Résolution de la CES adoptée à la réunion du comité exécutif le 23 mars 2021
I. Contexte : pourquoi la mobilité et la migration du travail devraient être équitables
La mobilité et la migration des travailleurs ont eu lieu à différentes époques et dans différentes sociétés, tout comme l’abus des travailleurs – l’Europe ne faisant pas exception. Assurer le respect des droits des travailleurs est une condition préalable aux valeurs et objectifs fondamentaux de l’UE. Les droits de tous les travailleurs, en ce y compris des demandeurs d’asile, des réfugiés et des personnes sans papiers, doivent être respectés afin de garantir une véritable inclusion des travailleurs, dans des conditions décentes dans toute l’UE.
Il faut une approche holistique et fondée sur les droits pour garantir l’équité et l’égalité entre les travailleurs locaux, mobiles et migrants. Les travailleurs transfrontaliers tels que les travailleurs frontaliers, détachés, saisonniers, intérimaires ou autres travailleurs mobiles et migrants, y compris ceux sans papiers et non déclarés, constituent une part importante migration du travail européenne, mais restent les moins protégés, les moins payés et les plus vulnérables. Une grande majorité des travailleurs mobiles et migrants travaillent dans des secteurs cruciaux tels que la construction, les transports, le tourisme, l'agriculture, l'industrie alimentaire, la santé, l’aide sociale, et le travail domestique et de soins. Les femmes constituent une part importante de ces secteurs et sont surreprésentées dans les emplois précaires ainsi que dans l'économie informelle. Les femmes mobiles et migrantes sont particulièrement touchées par la discrimination, l'exclusion sociale et le manque d’opportunités d'emploi, et sont exposées aux abus, à la violence et au harcèlement.
Alors que les emplois monotones ou dangereux avec des conditions de travail qui sont mauvaises ou se détériorent, de bas niveaux de salaires et un manque de perspectives n'attirent et ne retiennent pas suffisamment la main-d'œuvre locale, le remède ne peut pas consister en la simple externalisation du travail de mauvaise qualité à des travailleurs mobiles, migrants, sans papiers ou non déclarés, dans le but de combler les pénuries de main-d'œuvre et de réduire davantage les coûts de main-d'œuvre. Au lieu de cela, les employeurs devraient assurer des salaires plus élevés et de bonnes conditions de travail avec une égalité des droits et des chances. C’est la seule façon d’empêcher l’utilisation des travailleurs pour se faire concurrence et de lutter contre la discrimination, le racisme et la segmentation du marché du travail.
Les conditions d'emploi, de travail et de vie précaires des travailleurs mobiles et migrants ont été mises davantage en lumière et se sont encore dégradées à cause de la pandémie de COVID-19. Ces insuffisances sont loin d’être nouvelles. Elles sont notamment dues à une discrimination structurelle sur le marché du travail et à une application incorrecte. En outre, la nature même du cadre juridique de l'UE alimente aussi la situation précaire de ces travailleurs, comme en témoignent les failles dans la protection des droits et les exemptions explicites au principe de l'égalité de traitement. Les modèles économiques basés sur la flexibilité, le court-termisme et la course à la rentabilité migration du travail bon marché aboutissent à des abus structurels, de pratiques profitant d’un flou juridique aux formes directes de travail forcé et de traite des êtres humains.
Face à la pandémie de COVID-19, le plan de relance de l'UE doit garantir que personne ne sera laissé de côté après avoir exercé sa liberté de circulation ou son droit fondamental de travailler, y compris lorsqu’il est question du libre accès aux équipements de protection, aux tests et au vaccin. La mobilité et la migration équitables migration du travail constituent deux éléments cruciaux pour une Europe plus inclusive et durable.
En tant que principe fondamental consacré dans le droit européen et international des droits de l’homme, l'égalité de traitement est une condition préalable qui doit se trouver au cœur du cadre juridique et opérationnel de l'UE sur la mobilité et la migration.[1] Elle est essentielle pour lutter contre le dumping social et garantir un travail décent pour tous les travailleurs. Il ne peut y avoir de travailleurs de deuxième classe – locaux ou étrangers, de l'UE ou de pays tiers, mobiles ou migrants – quels que soient leur emploi, leur nationalité, leur statut migratoire ou leur statut de résidence. Toutes les formes de concurrence basée sur la réduction des coûts du travail et la violation des droits et obligations sont inacceptables et sapent la confiance au-delà des frontières. Les principes du Socle européen des droits sociaux et de l’acquis social de l’UE doivent s’appliquer également à la protection des travailleurs mobiles et migrants.
Un protocole de progrès social donnant la priorité aux droits sociaux, des travailleurs et des syndicats devrait être joint aux traités de l'UE en cas de conflit avec les libertés économiques sur le marché intérieur. Les initiatives législatives de l'UE en matière de mobilité et de migration du travail devraient également inclure une telle clause de sauvegarde et garantir le respect total des systèmes nationaux de relations sociales et des différents modèles de marché du travail et de négociation collective, y compris l'autonomie des partenaires sociaux.
En vue de la mise en œuvre du programme d’action 2019 – 2023 de la CES, et dans le contexte de la pandémie de COVID-19 et des récents développements politiques de l’UE[2], les raisons et la structure de cette résolution sont les suivantes : (I) Les règles et réalités de l’UE en matière de mobilité intra-UE et de migration du travail des pays tiers sont de plus en plus imbriquées ;[3] (II) Lorsqu’ils relèvent du champ d’application du droit du travail européen pertinent, les travailleurs mobiles et migrants peuvent bénéficier des mêmes conditions de travail. (III) Dans leurs interactions avec les intermédiaires, les mêmes règles peuvent s’appliquer aux travailleurs saisonniers, détachés et intérimaires, qu’ils soient mobiles ou migrants. (IV) Il en va de même dans les chaînes de sous-traitance. (V) Alors que la coordination de la sécurité sociale est réglementée au niveau européen pour tous les travailleurs, le champ d’application personnel de tels droits est défini au niveau national. (VI) De même, les règles européennes et nationales en matière de migration se limitent à la réglementation de l’entrée et du séjour des travailleurs migrants, des réfugiés et des demandeurs d’asile. (VII) Enfin, une application efficace reste essentielle pour protéger les droits tant des travailleurs mobiles que des travailleurs migrants, les travailleurs non déclarés et sans papiers se retrouvant dans des situations particulièrement vulnérables.
II. Assurer des conditions de travail et de vie décentes
Les personnes travaillant côte à côte sur le même lieu de travail, ou dans le même secteur, doivent être traitées de manière égale dans toutes les conditions de travail. Le principe du salaire égal pour un travail égal au même endroit doit être maintenu, ainsi que le principe de l’égalité des coûts du travail, tout en garantissant le plein respect des lois et pratiques nationales. L’application des conventions collectives pertinentes, dans leur intégralité et à tous les travailleurs sur un territoire, ne doit jamais être considérée comme une restriction à la libre circulation des travailleurs ou des services.
La CES appelle l’UE à introduire des normes minimales juridiquement contraignantes pour l’hébergement décent de tous les travailleurs mobiles et migrants lorsque celui-ci est fourni, directement ou indirectement, par l’employeur. Afin de garantir le respect des modèles nationaux du marché du travail, la mise en œuvre intégrale de telles normes doit être possible, également par le biais de conventions collectives. Elles devraient garantir l’accès à des conditions de vie et des installations sanitaires répondant à des critères quantitatifs et qualitatifs, ainsi que des normes sanitaires et de sécurité applicables, en ce y compris le respect de la vie privée. Comme en témoigne la pandémie de COVID-19, la distanciation physique est cruciale.
Les contrats de location doivent être conclus par écrit et être séparés des contrats de travail. Afin d’éviter toute dépendance, la durée de la location ne doit pas être liée à la durée de l’emploi. Le loyer doit être proportionnel à la qualité du logement et ne pas être déduit automatiquement de la rémunération du travailleur. Le temps libre passé dans le logement fourni par l’employeur doit être libre de toute activité professionnelle. Les inspections du travail et/ou d’autres autorités d’application compétentes à l’échelle nationale, locale ou sectorielle, doivent avoir accès aux contrats de loyer et aux installations, afin de s’assurer que le logement répond aux normes fixées par la législation européenne ou nationale, ou par des conventions collectives. Une attention particulière doit être accordée à la protection des travailleurs domestiques et de soins, qui vivent et travaillent au domicile de l'employeur ou du client.
La Commission doit aborder la question des travailleurs mobiles et migrants dans le prochain cadre stratégique de l’UE en matière de santé et de sécurité au travail, afin de garantir leur sécurité globale, même en temps de crise. Elle doit tenir dûment compte des conditions spécifiques de ces travailleurs, en rappelant les obligations des employeurs et en définissant des mesures de prévention et de protection pour assurer des conditions de travail et de vie sûres, avec notamment un accès aux équipements et installations nécessaires, à un logement de qualité, à un transport sûr et à des repas décents. Les employeurs doivent s'assurer que les instructions et les formations sont disponibles dans les langues parlées par les travailleurs. Le cadre stratégique devrait promouvoir des normes transfrontalières pour faciliter la preuve et la reconnaissance des maladies professionnelles des travailleurs aux carrières flexibles, travaillant dans différents États membres, sur différents lieux de travail et pour différents employeurs.
Pour promouvoir le développement durable et le progrès social, le financement et les subventions de l'UE devraient contribuer à la garantie d’un travail décent. À cette fin, la politique agricole commune (PAC) devrait être conditionnée au respect par les bénéficiaires de conditions de travail et de vie décentes conformes aux règles européennes et nationales, ainsi qu'aux conventions collectives et aux conventions de l’OIT applicables.
Pour garantir l'accès à l'information des travailleurs mobiles et migrants, la CES appelle à une transposition correcte, opportune et ambitieuse de la directive 2019/1152 relative à des conditions de travail transparentes et prévisibles (DCTTP). Les travailleurs devraient être informés de leurs droits au travail par écrit dans leur propre langue, avant de voyager, et recevoir un contrat de travail écrit. Ils devraient notamment recevoir des informations sur les conventions collectives applicables, ainsi que sur les droits à la sécurité sociale, l'accès aux soins de santé et les obligations municipales d'enregistrement. Pour répondre à la nature temporaire du travail mobile, cette obligation doit également s'appliquer aux missions plus courtes.
Les travailleurs devraient avoir accès à des informations sur le mode d'adhésion à un syndicat et les services de conseil fournis par les partenaires sociaux, les organisations de la société civile ou les services publics de l'emploi, en ce y compris les mécanismes de plainte pour signaler les abus et la discrimination. Les syndicats doivent avoir accès aux locaux de travail et aux installations d'hébergement, à titre d’information. Les actions contre les syndicats et les sanctions imposées aux travailleurs mobiles et migrants qui rejoignent les syndicats locaux doivent être sanctionnées. La convention n° 135 de l'OIT concernant les représentants des travailleurs doit être pleinement respectée
Les directives relatives aux marchés publics 2014/23, 2014/24 et 2014/25 devraient être révisées pour lutter efficacement contre les abus, le travail non déclaré et la fraude sociale, y compris dans les situations transfrontalières, tout en assurant la mise en œuvre efficace dans le respect total des modèles nationaux du marché du travail. La révision devrait renforcer la clause sociale existante par un contrôle et une application renforcés, et prévoir notamment la possibilité de ne pas tenir compte des offres anormalement basses et d’exclure les entrepreneurs et sous-traitants qui se livrent au dumping social, à des pratiques abusives ou à la discrimination. Pour être éligibles, les opérateurs devraient pleinement respecter le droit fondamental des travailleurs à négocier collectivement et assurer le plein respect des conventions et des conditions de travail applicables conformément aux lois et pratiques nationales.
III. Affirmer les obligations des intermédiaires
Les abus de la directive relative au travail intérimaire 2008/104 (DTI) dans les situations transfrontalières appellent une meilleure application et une évaluation du cadre juridique, afin de garantir des dispositions claires sur des conditions de travail décentes et la pleine égalité de traitement pour les travailleurs mobiles et migrants sous contrat de travail intérimaire à durée déterminée. L’évaluation devrait traiter des obligations de payer les salaires conformément aux conventions collectives applicables et l’interdiction de déductions de salaires. Elle devrait examiner la nécessité d’un nombre minimal garanti d'heures de travail par semaine ou par mois, d’une part maximale de travailleurs intérimaires dans une entreprise ou un lieu de travail utilisateur, d’une période maximale de déploiement et d’un nombre maximal de contrats consécutifs dont un travailleur peut disposer auprès d'une agence pour préserver le caractère temporaire du travail intérimaire. Un registre européen et une certification de toutes les agences de travail intérimaire opérant sur le marché intérieur pourraient améliorer le suivi et empêcher des montages artificiels. Les agences qui ne respectent pas la DTI devraient être sanctionnées et interdites d'opérer.
L’évaluation de la DTI devrait se baser sur la possibilité existante pour les États membres d’améliorer leur surveillance, en vertu de l’article 21 de la directive 2014/36 sur les travailleurs saisonniers, en décidant que le placement de travailleurs saisonniers ne peut être effectué que par les services publics de l'emploi, en vue d'examiner son extension à d'autres groupes de travailleurs ou secteurs où le travail intérimaire abusif est monnaie courante. Les États membres peuvent, conformément à l'article 4 de la DTI, introduire également d'autres mesures pour limiter et réglementer le placement de travailleurs intérimaires. Cela devrait inclure la possibilité pour les partenaires sociaux sectoriels de restreindre ou d'interdire le travail intérimaire dans certaines professions ou industries pour lutter contre les abus. De telles mesures, qui sont dans l'intérêt public, ne devraient pas accuser les États membres de restreindre de manière disproportionnée la libre prestation de services.
La responsabilité des agences de recrutement privées opérant sur le marché intérieur devrait être réglementée au niveau européen, afin d'améliorer leur transparence et leurs obligations. Pour protéger les droits des travailleurs, des exigences minimales et des normes de qualité devraient être garanties conformément à la convention C181 de l'OIT sur les agences d'emploi privées et à la DCTTP, tout en améliorant le contrôle et l'accès aux mécanismes de plaintes. Les agences de recrutement effectuant des opérations transfrontalières devraient informer les travailleurs avec précision par écrit dans leur propre langue de leurs droits et de tous les aspects pertinents de leur emploi, avant leur départ et quelle que soit la durée de leur contrat. Les recrues devraient également avoir accès à des informations sur les services de conseil disponibles proposés par les syndicats, les entités publiques et les organisations non gouvernementales. L’imposition aux travailleurs de frais de recrutement ou d’autres frais récurrents liés à leur emploi, que ce soit directement ou indirectement, doit être interdite. Les frais de placement pour tous les types de recrutement devraient être entièrement supportés par les employeurs.
L’autorisation de détachement de travailleurs intérimaires doit être examinée dans un contexte de fraude sociale transfrontalière persistante et d’entreprises boîtes aux lettres. Les travailleurs sans période d’emploi antérieure dans l’État membre de résidence ne doivent pas être considérés comme détachés, mais comme étant employés habituellement dans l’État membre où ils travaillent physiquement. L’exigence d’« activités substantielles » de l’agence qui emploie devrait être évaluée par rapport à ce lieu de travail intérimaire habituel. S’il n’y a (quasiment) pas d’activité de travailleurs intérimaires dans l’État membre où l’agence est basée, ces opérations de détachement doivent être considérées comme fausses ; par conséquent, la législation de sécurité sociale de l’État membre de destination devrait s’appliquer. Dans ce contexte, il convient également de rappeler que la directive relative au détachement des travailleurs n’empêche pas les États membres de limiter ou d’interdire le détachement en chaîne. Dans le même esprit, les États membres devraient également être autorisés à demander des permis de travail aux travailleurs migrants détachés pour les périodes plus longues de détachement effectif, sans être accusés de restreindre de manière disproportionnée la libre prestation de services.
IV. Traitement des pratiques abusives de sous-traitance
La CES invite la Commission à proposer un cadre juridique général sur la sous-traitance, à lutter contre les pratiques abusives et à garantir l’égalité de traitement des travailleurs tout au long de la chaîne des contractants. Cet instrument juridique devrait s'appuyer sur des expériences positives qui existent déjà dans certaines industries, dans le but de couvrir tous les secteurs, ainsi que les situations nationales et transfrontalières, sans nuire aux systèmes de responsabilité plus stricts au niveau national ou aux modèles nationaux du marché du travail. Il devrait viser à accroître la transparence en matière de responsabilité, en permettant aux autorités compétentes, aux syndicats et aux travailleurs d’identifier les entités ou personnes responsables, et de prendre des mesures légales. Il devrait lutter contre des mécanismes artificiels tels que les sociétés boîtes aux lettres, le faux travail intérimaire et indépendant, en assurant une responsabilité directe dans les relations de travail. L'initiative devrait permettre de considérer les entités juridiques interconnectées comme des unités économiques et sociales uniques, par exemple dans le but d'établir une représentation collective.
Le contractant principal devrait être tenu de tenir une liste de tous les travailleurs sous-traités et la chaîne de sous-traitance possible devrait être limitée à trois maillons au maximum. Cela ne doit pas empêcher les États membres de maintenir ou d’introduire des mesures plus strictes au niveau national pour protéger les travailleurs. Les mesures telles que d’autres restrictions ou interdictions de sous-traitance dans des secteurs spécifiques ne doivent pas être soumises à un « caractère restrictif » ou à des « tests du marché intérieur ».
La CES rappelle que les conventions collectives qui lient les contractants principaux s'appliquent aux travailleurs tout au long de la chaîne de sous-traitance, en particulier lorsque les conventions collectives sont universellement applicables et que le secteur d'activité des contractants principaux et des sous-traitants est le même. Les pratiques abusives de sous-traitance visant à procéder à du dumping salarial, contourner ou saper les conventions collectives doivent être combattues, tout en assurant le plein respect des modèles nationaux du marché du travail et l’autonomie des partenaires sociaux, en ce compris les systèmes industriels sans conventions collectives universellement applicables ou les mécanismes d’extension erga omnes. Les personnes travaillant côte à côte sur le même lieu de travail et dans la même activité doivent bénéficier de conditions de travail et de protection similaires en vertu de la même convention collective, en veillant à ce que les conditions les plus favorables s’appliquent toujours. Les accords de sous-traitance impliquant le détachement de travailleurs ne devraient pas être utilisés pour contourner les conventions collectives pertinentes dans le secteur de l’activité principale du contrat.
La sous-traitance ne peut être un prétexte pour ne pas avoir de dialogue social. Si de nombreuses entreprises différentes sont impliquées, le contractant principal doit fournir les moyens et installations financiers et technologiques nécessaires aux syndicats et aux conseils d'entreprise pour assurer la participation des travailleurs, avant et pendant l'exécution des travaux. Les syndicats et les conseils d'entreprise de la société principale devraient avoir accès à toutes les informations et dispositions contractuelles dans l’accord de service entre le contractant principal et les sociétés sous-traitantes.
Un cadre juridique européen sur la sous-traitance devrait garantir une responsabilité conjointe et solidaire tout au long de la chaîne de sous-traitance, libérant les travailleurs victimes d’abus de la nécessité de faire valoir leurs droits à chaque maillon de la chaîne. Cette responsabilité sur l’ensemble de la chaîne devrait protéger les droits et les revendications des travailleurs en vertu du droit du travail et des conventions collectives. Y compris dans des situations telles que la retenue des salaires, l'évasion fiscale et la fraude aux cotisations de sécurité sociale, les contractants insolvables ou la disparition des sociétés boîtes aux lettres, les violations du droit de s'organiser et de négocier collectivement, la santé et la sécurité au travail, les accidents du travail, le refus de formation et diverses formes de travail non déclaré. L'instrument devrait prévoir des sanctions dissuasives, des rappels effectifs et des compensations en cas de non-respect des droits des travailleurs.
Un régime juridique ambitieux, cohérent et complet sur la responsabilité de la sous-traitance est nécessaire pour rationaliser l'approche fragmentée actuelle de la responsabilité de la chaîne, telle qu'elle est définie par les instruments juridiques de l'UE relatifs aux marchés publics, au détachement des travailleurs, aux travailleurs saisonniers et aux sanctions des employeurs, tout en restant sans préjudice de systèmes de responsabilité plus stricts au niveau national. Une meilleure compréhension de l’impact de la responsabilité directe des sous-traitants ou des mesures dérogatoires dans certaines industries nécessite également un examen plus approfondi de la mise en œuvre de la directive d’application 2014/67. Les syndicats devraient être étroitement impliqués dans cette évaluation et dans l'élaboration de mesures supplémentaires pour lutter contre les pratiques abusives et la fraude sociale.
Un cadre juridique européen sur la sous-traitance devrait être complété d’une directive européenne sur le devoir de vigilance en matière de droits de l’homme et de conduite responsable des entreprises, établissant une diligence raisonnable obligatoire couvrant les activités des entreprises et leurs relations d’affaires, y compris les chaînes d'approvisionnement et de sous-traitance.[4] Toutefois, cette initiative devrait être sans préjudice des exigences existantes et futures en matière de responsabilité conjointe et solidaire dans les chaînes de sous-traitance au niveau sectoriel, national ou européen.
Enfin, les règles de l'UE sur les marchés publics ne devraient pas entraver les efforts nationaux visant à lutter contre les pratiques abusives de sous-traitance, mais encourager les entités adjudicatrices à imposer des conditions telles que la limitation du nombre de sous-traitants, l'obligation d'appliquer les conventions collectives, l'interdiction des paiements en espèces et l'obligation de payer les salaires sur des comptes bancaires individuels. Les entités adjudicatrices devraient être en droit d’exiger des soumissionnaires qu’ils indiquent tout projet de sous-traitance dans leurs offres. De même, il devrait être possible d’écarter les offres des soumissionnaires qui se sont rendus coupables de sous-traitance abusive. À cet égard, les entrepreneurs, les partenaires sociaux et les employés devraient être en mesure de signaler toute irrégularité.
V. Coordination et protection efficaces de la sécurité sociale
La CES appelle à une finalisation rapide et équitable de la révision en cours des règlements de la coordination des systèmes de sécurité sociale 883/2004 et 987/2009 afin de garantir les améliorations nécessaires pour les travailleurs frontaliers, détachés, transfrontaliers et autres travailleurs mobiles en ce qui concerne leurs droits à la sécurité sociale, les périodes d'agrégation et la nécessité de lutter efficacement contre la fraude, les abus et le dumping sociaux. Les employeurs devraient assurer la notification préalable avant le début de la mission transfrontalière du travailleur. La révision ne doit pas nuire aux dispositifs nationaux permettant aux travailleurs frontaliers et saisonniers de prétendre à des allocations de chômage même après des périodes de courte durée d'emploi dans l'État membre de dernière activité.
L'échange électronique d'informations sur la sécurité sociale (EESSI) doit devenir pleinement fonctionnel dès que possible, afin de faciliter les échanges entre les institutions de sécurité sociale, d’accélérer le traitement des dossiers individuels et d’améliorer la capacité de mise en œuvre de l’Autorité européenne du travail. Les États membres qui n'ont pas pleinement mis en œuvre l'EESSI devraient profiter de l'occasion offerte par les plans de relance pour numériser leur administration publique.
Dans le but du déplacement, l’EESSI devrait faciliter la notification préalable, l’enregistrement, la collecte de données, ainsi que les contrôles de la validité des documents tels que les certificats A1. Des procédures rapides doivent être mises à la disposition des États membres pour demander aux autorités d’initier le processus du retrait de certificats A1, au cas où ils auraient été obtenus ou utilisés frauduleusement. En l'absence de procédures visant à aborder la fraude, les États membres doivent avoir le droit de requalifier les travailleurs concernés comme habituellement employés dans cet État membre. En outre, la Commission devrait suivre les tendances dans le détachement de travailleurs migrants, en particulier en ce qui concerne l'impact des différences au niveau des systèmes de sécurité sociale. Les États membres ne doivent pas servir de portes d'accès pour le recrutement et le détachement de travailleurs migrants dans le seul but de fausser la concurrence loyale sur la base des coûts du travail.
La CES appelle à un numéro de sécurité sociale européen (ESSN) numérique pour faciliter la coordination de la sécurité sociale en vue d'assurer une protection, une identification, une traçabilité, une portabilité et une application des droits efficaces. L'ESSN devrait, sans préjudice des systèmes nationaux, compléter les réglementations européennes en matière de sécurité sociale et l'EESSI, afin d'assurer une vérification rapide du statut de la couverture et des cotisations. Il doit contribuer à la transparence et à la sécurité juridique des travailleurs en aidant à suivre les situations complexes et à identifier les États membres compétents. Il devrait améliorer l'accessibilité en permettant aux travailleurs de demander des prestations à distance. En vue de faire respecter les droits des travailleurs, l'ESSN devrait permettre aux inspections du travail et aux syndicats de vérifier la conformité, y compris par le biais de recoupements entre les bases de données de sécurité sociale. Cela serait utile dans la lutte contre la fraude sociale en relation avec la sous-traitance abusive, le faux travail indépendant, le faux détachement, les sociétés boîtes aux lettres et le non-paiement des cotisations de sécurité sociale. Des protocoles clairs devraient garantir que les données de sécurité sociale ne sont pas utilisées ou partagées à d'autres fins.
La mise en œuvre pratique de l’ESSN pourrait s’appuyer sur la carte européenne d’assurance maladie (CEAM) et être étendue à d’autres domaines de la sécurité sociale et du droit du travail, en vue d’inclure une carte de travail personnelle complétant les cartes d’identité sociales nationales existantes, pour mieux faire respecter les droits du travail. Cela devrait aider à déterminer les règles applicables et à contrôler le respect des droits des travailleurs par rapport au lieu de travail, à l’identité, au temps de travail, à la formation, à la sécurité sociale et à l’assurance, ainsi qu’aux paiements des impôts.
Les États membres devraient assurer une couverture par la sécurité sociale pour tous les travailleurs quel que soit leur statut professionnel, comme le prévoit la recommandation 2019/C 387/01 du Conseil relative à l'accès des travailleurs et des indépendants à la protection sociale, en particulier en ce qui concerne l'accès aux prestations de maladie et de soins de santé. La pandémie de COVID-19 met en lumière les défis particuliers auxquels font face les travailleurs mobiles et migrants pour accéder à la protection sociale, comme les périodes d’emploi explicitement exemptées de cotisations de sécurité sociale pour les travailleurs saisonniers dans certains États membres, ou le manque d'accès aux indemnités de maladie pour les travailleurs détachés.
VI. Élargir et améliorer les voies régulières de migration de la main-d'œuvre
La CES appelle à des voies de migration du travail plus régulières et décentes à travers différents secteurs et niveaux de compétences. Assurer des voies de migration régulières est la seule façon de protéger les travailleurs et d’éviter qu'ils fassent l’objet d'abus et d'exploitation. La CES défend une Europe ouverte et respectueuse des droits[5], avec des opportunités pour les migrants économiques et leur famille d'entrer et de travailler dans l'UE conformément aux conventions de l'OIT C97 sur la migration pour l’emploi, C143 sur les travailleurs migrants, aux recommandations 86 sur la migration pour l'emploi et 151 sur les travailleurs migrants, ainsi qu'aux conventions C29 et C105 sur le travail forcé. L’UE devrait lier les législations nationales au respect de droits minimums, de certains aspects procéduraux, de normes de travail décentes et du principe d’égalité de traitement en faveur de tous les travailleurs, indépendamment de leur nationalité, statut migratoire ou statut de résidence.
La CES appelle à une approche globale et fondée sur les droits et recommande que l'UE développe son cadre législatif pour couvrir, dans une plus grande mesure, les migrants à la recherche de travail à travers les niveaux de compétences, les secteurs et les professions, en concertation avec les partenaires sociaux aux niveaux pertinents. L'échec de la proposition de la Commission de 2001 relative à une politique globale en matière de migration a mené au développement d'une politique de migration du travail fragmentée, qui reste problématique et discriminatoire.
Les directives européennes (comme la carte bleue, les TIC et le travail saisonnier) créées pour ouvrir les canaux réguliers sont mal utilisées. La directive sur les travailleurs saisonniers s’est avérée insuffisante pour garantir que les droits des travailleurs migrants soient pleinement respectés, malgré son objectif de garantir un large traitement égal. C’est pourquoi la Commission devrait évaluer sa mise en œuvre. De plus, l'application effective de la directive 2014/66 sur le transfert intragroupe fait face à des défis dus à des montages artificiels.
L'UE devrait soutenir l'inclusion des travailleurs domestiques dans l'acquis social, en encourageant les États membres à ratifier la convention C189 de l'OIT sur les travailleurs domestiques et à assurer l'application de toutes les normes d'emploi aux travailleurs domestiques. Tous les États membres devraient inclure le travail domestique dans les programmes généraux de migration de la main-d'œuvre.
La CES a exprimé de sérieuses préoccupations quant au fait que le Pacte européen sur l'asile et la migration adopté par la Commission le 26 septembre 2020 risque d'alimenter la politique anti-migrants et la division de la société en permettant aux États membres de promouvoir les expulsions, comme alternative à l'acceptation de leur responsabilité internationale en matière de droits de l'homme de permettre aux personnes de demander l'asile dans leur pays. Il s’agissait d’un flagrant écart linguistique de qualifier ce dispositif d’approche de « solidarité ». À cet égard, le Comité exécutif a adopté la déclaration de la CES sur le nouveau Pacte sur la migration et l’asile[6] le 6 février 2021.
La CES regrette que le Pacte sur l'immigration et l'asile n’ait avancé qu’un nombre très limité de propositions sur la migration de la main-d’œuvre, lesquelles ont d’ailleurs été éclipsées par l’accent mis sur les expulsions et les contrôles aux frontières. Il est très décevant que la migration du travail ait été placée dans le contexte de la nécessité pour l’UE « d’attirer les talents et les compétences ».
La CES voit dans la proposition de révision de la directive sur le permis unique 2011/98 (DPU) par la Commission une opportunité d’accroître la cohérence et la mobilité sur le marché du travail, et de s’attaquer à l’exploitation de la main-d’œuvre. Cela pourrait être réalisé en élargissant son champ d’application, notamment en étendant l’utilisation des demandes à partir du pays et en incluant les travailleurs saisonniers, et en clarifiant la validité continue des permis en cas de perte d’emploi pour chercher un travail alternatif. Il s’agit d’outils essentiels pour faciliter l’adéquation entre l'offre et la demande d'emplois et la mobilité de la main-d’œuvre, et pour lutter contre les abus potentiels découlant de la dépendance des travailleurs migrants à l’égard d’un employeur particulier.
La CES salue la révision annoncée par la Commission de la directive relative au statut des ressortissants de pays tiers résidents de longue durée 2003/109 comme une occasion de renforcer le statut accordé aux résidents, en particulier en ce qui concerne la réduction des années de résidence requises pour être éligibles et le renforcement des droits de mobilité intra-UE.
La CES se montre critique envers la proposition de la Commission quant au lancement des « Partenariats destinés à attirer les talents » et s'inquiète de la tendance à l'utilisation d'accords bilatéraux sur la migration du travail et de partenariats avec des pays tiers comme mode de gouvernance de la migration de la main-d'œuvre. Ceux qui sont en place ou peuvent être développés ont besoin de garanties, de protections et de droits renforcés pour les travailleurs migrants. Les « Partenariats destinés à attirer les talents » annoncés devraient s'appuyer sur les enseignements tirés des projets pilotes et un cadre réglementaire adéquat devrait couvrir les domaines d'amélioration potentielle identifiés par les parties prenantes, y compris les syndicats. Ce cadre devrait être renforcé par l’inclusion de normes minimales pour la réception des fonds européens, en plus de celles couvertes par le DPU. Il devrait répondre au besoin de transparence, d’information et d'implication des partenaires sociaux aux niveaux pertinents, de couverture des frais de recrutement et des frais de déplacement par les employeurs, ainsi que d'accès à l'information pour les travailleurs, notamment en ce qui concerne les droits du travail et des syndicats, les plaintes et les mécanismes de recours.
La CES appelle la Commission et les États membres à promouvoir des normes de recrutement équitables, en ce y compris des interdictions de pratiques et de frais de recrutement abusifs. Cela devrait s’appuyer sur le travail approfondi sur les politiques et principes de recrutement éthique de l’OIT et du Code de pratique mondial pour le recrutement international des personnels de santé de l’OMS, y compris les initiatives des partenaires sociaux telles que le Code de conduite FSESP-HOSPEEM. En outre, l'outil Migrant Recruitment Advisor de la CSI permet aux travailleurs migrants d'examiner les performances des recruteurs par rapport aux principes de recrutement équitable de l'OIT, d’aborder les griefs et d'informer sur un recrutement équitable fondé sur des preuves.
La CES promouvra un dialogue structuré avec la Commission, les partenaires économiques et sociaux aux niveaux pertinents et la société civile, en vue d’élaborer des positions et des propositions de politique communes visant à améliorer des voies régulières, sûres et efficaces pour la migration du travail et à améliorer l’évaluation et la reconnaissance des compétences et des qualifications, l’accès à des emplois de qualité et le marché du travail pour les travailleurs migrants.
Compte tenu de l'adoption de la Stratégie européenne en matière de compétences le 1er juillet 2020, la CES estime que les migrants, les réfugiés et les demandeurs d'asile devraient être traités sur un pied d'égalité quel que soit leur niveau de compétences et de qualifications[7], vu que les différents pays ont des segments différents sur le marché du travail. Par conséquent, tous les travailleurs devraient avoir la possibilité de valider leurs aptitudes et leurs compétences et de recevoir des apprentissages et des formations de requalification et de perfectionnement de qualité pour être intégrés au marché du travail sur la base de voies d'apprentissage flexibles pour répondre à leurs besoins spécifiques et tenir compte de leurs tranches d’âge différentes.
Le Socle européen des droits sociaux et son plan d’action de mise en œuvre devraient être interprétés de manière à protéger pleinement tous les travailleurs migrants. Le plan d’action de l’UE sur l’intégration et l’inclusion pour la période 2021 – 2027 doit contribuer à l’atteinte des objectifs du SEDS en garantissant l’égalité de traitement et de chances aux migrants qui résident et travaillent dans l’UE. Dans un effort commun d’élever les normes de vie professionnelle et privée des travailleurs européens, les migrants ne peuvent pas être laissés pour compte. Les voies de régularisation sont des outils politiques importants pour promouvoir l’inclusion sociale et la régularisation des relations de travail.
La CES appelle les États membres à mettre en place des mécanismes de régularisation pour les personnes présentes sur le territoire européen sans permis de séjour. Surtout au vu du grand nombre de travailleurs migrants présents en Europe, en ce y compris ceux qui font l’objet d’une décision de retour, mais qui ne peuvent pas retourner dans leur pays ou ne peuvent pas être expulsés (300 000 par an dans l’UE), qui sont souvent aussi soumis à des conditions d’exploitation. Dans un même temps, toutes les pratiques et tous les discours discriminatoires liés à l’immigration qui ont été adoptés jusqu’à présent par les États membres doivent être abrogés et des politiques migratoires nouvelles et efficaces visant à garantir une inclusion réelle et une plus grande cohésion sociale doivent être mises en place.
Suite à la crise du COVID-19, certains États membres ont adopté des mesures de régularisation pour soutenir les personnes sans papiers. Les syndicats sont des alliés essentiels pour une régularisation efficace et devraient être impliqués dans la conception, la mise en œuvre et l'évaluation de telles mesures. La Commission devrait encourager les autres États membres à appliquer des mesures similaires pour prévenir et réduire les irrégularités et l'exclusion sociale.
VII. Amélioration de l'application et protection de tous les travailleurs
Les travailleurs sans papiers et non déclarés doivent pouvoir revendiquer leurs droits en matière d'emploi. Les limitations à l'applicabilité des droits du travail basées sur le fait qu'un travailleur dispose ou non d’un permis de travail plutôt que sur l'existence réelle d'une relation de travail et les lois qui criminalisent les travailleurs sont incompatibles avec les droits du travail. Le statut de résidence des travailleurs devrait être découplé du contrat de travail individuel afin d’éviter des effets de « captivité » abusifs. Les travailleurs sans papiers doivent avoir la possibilité de régulariser leur statut et être protégés contre les formes illégales ou irrégulières d'emploi. Les permis de séjour transitoires sont une bonne pratique au niveau national et doivent être promus dans toute l’UE.
Des mécanismes de plainte efficaces doivent être disponibles pour tous les travailleurs, quel que soit leur statut[8]. Des pare-feu entre les inspections du travail et les autorités migratoires doivent garantir que les travailleurs migrants sans papiers ne courent pas le risque d'être placés en détention ou expulsés en raison d'interactions avec les inspecteurs du travail ou de recours judiciaires. De même, il est essentiel de soutenir et d’organiser des activités syndicales pour la promotion des droits des travailleurs migrants sans papiers pour aider les travailleurs à faire valoir leurs droits. L’adhésion à un syndicat demeure essentielle pour une inclusion réussie des migrants dans les communautés et les sociétés.
La CES engagera un dialogue structuré avec la Commission européenne afin d'identifier les pistes d'amélioration de la directive sur les sanctions à l'encontre des employeurs 2009/52, y compris la délivrance de permis de séjour aux travailleurs signalant une exploitation et le renforcement des inspections du travail. Les permis de séjour liant la résidence à un employeur unique devraient être progressivement supprimés et remplacés par des permis permettant aux migrants de changer d’employeur. En outre, il est nécessaire de contrôler la mise en œuvre totale de la directive et son efficacité. Celle-ci devrait être appliquée pour s'assurer que les sanctions sont imposées aux employeurs, tandis que les travailleurs sans papiers sont protégés et ne sont pas confrontés à l'application de la loi sur l'immigration.
L'inclusion d'un rôle éventuel de l'Autorité européenne du travail (AET) dans la mise en œuvre efficace de la directive, telle que définie par le Pacte sur la migration et l’asile, ne doit en aucun cas renforcer le rôle des autorités nationales du travail non seulement dans la sanction des employeurs, mais aussi dans le signalement des travailleurs sans papiers, plutôt que dans la protection de leurs droits du travail. Si l’AET doit jouer un rôle, cela doit être dans la perspective de garantir l'indépendance et l'efficacité des inspecteurs du travail dans leur responsabilité de faire respecter les droits du travail pour tous les travailleurs, y compris les travailleurs mobiles et migrants, quel que soit leur statut.
L’AET doit de toute urgence devenir pleinement opérationnelle pour soutenir et renforcer la capacité des inspections et autorités nationales du travail, ainsi que des partenaires sociaux, afin de promouvoir une mobilité équitable du travail et de lutter contre la fraude et les abus transfrontaliers, tout en respectant les stratégies et agences d’application nationales ainsi que les modèles nationaux du marché du travail et l’autonomie des partenaires sociaux. La fourniture et l’échange d’informations devraient contribuer à renforcer la sécurité juridique des travailleurs en ce qui concerne leurs droits et la juridiction applicable aux relations de travail transfrontalières.
L’AET doit s’engager à impliquer pleinement les partenaires sociaux, non seulement dans le but de respecter les lois et pratiques nationales, mais aussi de développer des efforts communs en vue d’une meilleure mise en oeuvre transfrontalière. Cela implique des procédures accessibles, transparentes et non discriminatoires pour que les partenaires sociaux nationaux soumettent des dossiers à l’AET et des assurances pour leur suivi efficace.
L'AET devrait développer des approches sectorielles et des stratégies ciblées pour traiter des questions telles que les pratiques abusives dans la sous-traitance, le travail intérimaire, le faux détachement, le faux travail indépendant, les sociétés boîtes aux lettres, l'exploitation des travailleurs migrants sans papiers et le travail non déclaré. Cela devrait contribuer à une meilleure collecte de données sur les travailleurs mobiles et migrants, dans le plein respect des règles de protection des données, renforçant ainsi les évaluations des risques et l'élaboration de politiques fondées sur des preuves. L'AET devrait aider les États membres à mettre en œuvre des approches fondées sur les droits en matière d'exécution conformément à la convention C81 de l'OIT sur l'inspection du travail, y compris lorsqu'il s'agit de protéger les droits des travailleurs sans papiers et de s'attaquer aux pratiques de recrutement abusives.
À mesure que la Plateforme européenne de lutte contre le travail non déclaré s'intégrera à l'AET, la CES s'engagera avec l'Autorité et la plateforme pour promouvoir des approches fondées sur les droits permettant aux travailleurs non déclarés et sans papiers de passer à un emploi déclaré et à une régularisation. Le travail non déclaré n’est pas le choix d’un travailleur et les droits fondamentaux du travail ne doivent jamais dépendre du statut de l’emploi, du statut migratoire ou du statut de résidence. L’AET et la plateforme doivent avoir pour ambition non seulement de s’attaquer au travail non déclaré transfrontalier, mais aussi d’empêcher que le travail non déclaré au niveau national ne prenne une dimension transfrontalière. La lutte contre les montages artificiels tels que le faux travail indépendant est cruciale, car cela prive les travailleurs de leurs droits découlant des législations sociale et du travail, comme le souligne également la recommandation 198 de l’OIT sur la relation de travail.
EURES joue un rôle important dans l’information des travailleurs mobiles et migrants sur leurs droits. Au fur et à mesure de l’intégration du réseau dans l’AET, cela devrait renforcer l’implication des partenaires sociaux à tous les niveaux. En outre, l’AET et la Commission devraient assurer un financement européen dédié aux services de renforcement des capacités et de conseils spécialisés fournis par les syndicats pour les travailleurs mobiles et migrants afin de promouvoir un marché du travail équitable et inclusif. Les États membres devraient coopérer avec les partenaires sociaux pour permettre et soutenir ces services de conseil et, le cas échéant, promouvoir la négociation collective pour renforcer les droits et la protection des travailleurs mobiles et migrants.
Les partenariats EURES transfrontaliers contribuent grandement à la promotion d’une mobilité transfrontalière équitable et volontaire dans les régions frontalières. Les partenaires sociaux régionaux et les conseils syndicaux interrégionaux (CSIR) améliorent la qualité de la mobilité transfrontalière en identifiant les obstacles existants et en garantissant aux travailleurs transfrontaliers des droits égaux. La CES appelle les États membres à renforcer les partenariats EURES transfrontaliers existants et futurs en impliquant pleinement les partenaires sociaux régionaux. À cette fin, les partenariats devraient être intégrés de manière permanente dans le Fonds social européen+, avec un financement suffisant et déterminé.
Pour éviter la double imposition et d’autres types de discrimination ou de disparités au niveau de l’imposition des revenus des travailleurs transfrontaliers tels que les travailleurs frontaliers, les travailleurs actifs dans plusieurs États, les travailleurs du transport international, les travailleurs détachés, les sportifs et les artistes, les États membres devraient adopter des solutions spécifiques au niveau (européen) bilatéral ou multilatéral. La pandémie de COVID-19 a montré la nécessité de telles conventions fiscales pour mieux tenir compte des dispositions en matière de télétravail, afin d’éviter la double imposition des travailleurs transfrontaliers contraints de travailler temporairement depuis leur pays de résidence.
Enfin, la CES appelle à l’insertion de dispositions en matière de mobilité dans les accords commerciaux afin de garantir une concurrence équitable basée sur l'égalité de traitement et l'application efficace des normes du travail. Il doit s'agir d'une composante cruciale de la mise en œuvre de l'accord de commerce et de coopération entre le Royaume-Uni et l'UE, ainsi que de l'accord avec Gibraltar. Pour éviter que les travailleurs mobiles et les migrants ne tombent entre les systèmes, la sécurité juridique doit être assurée en ce qui concerne la coordination de la sécurité sociale et les conditions de travail applicables dans le pays de destination. De même, tout futur accord-cadre entre l'UE et la Suisse doit respecter les mesures d’accompagnement suisses existantes pour défendre les droits des travailleurs et pour assurer une situation équitable. L'UE doit garantir la cohérence entre ses politiques internes et externes dans le plein respect des principes du Socle social.
[1] Le principe de l’égalité de traitement pour les travailleurs mobiles et migrants est affirmé aux points 31, 449, 450, 453, 456, 461, 463, 464, 476, 489, 492, 495, 498 et 504 du programme d’action 2019 – 2023 de la CES adopté au Congrès de Vienne, qui s’est tenu du 21 au 24 mai 2019. Lien
[2] Adoption du Pacte européen sur la migration et l’asile, avec des propositions et des consultations dans le domaine de la migration de la main-d’œuvre. Voir la section VI.
[3] Pour la lisibilité de cette résolution, le texte utilise systématiquement la terminologie de travailleurs « mobiles » et « migrants », en vertu de laquelle les travailleurs « mobiles » sont définis comme les travailleurs mobiles de pays de l’UE (et de l’AELE) et les travailleurs « migrants » comme les travailleurs migrants de pays tiers. Le texte aborde les questions relatives aux travailleurs mobiles et migrants conjointement et séparément.
[4] Voir également la position de la CES pour une directive européenne sur le devoir de vigilance en matière de droits de l’homme et de conduite responsable des entreprises, adoptée le 17 décembre 2019. Lien
[5] Voir également la résolution de la CES sur les pistes de travail de la CES en matière de migration et d’asile, adoptée le 18 décembre 2019. Lien
[6] Voir également la déclaration de la CES sur le nouveau Pacte sur la migration et l’asile. Lien
[7] Voir également la position de la CES sur la stratégie en matière de compétences pour l'Europe et sur les futures stratégies en matière de compétences. Lien
[8] Voir PICUM « A Worker is a Worker: How to Ensure that Undocumented Migrant Workers Can Access Justice ». Lien.