L’Autorité européenne du travail (AET) a manqué l’occasion d’intervenir dans les premiers cas d’exploitation de travailleurs dont elle avait été saisie par les syndicats il y a un an.
Lorsque l’AET a démarré ses activités en octobre 2019, des syndicats lui ont rapporté dix cas impliquant le non-paiement de salaires, de pécules de vacances, d’indemnités de maladie et de charges sociales.
Ces cas qui sont caractéristiques des abus auxquels les travailleurs transfrontaliers sont confrontés incluent notamment :
- Un travailleur du secteur de la construction en Allemagne qui a attendu pendant quatre ans le paiement de plus de 8 000 euros d’arriérés de salaire ;
- 45 travailleurs d’une entreprise d’échafaudages payés à peine la moitié du salaire des travailleurs locaux ;
- Près de 400 travailleurs en Allemagne qui ne touchent pas le salaire minimum ou de pécule de vacances.
Un an plus tard, la seule action entreprise par l’AET a été de signaler ces cas dans une lettre aux États membres concernés. Les personnes impliquées n’ont toujours pas été contactées par l’AET.
Les syndicats ont une nouvelle fois présenté ces cas à l’AET en même temps que deux nouvelles plaintes relatives à des conditions de travail abusives de travailleurs saisonniers de l’agriculture et à la négation de droits sociaux à des marins.
La Confédération européenne des syndicats (CES) et ses affiliés ont également exprimé leur déception et leur inquiétude à ce sujet dans une lettre au directeur exécutif intérimaire de l’AET ainsi qu’au Commissaire européen pour l’emploi et les droits sociaux Nicolas Schmit.
Per Hilmersson, le Secrétaire général adjoint de la CES représentant les syndicats au conseil d’administration de l’AET a déclaré :
« Un trop grand nombre de travailleurs transfrontaliers ont été pris au piège d’une économie de l’ombre dans laquelle des employeurs sans scrupules s’enrichissent en payant au rabais des travailleurs mobiles et en les privant de leurs droits fondamentaux tels que le pécule de vacances, les indemnités pour maladie et la sécurité sociale. »
« La création de l’Autorité européenne du travail l’année dernière à cette époque avait suscité l’espoir que l’application des règles de l’UE en matière d’égalité de salaire et de droits des travailleurs mobiles marquerait le début de la fin de ces types d’exploitation. »
« Bien que l’AET ne sera complétement opérationnelle qu’en 2024, cela ne réjouit en rien les syndicats d’avoir à constater que l’AET n’a jusqu’à présent pas effectivement suivi les cas concrets d’abus qui lui ont été signalés et dont des travailleurs vulnérables ont été victimes. »
« Il est urgent et prioritaire que l’AET soit rendue complétement opérationnelle pour faire en sorte que les cas rapportés par les syndicats soient correctement examinés, y compris au niveau transfrontalier. C’est non seulement la crédibilité de l’AET qui est en jeu mais aussi la confiance en l’UE qui repose sur le marché unique, la liberté de circulation et l’équité entre tous les travailleurs. »
Synthèse des nouveaux cas :
Espagne/France – Rapporté par la Fédération européenne des syndicats de l’alimentation, de l’agriculture et du tourisme :
Plusieurs travailleurs saisonniers détachés en France par une entreprise espagnole ont été victimes de salaires, de pécules de vacances et de cotisations sociales impayés. L’entreprise concernée fournit des intérimaires, généralement originaires d’Amérique du Sud, principalement pour des travaux agricoles en France. L’entreprise a pour la première fois été l’objet de l’attention nationale il y a neuf ans lorsqu’un travailleur âgé de 33 ans s’est effondré pour cause de déshydratation et est décédé plus tard à l’hôpital.
Belgique/Chypre – Rapporté par la Fédération européenne des travailleurs des transports :
Plusieurs marins résidant en Belgique et employés à bord de navires battant pavillon de Chypre ou de Madère se sont vu refuser l’accès au régime de sécurité sociale de l’État du pavillon. Cette situation aura un impact négatif à l’avenir sur leur droit à l’aide sociale, comme par exemple les allocations de chômage, et constitue également une violation de leur droit à la libre circulation.
Cas renvoyés à l’AET par la Fédération européenne des travailleurs du bâtiment et du bois :
Belgique/Italie
Non-paiement ou paiement insuffisant de salaires, d’allocations de repas et de logement et de charges sociales de travailleurs originaires d’Italie, de Roumanie, d’Albanie, du Kosovo et d’Egypte employés par un sous-traitant italien pour la construction du centre commercial Rive Gauche à Charleroi.
Slovénie/Allemagne
Un citoyen serbe a été détaché de Slovénie en Allemagne entre juillet et octobre 2016 pour travailler à des installations de tuyauterie et de chauffage sur des chantiers à Heidelberg et Hagen. L’employeur n’a payé que la moitié du premier mois de salaire du travailleur en promettant que le reste lui serait versé à la fin des travaux. Le travailleur attend d’être payé – 8.120,90 € bruts – depuis plus de trois ans. L’employeur a entre-temps fait faillite et l’entrepreneur refuse de payer.
République tchèque/Danemark
Une entreprise tchèque d’échafaudages a envoyé 45 travailleurs à Copenhague au cours des deux dernières années. Les travailleurs tchèques sont payés 135 couronnes de l’heure alors que les travailleurs locaux gagnent 220 couronnes de l’heure. Apparemment, ce salaire inclut les cotisations de sécurité sociale qui ne devraient pas faire partie de leur rémunération. Les syndicats veulent que l’AET statue quant au fait que ces cotisations doivent ou non être comptées comme faisant partie de la rémunération.
Slovénie/Allemagne
Deux travailleurs bosniaques et deux travailleurs de Macédoine du Nord ont été détachés de Slovénie en Allemagne par une société boîte aux lettres pour travailler à Müllheim durant deux mois (novembre et décembre 2017) sur des projets de construction tels que le creusement de canaux, la pose de câbles téléphoniques et l’asphaltage. Les travailleurs ont reçu la moitié de leur salaire en novembre mais rien en décembre. La société boîte aux lettres qui les a détachés a fait aveu de faillite et l’entrepreneur refuse de payer.
Pologne/Danemark
Une entreprise polonaise fournissant des maçons a envoyé 10 travailleurs sur des chantiers à Copenhague. L’entreprise, qui est déjà impliquée dans d’autres affaires relevant du tribunal du travail, a interdit aux travailleurs de parler aux syndicats. Elle a en outre déclaré que les cotisations de sécurité sociale font partie du salaire des travailleurs plutôt que de faire l’objet d’un paiement supplémentaire séparé. Les syndicats demandent à l’AET de déterminer si ces cotisations sont des prestations de sécurité sociale qui ne peuvent dès lors pas faire partie de la rémunération.
Slovénie/Autriche
Un groupe de 31 ouvriers du bâtiment de Bosnie et de Croatie a été détaché en Autriche par une entreprise slovène. Ces travailleurs étaient supposés être employés sur le même site en Autriche mais les syndicats suspectent qu’ils ont plus que probablement été envoyés sur différents chantiers dans tout le pays et qu’il y a grand risque que leurs salaires ne soient pas payés. De plus, l’entreprise ne s’est pas conformée à la loi slovène en matière d’enregistrement des travailleurs détachés. Cela pourrait avoir de graves conséquences à leur retour sur leurs cotisations de sécurité sociale et leurs contributions au régime de pensions.
Slovénie/Allemagne
Depuis 2011, une entreprise enregistrée auprès d’un office comptable en Slovénie a détaché 391 travailleurs, bosniaques pour la plupart, en Allemagne. Tout porte à croire que ces travailleurs ne bénéficient pas du salaire minimum et de congés payés. Malgré cela, ils craignent de perdre leur emploi car ils dépendent fortement de ce travail. L’entreprise n’a déclaré aucune activité économique en Slovénie et les syndicats pensent qu’il s’agit là d’un cas de faux détachement.
Bulgarie/Allemagne
Une douzaine de travailleurs bulgares ont été envoyés en Allemagne pour travailler à la construction d’immeubles à appartements entre janvier et août 2019. Ces travailleurs ont contacté un syndicat pour signalé n’avoir reçu aucun salaire depuis juin. Suite à l’intervention du syndicat, les travailleurs ont reçu 1.350 € mais leurs arriérés de salaire se montent en réalité à 9.766 €. On craint également que l’entreprise n’ait pas payé les taxes applicables et les cotisations de sécurité sociale en Bulgarie.
Slovaquie/Allemagne
Une entreprise slovaque a envoyé 167 travailleurs en Allemagne depuis 2013. On ignore si cette entreprise paie le salaire minimum et on suspecte qu’elle ait recours à de faux emplois indépendants pour éviter de payer des prestations telles que le pécule de vacances. L’office allemand de la sécurité sociale mène aussi une enquête à son sujet.
Slovénie/Allemagne
Une entreprise slovène a envoyé 113 travailleurs, résidents serbes pour la plupart, sur des chantiers en Allemagne. Il est probable que cette entreprise serve de paravent à une entreprise basée en Serbie, qui a déjà envoyé 1.500 travailleurs détachés, afin de contourner les limites imposées par l’Allemagne concernant le nombre de travailleurs qui peuvent être détachés. Il semble improbable que les travailleurs concernés aient bénéficié du salaire minimum ou d’un pécule de vacances.