Quelque chose s'est mal passé dans l'Union européenne. Quatre exemples témoignent de ce désordre.
Comment justifier que des centaines de milliers de sociétés boîtes aux lettres ont été autorisées à se
développer, bien que le seul but de ces entreprises fantômes soit d'échapper aux taxes, aux lois du travail et
aux réglementations ? Comment expliquer que des décisions de la Cour européenne de justice ont autorisé la
restriction des droits fondamentaux des salariés pour soutenir des pratiques d'entreprises dont l'objectif même
était de les contourner ? Comment ne pas être scandalisé par les révélations régulières, telles que celles des
Panama Papers et des Paradise Papers, qui montrent l'incapacité de l'UE à empêcher le contournement des
règles fiscales par les particuliers fortunés et les grandes entreprises? Comment accepter, enfin, qu'en dépit de
drames tels que le Rana Plaza, de nombreuses entreprises continuent de fermer les yeux sur des fournisseurs
qui ignorent les droits sociaux, environnementaux et humains les plus élémentaires?
La théorie de la « suprématie actionnariale » a été promue par la Commission européenne alors que
l'économie réelle et les salariés ont été oubliés dans le processus. En conséquence, depuis les années 1990, les
profits ont augmenté au détriment des salaires. Cela n'a pas de sens, car les salariés sont une partie
constituante des sociétés : tandis que les actionnaires apportent du capital, les salariés investissent leur temps,
leurs compétences et leur vie. C'est pourquoi il est temps de repenser la place des plus de 140 millions de
salariés de l'UE travaillant dans les entreprises. Les élections pour le Parlement européen ont lieu dans un an,
et nous souhaitons que le prochain débat soit fondé sur de bonnes bases.
Nous croyons profondément qu'il est vital que les cinq réformes suivantes soient entreprises :
• Choisir l’économie réelle. Des limites strictes doivent être imposées aux sociétés boites aux lettres et au
transfert des sièges sociaux : une entreprise ne devrait être autorisée à s’enregistrer que dans un pays où
elle exerce de réelles activités. Des règles devraient également être prévues pour empêcher les entreprises
de contourner le paiement des impôts là où est produite la vraie valeur ajoutée, notamment par un
système de déclaration publique pays par pays, une base fiscale harmonisée et une politique de tolérance
zéro pour les paradis fiscaux.
• Créer une autorité indépendante régissant la mobilité des salariés. Elle doit être dotée des effectifs et des
financements appropriés ainsi que de pouvoirs effectifs pour proposer et appliquer des règles protégeant
les salariés de l'UE lorsque la coordination de l'UE est requise.
• Renforcer la participation des salariés dans les entreprises. Les salariés devraient avoir le droit de choisir
des représentants des travailleurs au conseil, comme c'est déjà le cas dans 18 des 28 États membres et dans
44% des plus grandes entreprises de l'UE. Pour les pays où ce droit serait nouveau, cela devrait être fait
conformément à leurs traditions et pratiques en matière de relations professionnelles. D'une manière
générale, les droits des syndicats et des comités d'entreprise devraient aussi être accrus.
• Créer un devoir de vigilance à l’égard des sous-traitants. Des règles nouvelles doivent conduire les grandes
entreprises à s’occuper de l'ensemble de leur chaîne d'approvisionnement pour prévenir la violation des
droits humains et sociaux fondamentaux par leurs sous-traitants.
• Créer un cadre d’information contraignant adapté aux enjeux du 21ème siècle. Les règles comptables des
entreprises ne devraient pas être laissées à un organisme privé (l’International Accounting Standard Board)
principalement intéressé par la valeur actionnariale ; elles doivent prendre en compte la durabilité. Le
reporting extra-financier doit aussi continuer à être développé afin de fournir plus de transparence sur les
questions sociales et environnementales, et notamment les questions d'égalité entre les sexes, qui devront
être traitées avec beaucoup plus de vigueur.
Les réformes mentionnées ci-dessus n’épuisent pas le champ des possibles, mais elles disent le sens de la
réforme attendue : les salariés de l'UE ne peuvent plus continuer à être exclus de la construction européenne.
Ces réformes vitales, socle des nouveaux droits et devoirs dans l'entreprise, esquissent un nouveau modèle
européen capable d’unir des Etats aux droits trop fragmentés, un nouveau modèle européen qui nous
différencie des modèles anglo-saxons et du capitalisme asiatique. Un nouveau modèle européen héritier d'un
humanisme qui doit devenir une force dans la mondialisation. Il est temps de changer !
Signer l'appel: www.european-appeal.org