Un cadeau d’un milliard d’euros à des entreprises dénoncées pour violations des droits des travailleurs

Nous avons mis à jour cet article, pour enlever toute mention de Sanef, suite au fait que la CES a pris connaissance d'un jugement du  16 février 2023.

Des entreprises aujourd’hui clouées au pilori pour avoir violé les droits des travailleurs en Europe ont bénéficié d’un financement européen de plus d’un milliard d’euros.

L’Indice des droits mondiaux publié par la Confédération syndicale internationale recense 15 entreprises ayant bafoué le droit du travail dans l’Union européenne au cours de l’année écoulée.

Les violations, qui font partie de tactiques antisyndicales très répandues visant à faire pression sur les conditions de rémunération et de travail, incluent notamment le licenciement illégal de travailleurs, des actions disciplinaires à l’encontre de membres des syndicats et le refus de respecter le droit à la négociation collective.

Malgré cela, comme le révèle une étude de la Confédération européenne des syndicats (CES), la majorité des entreprises citées ont reçu d’énormes sommes d’argent sous forme de financements européens au cours de la dernière décennie.

Financement de l’UE depuis 2014 d’entreprises citées dans l’Indice des droits mondiaux 2023
 

Entreprise

Financement

Nombre de contrats

Ryanair

962,000,000

31

TUI

31,800,000

5

Amazon

29,490,000

199

IKEA

28,710,000

2

CWS Hygiene

8,190,000

12

Nexteer Automotive

5,987,000

3

Therma Sp. z o. o

1,075,432

1

KCP Sp. z o.o

61,575

1

La CES réclame une révision des règles en matière de marchés publics afin d’assurer que seules les entreprises qui respectent les droits des travailleurs et des syndicats, qui négocient avec les organisations syndicales et dont les travailleurs sont couverts par des conventions collectives puissent bénéficier de financements publics.

Lors de sa prise de parole durant le Congrès de la CES, Nicolas Schmit, le Commissaire européen à l’emploi et aux droits sociaux, a déclaré : « Si vous ne payez pas de justes salaires, si vous excluez les syndicats, si vous refusez la négociation collective, vous ne pouvez participer aux marchés publics parce qu’il s’agit précisément d’argent public qui ne peut être dépensé en faveur de ceux qui ne respectent pas la loi. »

Selon le nouvel Indice des droits mondiaux, cette action devrait contribuer à restaurer les droits des travailleurs qui se sont « détériorés » en Europe cette dernière décennie en raison de « violations des droits fondamentaux dans la plupart des pays. »

L’Indice souligne en particulier que « les droits à la négociation collective ont été gravement piétinés dans une majorité de pays. »

La Secrétaire générale de la CES Esther Lynch explique à ce propos :

« Les violations des droits des travailleurs augmentent partout en Europe et se traduisent par de plus bas salaires et une dégradation des conditions de travail pour des millions de personnes tandis que les patrons coupables de ces violations sont scandaleusement récompensés par de lucratifs marchés publics. »

« C’est une véritable honte de voir que des entreprises dénoncées et blâmées par la Confédération européenne des syndicats aujourd’hui pour des violations des droits des travailleurs ont reçu plus d’un milliard d’euros sous forme de financement de l’UE. »

« Mais ceci n’est qu’un instantané d’une approche des marchés publics qui entraîne une course vers le bas. »

« Il est temps d’exclure les patrons antisyndicaux de la liste des bénéficiaires et de faire en sorte que seules les entreprises agissant dans l’intérêt public puissent prétendre à un financement public. »

Notes

Sources relatives aux financements de l’UE :

Base de données de la Commission européenne concernant les financements de l’UE : https://ec.europa.eu/budget/financial-transparency-system/analysis_fr.html

Base de données du gouvernement polonais listant les projets financés par l’UE : https://mapadotacji.gov.pl/projects/?lang=en

Cas de violations des droits :

Pologne

Le 28 novembre 2022, Dariusz Kawka, leader du syndicat NSZZ "Solidarność" chez IKEA Industry Poland Ltd et membre du comité d’entreprise européen d’IKEA, a été licencié sans préavis pour raisons disciplinaires malgré son activité syndicale le protégeant d’un licenciement sans accord préalable de l’organisation syndicale de l’entreprise. Selon un contrôle mené par l’inspection du travail de l’État, il est apparu que l’employeur avait gravement enfreint le droit du travail. Malgré un échange de lettres entre le syndicat et l’employeur, y compris le conseil d’administration de l’entreprise, et de nombreuses autres actions visant à protéger Dariusz Kawka du licenciement, l’employeur a refusé de le réintégrer.

Cette tactique antisyndicale a également été observée dans d’autres entreprises telles que Nexteer Automotive Poland et KCP Ltd.

Les violations par des employeurs du droit à négocier collectivement sont extrêmement fréquentes en Pologne, allant de retards excessifs à un refus de négocier ou d’appliquer les dispositions d’un accord ou encore à la résiliation unilatérale d’une convention collective. Chez KCP Sp. z o.o, un fabricant de pièces de véhicules à moteur, la direction a, durant deux ans, refusé de s’engager dans une négociation collective avec le syndicat de l’entreprise. Au lieu de cela, elle a entamé des discussions individuelles avec des personnes sélectionnées. Un comportement antisyndical semblable a été relevé chez CEDC International Sp. z o.o, Polmos Białystok Branch, Therma Sp. z o.o, Distribev Ltd. et Stellantis Gliwice.
 

https://www.globalrightsindex.org/fr/2023/countries/pol

Belgique

Durant la grève nationale du 9 novembre 2022, et suite au blocage de l’entreprise CWS, un prestataire de services d’assainissement et d’hygiène, une mise en demeure a été envoyée par l’employeur à deux travailleurs les menaçant de licenciement et d’un recours en compensation de 24.000 euros (26.300 dollars) pour un prétendu manque à gagner dû à la grève. Après l’intervention des syndicats, l’entreprise a finalement retiré sa demande de compensation mais a maintenu la sanction disciplinaire à l’égard des deux employés.

https://www.globalrightsindex.org/fr/2023/countries/bel

Espagne

En juin 2022, en raison du refus de la compagnie aérienne Ryanair basée en Irlande de négocier avec l’Union syndicale ouvrière (USO) et le Syndicat indépendant du personnel de cabine des passagers des compagnies aériennes (SITCPLA), les travailleurs ont entamé une grève au siège de l’entreprise en Espagne. Les syndicats voulaient dénoncer les violations répétées du droit du travail par Ryanair et son refus de négocier une convention collective. L’entreprise a riposté en licenciant 22 travailleurs et en engageant des mesures disciplinaires contre les travailleurs grévistes.

https://www.globalrightsindex.org/fr/2023/countries/esp

Pays-Bas

Aux Pays-Bas, les employeurs négocient souvent avec des syndicats jaunes ou avec les conseils d’entreprise pour imposer des réductions de salaires. Par exemple, la compagnie de voyages TUI a refusé de participer à une négociation collective avec la Fédération des syndicats néerlandais (FNV) malgré une pétition l’y engageant signée par des centaines de travailleurs. Au lieu de cela, TUI avait l’intention de négocier avec son propre groupe. La FNV a dû introduire un recours devant le tribunal.

Il n’existe aucune législation dans le pays garantissant que seuls des syndicats indépendants sont autorisés à conclure des conventions collectives ou que les syndicats ont la préséance sur les conseils d’entreprise. En conséquence, lorsque des syndicats décident d’une action collective dans le cadre d’une négociation, l’employeur peut saper la position syndicale simplement en concluant un accord avec les syndicats jaunes ou le conseil d’entreprise.

https://www.globalrightsindex.org/fr/2023/countries/nld 

* mise à jour: À la suite de l’arrêt de la Cour d’appel de Versailles en date du 16 février 2023 (RG n° 22/07492) infirmant l’ordonnance de référé rendue par le tribunal judiciaire de Nanterre le 12 décembre 2022 qui enjoint à la société SANEF de suspendre les réquisitions relatives au service minimum en cas de grève, nous procédons à l’actualisation de notre publication.

La Cour d’appel ayant en effet jugé qu’aucun trouble manifestement illicite n’a pu être caractérisé sur les fondements présentés, nous avons mis à jour notre Index 2023 en retirant la mention du Groupe SANEF au sein de la liste des entreprises poursuivies pour atteinte au droit de grève des salariés.

Pour précision, l’article 14 du décret du 11 septembre 1980 annexé aux conventions de concession passées entre l'Etat français et certaines sociétés d'autoroute permet la mise en place d’un service minimum « pour maintenir la permanence de la circulation dans de bonnes conditions de sécurité en cas de grève des agents de la société concessionnaire