pays ainsi qu’avec le mouvement syndical européen à superviser, pour examiner par exemple les conséquences des relations commerciales.

 

  1. Revendications de la CES vis-à-vis du caractère contraignant des clauses RSE, en complément des normes du travail

Les États ont la responsabilité de prendre les mesures appropriées, dans le respect de leurs obligations en matière de droits de l'homme, afin de prévenir les abus et de garantir que les personnes victimes de violations des droits de l’homme relatives au travail aient accès à un recours efficace, à savoir à des moyens judiciaires et non judiciaires adaptés. En outre, les États membres de l’Union doivent soutenir l’élaboration du traité international contraignant sur les entreprises et les droits de l’homme.

La politique commerciale doit inclure des mécanismes d’audit préalable (due diligence) et des clauses de responsabilité sociale des entreprises (RSE). Les sociétés mères doivent assumer la responsabilité du respect des normes du travail à chaque étape de la chaîne d’approvisionnement. En outre, la politique commerciale européenne doit mentionner clairement les Principes directeurs de l’ONU relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme ainsi que le respect des Principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales et la Déclaration de principes tripartite sur les entreprises multinationales et la politique sociale actualisée de l’OIT. Nous croyons également que les points de contact nationaux (PCN) de l’OCDE[10] devraient être indépendants et structurés de manière à impliquer les partenaires sociaux en tant que membres des PCN ou du comité de supervision des PCN. Les membres des PCN doivent être correctement sélectionnés, formés et financés afin de répondre aux exigences les plus élevées et de garantir une coordination optimale des travaux.

 

  1. Protection et devoirs des investisseurs

Les accords de commerce et d’investissement européens doivent être négociés au nom de l’intérêt public et non de celui d’investisseurs privés. Les accords de négociation collective, y compris ceux qui ont été reconnus comme universellement applicables par les autorités gouvernementales, ne doivent sous aucun prétexte être remis en cause par l’invocation de dispositions sur la protection des investisseurs. La CES s’oppose aux mécanismes étatiques de règlement des différends pour les investisseurs, qui favorisent les investisseurs étrangers et entraînent une privatisation de la justice. La CES se prononce en faveur de la suppression des traités d’investissement internes à l’Union et rejoint la Commission sur l’idée que ces traités ne sont pas compatibles avec le droit communautaire.

La CES reconnaît que la Commission est engagée dans une réforme du mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États, actuellement dysfonctionnel, par l’instauration d’un système juridictionnel des investissements et la proposition de création d’une juridiction multilatérale en matière d’investissement. Toutefois, le système juridictionnel des investissements et la juridiction multilatérale en matière d’investissement maintiennent tous deux un système juridique parallèle avec un tribunal spécifique pour les investisseurs étrangers venant court-circuiter les dispositifs juridiques nationaux pour le seul avantage de ces investisseurs. Les deux systèmes entraînent un déséquilibre entre la couverture des droits des investisseurs privés (avec mécanisme de sanction) et la couverture des droits des travailleurs (sans mécanisme de sanction). Pour parvenir à une plus grande clarté juridique, la CES soutient la demande d’un avis de la CJUE sur la compatibilité d’un système juridictionnel des investissements avec le droit communautaire.

Les préoccupations de la CES lors de discussions précédentes à propos du règlement des différends entre investisseurs et États portaient notamment sur le manque de légitimité, de neutralité, de transparence et de cohérence ainsi que sur les coûts des dispositions prédominantes du mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États. Nous reconnaissons que la proposition d’une juridiction multilatérale en matière d’investissement permettrait une réforme du système et représenterait une tentative de résolution des problématiques précitées. Malgré cela, un mécanisme de règlement des différends réformé ne changerait pas le fait qu’il existe une structure juridique parallèle exclusivement dédiée à la protection de l’investissement étranger.

La proposition actuelle de juridiction multilatérale en matière d’investissement ne répond pas à la revendication centrale de la CES, qui souhaite que les droits des investisseurs soient équilibrés par un mécanisme juridique équivalent accessible aux syndicats et aux autres acteurs et veillant à l’application des obligations des investisseurs. Ainsi, dans son état actuel, la proposition d’une juridiction multilatérale en matière d’investissement n’est pas acceptable. Cette préoccupation devrait également être prise en compte dans le cadre de tout débat sur la protection des investisseurs, y compris ceux portant sur les traités d’investissement bilatéraux.

Pour la CES, l’exécution des normes du travail est une condition sine qua non pour pallier le déséquilibre entre les droits des investisseurs privilégiés et les droits de l’homme relatifs au travail qui n’ont pas force exécutoire. L’exigence vis-à-vis des entreprises du respect des droits de l’homme tels que définis dans les normes internationales relatives aux droits de l’homme ouvre la voie au démantèlement de la politique du deux poids, deux mesures.

 

  1. Protection des services publics et des droits fondamentaux

La CES exige que les services publics soient totalement exclus du champ d’application des accords commerciaux. Les listes négatives, les clauses suspensives et les clauses d’indexation à la hausse doivent être évitées dans la mesure où elles contribuent à exacerber et à figer une libéralisation unilatérale. Le passage de l’Union européenne de l’approche de la liste positive à celle de la liste négative n’est pas un simple exercice technique mais une promotion fondamentale de la libéralisation. L’Union européenne ne devrait pas solliciter l’engagement des partenaires commerciaux dans les services publics.

Les autorités européennes, nationales et locales doivent conserver leur plein droit d’initier, d’adopter, de conserver ou de révoquer toute mesure relative à la commande, l’organisation, le financement et la fourniture de services publics. La garantie d’un accès universel à des services publics de qualité et à des services d’intérêt général doit prévaloir sur la progression de la libéralisation et les droits des investisseurs. La Commission européenne doit créer une clause type visant à exclure les services publics du champ d’application des accords[11].

 

  1. Marchés publics : un levier au service du développement durable

Nombreux sont les industries et les emplois européens qui reposent sur des procédures de marchés publics. Les modifications relatives aux conditions et aux cadres retenus ont une incidence directe sur les travailleurs. Parallèlement, il est nécessaire de garantir le droit des gouvernements, à toutes les échelles, d’élaborer une approche industrielle stratégique pour les activités économiques proches sur le plan géographique.

La politique commerciale ne devrait pas imposer l’ouverture ou la libéralisation des marchés publics à l’échelle municipale. Les gouvernements locaux devraient au contraire être en mesure d’utiliser des critères sociaux et environnementaux afin de garantir l’utilisation des fonds publics en faveur du développement durable, local et économique. Dans ce contexte, la réforme des cadres stratégiques existants devrait prendre en compte la Convention n° 94 sur les clauses de travail (contrats publics) et la révision de la directive européenne sur la passation des marchés publics qui a introduit une clause sociale obligatoire garantissant le respect du droit du travail et des conventions collectives.

 

  1. Droit de réglementation

Dans le cadre des accords commerciaux, il doit être veillé à ne pas limiter les normes existantes ou empiéter sur le droit des autorités publiques de réglementer l’intérêt public comme elles le jugent opportun, ce qui signifie que les accords ne doivent en aucun cas empêcher les législateurs d’adopter des lois ou de se pencher sur des domaines tels que la politique d’emploi, la sécurité sociale, la protection environnementale, la santé au travail et la protection de la sécurité, par exemple.

Nous rejetons tout abaissement des normes européennes et insistons sur le fait que la marge de manœuvre doit être maintenue et que le droit de réglementer au nom de l’intérêt public, malgré les dispositions d’un accord, ne doit pas être limité par des instances non démocratiques telles que les conseils de coopération règlementaires. De nombreuses normes reflètent nos préférences collectives qui ne doivent pas être abandonnées au cours des négociations car perçues comme des obstacles non tarifaires au commerce. Elles ne doivent pas être considérées comme telles.

Les clauses spécifiant le droit à réglementer dans les accords commerciaux actuels ne sont pas suffisantes pour protéger les services publics et les droits fondamentaux, dans la mesure où elles ne prévoient aucune obligation ou droit juridique et sont des outils d’interprétation uniquement déclaratoires. Ce type de clauses ne peut modifier les règles de fond d’un accord de commerce et d’investissement.

Une politique commerciale progressiste ne doit pas empiéter sur les devoirs des gouvernements de réglementer, d’organiser, de répartir et de financer les biens et les services collectifs (services publics, services d’intérêt économique général), qu’ils soient récents ou anciens.

 

  1. Convergence règlementaire des normes industrielles : pas un outil en faveur de la déréglementation

Les normes garantissent la compatibilité technique des systèmes et l’accomplissement de ce que l’Union européenne décrit comme des « exigences essentielles » en matière d’intérêt public: la santé et la sécurité des travailleurs, la protection de l’environnement et la protection des consommateurs. Elles sont de véritables outils permettant d’atteindre des objectifs en matière de politique générale et industrielle. Étant donné que la nouvelle génération d’accords commerciaux, en particulier entre les pays membres de l’OCDE, porte davantage sur le traitement des obstacles non tarifaires que sur les droits de douane, l’ambition de la Commission européenne est de voir les normes industrielles « converger » soit par une reconnaissance mutuelle (afin qu’il suffise aux entreprises de répondre à une série d’exigences techniques) soit par une harmonisation des normes. C’est pourquoi le processus de convergence règlementaire est au cœur des préoccupations de la CES en matière de politique commerciale.

Les normes techniques sont politiques par essence. Elles sont la traduction, en termes techniques, de décisions politiques. Le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne dispose clairement dans son article 114 que la législation et les normes européennes doivent garantir le plus haut niveau de protection de l’environnement, de la santé et de la sécurité des travailleurs de l’industrie et des consommateurs de produits introduits sur le marché par l'industrie.

La volonté d’instaurer des instances globales pour les « nouvelles générations » d’accords commerciaux européens, qui soient composées de régulateurs représentant l’Union et les partenaires commerciaux, risque de mettre en péril la prise de décision démocratique et d’empêcher la réglementation sociale à l’avenir (par exemple par l’introduction d’études d’impact commercial pour chaque proposition législative ou règlementaire importante). Il convient ainsi de mettre en place des garanties pour s’assurer que ces instances impliqueront uniquement l’échange d’informations entre les régulateurs de chaque partie et n’auront aucune incidence sur le droit de réglementation ou sur le processus d’élaboration des réglementations. En outre, les travailleurs et leurs représentants doivent être impliqués à chaque étape du processus.

De manière générale, la convergence réglementaire ne doit en aucun cas freiner les initiatives nécessaires visant à améliorer les normes relatives à la santé, la sécurité ou l’environnement, et à aborder les nouveaux défis présents dans ces domaines. La CES soutient les initiatives de normalisation visant à améliorer et à promouvoir des conditions de travail de qualité, au-dessus du niveau des réglementations publiques existantes. Quoiqu’il en soit, ces initiatives ne doivent pas empiéter sur la législation du travail, les conventions collectives et la négociation collective à l’échelon national.

 

  1. Défense commerciale

La politique commerciale doit garantir une situation équitable et une concurrence juste. Il convient d’adopter des mesures claires afin de s’assurer que les industries européennes des secteurs ouverts à la concurrence internationale et les travailleurs ne sont pas menacés ou désavantagés par des pratiques commerciales inéquitables.

L’Union européenne doit conserver des instruments solides de protection commerciale capables d’imposer des restrictions ciblées sur les importations anticoncurrentielles en Europe si les entreprises qui importent ne respectent pas les normes du travail internationales. Des restrictions devraient également cibler les importations dont la fabrication n’est pas conforme aux normes environnementales ou les produits qui bénéficient de subventions gouvernementales entraînant une distorsion des échanges commerciaux. Nous réclamons la suppression de la règle du droit moindre[12] qui nous place dans une situation concurrentielle désavantageuse vis-à-vis de nos partenaires commerciaux tels que les États-Unis, qui ne l’appliquent pas et risquent d’imposer des droits antidumping encore plus élevés.

La CES encourage donc vivement le Conseil à déclencher la modernisation et le renforcement des instruments de défense commerciale de l’Union européenne. D’un autre côté, elle considère que la proposition récente de la Commission au sujet de la réforme de la politique antidumping est insuffisante et prie instamment les institutions européennes de la réviser afin de maintenir le recours à la méthodologie d’un pays analogue[13] et d’établir une distinction claire entre les économies de marché et les autres types d’économies, en se fondant sur des critères tangibles.

Nous condamnons le non-respect des normes du travail fondamentales, telles que le droit d’organisation et le droit à la négociation collective dans les pays tiers, pratiqué dans l’objectif d’obtenir un avantage concurrentiel économique par rapport aux pays qui respectent les droits des travailleurs et les Conventions de l’OIT. De telles actions enfreignent la Déclaration de l’OIT de 1998 et devraient être considérées comme des distorsions du marché par l’Union européenne.

 

  1. Mondialisation et restructuration : personne ne peut être exclu

Les bénéfices actuels du commerce et de la mondialisation ne sont pas répartis équitablement. Pour que le commerce soit juste, il faudrait que ses bénéfices soient répartis entre les citoyens afin de réduire les inégalités. La mondialisation fait naître de nombreux défis pour les régions, dont certaines s’adaptent moins facilement aux changements et à la concurrence que d’autres. Le processus de mondialisation a entraîné des fermetures d’usine, des pertes d’emploi et une pression accrue sur les salaires et les conditions des travailleurs (tirés vers le bas) en Europe. Nombreuses sont les entreprises et les PME qui ont été contraintes de mettre la clé sous la porte et de se restructurer car elles n’étaient pas en mesure de rivaliser avec leurs concurrents internationaux dont le coût de la main-d’œuvre est bien plus faible.

La CES considère que l’Union européenne a besoin d’un cadre réglementaire mieux coordonné afin de faire face à ces défis et de garantir que la restructuration ait lieu de la manière la plus cohérente, juste et responsable possible. Les syndicats sont prêts à jouer un rôle proactif dans l’anticipation, la négociation et la gestion de la restructuration.

Les gouvernements européens et nationaux devraient aider les travailleurs à se former à nouveau et à se requalifier en vue de répondre aux nouvelles offres d’emploi, tout en encourageant l’investissement dans les nouvelles entreprises. Il est impératif de protéger les travailleurs qui sont victimes des conséquences des processus de mondialisation et de libéralisation en renforçant également les systèmes de sécurité sociale. Les travailleurs ne doivent pas porter seuls le fardeau des politiques commerciales ; le maintien d’un niveau de vie décent ainsi qu’une compensation correcte doivent leur être garantis.

Ceci implique de les aider à s’adapter au changement et de soutenir plus encore ceux qui perdent leur emploi en raison des retombées économiques négatives d’accords commerciaux. Nous devons ainsi veiller à la mise en place d’une politique de restructuration assortie d’une couverture juridique et financière adaptée à l’échelle européenne et nationale. Avant d’entamer des négociations commerciales, la Commission européenne doit effectuer des études d’impact afin de déterminer dans quelle mesure un accord commercial peut avoir des répercussions négatives sur les travailleurs, l’environnement et la société[14]. La Commission devrait clarifier la manière dont elle veut travailler avec les partenaires sociaux ainsi qu’avec les autres acteurs pour contrebalancer les conséquences négatives sur l’emploi. Elle doit également fournir les fonds adéquats et accessibles, y compris à travers le Fonds européen d’ajustement à la mondialisation (FEM), afin de soutenir les travailleurs qui sont désavantagés par des accords commerciaux.

 

  1. Commerce des services

Les accords commerciaux qui promeuvent le commerce des services doivent autoriser les autorités gouvernementales à prendre les mesures réglementaires, de suivi et d’exécution nécessaires vis-à-vis des entreprises de commerce électronique et des plate-formes de crowdworking. Il peut s’agir par exemple de requérir une présence locale, même si ces entreprises sont établies dans un autre pays. Les accords commerciaux ne doivent donc jamais autoriser les entreprises étrangères à contourner la législation du travail, à ne pas payer les taxes et les cotisations de sécurité sociale et à transgresser la législation relative à la protection des données.

Les données personnelles ne sont pas une marchandise. Le devoir des gouvernements de faire respecter et de promouvoir les droits fondamentaux va au-delà des contraintes imposées par un accord commercial. C’est pourquoi les engagements formulés dans le cadre d’accords commerciaux sur les flux de données ne doivent pas mettre en péril ou restreindre les droits fondamentaux tels que la confidentialité des données[15].

De la même manière, les exigences de localisation des données sont censées garantir la capacité de détenir et de traiter des données à l’intérieur du pays d’origine. À défaut de telles exigences, les fournisseurs de services sont autorisés à accumuler et traiter des données relatives à un service où que ce soit dans le monde, en vertu des règles applicables sur le lieu de localisation du serveur, y compris dans des pays où la législation sur la protection des données et le droit à la confidentialité sont moins stricts. Les accords commerciaux ne doivent dès lors pas entraver l’accès des autorités gouvernementales aux données nécessaires pour contrôler efficacement la conformité d’une entreprise aux normes de sécurité ou à la législation du travail applicable.

En outre, les accords promouvant le commerce des services devraient empêcher le reclassement de travailleurs salariés en fournisseurs de services avec des salaires moins élevés, des conditions de travail médiocres et pas de protection ni de droits collectifs, notamment dans les secteurs particulièrement exposés aux risques de faux travail indépendant.

 

  1. Détachement des travailleurs

La CES insiste sur le principe fondamental du traitement équitable des travailleurs. Il est primordial de garantir la mise en œuvre inconditionnelle du principe « à travail égal, salaire égal ». Tous les travailleurs, quel que soit leur pays d’origine, doivent bénéficier au minimum des mêmes droits et des mêmes salaires que les citoyens du pays effectuant le même travail ainsi que de la liberté syndicale, du droit à la négociation collective et de grève.

Il est donc important que les services à travers le mouvement des travailleurs dans le cadre des accords commerciaux (dispositions du « mode 4 ») s’accompagnent de normes sociales et de normes du travail contraignantes et élevées afin de protéger les travailleurs contre l’exploitation et le dumping social. Cette protection ne peut être assurée uniquement par les dispositions des accords commerciaux et doit être visée par une coopération internationale efficace. Les salaires et les conditions de travail des travailleurs doivent être conformes aux conventions collectives de travail locales spécifiques au secteur concerné. Une disposition anti-briseurs de grève doit empêcher le recours à la main-d'œuvre étrangère lors des processus de négociation et des conflits de travail.

 

  1. Fiscalité de la politique commerciale et services financiers

La capacité des gouvernements à réglementer leurs régimes fiscaux et leurs services financiers doit être entièrement protégée contre toute interférence des accords commerciaux. Les gouvernements doivent par exemple avoir le droit de mettre en place des contrôles des capitaux, de restructurer les institutions financières, de lutter contre les institutions financières « trop grosses pour faire faillite », de modifier leurs politiques fiscales et de lutter contre les crises financières, la fraude fiscale et l’évasion fiscale, de la manière qu’ils jugent appropriée au nom de l’intérêt public. Les accords de commerce et d’investissement doivent préserver la capacité des États à réagir aux crises économiques. En outre, les accords commerciaux ne doivent pas empêcher l’application de lois ou de réglementations relatives aux services financiers en vue de faire entrave aux tentatives de protection contre les risques financiers systémiques.

Les accords commerciaux ne doivent pas faciliter la création et la subsistance de paradis fiscaux. Ils doivent au contraire soutenir les efforts en faveur de la promotion des normes internationales pour la transparence et la bonne gouvernance. Afin de faire face aux stratégies agressives d’évasion fiscale et d’évitement fiscal, des mécanismes de coopération efficaces devraient être institués pour ce qui est des échanges d’information en matière de fiscalité des entreprises multinationales et offshore. La publication d’un rapport pays par pays des activités des multinationales européennes présentes dans le monde entier doit devenir la norme. L’Union européenne doit soumettre les négociations commerciales à la négociation de conventions fiscales dans lesquelles les partenaires commerciaux et l’Union européenne s’engagent à rehausser leur taux d’imposition (par exemple sur les bénéfices des entreprises et les plus-value) et à collaborer étroitement afin de lutter contre la corruption, la fraude fiscale et l’évasion fiscale.

 

  1. Commerce et développement

L’Union européenne devrait revoir ses politiques et ses accords de commerce et d’investissement vis-à-vis de l’hémisphère sud et des pays les moins avancés (PMA) afin de prendre en considération leurs transformations économiques structurelles ainsi que la protection et la promotion des droits de l’homme, y compris des droits du travail.

Les pays en développement et les PMA doivent progresser dans leur capacité à transformer leurs systèmes économiques afin de grimper sur la chaîne de valeur mondiale. Pour une transition plus rapide de l’économie informelle à l’économie formelle, ils doivent passer de la vente de matières premières à la vente de produits de valeur supérieure fabriqués à partir de matières premières et développer un potentiel industriel et une économie manufacturière de plus grande envergure, en tant que base d’une croissance fondée sur l’emploi.

Les accords commerciaux devraient soutenir le développement industriel et économique des PMA et leur fournir l’autonomie dont ils ont besoin pour poursuivre leur diversification économique. C’est pourquoi les accords commerciaux doivent comprendre des règles de passation locales afin de faciliter la mise en œuvre de politiques industrielles régionales.

Les politiques et les accords de commerce et d’investissement de l’Union européenne tels que les Accords de partenariat économique (APE)[16] doivent prévoir une marge de manœuvre pour une transformation structurelle qui respecte les droits de l’homme, y compris les droits du travail, en:

  • garantissant que les règles commerciales internationales ne limitent pas la marge d’action publique des pays en développement et promeuvent des politiques clés comprenant des règles de contenu local justes et réalisables et des exigences en matière de transfert de technologies, afin de tirer le meilleur parti de la participation aux chaînes de valeur ;
  • appliquant des droits de douanes qui permettent aux PMA de protéger leurs structures agricoles, industrielles et, plus généralement, économiques, et leur laissent la liberté de choisir une base de production assez solide pour résister à la concurrence internationale ;
  • fournissant une aide au développement, y compris une aide technique et financière aux PMA par l’intermédiaire d’initiatives telles que l’Aide pour le commerce, afin de promouvoir la transformation structurelle de leurs économies vers des activités économiques plus productives et de valeur supérieure, en vue de leur intégration au sein du commerce international à un stade ultérieur ;
  • appliquant des droits de douane qui favorisent le respect des normes du travail fondamentales, à l’image du système des préférences généralisées (SPG), avec la participation et la consultation de partenaires sociaux en Europe et dans les pays en développement, et avec un système de suivi adéquat et des mécanismes de sanction pouvant être utilisés efficacement si nécessaire.

Nous félicitons l’OIT pour son travail sur les projets de coopération technique visant à relever les normes du travail au sein des pays en développement. Nous prions instamment la Commission européenne d’investir davantage dans les projets de coopération au développement afin de promouvoir le dialogue social et le renforcement des capacités des partenaires sociaux en matière de négociation collective dans les pays en développement.

 

  1. Transparence des négociations

La transparence devient une problématique cruciale à mesure que les accords de commerce et d’investissement mettent davantage l’accent sur l’élaboration de normes que sur l’abaissement des droits de douane. Nombre de nos normes reflètent nos préférences collectives, telles qu’exprimées à travers nos institutions et nos procédures démocratiques fondées sur le dialogue social et la négociation collective. C’est pourquoi la CES insiste sur l’impératif de transparence à travers le dialogue social lors de toutes les négociations de commerce et d’investissement, sur la vision démocratique portée par les parlements européens et nationaux et sur la pleine consultation et l’implication des partenaires sociaux et des organisations de la société civile. Il est impératif d’entamer une discussion globale avec les partenaires sociaux quant aux objectifs des négociations, avant même qu’elles ne commencent, y compris pendant la préparation du mandat de négociation que le Conseil octroie à la Commission.

Il convient également de garantir une transparence totale dans la préparation des études d’impact de durabilité, qui fournissent à la Commission une analyse détaillée des impacts potentiels des négociations en cours sur l’économie, la société, les droits de l’homme et l’environnement.

Le caractère secret des négociations est non seulement contestable d’un point de vue démocratique mais il prive également la communauté d’un débat public qui se fonderait sur des faits plutôt que sur des rumeurs. Grâce à une forte mobilisation de la société civile et des syndicats, la transparence des négociations commerciales a été partiellement améliorée dans le cadre des négociations pour le TTIP, notamment par l’intermédiaire d’un comité consultatif TTIP[17] dont la CES fait partie. La Commission a également rendu publiques plusieurs propositions de l’Union européenne et une partie de l’offre initiale. Toutefois, nous observons qu’elle n’a pas la même approche dans le cadre d’autres négociations en cours. Nous demandons donc à la Commission d’élargir le champ d’application du comité consultatif TTIP à l’ensemble des négociations de commerce et d’investissement actuelles.

Nous réclamons la divulgation publique de tous les documents fondamentaux des accords commerciaux en cours de négociation, y compris les textes consolidés tout au long du processus de négociation. Tous les projets de mandat de négociation doivent être publiés, débattus et tranchés au sein des parlements européens et nationaux et faire l’objet d’une concertation avec la société civile avant leur adoption et le début des négociations. L’absence de consensus public solide quant aux objectifs de négociation fait qu’il est pratiquement impossible de parvenir à des résultats qui soient acceptables pour les travailleurs et pour le grand public.

Les accords commerciaux sont des accords vivants, dans le sens où leur phase de mise en œuvre est aussi importante que la phase de négociation et où les syndicats souhaitent avoir leur mot à dire. La CES exige donc d’être davantage impliquée dans le fonctionnement des comités mixtes prévus dans le cadre des accords commerciaux, composés de représentants du gouvernement chargés de superviser, de mettre en place et éventuellement de modifier lesdits accords.

Il reste beaucoup à faire pour mettre sur pied un agenda commercial mondial progressiste mais grâce à la solidarité internationale, les syndicats ont en main les outils nécessaires pour refaçonner la mondialisation. Les syndicats doivent continuer de faire pression en faveur d’un agenda commercial mondial qui s’articule autour du travail décent, de la répartition équitable des richesses et des droits des travailleurs. Il existe une alternative au-delà du protectionnisme et du libre-échange effréné et, ensemble, nous pouvons en faire une réalité.

 

 


[1] Tel que défini dans l’agenda de l’OIT pour le travail décent et ses quatre piliers : le travail productif, les normes du travail, le dialogue social et la protection sociale

[2] Un document de réflexion de la Commission vise enfin une mondialisation plus juste, communiqué de presse de la CES, https://www.etuc.org/fr/presse/un-document-de-r%C3%A9flexion-de-la-commission-vise-enfin-une-mondialisation-plus-juste#.WS0ij2jyjIU

[3] Le principe de précaution a été énoncé pour la première fois dans une communication de la Commission européenne adoptée en février 2000, qui définit le concept et envisage sa mise en œuvre effective. Le principe de précaution est détaillé dans l’article 191 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE). Il repose sur une approche de la gestion des risques selon laquelle si une politique ou une action donnée risque de porter atteinte à la population ou à l’environnement et sil n’y a toujours pas de consensus scientifique en la matière, la politique ou l’action en question ne devrait pas être poursuivie.

[4] Notamment l’objectif de maintien du réchauffement planétaire en dessous de 2 °C.

[5] Comme elle l’a fait avec l’AFL-CIO et le Congrès du travail du Canada dans le cadre du TTIP et du CETA respectivement, ainsi que dans d’autres régions avec la Confédération syndicale des Amériques et le coordinateur des instances de coordination syndicale du cône Sud (CCSCS) en Amérique latine, ou encore la confédération japonaise des syndicats (RENGO) et la confédération arabe des syndicats.

[6] La déclaration de 2008 de l’OIT sur la justice sociale pour une mondialisation équitable indique « que la violation des principes et droits fondamentaux au travail ne saurait être invoquée ni utilisée en tant qu’avantage comparatif légitime, et que les normes du travail ne sauraient servir à des fins commerciales protectionnistes. »

[7] Voici des recherches intéressantes sur le lien positif entre la négociation collective et le développement économique : « Unions and Collective Bargaining: Economic Effects in a Global Environment », Banque mondiale, Washington, 2003 (https://openknowledge.worldbank.org/handle/10986/15241) et: « Inequality and Labor Market Institutions », note de discussion du FMI, Florence Jaumotte et Carolina Osorio Buitron, FMI, Washington 2015.

[8]Les huit Conventions fondamentales sont les suivantes : 1. Convention (n° 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948 ; 2. Convention (n° 98) sur le droit d’organisation et de négociation collective, 1949 ; 3. Convention (n° 29) sur le travail forcé, 1930 ; 4. Convention (n° 105) sur l’abolition du travail forcé, 1957 ; 5. Convention (n° 138) sur l’âge minimum, 1973 ; 6. Convention (n° 182) sur les pires formes de travail des enfants, 1999 ; 7. Convention (n° 100) sur l’égalité de rémunération, 1951 ; 8. Convention (n° 111) concernant la discrimination (emploi et profession), 1958

[9] Par exemple, le groupe consultatif interne Union européenne-Corée a demandé deux fois à la Commission d’initier des consultations formelles, au motif que des violations courantes des droits du travail, en particulier en matière de liberté d’association, avaient lieu en Corée, mais la Commission a rejeté lesdites demandes.

[10] Les PCN sont mis en place par les gouvernements qui adhèrent aux Principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales. Le rôle principal des PCN est d’améliorer l’efficacité des Principes en menant à bien des activités promotionnelles, en gérant les requêtes et en contribuant à la résolution des problématiques qui pourraient découler de non-respect présumé des Principes au sein d’instances spécifiques. Les PCN aident les entreprises et leurs acteurs à prendre des mesures appropriées pour se mettre en conformité avec les objectifs des Principes. Ils sont des intermédiaires qui assurent médiation et conciliation dans le but de régler les difficultés pratiques qui peuvent se présenter lors de la mise en œuvre des Principes.

[11]http://www.epsu.org/sites/default/files/article/files/Study%20M%20Krajewski_Model%20clauses%20for%20the%20exclusion%20of%20public%20services_2016.pdf

[12] Au titre de la règle du droit moindre, les autorités peuvent imposer des droits inférieurs à la marge du dumping si ce niveau est approprié pour supprimer le préjudice.

[13] D’après la réglementation antidumping de l’Union, le calcul du dumping pour les entreprises d'un pays n’ayant pas une économie de marché doit se fonder sur les valeurs d’un pays analogue.

[14] L’étude d’impact actuelle pour les conséquences sur l’économie et sur l’emploi repose sur un modèle d’équilibre général macroéconomique calculable (MEGC). Ce modèle présente des défauts dans le sens où il est fondé sur l’axiome des marchés du travail tendant à un équilibre du chômage non structurel, de la même manière que la sagesse de la « main invisible » mène toujours à l’équilibre du marché d’après la théorie du marché capitaliste. Cet axiome étant bien loin des réalités économiques, les conséquences possibles sur le chômage ne sont jamais prises en compte sérieusement par les études d’impact de durabilité (SIA) de la Commission européenne. Les SIA devraient donc s’appuyer sur des modèles macroéconomiques plus pertinents.

[15] Nous sommes particulièrement préoccupés par le fait que les flux de données dans le cadre des accords sur le commerce des services (ACS) risquent de limiter le droit fondamental à la confidentialité des données

[16] Les Accords de partenariat économique (APE) sont des accords de commerce et de développement négociés entre l’Union européenne et des partenaires d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP) engagés dans des processus d’intégration économique régionaux.

[17] http://ec.europa.eu/trade/policy/in-focus/ttip/documents-and-events/index_en.htm#advisory-group