Parce que les grandes entreprises recourent de plus en plus à des menaces juridiques vexatoires pour réduire les syndicalistes au silence, l’UE doit inclure les droits des travailleurs dans une nouvelle directive afin de mettre fin à ces pratiques mieux connues sous l’acronyme anglais « SLAPPs ».
Le nombre de ces « poursuites stratégiques contre la mobilisation publique » lancées en Europe est passé de 4 en 2010 à au moins 111 l’année dernière, les journalistes, les activistes et les universitaires étant les premiers visés par les entreprises, les politiques et les gouvernements.
La majorité des affaires sont classées sans suite, retirées ou réglées mais souvent au terme de longues procédures ayant d’importantes conséquences financières et psychologiques pour les parties concernées.
Des entreprises privées mais aussi des organismes publics usent de cette tactique dans le but d’empêcher une action syndicale légitime. En voici quelques exemples :
France : Trois activistes syndicaux ont été poursuivis en justice, sans succès, pour diffamation après avoir dénoncé les mauvaises conditions de travail d’étrangers employés dans le secteur agricole.
Finlande : Une grève légale de travailleurs finlandais a été annulée après avoir été juridiquement contestée par l’employeur. Un tribunal a par la suite estimé illégale l’action de Finnair qui, outre les frais de justice, a été contraint de verser 50.000 euros au syndicat concerné.
Croatie : Entre Noël et le soir de la Saint-Sylvestre 2019, HRT, l’organisme public de radiodiffusion, a engagé une action en justice à l’encontre des présidents de ses syndicats de journalistes et réclamé des amendes à hauteur de 67.000 euros.
En février 2021, la Commission européenne a promis de présenter une initiative visant à protéger les journalistes et la société civile contre les SLAPPs. La publication de son projet de directive est attendue pour mercredi.
La CES, qui est membre de CASE, la coalition contre les « poursuites-bâillons » en Europe, appelle la Commission à s’assurer que la proposition fasse explicitement référence aux droits des travailleurs et des syndicats. Elle devrait également :
- Ne pas limiter son action aux affaires transfrontalières qui ne représentent qu’un cas de SLAPPs sur dix. Ceci est particulièrement important vu qu’aucun État membre n’a adopté une législation nationale pour prévenir les SLAPPs.
- Empêcher l’élection de juridiction par laquelle les requérants peuvent introduire une plainte sur base de l’endroit où ils pensent avoir la meilleure chance de parvenir au résultat escompté ou de réussir à épuiser les moyens, le temps et l’énergie de leurs cibles.
- Dissuader des acteurs puissants de recourir à des SLAPPs en s’assurant que les poursuites vexatoires soient rejetées à un stade précoce, que les initiateurs de tels abus judiciaires soient sanctionnés et leurs victimes accompagnées.
S’exprimant avant la publication de la directive, la Secrétaire confédérale de la CES Isabelle Schömann a déclaré :
« Les poursuites-bâillons sont utilisées par des entreprises afin d’intimider et d’attaquer les travailleurs et les syndicats qui exercent leurs droits démocratiques fondamentaux tels que la liberté d’expression et le droit d’action collective. Cela doit finir. »
« Malgré l’énorme augmentation du nombre de SLAPPs au cours de la dernière décennie, aucun pays de l’UE n’a agi au plan législatif pour mettre fin à cette pratique. Cela rend une directive européenne forte contre les SLAPPs d’autant plus importante pour soutenir la démocratie contre l’effet glaçant de ces menaces juridiques abusives. »
« Alors que le directive sur la protection des lanceurs d’alerte constitue un précédent déterminant en matière de protection de travailleurs qui s’expriment dans l’intérêt général, il est essentiel qu’elle soit complétée par des règles européennes sur les SLAPPs. Comme c’est le cas pour les lanceurs d’alerte, la participation du public joue un rôle clé pour garantir la véritable jouissance des droits fondamentaux, l’accès public à l’information et l’état de droit. »
Tea Jarc, la Présidente du Comité jeunes de la CES qui a mené campagne contre des SLAPPs initiées par le gouvernement de Slovénie pour saper le droit à manifester, ajoute :
« Au cours des deux dernières années, sous le gouvernement slovène d’extrême droite, des activistes, des syndicats et des journalistes ont été visés par des poursuites-bâillons en raison de leur travail. »
« Il s’agit là d’une tactique connue et trop souvent couronnée de succès pour effrayer les citoyens, mettre fin aux manifestations et éliminer la pensée critique. C’est une menace pour la démocratie. »
« L’exemple le plus visible en Slovénie porte sur une affaire en cours de plus de 20 actions en justice lancées par le gouvernement slovène à l’encontre d’un individu qui a organisé des manifestations antigouvernementales auxquelles ont participé différents acteurs de la société civile, y compris des syndicats. L’Union européenne doit mettre fin à ces pratiques injustes et assurer la protection juridique des activistes. »
Notes
How SLAPPs threaten European democracy – CASE report
SLAPPs data between 2010 and 2021