La preuve que la déréglementation est une fausse économie disparaît d'un document de l'UE

Des chiffres montrant qu'une politique de déréglementation aux coûts sociaux élevés ne permettrait que de très faibles économies financières ont disparu d'un document de la Commission européenne avant sa publication.

Le mois dernier, la Commission a lancé une proposition sur la déclaration électronique pour le détachement de travailleurs, qui comprenait un plan visant à réduire la quantité d'informations que les employeurs doivent fournir sur les travailleurs qu'ils envoient travailler dans différents pays. 

Les inspections du travail, déjà débordées, auraient ainsi encore plus de mal à savoir quels lieux de travail elles doivent visiter pour lutter contre les abus endémiques auxquels sont confrontés les travailleurs détachés, tels que le non-paiement des salaires et les conditions de travail dangereuses.

Une "charge" de 11 euros

Le coût moyen pour les employeurs de la déclaration d'un travailleur détaché s'élève actuellement à la modique somme de 10,78 euros. La version initiale du document de travail des services de la Commission indiquait que le nouveau système permettrait d'économiser 1 414 000 euros s'il était adopté par les neuf États membres qui ont exprimé le souhait de l'utiliser. 

Même si chaque Etat membre mettait en œuvre le système, les économies totales pour les entreprises européennes ne s'élèveraient qu'à "environ 13 945 000 euros", admet le document. 

Toutefois, ces chiffres n'ont pas été inclus dans la version finale du document. Au lieu de cela, le document affirme que les économies se situeraient entre 95 et 342 millions d'euros, soit jusqu'à 25 fois plus que les estimations initiales (voir les notes pour plus de détails). 

Test de progrès social

Alors que le chiffre le plus bas est basé sur la propre estimation de la Commission, la source du chiffre le plus élevé est un document de position de 3 pages de l'Association allemande de l'industrie mécanique. La Commission elle-même déclare que le document est "basé sur les coûts de main-d'œuvre allemands, qui sont supérieurs à la moyenne de l'UE pour les taux horaires".

La Commission n'a pas estimé les coûts sociaux de l'abaissement des normes de déclaration et n'a pas évalué correctement les besoins d'information des inspections du travail pour faire appliquer efficacement les règles sur le détachement. Mais un rapport de l'Autorité européenne du travail met en garde : "La création de sociétés boîtes aux lettres, le non-respect des conditions de travail, le faux travail indépendant, les formulaires PD A1 frauduleux et l'emploi illégal de ressortissants de pays tiers ou leur détachement frauduleux représentent les violations et les pratiques abusives les plus importantes et les plus récurrentes.

C'est pourquoi la Confédération européenne des syndicats (CES) demande qu'un test de progrès social soit ajouté au processus d'amélioration de la réglementation afin de garantir que les décisions futures ne soient pas uniquement basées sur la réduction des coûts pour les entreprises, mais qu'elles respectent également les objectifs sociaux et économiques de l'UE. 

La secrétaire générale adjointe de la CES, Isabelle Schömann, a déclaré

"La grande différence de chiffres entre ces deux documents soulève de sérieuses questions quant à la crédibilité des affirmations concernant les avantages supposés de la déréglementation. Les économies sont-elles réellement 25 fois supérieures à l'estimation initiale de la Commission ou s'agit-il de chiffres non vérifiés provenant d'une source partisane et choisis au dernier moment pour correspondre à une volonté idéologique de déréglementation ? 

"La Commission a le devoir d'examiner correctement l'impact des politiques sur les travailleurs, les consommateurs, les autorités publiques et l'environnement, et pas seulement sur les entreprises. Au lieu de cela, cet épisode donne l'impression que le processus d'élaboration des politiques est guidé par la nécessité d'atteindre un objectif arbitraire de réduction de la réglementation de 25 %, sans tenir compte des autres conséquences. 

"Dans ce cas, la proposition signifierait que les employeurs pourraient fournir moins d'informations sur les travailleurs qu'ils envoient sur des chantiers, dans des usines ou des exploitations agricoles dans d'autres pays. Les travailleurs détachés sont déjà confrontés au non-paiement des salaires, à la fraude à la sécurité sociale et à des conditions dangereuses, et cette proposition rendrait leur exploitation encore plus facile. 

"Nous assistons au même type de rhétorique concernant la révision en cours des règlements de l'UE sur la coordination de la sécurité sociale, le lobby des entreprises réclamant des exceptions en matière de notification, alors même que le coût de la demande du certificat correspondant est inférieur à 11 euros. 

"La vérité est que lorsque l'on gratte sous la surface de la rhétorique de déréglementation des entreprises, il est clair que les coûts sociaux de la réduction des normes sont bien plus élevés que la soi-disant 'charge réglementaire' pour les grandes entreprises. Soyons clairs : s'assurer que les travailleurs sont correctement assurés n'est pas une charge pour les entreprises.

Notes :

Document de travail original des services de la Commission

"Au niveau de l'UE, on estime que l'adoption du formulaire type et l'utilisation de l'interface publique multilingue par les neuf États membres en question entraîneraient une réduction de la charge d'environ 1 414 000 euros par rapport à la situation de référence actuelle. Il s'agit du produit des économies de temps et d'argent enregistrées dans les neuf États membres en question, multiplié par la fréquence d'envoi des déclarations soumises aux États membres susmentionnés, par rapport au coût administratif de base au niveau de l'UE dans le cadre des 27 procédures de déclaration nationales actuelles. La réduction de la charge pour les prestataires de services augmenterait encore de manière significative si les 27 États membres de l'UE se joignaient à cette initiative. L'analyse estime une réduction de 81 % au niveau de l'UE, correspondant à environ 13 945 000 euros, par rapport à la situation de référence.

Document de travail final des services de la Commission :

"Les économies de charges administratives pour les détachements dans ce groupe initial d'États membres pourraient donc atteindre un montant maximum de 95 à 127 millions d'euros. La réduction de la charge pour les prestataires de services serait la plus importante si les 27 États membres se joignaient à cette initiative. Compte tenu de l'estimation globale de la charge administrative liée au détachement de travailleurs, qui se situe entre 477 et 635 millions d'euros (comme indiqué dans la section B ci-dessus), un taux d'économie estimé à 54 % de cette charge administrative actuelle se traduirait par des économies globales comprises entre 257 et 342 millions d'euros".