Bruxelles, 5-6 décembre 2005
1) A l'occasion de l'élargissement survenu le 1er mai 2004, 12 des 15 ‘anciens' États membres ont introduit des mesures transitoires. En réponse à cela, certains nouveaux États membres ont appliqué des mesures sur base de la réciprocité. Avant le 1er mai 2006, le Conseil devra réviser le fonctionnement de ces dispositions transitoires sur base d'un rapport de la Commission. Ce rapport devrait être publié en janvier 2006.
La CES souhaite contribuer au débat concernant les futurs développements relatifs à cette résolution et au mémorandum explicatif en annexe.
2) La CES souhaite souligner le fait qu'une consultation appropriée des partenaires sociaux à tous les niveaux concernés quant au fonctionnement et au futur des mesures transitoires est indispensable et demande instamment à la Commission de transmettre ce message aux États membres.
3) La CES reconnaît que les mesures transitoires relatives à la libre circulation des travailleurs sont une dérogation - bien que de nature temporaire et basée sur les Traités d'adhésion - au droit à la libre circulation des travailleurs et au droit à l'égalité des chances pour tous les citoyens de l'UE, comme stipulé dans le Traité de l'UE et dans la Charte des droits fondamentaux et qu'elles doivent dès lors être justifiées par des motifs importants et objectifs. Il en va de même de leur prorogation.
4) Les mesures transitoires ont été introduites par les États membres afin de protéger leur marché du travail. Certains membres affiliés à la CES, spécialement ceux des régions transfrontalières des nouveaux États membres, ont signalé que les mesures transitoires ont eu un aspect positif les concernant parce qu'elles ont réduit la pression des flux migratoires provenant des nouveaux États membres connaissant une croissance économique stagnante et des taux de chômage en hausse particulièrement préoccupants pour les migrants et leurs descendants, permettant ainsi aux marchés du travail de s'adapter graduellement sans créer de chocs majeurs ou de déséquilibres.
5) Toutefois, d'autres organisations affiliées ont signalé à la CES que les dispositions transitoires relatives à la libre circulation des travailleurs au sein de leurs États membres semblent provoquer l'effet inverse : elles créent et maintiennent une situation de citoyenneté de seconde, voire de troisième classe pour les travailleurs issus des nouveaux États membres ou ne leur permettent pas une admission légale en matière d'emploi :
- compétition illégale quant aux salaires et aux conditions d'emploi au détriment des classes travailleuses dans les anciens États membres,
- une augmentation du travail en noir et du travail indépendant illégal qui disturbe les marchés de travail locaux et sectoriels,
- exploitation et discrimination de traitement des travailleurs des nouveaux États membres.
6) Parallèlement, des expériences menées dans de nombreux pays - y compris ceux qui n'ont pas encore pris de mesures transitoires - démontrent qu'il existe de sérieuses préoccupations quant à la protection des travailleurs et aux systèmes de relations industrielles, ceci dû au fait de la mobilité transfrontalière accrue et à l'émergence du marché du travail européen, bien que souvent dans le cadre de la libre circulation des services, qui menacent la cohésion sociale et le soutien des citoyens et des travailleurs dans de nombreux États membres dans le cadre du projet européen et demandent que des mesures soient prises tant au niveau national qu'au niveau de l'UE.
7) Il est clairement nécessaire qu'un jugement ait lieu au niveau national à propos des effets des mesures transitoires et de la nécessité de leur prorogation. Toutefois, la CES pense que de telles mesures ne devraient pas seulement être adoptées ou prorogées pour gagner du temps et reporter à une date ultérieure le moment auquel la libre circulation des travailleurs devra être réelle, permettant ainsi aux États membres de se dispenser d'analyser correctement les problèmes sous-jacents et ne pas développer de politiques durables aptes à résoudre les problèmes qui pourraient en résulter.
8) Selon la CES, il est nécessaire de développer le plus rapidement possible au niveau national, ainsi qu'au niveau de l'UE, un cadre approprié de règles fermes et équitables pour accompagner l'aboutissement d'un authentique marché du travail interne sans frontières et barrières et au sein duquel les biens, les capitaux, les services et les travailleurs puissent profiter aux citoyens, à l'économie et à la société. Un tel cadre devrait engendrer une confiance dans le fait que la mobilité dans un monde en passe de mondialisation n'est pas nécessairement une menace, même si cela implique du changement.
9) L'ambition de la CES est de pouvoir permettre la création d'un tel marché européen, selon quatre conditions-clé :
- qu'il soit basé sur le principe de l'égalité des salaires et des conditions de travail pour un travail égal dans un même lieu de travail sur le même territoire
- que les négociations collectives nationales et les systèmes de relations industrielles soient totalement respectés et soient considérés comme un outil indispensable et dynamique pour faire face au changement
- qu'il offre un accès égal aux avantages sociaux à tous les travailleurs
- qu'il donne aux parties prenantes à tous le niveaux concernés, y compris aux partenaires sociaux, des instruments et des outils de gestion et de mise en application.
10) Selon CES, les États membres devraient prendre, en coordination et coopération avec les institutions européennes, des mesures qui offrent une gestion appropriée et un ordre de base aux marchés du travail nationaux et européens combinant l'ouverture des frontières à l'intérieur de l'Union européenne avec une protection adéquate, ce qui permettrait de ne plus longtemps s'appuyer sur des restrictions transitoires.
11) Au niveau national, les gouvernements devraient - avec leurs partenaires sociaux - examiner la manière dont les réglementations et les pratiques nationales et le système de relations industrielles nationales peuvent être renforcés pour faire face aux défis posés par la mobilité transfrontalière. Le mémorandum explicatif ci-joint mentionne plusieurs thèmes devant être abordés.
12) Le réseau EURES, auquel la CES et les CSI (Comités Syndicaux Interrégionaux) participent activement, devrait être renforcé et jouer un rôle important dans le soutien apporté à ces politiques nationales ainsi qu'aux politiques interrégionales et européennes.
13) Au niveau de l'UE, la Commission Européenne, soutenue par le Conseil, et le cas échéant en coopération avec le Parlement Européen et en consultation avec les Partenaires sociaux devrait
développer un large cadre juridique européen de soutien en faveur de la libre circulation transfrontalière des travailleurs, tant au niveau de la libre circulation des services que de la libre circulation des travailleurs. Un tel cadre de soutien devrait comporter:
- une série minimum de normes européennes établies au niveau de l'UE,
- l'établissement de principes précis d'égalité de traitement en matière de salaire et de conditions de travail appliqués sur le lieu où le travail est exécuté,
- l'obligation de respecter les systèmes de relations industrielles du pays hôte, c'est-à-dire les règles et les réglementations relatives à la négociation collective et aux actions syndicales.
- des mécanismes et des instruments, incluant des systèmes de responsabilité des entreprises principaux, destinés à la supervision transfrontalière ainsi qu'à l'application des conditions et normes de travail
14) Le mémorandum explicatif énumère d'autres éléments nécessaires en vue de la création d'un tel cadre. Il est cependant hautement prioritaire que la Commission et les autres institutions européennes:
a. garantissent que la projet de Directive sur les Services n'enfreigne en aucun cas la législation du travail, les négociations collectives et les systèmes de relations industrielles, y compris les mécanismes et instruments destinés à la supervision et à l'application des normes et le droit d'entamer des actions syndicales,
b. excluent du champ d'application de la Directive sur les Services les services vulnérables à l'exploitation de la main-d'œuvre migrante, comme le travail intérimaire,
c. inscrivent à leur agenda, en tant que priorité, l'adoption d'une directive forte sur le travail intérimaire.
15) Ces actions et politiques doivent s'intégrer dans des politiques économiques, d'emploi et de compétences plus larges en matière d'élargissement et devront veiller à ce que le développement économique et la croissance dans les nouveaux États membres profitent également aux travailleurs et à leur famille et empêchent certaines évolutions actuelles comme la ‘fuite des cerveaux' et l'‘exode des jeunes'.
16) La CES et ses affiliés devraient s'appuyer sur sa Résolution d'Helsinki de 1999 «Syndicats sans frontières» et sur sa récente résolution sur la migration économique (mars 2005 : Vers une politique europénne pro-active en matière de migration et d'intégration»)
et développer des systèmes de soutien mutuel transfrontaliers sur une base bilatérale et multilatérale qui permettrait d'aboutir à une solidarité et une compréhension mutuelle et de contribuer à la cohésion sociale au sein d'une Europe élargie.
17) Lors de son évaluation l'année prochaine, la Commission devrait vérifier si certaines des dispositions transitoires actuelles mises en place par les États membres sont conformes au Traité de l'UE et aux Traités d'adhésion : la CES émet quelques doutes spécifiques en ce qui concerne la validité juridique de certaines mesures restrictives en matière de sécurité sociale et d'assistance sociale.
18) De plus, la Commission devrait demander aux États membres qui souhaitent continuer à appliquer ces mesures restrictives l'année prochaine d'avancer les arguments et les justifications convaincants qui les ont mené à la décision de continuer à appliquer ces mesures.
Il faut en particulier leur demander des rapports :
- sur la manière dont ils envisagent éviter les effets négatifs possibles mentionnés;
- sur les mesures qu'ils envisagent de prendre pour offrir à tous les travailleurs sur leur territoire, à leurs propres citoyens nationaux ainsi qu'aux autres citoyens européens, y compris aux travailleurs des nouveaux États membres une protection juridique adéquate et égale, comme ils sont obligés de le faire selon le Traité de l'UE et la Charte des droits fondamentaux;
- sur les mesures qu'ils envisagent de prendre afin de pouvoir être capables, dans un futur proche, de ne plus s'appuyer sur les restrictions transitoires.
19) Le domaine de la libre circulation des travailleurs démontre que l'emploi et les politiques en matière de mobilité devraient être traités tant au niveau national qu'au niveau européen. En effet, dans la mesure où le marché unique est de la compétence de l'UE, mettre de l'ordre dans toutes les situations de travail transfrontalier au niveau de l'UE est de la plus haute importance. Le fait de cacher derrière des arguments décevants qu'il n'existe pas de modèle social européen mais seulement une série de modèles nationaux dans les États membres élude le défi intellectuel et politique relatif à la manière de traiter correctement les questions relatives à la mobilité.
20) Les dossiers pendants qui ont été portés devant la Cour de Justice des Communautés européennes, à savoir les affaires Vaxholm et Viking, ainsi que d'autres affaires récentes survenues dans différents États membres, comme l'affaire Irish Ferries, ont créé de très importants désordres sociaux et mettent en danger les modèles de partenariat social.
Ces affaires ne peuvent pas être traitées uniquement en tant que dossiers destinés à être traités par des tribunaux. Elles exigent, de la part des acteurs politiques et des partenaires sociaux à tous les niveaux concernés, que ceux-ci prennent leurs responsabilités et élaborent des réactions politiques appropriées.
21) Par conséquent, la Commission devrait, à l'occasion de l'évaluation des mesures transitoires et dans le cadre de l'année 2006 de la mobilité, reconnaître qu'il existe de sérieux problèmes en ce qui concerne la mobilité transfrontalière, problèmes qui requièrent que des actions urgentes soient prises au niveau européen. Elle doit dès lors demander à toutes les parties prenantes au niveau européen - États membres et partenaires sociaux - de collaborer afin de créer un cadre positif pour soutenir l'aboutissement d'un marché du travail européen basé sur le principe de l'égalité de traitement et sur l'harmonisation à la hausse des conditions de travail et des systèmes sociaux.
22) L'UE devrait donner à ses États membres
constitutifs ainsi qu'à ses citoyens des instruments et des outils leur permettant de relever les défis du 21ème siècle d'une manière lui permettant d'atteindre son objectif principal : améliorer les conditions de vie et de travail de ses citoyens dans tous les États membres de l'UE et dans les pays en voie d'accession et, de cette manière, aider à obtenir la paix, la prospérité et la solidarité.
Mémorandum explicatif
1. Introduction
À la suite des négociations d'adhésion avec les dix nouveaux États membres ayant rejoint l'UE le 1er mai 2004, les États membres ont pu mettre en œuvre des mesures transitoires relatives à la libre circulation des travailleurs pour une période maximale de sept ans.
Parmi les 15 anciens États membres, la Suède, le Royaume-Uni et l'Irlande n'ont pas instauré de mesures transitoires. Le Royaume-Uni et l'Irlande ont toutefois instauré des restrictions concernant l'accès aux allocations sociales. Les douze autres États membres ont appliqué l'une ou l'autre forme de mesures transitoires en ce qui concerne la libre circulation des travailleurs. En outre, l'Autriche et l'Allemagne ont également instauré des restrictions relatives à certains services transfrontaliers. Certains nouveaux États membres ont réagi en appliquant des restrictions sur la base du principe de réciprocité (Hongrie, Pologne et Slovénie).
Le traité d'adhésion dispose qu'avant l'expiration d'une période de deux ans suivant la date d'adhésion, le Conseil évaluera le fonctionnement des dispositions transitoires sur la base d'un rapport de la Commission. Il énonce aussi qu'après cette évaluation, et au plus tard d'ici la fin de cette période de deux ans, les États membres devront faire savoir à la Commission s'ils ont l'intention de continuer à appliquer des restrictions aux travailleurs issus des nouveaux États membres.
La Commission a annoncé que son rapport sera présenté en janvier 2006.
La CES souhaite contribuer au débat par la résolution ci-jointe. Elle rappelle ses résolutions précédentes, qui ont abordé des questions connexes:
Dans sa résolution des 13 et 14 décembre 2000 sur l'élargissement de l'UE après le traité de Nice, la CES a souligné la nécessité d'associer les partenaires sociaux à tous les aspects et à toutes les dimensions du processus d'élargissement. Elle a fait référence à l'importance de la réalisation de la libre circulation des travailleurs, qui est une des quatre libertés fondamentales du marché intérieur prévues par les traités de l'UE, et a déclaré que « si les périodes transitoires sont inévitables, elles devraient être les plus souples possibles et s'adapter à la situation économique et sociale » de l'État membre concerné.
Dans sa résolution de mars 2005 relative au livre vert sur la migration économique, la CES a appelé à une politique proactive de l'UE sur la migration et l'intégration, et a notamment déclaré qu'une telle politique :
a) devrait reposer sur la reconnaissance des droits sociaux fondamentaux des citoyens actuels ainsi que des primo-arrivants et qu'elle devrait s'inscrire dans des politiques d'emploi et de développement fortes;
b) devrait donner la priorité aux investissements dans les capacités et les qualifications de ceux qui sont déjà présents sur le marché national et communautaire du travail, des chômeurs et des citoyens sous-employés de l'UE, y compris ceux issus de l'immigration ou appartenant à une minorité ethnique, ainsi que les ressortissants de pays tiers, y compris les réfugiés et les immigrés en situation irrégulière;
c) devrait être définie en concertation étroite avec les partenaires sociaux;
d) devrait garantir la liberté de mouvement de toutes les personnes qui sont soit ressortissants d'un État membre de l'UE, soit ressortissants d'un pays tiers en séjour légal, dans le cadre de la non-discrimination et de l'égalité de traitement;
e) devrait fournir un cadre juridique clair relatif à l'égalité de traitement dans les conditions de travail et au respect des règles et des réglementations ainsi que des systèmes de relations industrielles du pays d'accueil.
Dans cette résolution, la CES a également souligné qu'il était très important de renforcer le modèle social européen pour fournir et maintenir une protection de base pour tous les habitants de l'Europe, pour répondre aux sentiments croissants d'insécurité sociale ressentis par des millions de travailleurs, sentiments susceptibles de verser dans le racisme et la xénophobie, et pour aider le mouvement syndical à jouer son rôle de cohésion.
2. Les partenaires sociaux à tous les niveaux devraient être consultés sur l'évaluation !
La CES a demandé à ses affiliés de lui faire part de leurs expériences et de leurs opinions sur les mesures transitoires. Une question clé a été soulevée par beaucoup d'entre eux : la majorité des confédérations nationales n'ont pas été consultées convenablement lors de l'adoption des mesures transitoires dans leur État membre, et elles ne sont pas davantage consultées actuellement à l'occasion de l'évaluation. S'agissant d'une question qui a manifestement trait aux grands sujets d'intérêt des partenaires sociaux, une telle négligence est inacceptable.
Aussi la CES demande-t-elle instamment à la Commission européenne de faire savoir aux États membres qu'il est indispensable de consulter comme il se doit les partenaires sociaux au niveau national sur l'évaluation des dispositions transitoires.
3. Les expériences dans les États membres
Les mesures transitoires ont été mises en place par la plupart des « anciens » États membres dans le but de protéger leurs marchés du travail respectifs.
Certaines organisations affiliées à la CES, notamment celles directement situées à une frontière avec les nouveaux États membres, ont signalé que les mesures transitoires avaient eu un effet positif pour elles, ces mesures ayant réduit la pression des flux migratoires en provenance des nouveaux États membres, empêchant ainsi les perturbations sur leur marché du travail. Elles prévoient la nécessité de continuer de réguler l'afflux de travailleurs venant des nouveaux États membres, en raison de la persistance d'un taux élevé de chômage sur leur marché du travail.
Toutefois, dans un grand nombre des anciens et des nouveaux États membres, des syndicats sont arrivés à la conclusion que les dispositions transitoires semblent avoir des effets négatifs. Au lieu de protéger les travailleurs et les marchés du travail des anciens États membres, elles font des travailleurs des nouveaux États membres des citoyens de deuxième et de troisième classe et les maintiennent dans cette condition, encourageant de ce fait :
- une concurrence déloyale sur le plan des salaires et des conditions de travail au détriment des classes laborieuses des anciens États membres ;
- une augmentation du travail au noir et des faux indépendants, qui perturbe les marchés locaux et sectoriels du travail ;
- l'exploitation et la discrimination des travailleurs issus des nouveaux États membres.
Les principaux problèmes signalés dans les « anciens » États membres sont les suivants :
a) Formes ouvertes ou déguisées de remplacement de travailleurs par des travailleurs issus des nouveaux États membres et qui sont moins bien payés et/ou ne sont pas couverts par la négociation collective.
b) Augmentation du nombre d'indépendants et d'entreprises unipersonnelles au détriment des travailleurs salariés.
c) Augmentation du recours au travail intérimaire et à la sous-traitance, qui fournit aux entreprises utilisatrices des travailleurs à bas salaires issus des nouveaux États membres.
d) Non-respect et/ou non-application de la directive sur le détachement des travailleurs.
L'abolition des mesures transitoires ne suffira toutefois pas à résoudre l'ensemble des problèmes posés par la liberté de circulation des travailleurs et des services.
Les expériences au Royaume-Uni montrent que :
- les primo-arrivants sont fortement exposés au risque d'exploitation par manque d'informations adéquates;
- de nombreux abus sont commis par des employeurs, qui ont notamment recours à des intermédiaires et à des agences. Il est dès lors urgent d'appliquer la nouvelle loi sur les « gangmasters » (entrepreneurs de main-d'œuvre) et de définir des règles minimales concernant le travail intérimaire;
- l'obtention d'un statut légal n'écarte pas tout risque d'abus, mais qu'elle incite les travailleurs à s'informer sur leurs droits et à chercher les solutions adéquates.
Les expériences en Suède (affaire Vaxholm), en Finlande (affaire Viking) et en Irlande (Irish Ferries) ont révélé que, même dans les pays qui ne restreignent pas la libre circulation des travailleurs ou des services, de graves conflits peuvent naître de la mise en œuvre de la directive sur le détachement, de l'applicabilité des conventions collectives nationales, du respect du système national de relations industrielles, du droit à l'action syndicale et de sa compatibilité avec les règles du marché intérieur. En Suède, ces mesures ont remis en question les fondements mêmes du modèle suédois et sa place au sein de l'architecture européenne ; en Finlande, elles ont empêché les travailleurs finlandais d'exercer leur droit constitutionnel d'entreprendre des actions collectives, tandis qu'en Irlande, elles menacent le modèle de partenariat social.
Alors que dans toutes les affaires mentionnées plus haut, les travailleurs se battent pour des causes importantes et légitimes en défendant le droit fondamental de négociation collective et d'action syndicale, et en exigeant le respect de normes minimales du travail, les médias et les partis politiques de droite présentent ces luttes comme étant de nature « protectionniste » et dirigées contre les travailleurs venant des nouveaux États membres.
La CES se déclare très préoccupée de cette évolution, et de ses possibles conséquences en termes de division sur le mouvement syndical international, et considère qu'il est de la plus haute importance de développer, tant au niveau national qu'européen, des activités et des actions syndicales qui témoignent d'un soutien et d'une solidarité mutuels, ainsi que de l'intérêt commun que les syndicats et les travailleurs de toute l'Europe ont à travailler en vue de l'amélioration des conditions de vie et de travail pour tous.
La CES est d'avis que, bien que dans certains États membres, particulièrement les pays frontaliers des nouveaux États membres, l'adoption de ces mesures transitoires s'est faite sur base d'une consultation élaborée avec les partenaires sociaux et visait à la prévention de perturbations sur le marché du travail, dans d'autres États membres, l'introduction de mesures transitoires constituait une solution politique à court terme de la part des gouvernements destinée à traiter les sentiments de la population suscités par l'élargissement, et a créé l'illusion d'une protection. Ces dispositions ont empêché les États membres de prendre les mesures appropriées qui sont nécessaires pour gérer les effets de la mobilité transfrontalière accrue des travailleurs et des services. Dans le même temps, la situation constatée dans la plupart des pays - y compris dans ceux qui n'ont adopté aucune mesure transitoire - montre qu'il existe de graves motifs de préoccupation quant à la protection des travailleurs et aux systèmes des relations industrielles, lesquelles exigent que des mesures soient prises au niveau européen pour préserver le modèle social européen.
4. Retour à l'essentiel : libre circulation, concurrence loyale et non-discrimination
Le traité instituant l'UE reconnaît quatre libertés fondamentales : la libre circulation des capitaux, des produits, des services et des personnes.
Dès 1968, les citoyens de l'UE ont obtenu le droit de se déplacer à l'intérieur de l'UE afin de travailler sur le territoire d'un autre État membre . Ce droit a été complété d'emblée par le droit à l'égalité de traitement par rapport aux ressortissants de l'État membre d'accueil. Le droit à la mobilité ne peut exister sans la reconnaissance complémentaire des droits sociaux et de la protection sociale.
Lorsqu'à la veille de l'élargissement à l'Est, les États membres ont obtenu l'autorisation d'instaurer des mesures transitoires relatives à la libre circulation des travailleurs, ces principes fondamentaux ont été mis en question. Des leçons auraient pu être tirées à partir d'expériences antérieures (par exemple, de l'élargissement au Sud, notamment à l'Espagne et au Portugal, où il est apparu rapidement que les mesures transitoires étaient superflues), et les rares évaluations réalistes de l'impact des flux migratoires potentiels en provenance des nouveaux États membres ont indiqué que les craintes étaient probablement non fondées. Mais de nombreux gouvernements des anciens États membres qui avaient annoncé ne pas introduire de mesures transitoires ont cédé, à la dernière minute, à la pression de l'opinion publique et ont instauré l'une ou l'autre forme de mesures transitoires qui, bien souvent, loin d'apporter des solutions concrètes à des problèmes concrets (par exemple en s'attaquant à l'application insuffisante de la directive sur le détachement, ou en prévoyant des mécanismes supplémentaires de contrôle et de mise en œuvre en ce qui concerne les travailleurs détachés), ont en fait donné lieu à une situation de discrimination officielle entre les travailleurs des anciens États membres et ceux de huit des dix nouveaux États membres.
Cette forme de discrimination ne vaut que pour les « travailleurs », puisque la libre circulation des personnes (étudiants, retraités, chercheurs, indépendants) est entrée en vigueur le 1er mai 2002 ! Toutes les autres catégories de la population active ne sont pas concernées. Par exemple, les indépendants peuvent aller dans n'importe quel État membre et y travailler ou y proposer leurs services, sans aucune restriction. Cette différence a entraîné des perturbations sur plusieurs marchés nationaux et régionaux du travail, en particulier dans les régions situées aux frontières des nouveaux États membres, où il y a eu une augmentation énorme du nombre de personnes soi-disant indépendantes, dont la plupart sont des « travailleurs déguisés », issus des nouveaux États membres;
ces travailleurs fournissent à plusieurs secteurs une main-d'œuvre facilement exploitable pour laquelle la couverture de la sécurité sociale, la taxation et les conditions de travail légales et conventionnelles peuvent facilement être éludées.
Lorsque les travailleurs sont autorisés à travailler, ils sont souvent soumis à des règles et à des réglementations supplémentaires qui exigent leur enregistrement, limitent leurs possibilités d'emploi à certains quotas et/ou à certains secteurs, ou ne les autorisent à travailler que s'ils possèdent certaines qualifications.
Dans plusieurs pays, des restrictions ont été instaurées qui limitent l'accès des travailleurs issus des nouveaux États membres à l'assistance sociale, instaurant ainsi une deuxième forme de discrimination officielle.
5. La solution : le marché du travail européen requiert l'adoption de règles européennes, combinant l'ouverture des frontières à une protection adéquate
Pour la CES, il est urgent d'engager un vaste débat constructif sur les conditions qui doivent être mises en place pour encadrer un véritable marché intérieur dans lequel les biens, les capitaux, les travailleurs et les services pourraient circuler au bénéfice des citoyens, des économies et des sociétés.
Un tel marché intérieur du travail ne peut être édifié uniquement sur des règles nationales, pas plus qu'un marché intérieur des services ne peut être établi sur le seul principe du pays d'origine. Dans de nombreux secteurs, les marchés du travail transfrontaliers, où la mobilité du travail et la fourniture des services sont liées entre elles (agriculture, construction, tourisme, services commerciaux, etc.), sont de plus en plus une réalité.
Il est urgent de définir un cadre européen établissant les « règles du jeu », qui feraient la part belle à la transparence et à la sécurité des travailleurs. Ce cadre devrait contribuer à faire comprendre que la mobilité dans un contexte de mondialisation ne constitue pas nécessairement une menace, même si elle induira des changements.
La CES a pour ambition de contribuer à l'avènement d'un tel marché européen du travail, à quatre conditions essentielles :
1) qu'il soit basé sur le principe des conditions salariales et de travail égales à travail égal, sur le même territoire ;
2) que les systèmes nationaux de négociations collectives et de relations industrielles soient pleinement respectés et considérés comme un instrument indispensable et dynamique pour gérer le changement ;
3) qu'il prévoie l'égalité d'accès, pour tous les travailleurs, aux allocations sociales,
4) qu'il donne aux parties prenantes à tous les niveaux concernés, y compris aux partenaires sociaux, les instruments et les outils appropriés de gestion et de mise en application.
D'après la CES, les États membres devraient investir, en coopération et en coordination avec les institutions européennes, dans des mesures qui assurent une gestion adéquate et un ordre élémentaire sur le marché du travail au niveau national et européen, combinant l'ouverture des frontières à une protection de base et qui permettrait de ne plus s'appuyer sur des mesures transitoires.
Au niveau national, les gouvernements devraient - avec leurs partenaires sociaux - examiner la manière dont les réglementations et les pratiques nationales et le système de relations industrielles nationales peuvent être renforcés pour faire face aux défis d'une mobilité transfrontalière accrue.
Entre autres, les questions suivantes devraient être soulevées :
- la transmission d'informations appropriées et transparentes à tous les acteurs sur le marché du travail quant aux règles et conditions de travail applicables,
- un investissement dans la quantité et la qualité des inspections du travail,
- la mise en application de la Directive sur le détachement des travailleurs dans toute sa portée (y compris les négociations collectives dans tous les secteurs) et la garantie que ses dispositions seront correctement supervisées et appliquées
- le non emploi et le sous emploi parmi tous les travailleurs déjà établis sur leur territoire : citoyens nationaux, citoyens de l'UE, y compris les migrants ou les personnes issues d'une minorité ethnique, ainsi que les nationaux issus de pays tiers, les réfugiés,
- la création de solutions pour sortir de situations irrégulières les migrants sans papiers et leur famille tout en respectant les droits humains fondamentaux,
- le problème de situations persistantes de racisme et de discrimination envers les communautés et les travailleurs migrants ou issus de minorités ethniques et le fait de leur offrir une perspective d'intégration sociale et économique.
Au niveau de l'UE, la Commission Européenne, soutenue par le Conseil, et le cas échéant en coopération avec le Parlement Européen et en consultation avec les Partenaires sociaux devrait développer un large cadre juridique européen de soutien en faveur de la libre circulation transfrontalière des travailleurs, tant au niveau de la libre circulation des services que de la libre circulation des travailleurs. Un tel cadre de soutien devrait comporter :
- une série minimum de normes européennes établies au niveau de l'UE,
- l'établissement de principes précis d'égalité de traitement en matière de salaire et de conditions de travail appliqués sur le lieu où le travail est exécuté,
- l'obligation de respecter les systèmes de relations industrielles du pays hôte, c'est-à-dire les règles et les réglementations relatives à la négociation collective et aux actions syndicales,
- des mécanismes et des instruments, incluant des systèmes de responsabilité des entreprises principaux, destinés à la supervision transfrontalière ainsi qu'à l'application des conditions et normes de travail.
De manière tout à fait prioritaire la Commission et les autres institutions doivent:
a) garantir que la projet de Directive sur les services n'enfreigne en aucun cas la législation du travail, les négociations collectives et les systèmes de relations industrielles, y compris les mécanismes et instruments destinés à la supervision et à l'application des normes et le droit d'entamer des actions syndicales,
b) exclure du champ d'application de la Directive sur les services les services vulnérables à l'exploitation de la main-d'œuvre migrante, comme le travail intérimaire,
c) placer en tant que priorité sur l'ordre du jour l'adoption d'une directive forte sur le travail intérimaire.
Ces institutions devraient par ailleurs:
d) assurer la mise en application correcte de la législation européenne existante en ce qui concerne des situations relatives au travail transfrontalier (Règlement 1408/71 sur la sécurité sociale et la Directive sur le détachement des travailleurs);
e) souligner les faiblesses existantes de la Directive sur le détachement des travailleurs et avancer des propositions pour la renforcer; entre autres points, l'exclusion relative aux navires de la marine marchande devrait être supprimée
f) examiner les manières de traiter les abus en matière de sous-traitance transfrontalière et de travail intérimaire en responsabilisant les entrepreneurs principaux et les entreprises utilisatrices en ce qui concerne le paiement des taxes, des avantages sociaux et des salaires en introduisant par exemple des systèmes dits ‘de responsabilité en chaîne' ou ‘de crédibilité du client';
g) réexaminer la question de la nécessité d'une directive-cadre européenne sur les conditions d'emploi des effectifs dans les services de ferries et de transport de passagers opérant entre plusieurs États membres;
h) développer la protection des travailleurs économiquement dépendants et des travailleurs indépendants afin de contrer l'utilisation accrue de formes de faux emploi indépendant;
i) instaurer une inspection sociale européenne qui puisse engager les États membres et les inspecteurs nationaux du travail dans l'application et la mise en oeuvre des règles minimum nationales et européennes et des règles relatives à la protection;
j) entamer une campagne d'information afin d'informer le public en général des États membres de l'UE quant aux mythes et aux réalités en ce qui concerne la mobilité et la migration, ainsi que des campagnes de soutien menées par les États membres et les partenaires sociaux qui transmettent aux travailleurs et aux entreprises des informations relatives aux droits minimum des travailleurs.
6. Actions devant être entreprises par la CES et ses organisations affiliées.
La CES devrait se fonder, avec ses organisations affiliées, sur sa résolution adoptée en 1999 lors du Congrès d'Helsinki (« Syndicats européens sans frontière ») et sur sa récente résolution relative aux migrations économiques (mars 2005: « Pour une politique proactive de l'Union européenne sur les migrations et l'intégration ») et élaborer des systèmes de soutien mutuel transfrontaliers, aussi bien bilatéraux que multilatéraux, établissant ainsi la solidarité et la compréhension mutuelle, et contribuant à la cohésion sociale dans le cadre d'une Union européenne en cours d'élargissement.
Il convient de recenser les bonnes pratiques déjà mises au point par les organisations affiliées, comme, par exemple, par les syndicats finlandais qui ont créé un bureau en Estonie afin de communiquer des informations et de prodiguer des conseils aux travailleurs estoniens désireux de venir travailler en Finlande, ou par les cadres syndicaux polonais, qui se sont rendus à Londres pour collaborer avec le TUC en ce qui concerne la diffusion d'informations auprès des travailleurs polonais installés au Royaume-Uni ou encore par les syndicats autrichiens, qui ont conclu un accord avec les syndicats hongrois en vue de prodiguer des conseils et un soutien juridiques aux membres des syndicats hongrois employés en Autriche, et qui ont élaboré une large gamme d'activités transfrontalières, telles que des formations linguistiques et professionnelles ainsi que des activités culturelles, en étroite coopération avec les organisations syndicales des pays voisins, et d'élaborer des formes plus sophistiquées et plus répandues d'assistance mutuelle.
Il peut également être envisagé de créer un « système d'alerte précoce »: d'une part pour les situations qui se présentent dans les anciens États membres, afin de prévenir les organisations affiliées des nouveaux États membres dès que des travailleurs originaires de leurs pays sont impliqués dans des cas d'exploitation et de « dumping social », de les consulter et de les associer à toute action devant être entreprise, afin d'empêcher la création de divisions potentielles entre travailleurs des anciens et des nouveaux États membres.
D'autre part, pour les situations qui se présentent dans les nouveaux États membres et dans les pays candidats à l'adhésion, afin de prévenir les organisations affiliées des anciens États membres dès que des entreprises originaires de leurs pays se comportent « mal » sur le territoire d'un nouvel État membre, par exemple en refusant l'application des droits syndicaux fondamentaux et le respect des normes sociales minimales.
{{
7. Faisons de 2006 une véritable « année européenne de la mobilité » !}}
De l'avis de la CES, la Commission doit prendre au sérieux l'Année de la Mobilité, qu'elle a proclamée pour 2006.
A l'occasion de l'évaluation des mesures transitoires et dans le cadre de l'année 2006 de la mobilité, la Commission devrait reconnaître qu'il existe de sérieux problèmes en ce qui concerne la mobilité transfrontalière qui requièrent que des actions urgentes soient prises au niveau européen. Elle devrait dès lors demander à toutes les parties prenantes au niveau européen - États membres et partenaires sociaux - de collaborer afin de créer un cadre positif pour soutenir l'aboutissement d'un marché du travail européen basé sur le principe de l'égalité de traitement et sur l'harmonisation à la hausse des conditions de travail et des systèmes sociaux.