Résolution de la CES sur le rééquilibrage de l'approche de l'UE relative aux droits fondamentaux

Adoptée par le Comité exécutif de la CES les 10 et 11 mars 2015


Messages clés


  • Le mouvement syndicaliste doit relever des défis importants en ce qui concerne le respect et la promotion des droits fondamentaux. Il est indispensable de repenser le cadre institutionnel de l'Union européenne pour faire cesser et corriger ces aberrations. L'Union devrait être tenue pour responsable du respect des droits fondamentaux. 
  • La CES est très critique vis-à-vis de l'avis rendu par la Cour de justice sur le projet d'accord d'adhésion à la Convention européenne des droits de l'homme. La Cour a formulé des objections majeures et l'adhésion de l'Union risque d'être considérablement retardée – voire bloquée. 
  • La CES rappelle l'existence d'une obligation juridique pour l'Union d'adhérer à la CEDH. Elle est également indispensable pour l'avenir de l'Europe sociale et la démocratie dans l'Union. La Commission devrait donc explorer toutes les options possibles, dans la perspective de garantir une adhésion ayant réellement du sens dans un avenir proche.
  • Si une renégociation du projet d'accord d'adhésion devait tout de même être envisagée, elle ne peut pas remettre en cause la logique qui sous-tend l'adhésion de l'Union : les principes de la CEDH ont préséance sur les activités de l'UE.
  •  La CES n'accepte pas que les modifications apportées au traité continuent à être négociées dans un forum intergouvernemental, sans aucune surveillance démocratique. En outre, les débats autour de la prochaine modification des traités ne peuvent pas uniquement se concentrer sur la question de l'incorporation ou non du pacte budgétaire. Il est essentiel d'envisager plus largement la situation des droits fondamentaux dans l'Union, en particulier si une modification des traités s'avérait nécessaire pour accélérer l'adhésion de l'Union à la CEDH. 

Introduction


Le mouvement syndical doit faire face à des défis difficiles en relation avec le respect et la promotion des droits fondamentaux. La jurisprudence bien connue sous le nom de « quatuor Laval » formulée par la Cour de Justice de l'Union européenne (CJUE) a placé la suprématie des libertés économiques au-dessus des droits sociaux fondamentaux, ce qui a été ensuite confirmé dans la jurisprudence ultérieure. En outre, la situation actuelle d'austérité menace les acquis sociaux partout dans l'Union et viole un certain nombre de droits fondamentaux[1].


À cause de l'approche actuelle de l'UE envers les droits fondamentaux, les États membres font face à des obligations de droit international contradictoires. Ils ne peuvent pas respecter le droit européen et leurs obligations en matière de droits de l'homme provenant de la CEDH, la Charte sociale européenne et l'OIT. Il est indispensable de repenser le cadre institutionnel de l'Union européenne pour faire cesser et corriger ces aberrations. L'Union devrait être tenue pour responsable du respect des droits fondamentaux. La préséance de la CEDH pour les questions relatives aux droits de l'homme doit être reconnue. Les syndicats devraient aussi pouvoir mieux recourir aux instruments internationaux pour améliorer la protection des droits fondamentaux, en particulier l'OIT.


L'adoption d'un protocole de progrès social est une priorité absolue de la CES. Ce protocole qui sera annexé aux traités devrait clarifier le statut primaire des droits fondamentaux et la nécessité de les faire respecter dans les activités quotidiennes de l'Union.


Parallèlement, il est nécessaire d'engager une réflexion approfondie sur le changement fondamental du cadre institutionnel de l'Union. L'adhésion de l'UE à la Convention européenne des droits de l'homme. (CEDH) reste une priorité absolue. Or elle est menacée par un avis récent de la CJUE. Il faut trouver des solutions convaincantes, y compris une révision démocratique et sérieuse des traités au travers de la rédaction d'une Convention.


Adhésion à la CEDH – l'Union européenne ne peut pas faire l'impasse sur le contrôle externe direct des droits de l'homme


Il y a longtemps que la CES demande une adhésion rapide à la Convention. Une meilleure protection des droits fondamentaux est un élément qui a pesé lourd dans la décision de la CES de soutenir le traité de Lisbonne. La CES a contribué activement au travail des organismes impliqués dans la négociation du projet d'accord d’adhésion.


La contribution potentielle de la CEDH pour rééquilibrer l’approche de l’UE relative aux droits fondamentaux est considérable. L’adhésion permettrait un contrôle externe des conditions essentielles de respect des droits fondamentaux inscrits dans la CEDH. Des arrêts tels que celui rendu dans l’affaire Viking, qui font prévaloir les libertés économiques sur les droits sociaux, sont susceptibles de recours devant la Cour européenne des droits de l’homme. 


En juillet 2013, l’avis de la CJUE a été sollicité à propos de la compatibilité entre le projet d’accord d'adhésion à la CEDH et le droit de l’UE. Le 18 décembre 2014, la CJUE a émis un avis très négatif, considérant que le projet d’accord était incompatible avec le droit de l’UE. La principale préoccupation de la Cour concerne l’autonomie du droit de l’UE vis-à-vis des instances internationales. D’après la CJUE, la Cour européenne des droits de l’homme n'a pas vocation à examiner si les activités de l’Union sont compatibles avec la CEDH. La CJUE conserve sa propre compétence exclusive pour interpréter le droit de l’Union européenne.


La CES considère cet avis d'un œil très critique. La CJUE a soulevé des objections importantes et l’adhésion de l’Union européenne risque d’être considérablement retardée – voire bloquée. La CES est convaincue qu’il ne faut pas abandonner le processus d’adhésion. L’article 6, alinéa 2, du TUE exclut cette éventualité; cet article crée une obligation juridique selon laquelle l'Union doit adhérer à la CEDH (« l’Union adhère à la Convention européenne des droits de l’homme »). Avant tout, l’adhésion à la CEDH est indispensable pour l’avenir de l’Europe sociale et de la démocratie dans l’Union.


L’article 218 du TFUE décrit la procédure applicable à la négociation et à l’adoption d’accords avec des pays tiers ou des organisations internationales. L’article 218, alinéa 11, du TFUE prévoit normalement deux lignes d’action possible à la suite d’un avis négatif rendu par la CJUE à propos d’un projet d’accord international : soit la modification du projet d’accord de manière à ce qu’il respecte les termes de la CJUE, soit la révision des traités européens.


Dans son avis, la CJUE demande la réouverture des aspects-clés du projet d’accord d’adhésion. Il ne semble pas réaliste de mener à bien une renégociation selon ces termes. La CES souligne que l’adhésion de l’UE à la CEDH jouit d’un statut différent, supérieur à celui des accords internationaux ordinaires. L’obligation d’adhérer prévue à l’article 6, paragraphe 2, du TUE devrait prendre le pas sur les considérations de procédure définies à l’article 218, alinéa 11, du TFUE. La CES invite donc instamment la Commission à explorer toutes les options possibles, y compris des moyens de passer outre l’avis de la CJUE, dans la perspective de garantir une adhésion ayant réellement du sens dans un avenir proche.


Au cas où il faudrait néanmoins envisager une renégociation du projet d’accord d’adhésion, la CES insiste sur le fait que cette renégociation ne peut pas remettre en cause la raison d’être de l’adhésion de l’Union à la Convention. En particulier, un nouvel accord d’adhésion doit garantir au moins les deux points développés ci-dessous.


D’abord, aucun privilège ou immunité supplémentaire ne doit être accordé(e) à l’Union par rapport aux autres parties contractantes. Cela couvre la négociation relative à la substance des droits de l’homme et à leur niveau de protection. La CES n’acceptera pas non plus l’introduction de nouveaux obstacles bureaucratiques qui compliqueraient l’adhésion à la Cour européenne des droits de l'homme (par exemple, rendre obligatoire l'implication préalable de la CJUE dans les affaires dans lesquelles l'UE est co-défenderesse).


Ensuite, la CEDH ne peut pas être subordonnée à la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ; l’inverse doit prévaloir. Dans son avis, la CJUE fait valoir que la CEDH devrait être coordonnée avec la Charte des droits fondamentaux. Le niveau de protection prévu par la Charte et la primauté, l’unité et l’efficacité du droit de l’Union ne devraient pas compromises. Ce serait inacceptable pour la CES. Les traités UE et FUE spécifient que la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne a « la même valeur juridique » que les traités, ce qui a été interprété comme suit par la CJUE : en cas de conflit entre les droits fondamentaux et d’autres aspects du droit de l’Union, c’est l’exercice des droits fondamentaux qui doit faire l’objet d’une justification stricte et d’un test de proportionnalité.   


Il se peut qu’une modification des traités UE soit également considérée comme une option possible à plus long terme pour surmonter les objections de la CJUE. Dans un tel scénario, une série de conditions doivent être remplies pour garantir que le processus de révision soit démocratique et judicieux. 


Modification des traités – pour une révision démocratique et judicieuse


La CES a condamné les méthodes peu démocratiques adoptées par certains États membres pour élaborer le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire (TSCG). En effet, ce traité international a été adopté en dehors de tout cadre juridique européen. Pourtant, l’article 16 de ce traité prévoit que d’ici le 1er janvier 2018 au plus tard, les mesures nécessaires seront prises afin d’intégrer le contenu du TSCG dans le cadre juridique de l’Union européenne.


Les méthodes non démocratiques utilisées pour rédiger le TSCG ne devraient pas être légitimées via des amendements aux traités par la petite porte. La CES n’accepte pas que les modifications des traités continuent d’être négociées dans un forum intergouvernemental, sans aucune surveillance démocratique. Les traités peuvent être modifiés conformément à une « procédure de révision ordinaire » prévue à l’article 48 du TUE, qui établit que le Conseil européen peut décider à la majorité simple de ne pas convoquer de Convention lorsque l'ampleur des modifications ne le justifient pas.


En outre, les discussions relatives à la prochaine modification des traités ne peuvent uniquement se concentrer sur la question de l’intégration ou non du TSCG. Il est essentiel d’élargir la réflexion sur la situation des droits fondamentaux dans l’Union, en particulier s’il s’avère nécessaire de procéder à une modification des traités pour accélérer l’adhésion à la CEDH. 


Un rééquilibrage de l’approche de l’UE relative aux droits fondamentaux présuppose que le travail d’une Convention poursuive au moins les objectifs suivants :


  • Permettre à la Cour européenne des droits de l’homme d’exercer un contrôle direct externe du respect des droits de l’homme.
  • Créer une base juridique pour l’adhésion de l’Union à la charte sociale européenne révisée et à ses protocoles qui propose un cadre impressionnant favorable à la protection des syndicats et des droits des travailleurs.
  • Repositionner les activités de l’Union au sein d’un cadre international plus large. Une attention particulière devra être accordée à l’intégration des conventions de l’Organisation internationale du travail (OIT) au sein de l’ordre juridique interne de l’Union européenne.
  • Astreindre l’Union à respecter et à promouvoir les droits fondamentaux dans ses activités quotidiennes. Le rôle et l’efficacité de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne doivent être réévalués à la lumière de l’adhésion de l’Union à CEDH. La compatibilité des propositions législatives avec la Charte doit être vérifiée à toutes les étapes des procédures législatives.
  • En plus de l'adoption d'un protocole de progrès social, l’interaction entre les dispositions économiques et les objectifs sociaux des traités doit être réexaminée. Le repositionnement des activités économiques au sein d’une dimension sociale plus large devrait cibler en particulier les dispositions relatives à la liberté d’établissement et à la liberté de prestation de services, à la politique de concurrence, aux affaires économiques et monétaires, et à l’établissement graduel du marché intérieur.

 


[1] /fr/presse/l%e2%80%99aust%c3%a9rit%c3%a9-est-ill%c3%a9gale-les-syndicats-europ%c3%a9ens-exigent-un-changement-de-politique-selon-un