Résolution de la CES sur 2021 – Année pour plus de démocratie au travail

ETUC Secretariat 2019

Résolution de la CES sur 2021 – Année pour plus de démocratie au travail

Adoptée par le Comité exécutif de la CES lors de sa réunion des 22-23 mars 2021

Contexte

En tant que valeur fondamentale de l’Union européenne, la démocratie constitue la base de la cohésion sociale et économique. La démocratie est l’antidote contre les inégalités, l’exclusion et l’injustice sociales. C’est la raison pour laquelle la CES se mobilise pour faire en sorte que plus de démocratie au travail devienne réalité et façonne un avenir responsable et durable pour tous en Europe.

Plus de démocratie au travail est essentiel pour une société juste et inclusive et un monde du travail à l’épreuve du temps. Près de neuf Européens sur dix pensent que l’Europe sociale est « importante » et 71% d’entre eux considèrent le manque de droits sociaux comme étant un « sérieux problème » aujourd’hui. De plus, près de trois Européens sur quatre estiment que davantage de décisions devraient être prises au niveau européen pour promouvoir des conditions de travail « décentes » au sein de l’UE.[1]

Ces chiffres sont encore plus élevés lorsqu’on interroge les citoyens à propos de l’importance pour l’Europe de s’engager davantage en faveur de l’égalité des chances et de l’accès au marché du travail, de conditions de travail équitables et de la protection et de l’inclusion sociales. Cela souligne la nécessité d’une projection du droit du travail qui transcende les trajectoires nationales et aborde la réglementation des nouvelles réalités par un engagement clair envers l’économie sociale, les coopératives et la participation des travailleurs.

Dans ce contexte, la démocratie au travail a un rôle majeur à jouer. Le développement de conditions de travail équitables dans les entreprises et les services publics est intimement lié à des droits ambitieux en matière d’information, de consultation et de participation des travailleurs. Les relations de travail fonctionnent mieux lorsqu’elles se basent sur le dialogue social et l’implication des travailleurs. Il est important de trouver des solutions aux problèmes en suspens et cela implique que les droits soient renforcés et sauvegardés.

La Charte sociale européenne (CSE) du Conseil de l’Europe, également largement connue sous le nom de « Constitution sociale de l’Europe », ainsi que la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (CDFUE) devraient servir de boussole aux institutions européennes et aux États membres pour guider leurs actions. En conséquence, il convient que « les travailleurs ou leurs représentants doivent se voir garantir, aux niveaux appropriés, une information et une consultation en temps utile, dans les cas et conditions prévus par le droit communautaire et les législations et pratiques nationales ».[2] De la même façon, le dialogue social entre les partenaires sociaux est essentiel comme l’indique le chapitre sur la politique sociale du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.

La démocratie au travail mérite bien plus qu’une mention de l’acquis communautaire dans le socle européen des droits sociaux (SEDS).[3] Celui-ci doit identifier toute nouvelle ligne de conduite progressiste. Le plan d’action du SEDS souligne l’important rôle de l’information, de la consultation et de la participation des travailleurs pour modeler les transitions économiques ainsi que pour gérer la transition numérique et la mondialisation en cours. La Commission mentionne la possibilité d’améliorer la mise en œuvre et l’application d’une série de directives[4] mais elle échoue à proposer une quelconque piste pour une inclusion substantielle de la voix des travailleurs dans les processus décisionnels des entreprises et combler les lacunes identifiées dans le droit européen. Le mouvement syndical européen se mobilise pour une action politique et des résultats concrets en faveur des travailleurs en Europe et désigne 2021 comme l’année pour plus de démocratie au travail.

Introduction

La démocratie au travail est un élément clé pour faire entendre la voix et exprimer les intérêts des travailleurs, soutenir leur participation dans les processus décisionnels et renforcer les droits syndicaux[5] au sein d’entreprises et de services publics résilients et durables qui offrent aux travailleurs des perspectives de moyens de subsistance décents et de bien-être social et environnemental, chez eux et dans leur région.

Le Green Deal, le plan de relance post-Covid-19, la nouvelle stratégie industrielle et la numérisation ne fonctionneront efficacement qu’avec la participation des travailleurs en tant que citoyens sur leurs lieux de travail. Cela contribuera à ce que les travailleurs acceptent les changements et deviennent acteurs des transitions nécessaires.

La démocratie au travail est essentielle et représente une opportunité unique d’influer sur le processus décisionnel sur le lieu de travail à travers les syndicats, les délégués du personnel, les organes de représentation des travailleurs, les conseils d’entreprise européens (CEE) et les représentants des travailleurs dans les conseils d’administration.

La démocratie au travail joue le rôle de multiplicateur et fait une réelle différence au plan social, environnemental et économique[6], et ce d’autant plus en ces temps de pandémie sans précédent.

La démocratie au travail est attaquée

  • Trop souvent, les entreprises et leurs dirigeants ne respectent pas leurs obligations légales d’impliquer les représentants des travailleurs avant de prendre des décisions qui affecteront l’emploi et les conditions de travail. Alors que des restructurations ont constamment lieu dans les entreprises multinationales, seuls 26,9% des membres des CEE ont participé à une réunion avant que la décision soit prise[7].
  • A de multiples occasions, la représentation des travailleurs dans les conseils d’administration est ignorée ou contournée. Pire encore, la législation européenne offre aux entreprises la possibilité de contourner les dispositions nationales portant sur les droits à l’information, la consultation et la participation des travailleurs.[8]
  • Les autorités publiques interviennent peu pour s’assurer que les droits des travailleurs à une information en temps utile et à une consultation appropriée sont pleinement appliqués.
  • Nouveaux modèles d’entreprise, fausses chaînes d’approvisionnement et sociétés boîtes aux lettres se multiplient au détriment des droits des travailleurs.

La pandémie actuelle a même aggravé ces pratiques.[9] Des vagues de restructurations menacent les travailleurs qui pourraient être laissés sans aucun moyen d’exprimer leurs intérêts et inquiétudes légitimes. Il est temps qu’un cadre juridique européen pour les droits des travailleurs et des sanctions dissuasives effectives entre en vigueur.

Construire et maintenir la dynamique : La stratégie commune CES-FSE de 2020 pour plus de démocratie au travail a montré la valeur ajoutée d’une série d’actions bien coordonnées et ciblées pour ancrer et garder la démocratie au travail à l’agenda des institutions de l’UE et des gouvernements nationaux. La CES a, avec les FSE et les affiliés nationaux, organisé avec succès une semaine de mobilisation pour plus de démocratie au travail ainsi qu’une pétition.[10] Maintenir cette pression tout au long de cette année sera essentiel pour tirer parti de cette stratégie réussie.

2021 en sera la clé pour au moins 4 raisons : (1) influencer le rapport attendu sur l’initiative législative du Parlement européen sur la révision de la directive CEE ; (2) orienter le rapport d’initiative du Parlement européen sur un nouveau cadre d’information, de consultation et de participation dans les conseils d’administration ; (3) ancrer la démocratie au travail dans les processus de restructuration actuels et futurs rendus plus difficiles encore par la pandémie et (4) mettre en œuvre les plans de relance au niveau national.

La CES et ses affiliés sont les acteurs clés pour déclencher et accélérer ces changements et façonner des transitions durables. C’est pourquoi la CES propose de déclarer 2021 – Année pour plus de démocratie au travail. Nous invitons tous les membres du mouvement syndical en Europe à se joindre à cette alliance non gouvernementale. La présente résolution 2021 – Année pour plus de démocratie au travail a pour but d’en définir les objectifs (I), les raisons et la programmation adéquate (II), les cibles (III) et actions (IV) pertinentes.

  1. PRINCIPAUX OBJECTIFS

Les principaux objectifs de 2021 – Année pour plus de démocratie au travail sont :

  • inscrire plus de démocratie au travail comme priorité à l’agenda des institutions de l’UE et des gouvernements nationaux et prévoir :
    • la révision de la refonte de la directive sur les CEE ;
    • un nouveau cadre horizontal relatif à l’information, à la consultation et à la participation des travailleurs dans les conseils d’administration des formes de sociétés européennes et des sociétés ayant recours aux instruments favorisant la mobilité des entreprises ;
  • renforcer la démocratie dans tous les lieux de travail pour faire face de manière responsable aux conséquences de la pandémie, par exemple en :
    • corrigeant les transpositions erronées de la législation européenne ;
    • contrôlant la conformité aux règlementations existantes ;
    • appliquant les droits à l’information et à la consultation ;
    • sensibilisant le grand public à propos de l’importance et des avantages de la démocratie au travail.

2021 – Année pour plus de démocratie au travail contribuera également à :

  • façonner une reprise qui bénéficie aux travailleurs et à leurs familles ;
  • façonner une reprise qui bénéficie à la société autant qu’aux entreprises ;
  • renforcer la démocratie au travail et la participation des travailleurs comme les meilleurs antidotes contre les inégalités ;
  • insister sur le rôle de la démocratie au travail en tant que facteur déterminant pour soutenir la cohésion économique et sociale, gérer la double transition et la restructuration des industries de l’UE à travers un processus de transition juste, créer des marchés du travail solides et rendre les régions socialement inclusives ;
  • améliorer le cadre européen de gouvernance des entreprises ;
  • renforcer la viabilité des lieux de travail.
  1. POURQUOI MAINTENANT

2021 – Année pour plus de démocratie au travail est opportune et appropriée eu égard aux différentes initiatives attendues :

Au niveau européen et en raison de la pandémie, il est aujourd’hui essentiel de mettre la démocratie au travail à l’agenda de la reprise et d’en faire à l’avenir l’un des principes directeurs de l’Europe sociale.

L’actuelle crise sanitaire a montré l’importance des mesures de santé et de sécurité au travail. Les droits à l’information, à la consultation et à la participation sont importants pour mettre en place les mesures de santé et de sécurité nécessaires.

En 2021, le Parlement européen devrait publier un rapport d’initiative législative sur la révision de la directive CEE. Un rapport d’initiative du Parlement européen sur un nouveau cadre pour l’information, la consultation et la représentation dans les conseils d’administration est également programmé en 2021. Il est donc important d’influencer ces rapports afin qu’ils reflètent nos revendications.

2021 – Année pour plus de démocratie au travail aura également pour but de prioriser la participation des travailleurs dans les agendas des différentes présidences du Conseil européen. La Présidence portugaise du Conseil (1er semestre 2021) et la Présidence française (1er semestre 2022) seront particulièrement importantes. Il est dès lors essentiel de se mobiliser durant la Présidence portugaise et de passer le relai à la Présidence française en se servant de  la Présidence slovène (2ème semestre 2021) comme passerelle.

La démocratie au travail devrait faire partie de la stratégie visant l’anticipation du changement, et incluant les discussions sur le plan de relance et sa mise en œuvre ; elle sera un élément clé du contrôle des progrès des transitions justes.

La démocratie au travail devrait soutenir les droits contraignants à l’information et à la consultation des fonctionnaires et des employés des administrations centrales.

Des débats transversaux ont actuellement lieu sur des dossiers tels que la vigilance en matière de droits humains, la conduite responsable des entreprises et l’égalité entre les hommes et les femmes. La démocratie au travail doit être incluse dans ces débats et des synergies peuvent être exploitées.

Au niveau national, 2021 – Année pour plus de démocratie au travail visera à mieux équiper et soutenir les affiliés de la CES dans leurs propres actions destinées à faire respecter et renforcer les droits des travailleurs à l’information, à la consultation et à la représentation dans les conseils d’administration. Elle facilitera la mobilisation des gouvernements nationaux en vue des initiatives européennes pendantes mentionnées plus haut. De même, elle sera utile pour sensibiliser les gouvernements nationaux dans les cas de restructurations, en particulier lorsque des entreprises contournent les règles européennes et nationales.

  1. INSTITUTIONS CIBLÉES

Les actions durant 2021 – Année pour plus de démocratie au travail se concentreront sur les cibles suivantes :

  • le Parlement européen ;
  • la Commission européenne ;
  • les gouvernements nationaux, le Conseil européen et la Présidence de l’UE ;
  • les syndicalistes, les représentants des travailleurs, les conseils d’entreprise européens ;
  • les entreprises (multinationales) ;
  • le grand public.[11]
  1. ACTIONS

Le format et le calendrier des différentes actions seront flexibles de manière à s'adapter aux demandes des affiliés ainsi qu'à s'intégrer aux événements de la CES et aux événements dans lesquels la CES sera activement impliquée. Ces actions pourraient prendre la forme d'événements organisés ou co-organisés par la CES, les affiliés nationaux dans tous les Etats membres et / ou les FSE en 2021. Elles seront annoncées sur la page du site Internet de la CES consacrée à Plus de démocratie au travail : https://www.etuc.org/en/more-democracy-work.

Les actions ciblées doivent viser à soutenir les affiliés, les syndicalistes, les représentants des travailleurs et les CEE confrontés, par exemple, à des processus de restructuration, où les droits à l'information et à la consultation n'ont pas été respectés par les entreprises.

La CES propose des actions ciblées, telles que des événements de mobilisation pour informer les députés européens sur des cas concrets de violations des droits à l'information, à la consultation et à la participation des travailleurs, pour soutenir les rapporteurs des députés européens (Dennis Radtke et Gabriele Bischoff) et les ‘shadow’ rapporteurs et leur assistants sur les dossiers clés liés à la démocratie au travail.

En ce qui concerne les actions ciblées vers la Commission européenne, la CES propose des événements de mobilisation pour alerter la Commission européenne sur des cas concrets de violations des droits des travailleurs en matière d'information, de consultation et de participation et même envisager de contester l'absence de procédures d'infraction.

Concernant les actions ciblées vers le Conseil européen, la CES visera à renforcer ses actions de lobbying vers les différents Etats membres, éventuellement sur des cas concrets de violations par des entreprises situées et/ou ayant leur siège dans l'Etat membre concerné, tout en assurant la liaison avec les présidences du Conseil européen pour un soutien concret à plus de démocratie au travail.

Le Secrétariat de la CES reviendra vers le Comité de participation des travailleurs de la CES pour compléter la feuille de route des actions déjà discutées, y compris des informations sur la source et l'allocation des ressources nécessaires.

 

 

 


[1] Eurobaromètre 509 (2021) disponible sur https://ec.europa.eu/commfrontoffice/publicopinion/index.cfm/survey/getsurveydetail/general/doChangeLocale/locale/fr/curEvent/survey.getsurveydetail/instruments/special/surveyky/2266/ 

[2] Art. 27 Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne https://www.europarl.europa.eu/charter/pdf/text_fr.pdf 

[3] https://ec.europa.eu/social/main.jsp?langId=fr&catId=89&newsId=9939&furtherNews=yes

[4] « Le dialogue social, l’information, la consultation et la participation des travailleurs et de leurs représentants à différents niveaux (y compris celui des entreprises et des secteurs) jouent un rôle important pour ce qui est de définir les contours des transitions économiques et d’encourager l’innovation sur le lieu de travail, notamment en vue de la double transition en cours et de l’évolution du monde du travail. Au niveau de l’Union, un cadre complet de directives concernant l’information et la consultation des travailleurs, à l’échelon tant national que transnational (directives 98/59/CE, 2001/23/CE, 2002/14/CE, 2009/38/CE, 2001/86 CE) établit des règles visant à protéger leurs droits dans les processus de restructuration. Les autorités nationales et les partenaires sociaux sont tenus d’adhérer à ces règles. Des modalités spécifiques visant à améliorer la mise en œuvre et l’exécution de ces directives pourraient être envisagées. » « La Commission encourage … les autorités nationales et les partenaires sociaux à veiller à ce que les travailleurs soient informés et consultés pendant les processus de restructuration, comme l’exigent les règles de l’UE, et à encourager la participation des travailleurs au niveau de l’entreprise en vue de favoriser l’innovation sur le lieu de travail. » (https://ec.europa.eu/social/main.jsp?langId=fr&catId=89&newsId=9939&furtherNews=yes)

[5] Programme d’action 2019-2023 de la CES, § 60. La démocratie au travail est l’une des cinq priorités pour bâtir une Europe nouvelle pour les travailleurs identifiées dans le programme d’action lors du Congrès de 2019 de la CES (§ 31c). De plus, le Congrès a mandaté le Secrétariat de la CES pour passer à l’offensive et renforcer ses initiatives pour plus de démocratie au travail (§71 ff.).

[6] Rapp, Marc Steffen; Wolff, Michael: Strong codetermination - stable companies Mitbestimmungsreport No. 51, Düsseldorf 2019); ETUI: Benchmarking Working Europe (2019).

[7] De Spiegelaere, Stan, and Romuald Jagodzinski. Can Anybody Hear Us? An Overview of the 2018 Survey of EWC and SEWC Representatives. European Trade Union Institute (ETUI) (2019).

[8] Teichmann, Christoph, Chapter 5: Circumvention of Board Level Representation of Employees (May 6, 2019). Abuse of Companies, edited by Birkmose, Neville and Engsig Sørensen, 2019, page 27. Available http://dx.doi.org/10.2139/ssrn.3383631

[9] ETUC: COVID-19 Watch – Workers’ information, consultation & participation rights. Available at : https://www.etuc.org/sites/default/files/publication/file/2020-06/Covid-19%20Briefing%20Workers%27%20Information%20Consultation%20and%20Participation%20merged.pdf

[10] https://www.etuc.org/en/mobilisation-week-youve-made-it-real-success;

https://www.etuc.org/sites/default/files/document/file/2020-10/French%20-%20Petition%20_0.pdf

[11] L'appel à une démocratisation accrue du travail est largement partagé par la société civile et la communauté universitaire. L'appel #DemocratizingWork, lancé par des experts universitaires en 2020, a été signé, en quelques mois, par plus de 6.000 professeurs d'université, chercheurs, syndicalistes et responsables d'ONG.