Discours de Bernadette Ségol à la Conférence de haut niveau sur le dialogue social

Source: European Commission

[Le texte prononcé fait foi]

 

Bonjour à tous et à toutes,

Monsieur le Vice-président de la Commission,

Monsieur le Ministre,

Madame la Commissaire et certainement tous les collègues employeurs que je connais maintenant depuis quelques années,

 

Je suis très heureuse et satisfaite de voir, qu'après 30 ans, la Commission européenne ressent, comme nous d'ailleurs, le besoin d'un nouvel élan pour le dialogue social européen.

Oui, nous avons besoin d'un nouvel élan parce que, ces dix dernières années, le dialogue social interprofessionnel s'est affaibli. Le dialogue social sectoriel a pu faire quelque progrès mais nous ne sommes pas satisfaits des résultats que nous avons obtenus. Même si ces résultats existent, nous voulons faire mieux. Il faut quand même dire que la crise financière, la crise économique et sociale qui a frappé l'Union européenne en 2008, a eu un impact négatif, voire très négatif, sur le dialogue social, les relations du travail et la négociation collective à tous les niveaux. Dans de nombreux pays, le dialogue qui doit mener à la négociation et à des accords, a été décentralisé. Les politiques d'austérité imposées par la Troïka sont allées de pair avec l'abolition de conventions collectives nationales ou sectorielles et même avec l'abolition de plateformes communes qui favorisaient ce dialogue. 

 

En Grèce,  l’intrusion des politiques économiques dans les relations sociales a été jugé contraire aux conventions de l’organisation internationale du travail.  Pour la CES, comme pour le directeur général de l’OIT, « les normes fondamentales ne sont pas négociables, même pas en période de crise. »

En Grèce encore, l’organisme paritaire qui gérait la formation a été aboli, sans vergogne. C'était une des seules choses qui restait une plateforme dans laquelle les employeurs et les syndicats pouvaient encore discuter.

Cela veut dire que dans les dernières années la Commission, au lieu d'être un acteur proactif d'un dialogue social équilibré, a soutenu des politiques qui allaient à l'encontre de ce dialogue même. Si nous ne partons pas de cette base-là pour reconstruire le dialogue social alors nous ferons fausse route.

Nous sommes ici dans une belle salle d'un bel immeuble où nous discutons du dialogue social mais nous devons savoir que la condition de ce dialogue social et de sa vérité, se situe au niveau national, au niveau local.  Elle réside dans la manière de ce dialogue, dans les négociations qui peuvent être construites, développées.

Nous ne voulons pas, comme Confédération européenne des syndicats, parler dans une bulle européenne.

Nous le disons, la Confédération européenne des syndicats le dit: le dialogue social est un élément essentiel de la cohésion sociale. Le Président Schulz l'a répété et d'autres avant moi l'ont dit.

Mais c'est aussi, et d'autres l'ont dit, un élément de succès économique et de compétitivité.

Vous avez parlé de la compétitivité des entreprises. Nous n'avons rien contre mais je me demande si tout le monde dans cette salle et si tous les leaders politiques, sont effectivement convaincus que le dialogue, la négociation et les conventions collectives sont un élément positif pour la cohésion sociale et pour la compétitivité.

Nous donnons souvent l'exemple des pays nordiques, de l'Allemagne, je pourrais en donner d'autres. Mais sommes-nous ici tous - employeurs, syndicats, dirigeants politiques - convaincus que ce dialogue est un élément de compétitivit2,

Je reviendrai sur les questions de compétitivité un peu plus tard.

Le dialogue social n’est pas seulement une plateforme de discussion. C’est une plateforme de discussion qui doit engendrer des changements, des accords et ces accords doivent être mis en œuvre. 

Un accord qui n’est pas mis en œuvre, pour nous, est une coquille vide ;  mes amis britanniques diraient : « it’s hot air ».  En français, on dit "c’est du vent". On ne dit pas s'il est froid ou chaud, l'on dit simplement "c'est du vent" mais cela veut dire un peu près la même chose.

Et c'est évidemment dans cette optique que nous envisageons le dialogue social au niveau européen et que nous discutons de notre prochain programme de travail.

L’engagement des partenaires doit aller jusqu’à un engagement d’application et de mise en œuvre.  Nous, syndicats, voudrions que cela puisse se faire via des directives.  Mais nos collègues employeurs n’aiment pas les législations.  Mais surtout, ils n’aiment pas les législations qui les dérangent. 

Laissez-moi titiller un peu nos interlocuteurs employeurs, ils sont derrière moi, j'ai toute confiance, ils ne vont pas m'attaquer.

Les employeurs nous disent: si nous n’arrivons pas à avoir un partenariat pour les réformes qui flexibilisent le marché du travail, alors les gouvernements doivent prendre leurs responsabilités en légiférant.

Par contre, les employeurs ne veulent pas que les gouvernements se saisissent d'accords européens qui n'auraient pas été appliqués au niveau national pour les faire appliquer.

Personnellement, je vois là une incohérence – je dirais même une contradiction dont je suis prête à discuter autour d'un verre ou dans une réunion avec les employeurs qui sont derrière moi.  

Alors bien entendu, il faut que nous trouvions le moyen de nous assurer que les engagements pris au niveau européen soient des engagements sérieux et aient un impact au niveau national.

La Commission, de notre point de vue, a un rôle à jouer dans cette mise en œuvre.  Elle ne peut rester un spectateur passif.  Par exemple, les partenaires sociaux ont signé des accords sur  le stress, le harcèlement, la violence au travail ;  ces accords sont restés lettre morte dans un certain nombre de pays.  La CES invite donc la Commission à prendre des mesures si la mise en œuvre de ces accords n’est pas à la hauteur du texte signé.

Je viens de vous parler du dialogue bipartite, du dialogue entre syndicats et employeurs.  Je voudrais aussi évoquer le dialogue tripartite, c’est-à-dire du dialogue que nous avons – nous, partenaires sociaux- avec les institutions européennes sur des sujets qui ont tous des conséquences importantes sur le monde du travail, l’emploi, la qualité de l’emploi et les conditions de travail.

Nos interventions dans le processus du semestre européen font partie du dialogue tripartite.  Nous nous rencontrons dans le cadre du sommet social tripartite, du dialogue macro-économique.  Mais j'ai quand même certaines frustrations. Si nous sommes consultés dans ce processus, sommes-nous écoutés ?  Sommes-nous entendus ? Comment passer du formalisme de l'échange à la réalité du dialogue qui fait que chaque partie est prête à changer ?

J’avoue que, par le passé, j’ai souvent eu l’impression que le dialogue tripartite était un dialogue de sourds.  

Et donc, j’espère, je crois que la Commission européenne, qui organise cet événement, a pour intention de faire cesser ce dialogue de sourds. 

Notre objectif, je dois le préciser, dans ce dialogue tripartite,  n'est pas de mettre en œuvre le Semestre européen.  Les syndicats ne sont pas là pour mettre en œuvre une politique, ils sont aussi là pour critiquer cette politique et pour dire quelle serait la meilleure à mettre en place.  Et je ne peux pas résister ici à reprendre un certain nombre d'idées qui ont été évoquées dans les interventions précédentes. En particulier sur la compétitivité.

Nous entendons qu'il faut des réformes du marché du travail pour avoir de la croissance. Ce que nous voyons, nous représentants du monde du travail, c'est que les réformes qui ont été imposées dans un grand nombre de pays, ont augmenté la pauvreté, les inégalités, la résistance politique et sociale au projet européen. On ne peut pas sérieusement penser que les réformes du marché du travail vont à elles seules provoquer une augmentation de la croissance. C'est une croissance substantielle qui va faire redémarrer nos économies et donner aux citoyens, aux travailleurs, aux jeunes européens, l'espoir d'un avenir meilleur. Mettre le focus sur les réformes structurelles, les réformes du marché du travail, en croyant que c'est vraiment la solution à nos problèmes, est, je crois, une grande erreur.

Nous ne sommes pas opposés aux réformes. Nous savons que nous ne pouvons pas être comme il y a 50 ans, 30 ans, ou même 20 ans, mais ces réformes doivent être négociées et être en faveur de tout le monde. Elles ne doivent pas augmenter les inégalités et augmenter la pauvreté.

Cette conférence offre la possibilité de discuter de thèmes majeurs qui sont partie intégrante de la politique européenne.  Ce que nous demandons c’est que les gens qui ont été le plus affecté par les politiques d'austérité, aient la voix au chapitre et que les commissaires, qui nous font l’honneur d’être là aujourd'hui, nous écoutent et nous entendent.

Je me permets de lancer quelques pistes de réflexion.

Pour que le dialogue social européen fonctionne, il faut des partenaires sociaux forts et représentatifs au niveau national.  Pour cela, il faut que les employeurs, comme les gouvernements, soient convaincus que les relations du travail sont un atout humain et économique, qui permet à un pays, à une société de fonctionner mieux. Et franchement trop souvent un travailleur a peur de se syndiquer.

Récemment, j'ai entendu une discussion entre deux jeunes. L'un devait avoir un entretien d'embauche et l'autre lui disait: "si ton employeur te demande si tu es membre d'un syndicat, tu dois mentir." Si nous avons au niveau européen cette crainte pour des travailleurs de se syndiquer, d'être représenté dans des institutions démocratiques, nous n'arriverons pas à construire le dialogue social dont nous avons besoin.

J'encourage donc vivement le travail fait pour améliorer les relations sociales (capacity building) mais je dois aussi vous dire que le monde réel est souvent un monde où les travailleurs ont peur de dire qu'ils font partie d'une organisation syndicale. En 2015 ceci est tout à fait anormal.

Nous voulons avoir des indicateurs, une évaluation, un contrôle de l’état des lieux du dialogue social national, et de sa qualité.  Cela pourrait faire partie des recommandations spécifiques par pays. Il y a différentes manière de le faire. Je laisse toute porte ouverte mais il me semble que nous ne pouvons pas parler de la réalité du dialogue social sans savoir où on en est dans les différents pays.

Je voudrais aussi insister sur le fait qu'il ne faut pas confondre dialogue social, qui doit amener à des négociations, avec le dialogue avec la société civile.  Je n'ai absolument rien contre les organisations non gouvernementales. Mais il y a une différence fondamentale entre un syndicat et une organisation non gouvernementale. Un syndicat est une organisation démocratiquement structurée et qui représente démocratiquement le monde du travail. Les syndicats ne sont pas un mouvement d'opinion publique. Ils sont un élément fondamental de structure démocratique.

Nous avons constaté des développements inquiétants à ce sujet, que ce soit au niveau national ou au niveau européen.  Les consultations sur des thèmes qui relèvent de la compétence des partenaires sociaux sont l’objet de consultations publiques, ce qui annihile la consultation officielle des partenaires sociaux selon le traité.

En 2013, les partenaires sociaux ont adopté une déclaration conjointe sur l’implication des partenaires sociaux dans le processus de gouvernance économique, que ce soit au niveau national ou au niveau européen ; cette déclaration insistait sur la nécessaire implication des partenaires sociaux dans les processus de décision sur des matières qui ont un impact direct ou indirect sur l’emploi.  Malheureusement dans de nombreux cas, notre déclaration est restée lettre morte. 

Ce n’est que dans un nombre très limité d’états membres que la contribution des partenaires sociaux est réellement prise en compte.

Cette conférence va-t-elle changer la situation ?  Bien sûr, étant d'un optimisme viscéral, je l’espère. 

Je terminerai par une citation, et pas de n’importe qui.  Jean-Claude Juncker a dit dans son intervention à l’ouverture de la session plénière du parlement européen, le 15 juillet 2014, que l’économie sociale de marché ne pouvait fonctionner que s’il y avait dialogue social. 

Je remercie en son absence le Président de la Commission européenne. Je suis sûre qu'il y a de nombreux membres de son cabinet qui vont lui faire un rapport détaillé. Je le remercie pour cette magnifique déclaration. 

Et je vous dis en conclusion que nous attendons sa mise en œuvre.

Merci pour votre attention.

 

 

 

 

05.03.2015
Discours
Le dialogue social n’est pas seulement une plateforme de discussion. C’est une plateforme de discussion qui doit engendrer des changements, des accords et ces accords doivent être mis en œuvre.

Je terminerai par une citation, et pas de n’importe qui. Jean-Claude Juncker a dit dans son intervention à l’ouverture de la session plénière du parlement européen, le 15 juillet 2014, que l’économie sociale de marché ne pouvait fonctionner que s’il y avait dialogue social. Et je vous dis en conclusion que nous attendons sa mise en œuvre.