Conférence de l'UE sur les conditions de travail

Source: ETUC

Discours de Bernadette Ségol, Secrétaire générale de la Confédération européenne des syndicats (CES)

Le texte prononcé fait foi

Monsieur le Commissaire,

 

Les deux phrases d’introduction à la conférence d’aujourd’hui disent ceci, je cite:

 

“La Stratégie Europe 2020 fixe des objectifs ambitieux pour augmenter l’emploi et réduire la pauvreté.  Le semestre européen, le paquet emploi et celui pour l'investissement social ont été mis en place pour guider les états membres dans le processus de réformes structurelles, y compris les réformes structurelles du marché du travail."

 

Ce texte nous incite à adhérer à l’idée que la réalisation des objectifs ambitieux d’augmentation de l’emploi et de réduction de la pauvreté, passe par le semestre européen, les réformes structurelles, dont font partie les réformes du marché du travail.

 

Dit plus directement: On nous dit que pour réussir à combattre le chômage et la pauvreté, nous devrions faire confiance au semestre européen, aux réformes structurelles et aux réformes du marché du travail.

 

Les syndicalistes ne sont pas des hommes et des femmes qui ont l’habitude de faire confiance à des promesses, sans y regarder à deux fois, voire à trois fois.

 

Le semestre européen nous apporte-t-il ce qu’on nous promet c'est-à-dire la réalisation des objectifs d'Europe 2020: la réponse de la confédération européenne des syndicats est “non”. 

 

Le chômage ne baisse pas, ou très marginalement. Les conditions de travail empirent.   La précarité est favorisée par les réformes du marché du travail.  Elle s’étend comme une tache d’huile, augmentant la pauvreté et les inégalités.

 

La réalité crue: le semestre européen a été conçu avec l’objectif prioritaire de faire baisser le déficit public et la dette publique;  toutes les autres mesures du semestre européen sont subordonnées à cet objectif.  Le semestre européen voudrait être un instrument pour rééquilibrer la compétitivité entre pays européens, en utilisant  la dévaluation interne comme arme principale.

 

Cette dévaluation interne est passée et passe encore par une détérioration souvent considérable des conditions de travail. Je pense que l'intervention du Commissaire Andor a illustré ce que je considère comme un fait.

 

La dévaluation interne se traduit ainsi en termes clairs: baisse des salaires réels, coupes dans les prestations sociales, flexibilisation des conditions de travail, augmentation du travail à temps partiel et des contrats à durée déterminée, augmentation du système des stages - faux emplois, diminution de la couverture protectrice des conventions collectives.

 

En d’autres termes, le semestre propose un Harz IV européen, pour que nous soyons tous plus compétitifs.

 

 

 

Je trouve que la Commission est très courageuse, voire téméraire, aujourd’hui, de nous proposer de parler des conditions de travail, dans un contexte économico-politique qui est justement si défavorable à l’amélioration des conditions de travail. 

 

Mais enfin.  Nous sommes toujours prêts à parler de la question des conditions de travail.

 

Je ne suis pas très encline à utiliser la démocratie directe, mais je suis convaincue que si je vous demandais- vous qui participez à cette conférence sur les conditions de travail - si vous êtes pour ou contre de bonnes conditions de travail, le oui obtiendrait l’unanimité.

 

Bien, nous sommes tous et toutes pour de bonnes conditions de travail.  C’est un premier pas. 

 

Le deuxième est de définir ce que sont de bonnes conditions de travail;  Pour nous c’est assez simple:  de bonnes conditions de travail s’évaluent à l’aune du salaire (mon salaire permet-il de vivre décemment), du temps de travail (est-ce que j’ai un équilibre entre vie privée et vie professionnelle?), de la santé et de la sécurité au travail (santé physique et psychologique)  et des perspectives que ce travail me donne (est-ce que j’ai des possibilités de formation et d’adaptation).

 

Sur base de la définition de conditions générales qui définissent de bonnes conditions de travail nous pourrions facilement constater que, dans les dernières années, il y a eu  plus souvent, une considérable détérioration dans la qualité des conditions de travail.

 

En Grèce le salaire des fonctionnaires a baissé de 20%, en Espagne le résultat des réformes structurelles est que le travail précaire a augmenté de façon dramatique.  Au Royaume uni 1.500 000 personnes ont un contrat “0 heures”.  Au Portugal alors que 1.500 000 personnes étaient couvertes par une convention collective, elles ne sont plus que 300 000 à l’heure actuelle. En Allemagne la pauvreté a augmenté pour atteindre 15% de la population et 7 millions de personnes sont des pauvres au travail.

 

Cette situation rend-elle les pays européens plus compétitifs, plus compétitifs entre eux, et vis à vis du reste du monde? 

 

Si tout le monde fait les mêmes réformes vers le bas, en même temps, le résultat ne sera pas un rééquilibrage entre les pays, mais malheureusement, pour tous, un appauvrissement et une baisse générale des conditions de travail et de la protection sociale

 

Etre compétitif est, n'est-ce pas, c’est bien l’aune à laquelle tout est mesuré aujourd’hui.  Sommes-nous suffisamment compétitifs?  J’aimerais bien pouvoir changer cette variable.  J’aimerais bien pouvoir mesurer les pays entre eux non pas sur base de leur compétitivité, mais sur base du bonheur qu’ils offrent à leurs citoyens.  Et d’ailleurs cette mesure existe.  Mais c'est une autre histoire.

 

Je pense qu’il faut vraiment arrêter de se focaliser sur les réformes structurelles et les réformes du marché du travail pour mesurer la compétitivité d’une économie.

 

Le rapport du forum économique mondial (qui n’est pas spécialement un milieu favorable au syndicalisme européen ou international)  identifie les piliers clés de la compétitivité: infrastructures, institutions, santé, éducation;  la qualité de la main d'œuvre et sa capacité d'adaptation est un parmi les neuf.  Mais l'affaiblissement de la qualité des conditions de travail n'est certainement pas identifié comme un élément de compétitivité. Or c'est exactement ce qui a été fait ces dernières années.

 

Le marché du travail est considéré comme compétitif lorsqu’il permet une réadaptation de la main d’œuvre à de nouvelles donnes;  pas lorsqu’il fait des travailleurs des pauvres au travail.

 

Ce rapport montre aussi que les pays qui offrent des conditions de travail les plus favorables ne sont pas les moins compétitifs; au contraire.  Les travailleurs des pays nordiques sont très compétitifs; la Chine n’arrive qu’à la 29ème place.

 

Alors, pourquoi focaliser le semestre européen sur la flexibilisation du marché du travail, sur la baisse des salaires, sur la dérégulation (y compris des règles de santé et de sécurité).

 

Pourquoi ne pas mettre en œuvre les investissements nécessaires pour améliorer les infrastructures, sur l’éducation tout au long de la vie, sur les politiques actives du marché du travail, sur les systèmes de négociation qui permettent d’adapter de façon juste les conditions de travail aux variations économiques?

 

Je vois deux raisons à cela:

 

D’abord une raison idéologique: l’idée que le marché doit tout régler, et que l’état ne doit pas intervenir.  Et donc qu'il faut dérèglementer le marché du travail.  La dérèglementation, on a vu on a vu ce que ça a donné pour le système financier.  Le libre marché détériore les conditions de travail, amène à plus d'inégalités; pas à plus de justice sociale.

 

Deuxième raison pour laquelle on ne fait pas d'investissements: investir ça coûte de l’argent;  et nous devons faire des économies.  A partir de là, rien n’est fait pour les investissements qui seraient porteur de compétitivité.  On ne peut pas investir, parce qu’on n’a pas d’argent.  Or de l’argent, il y en a, mais il faudrait le mobiliser.

 

On a dépensé 1.800 milliards d’euros pour sauver les banques et les investisseurs privés;  on a augmenté les dettes publiques, et on a estimé que ça valait la peine.  Et sans doute ça valait la peine.

 

Mais quand il s’agit d’investir pour faire redémarrer nos économies, il n’y a plus personne en face.  Tout le monde a peur.  Il n’y a pas de plan, pas de stratégie pour des investissements porteurs d’avenir.

 

Les économistes et les politiques sérieux constatent qu’il faudra dix ans ou plus pour que le chômage baisse si on n'a pas de plan d'investissement.

 

Ils estiment que c'est malheureusement le prix à payer.

 

Nous, à la CES, refusons cette équation;   On ne peut pas se satisfaire de 10 ans de chômage, et du dé tricotage systématique du modèle social européen, qui fait l’envie de nombreux pays dans le monde, et que nous considérons comme un atout et pas comme un poids.

 

C'est pour cela que nous proposons une autre voie pour l'Europe, une autre solution: celle des investissements créateurs d'emplois de qualité.

 

La qualité de travail des européens n’a été soutenue par aucune initiative solide de l’UE au cours de ces dernières années.  Pas de cadre sur les restructurations, une faible communication.  Pas de programme santé et sécurité.  Pas d’amélioration substantielle de l’égalité de traitement pour les travailleurs détachés.  Par contre un programme Refit qui tend à considérer le congé parental, les directives santé et sécurité comme des poids administratifs.

 

Mais nous gardons et nous garderons le fer au feu sur les conditions de travail comme sur le programme social de l'UE.

 

Persuadés que nous sommes que dans le concert mondial, de bonnes conditions de travail sont gage de succès.

 

 

 

 

 

 

28.04.2014
Discours
Je pense qu’il faut vraiment arrêter de se focaliser sur les réformes structurelles et les réformes du marché du travail pour mesurer la compétitivité d’une économie. Les économistes et les politiques sérieux constatent qu’il faudra dix ans ou plus pour que le chômage baisse si on n'a pas de plan d'investissement. C'est pour cela que nous proposons une autre voie pour l'Europe, une autre solution: celle des investissements créateurs d'emplois de qualité.