Le recours aux sociétés boîtes aux lettres : une pratique visant à échapper à l'impôt qui se traduit par une exploitation des travailleurs partout en Europe

Un nouveau rapport de la Confédération européenne des syndicats (CES) montre comment les entreprises utilisent des sociétés boîtes aux lettres non seulement pour payer moins d’impôts mais aussi pour réduire les salaires et imposer de mauvaises conditions de travail.

Les sociétés boîtes aux lettres sont des entités juridiques établies dans un pays de l’UE où elles n’ont aucune activité économique (ou très peu) afin de profiter du régime le plus avantageux possible en matière d’impôt, de salaires, etc.

Le rapport « L’impact du recours aux sociétés boîtes aux lettres sur les droits des travailleurs et les recettes publiques » publié aujourd’hui inclut des études de cas en Allemagne, aux Pays-Bas, en Italie et en Suède couvre les secteurs de la viande, du transport routier, de la construction automobile et du bâtiment. Il montre comment l’évasion fiscale va souvent de pair avec l’exploitation des travailleurs.*

Ces cas concernent notamment :

  • Danish Crown, une société holding basée en Allemagne propriétaire d’abattoirs et d’usines de transformation de la viande qui y emploie des travailleurs sous-traitants de sociétés boîtes aux lettres en Pologne, Hongrie et Roumanie. Ces travailleurs sont soumis à des journées de travail de 14 à 20 heures, n’ont droit ni à une pension ni à une assurance-maladie et ne sont pas employés par le même « sous-traitant » pour plus de 6 mois, leurs contrats étant transférés d’une société boîte aux lettres à l’autre.
  • Vos Transport, une entreprise néerlandaise de transport routier qui tire 70% de ses recettes de ses activités aux Pays-Bas mais dont 50% des trajets sont effectués sous contrat avec des sociétés boîtes aux lettres en Roumanie et en Lituanie. Ces sociétés n’ont pas de bureaux à proprement parler, les contrats des chauffeurs sont signés par un directeur néerlandais, chauffeurs qui en outre reçoivent leurs instructions des Pays-Bas et sont obligés d’y ouvrir un compte bancaire. Le salaire mensuel est de 200 €, le reste étant constitué de remboursements de frais et de primes au noir.
  • Serneke, une entreprise de construction suédoise qui aurait licencié ses travailleurs pour ensuite embaucher des travailleurs sous-traitants auprès d’une société boîte aux lettres polonaise qui partage un bureau et un téléphone avec la chambre de commerce polono-suédoise. Selon les premières constatations, les cotisations sociales n’auraient pas été payées depuis quatre ans (que ce soit en Suède ou en Pologne) malgré qu’elles aient été déduites des salaires des travailleurs.
  • FIAT, historiquement détenue par une famille italienne, est enregistrée à Amsterdam et son siège social est à Londres. Elle paie l’impôt sur les sociétés au Royaume-Uni et l’impôt sur les dividendes et sur les gains en capital de filiales étrangères aux Pays-Bas (mais elle paie moins qu’elle ne le ferait en Italie).

Le rapport révèle également que 83% des investissements étrangers directs aux Pays-Bas et 96% au Luxembourg le sont dans des « entités à vocation spécifique » (c.-à-d. des sociétés boîtes aux lettres), ce qui montre que la grande majorité des « investissements étrangers » dans ces pays ont pour but de payer moins d’impôts !

« L’utilisation de sociétés boîtes aux lettres porte préjudice aux droits des travailleurs et aux recettes publiques », a déclaré Esther Lynch, Secrétaire confédérale de la CES. « Cette pratique exploite les travailleurs, désavantage les entreprises honnêtes qui paient des salaires corrects et leur juste part d’impôts et prive les services publics de recettes bien nécessaires. »

« Ce rapport montre que le recours à des sociétés boîtes aux lettres n’est pas un phénomène isolé mais une pratique courante dans de nombreux pays et de nombreux secteurs économiques tandis que l’évasion fiscale s’accompagne souvent d’une exploitation des travailleurs. L’utilisation de sociétés boîtes aux lettres est favorisée par le droit communautaire et par une application timide du droit du travail et de la législation fiscale au plan national. »

La prochaine phase de ce projet de la CES qui est financé par la Commission européenne sera d’étudier les solutions pour lutter contre l’évasion fiscale et le non-paiement de justes salaires et des cotisations sociales.

 

*Dans le cadre de ce rapport, le terme « sociétés boîtes aux lettres » désigne non seulement des entités juridiques sans aucun fondement matériel mais aussi des constitutions en sociétés potentiellement artificielles au sujet desquelles il est par exemple permis de douter que les décisions portant sur la gestion ou les finances soient prises sur le lieu de constitution bien que l’entité juridique bénéficie des avantages matériels qui y sont liés.