Résolution de la CES sur ses priorités pour l'Examen annuel de la croissance 2014

Bruxelles, 22-23/10/2013      

Messages-clés

•    Le principal défi de l’Europe est de transformer ce qui pourrait être la fin d’une récession en un robuste processus de croissance auto-entretenue à la dynamique de laquelle s’ajoutent investissements, demande et création d’emplois se renforçant mutuellement.

•    Pour réaliser cela, la stratégie d’austérité et de dérégulation structurelle doit être complètement revue.

•    L’austérité budgétaire doit être davantage assouplie et les objectifs de déficits tant nominaux que structurels doivent être en adéquation avec l’état et l’intensité du cycle économique.

•    L’UE doit arrêter de faire systématiquement pression sur les États membres pour qu’ils s’engagent dans une course vers le bas.

•    La création d’emplois de qualité doit faire partie intégrante de la stratégie de l’UE en matière d’emploi.

•    L’UE a besoin d’un plan de relance européen majeur injectant 2% du PIB dans l’économie pour une croissance durable et la création d’emplois et pour s’attaquer aux déséquilibres économiques et du chômage et pour affronter les défis sociaux, industriels et environnementaux.

L’héritage de l’austérité : chômage record, pauvreté en hausse et une Europe plus divergente

L’Europe paie un prix trop élevé à l’austérité : plus de 26 millions de personnes sans emploi, le chômage des jeunes et le chômage à long terme qui explosent, un million d’emplois perdus dans la zone euro au cours des six derniers mois, une récession en double creux avec une contraction de l’activité durant six trimestres consécutifs, une pauvreté et des inégalités grandissantes et une divergence croissante entre États membres et groupes socio-économiques. Pendant ce temps, les déficits publics restent élevés et les ratios de dette publique continuent à augmenter.

C’est dans ce contexte que la Commission européenne publiera son Examen annuel de la croissance (EAC) 2014 définissant les priorités de l’UE en matière de croissance et d’emploi pour l’année à venir. La reprise économique naissante conforte ceux qui soutiennent que l’Europe est sur la bonne voie et doit maintenir le cap. Toutefois, le principal message de la CES est que, sans un changement majeur de la double stratégie d’austérité et de dérégulation structurelle, l’Europe risque de replonger dans la spirale de la récession ou, au mieux, connaîtra une reprise tellement faible qu’elle sera incapable de faire baisser les niveaux de chômage de manière significative.

L’état de l’économie et de l’emploi

Une reprise fragile et inégale

La CES met en garde les responsables politiques quant au fait que, s’ils en reviennent à une stratégie fixant des objectifs de déficits irréalistes, la reprise encore chancelante risque de s’évaporer comme ce fut le cas en 2011. L’amélioration de la performance économique, basée sur un assouplissement temporaire de l’austérité, est fragile et les forces structurelles persistent (montant total de la dette du secteur privé, bilans bancaires faibles, parc immobilier excédentaire) qui mettent la dynamique de la demande sous pression.

C’est aussi une reprise « inégale » car la situation économique dans la zone euro reste polarisée et déséquilibrée. Derrière la moyenne de la zone euro se cache le fait que, tandis que plusieurs économies ont retrouvé le chemin de la croissance au cours du deuxième trimestre 2013, d’autres sont toujours embourbées dans la récession avec de faibles perspectives de croissance pour 2014 et connaissent des taux de chômage allant jusqu’à 27%.

L’austérité est toujours d’actualité et est toujours par trop ambitieuse. Alors que le semestre européen prolonge les délais de certains États membres pour parvenir à un déficit nominal de 3% du PIB, il impose toujours d’impressionnants objectifs en termes de réduction des déficits structurels pour 2014 et les années suivantes. L’austérité que cela implique pour les budgets 2014 va de 0,8% du PIB (en France), plus de 1% du PIB (en Pologne) et jusqu’à 1,9% du PIB (en Espagne). S’ils sont mis en œuvre, ces plans d’austérité budgétaire feront dérailler la reprise et cela précisément pour les pays qui ont le plus besoin de relancer leur activité économique. De plus, ces exigences budgétaires à court terme priveront de nombreuses régions d’Europe d’investissements d’une importance capitale pour accélérer le rythme de la transition vers une économie bas carbone et efficace dans l’utilisation des ressources.

Une reprise sans emploi ou faite d’emplois médiocres

Malgré de récentes indications d’une stabilisation du chômage, les chances d’un renversement significatif des taux records de chômage restent faibles. Même en tenant compte du décalage dans le temps entre reprise économique et amélioration de la situation du chômage, les perspectives sont très médiocres avec des prévisions faisant état de taux de chômage restant à leurs niveaux élevés actuels durant toute l’année 2014.

Il y a de nombreux signes de la dégradation de l’emploi et de la situation sociale en Europe (voir par exemple la Revue trimestrielle sur l'emploi et la situation sociale dans l'UE, octobre 2013). Le travail précaire a encore progressé pendant la crise tandis que le travail « standard » (emploi durable et à temps plein) a diminué. Le nombre de travailleurs temporaires et à temps partiel n’ayant pas volontairement opté pour ce type de travail et ceux pour lesquels le salaire ne suffit pas à leur assurer un niveau de vie décent continuent à progresser. Le chômage de longue durée a atteint un niveau historique et devient de plus en plus structurel. La situation sociale et de l’emploi se caractérise également par d’importantes divergences entre États membres, les jeunes, les non-ressortissants et les moins qualifiés étant particulièrement touchés. Le danger est que ces tendances continuent en 2014 et au-delà. La CES rejette l’approche selon laquelle les droits des travailleurs doivent être échangés contre des emplois.

Un semestre européen déséquilibré : tout pour les réformes structurelles, fort peu en matière de gestion positive de la demande

Le semestre européen – y compris les recommandations par pays, les programmes de stabilité et de convergence et la procédure concernant les déséquilibres macroéconomiques – n’inclut pas d’encadrement politique et de coordination appropriés dans les domaines de la politique budgétaire, des réformes structurelles des marchés du travail et des salaires. Bien que le semestre ait pour but d’aider les États membres à remplir leurs engagements au titre de la stratégie Europe 2020, y compris les objectifs d’augmentation de l’emploi et de réduction de la pauvreté, ces objectifs semblent de plus en plus inaccessibles. Cela souligne la nécessité de rééquilibrer la gouvernance économique en en renforçant les aspects sociaux. La récente Communication sur le renforcement de la dimension sociale de l’Union économique et monétaire (UEM) reconnaît au moins cet échec majeur du processus de gouvernance économique.

En échange du remplacement des objectifs de déficit nominal par des objectifs de déficit structurel, la Commission recommande que les États membres accélèrent et intensifient les réformes structurelles. A quelques exceptions près, cela implique une dérégulation du droit du travail et des institutions du marché du travail en particulier et/ou des réformes des régimes de pension. Si elles sont mises en œuvre, ces recommandations feront progresser plus encore les pratiques de travail précaire, aggraveront les inégalités, augmenteront l’insécurité des travailleurs et, de ce fait, ralentiront la dynamique de demande globale et affaibliront ou bloqueront la reprise tant espérée.

Les Examens annuels de la croissance 2012 et 2013 fixaient à juste titre la lutte contre le chômage et les conséquences sociales de la crise comme étant une priorité-clé pour la coordination de la politique économique. Toutefois, au cours des deux dernières années, 4 millions de personnes de plus sont venues gonfler les rangs des chômeurs tandis que la pauvreté et l’exclusion sociale continuaient à augmenter donnant récemment lieu à de sévères mises en garde selon lesquelles de 15 à 25 millions de personnes supplémentaires pourraient vivre dans la pauvreté d’ici à 2025. La dégradation constante de l’emploi et de la situation sociale illustre que, bien que ses objectifs sociaux soient corrects, l’approche politique actuelle n’est pas à la hauteur.

De nombreux États membres ont déjà entrepris des réformes du marché du travail, axées dans une large mesure sur une législation déclinante en matière de protection de l’emploi et de négociations collectives, avec peu ou pas d’évaluation de l’impact social de ces réformes. En plus des formes plus fréquentes de travail atypique, d’autres types de relation de travail non standard voient le jour ou ont connu une forte augmentation (par ex. contrats zéro-heure ou statut employé-actionnaire (Royaume-Uni), contrats jeunes (Grèce), contrats de service (Allemagne, Pologne), accords en matière de travail exécuté en dehors de la relation d’emploi (Slovaquie) et contrats de formation de trois ans (Espagne)). Nombre de ces nouvelles formes de relations contractuelles sont créées dans le seul but de contourner les conditions et droits liés à l’emploi des travailleurs tels que définis dans les conventions collectives et/ou dans la législation, permettant ainsi à des employeurs sans scrupules de mener une concurrence déloyale.

La recommandation de la Commission de passer d’une fiscalité du travail vers une fiscalité environnementale est présentée sans tenir suffisamment compte de l’effet que ce changement pourrait avoir sur la redistribution sociale ou sur les systèmes de protection sociale. De plus, peu d’attention est accordée au rôle que d’autres formes de fiscalité, telles que l’impôt des sociétés ou les taxes sur les grosses fortunes, peuvent jouer dans le semestre européen. Bien que soit reconnu le rôle positif des systèmes de protection sociale en tant que stabilisateurs automatiques, ceux-ci sont systématiquement minés par les politiques d’austérité au moment même où ils sont les plus nécessaires.

Le semestre est toujours biaisé en faveur d’interventions et de réformes qui favorisent une flexibilité des salaires à la baisse. En 2013, huit États membres (à l’exclusion des quatre pays sous programme) ont reçu le conseil stratégique d’affaiblir les institutions de formation des salaires. Les États membres sont officiellement mis en concurrence les uns avec les autres, les réformes dans un pays étant utilisées comme argument pour essayer d’imposer à un autre des réformes encore plus intrusives. Pendant ce temps, à l’instigation de la BCE, une nouvelle et étroite norme salariale est en cours d’élaboration qui lie les salaires nominaux uniquement à la productivité et pas à la productivité et à l’inflation.

L’EAC 2013 reconnaît le volume significatif de réformes qui ont eu lieu dans les administrations publiques ces dernières années. Fondamentalement, nombreuses sont ces réformes qui ont été imposées avec peu ou sans aucun dialogue social. L’EAC omet toutefois de reconnaître les turbulences causées par les politiques de court terme visant uniquement des coupes quantitatives plutôt que l’amélioration de la qualité des services. Ces coupes arbitraires risquent d’affecter la qualité des services publics et de démoraliser les travailleurs. Nous ne voyons aucune logique de la part de gouvernements partout en Europe qui suppriment 50.000 emplois dans l’administration fiscale alors qu’il existe un large consensus en faveur d’une action renforcée pour combattre la fraude fiscale.

Le prochain semestre européen doit guider l’Europe dans une autre direction

L’Europe doit transformer les fragiles signes de reprise en un robuste processus de croissance auto-entretenue dont la dynamique s’accompagne d’une hausse des investissements, de la demande et de la création d’emplois de qualité. Pour y arriver, le semestre politique européen ne peut se réduire à des changements à la marge. La double stratégie d’austérité et de dérégulation structurelle nécessite des changements majeurs et pas seulement cosmétiques. Au lieu de nouvelles coupes budgétaires, la camisole de force que représente l’austérité budgétaire doit être davantage desserrée. Il faut mettre fin à l’austérité en 2014. Les objectifs de déficits pour la période après 2014, qu’ils soient nominaux ou structurels, doivent être en adéquation avec l’état et l’intensité du cycle économique. Si l’économie est faible, les ambitions en matière d’assainissement budgétaire doivent rester modestes afin de ne pas déclencher un « triple creux ».

Au lieu d’opter pour l’attentisme dans l’espoir que la reprise se matérialise vraiment et se transforme en un robuste processus de croissance dans tous les États membres, les politiques doivent prendre les choses en main. Nous avons besoin d’un important plan de relance et de création d’emplois européen injectant 2% du PIB dans l’économie, en particulier dans les États membres qui connaissent des taux de chômage vertigineux. Davantage de ressources sont essentielles si nous voulons réaliser le nécessaire investissement social en capital humain, en éducation, en santé et dans d’autres services publics tels qu’identifiés dans le paquet investissements sociaux. Cela est aussi essentiel pour s’attaquer aux défis sociétaux tels que le changement climatique, la raréfaction des ressources naturelles et les prix élevés de l’énergie.

La CES partage l’objectif d’une meilleure coordination dans le domaine de l’emploi et des politiques sociales défini dans la communication sur le renforcement de la dimension sociale de l’UEM mais souligne que cela doit s’appliquer à tous les États membres. L’introduction d’indicateurs sociaux clés destinés à servir de « tableau de bord » pour le semestre européen serait un pas en avant. Il ne faudrait toutefois pas que ceux-ci ne soient qu’un autre outil analytique. De nombreux indicateurs sont déjà utilisés dans le domaine de l’emploi et dans le domaine social mais ne font pas le poids face à la priorité accordée aux questions économiques dans le cadre de la gouvernance. Ce qu’il faut, ce sont des indicateurs sociaux mis sur un pied d’égalité avec les indicateurs économiques afin d’avoir un impact réel et contraignant sur les politiques économiques.

La politique européenne doit encourager les salaires négociés collectivement plutôt que faire systématiquement pression sur les États membres pour qu’ils s’engagent dans une course à la baisse. La CES sera attentive à ce que la Commission européenne n’utilise pas ses nouveaux pouvoirs, découlant du fait que l’Espagne et la Slovénie sont les premiers pays à avoir été déclarés comme étant en situation de déséquilibres macroéconomiques excessifs, pour faire intrusion dans les systèmes de négociation et de formation des salaires de ces pays. Une réduction de leur salaire minimum ou toute nouvelle dérégulation des salaires provoquerait une déflation et ferait payer les travailleurs pour les erreurs des banques. Toute tentative dans ce sens  éroderait plus encore le peu de confiance qu’ont toujours les travailleurs dans le principe d’intégration européenne et serait fermement condamnée par la CES.

La politique européenne doit aussi activement promouvoir le travail décent et la création d’emplois de qualité. Les emplois précaires donneront lieu à une reprise précaire. La croissance ne sera auto-entretenue que si les emplois créés sont de bons emplois qui assurent aux travailleurs salaires et conditions décents et sécurité. Les engagements de l’UE sur l’égalité hommes-femmes et la dimension de genre ne doivent pas être négligés et doivent être explicitement intégrés au semestre européen. Bien que de nombreuses recommandations par pays visent à augmenter la participation des femmes au marché du travail, il faut en faire davantage pour améliorer la qualité de l’emploi féminin, s’attaquer à la ségrégation de genre et éliminer les obstacles qui entravent toujours fortement l’accès et la progression des femmes sur le marché du travail. Les recommandations par pays doivent aussi être cohérentes, par exemple des mesures particulières sont nécessaires pour combler l’écart salarial hommes-femmes dans tous les États membres.

Tout processus de modernisation des administrations publiques doit se concentrer sur l’amélioration de la qualité des services plutôt que sur l’élimination de la lourdeur administrative ou sur des réductions arbitraires de l’emploi et de services. Cela peut uniquement se faire au travers d’un processus convenable de dialogue social. Il existe maintenant plusieurs études, commandées tant par la DG Emploi que par l’Organisation internationale du travail, qui dénoncent la rupture du dialogue social dans les services publics et l’imposition unilatérale de salaires et de conditions en baisse. La Commission doit entendre les messages clairs renvoyés par ces études et en tenir compte dans la rédaction du prochain Examen annuel de la croissance.

L’Union européenne doit respecter les droits fondamentaux des travailleurs, y compris le droit de leurs syndicats de négocier collectivement en leur nom. En pratique, et malgré d’incessantes références à son importance et à la nécessité de le renforcer, la Commission et de nombreux États membres sapent le dialogue social et continuent à porter atteinte à l’autonomie des partenaires sociaux. Ces pratiques doivent cesser.

La CES a constamment appelé à une participation effective des partenaires sociaux nationaux et européens dans toutes les étapes du semestre européen. Celle-ci doit aller au-delà de la simple information et consultation. Quelques progrès ont été faits au niveau européen mais l’implication de la majorité des partenaires sociaux nationaux reste dans l’ensemble insuffisante. Les avis (communs ou individuels) des partenaires sociaux doivent être pris en compte et reflétés dans l’EAC, les programmes nationaux de réforme et les recommandations par pays.