Intervention de Bernadette Ségol, Secrétaire générale de la CES Conseil européen

Bruxelles, 27/06/2013

Je vous remercie de m’avoir donné la possibilité de m’adresser à vous aujourd’hui.

C’est un honneur et un signe de reconnaissance pour la CES ; cet honneur et cette reconnaissance sont appréciés.

Récemment j’ai rencontré un certain nombre d’entre vous pour préparer ce sommet important.

Il me paraît que, oui, nous avons des préoccupations communes :

• Les économies européennes sont à la traîne, la croissance est très faible, certains pays sont en récession.

• L’Union européenne voit décliner sa part dans les marchés mondiaux. D’autres se développent. Nous stagnons.

• Les salaires réels diminuent, le niveau de vie est en baisse, la pauvreté et les inégalités augmentent. Les ménages ne dépensent pas : ils ont peur.

• Le chômage augmente chaque mois.

Il y a un an déjà, dans un contexte socialement et économiquement très tendu, vous avez annoncé un pacte pour la croissance et l’emploi et une feuille de route sur la dimension sociale. Nous avons joué le jeu.

Nous avons avancé des propositions sur la manière de sortir de l’ornière dans laquelle nous sommes. Nous avons appelé à un pacte social pour l’Union européenne et nous avons avancé nos idées sur la dimension sociale de l’UE.

L’idée qu’il faut un nouveau plan de relance pour l’Europe est au cœur de nos demandes.

Les documents que j’ai pu lire indiquent que le Conseil est déterminé à parler d’un plan de relance, et de remettre à jour le pacte pour la croissance. Les annonces vont dans la bonne direction.

Cependant, parler d’un nouveau plan d’investissement pour l’Europe, parler de la mise en œuvre du plan pour la croissance et l’emploi ne suffit pas. Qu’y a-t-il derrière ces mots ? Qu’allez-vous proposer de concret qui soit susceptible de faire changer les choses ?

Je voudrais rappeler ici que les réformes structurelles ne font pas un plan de relance. C’est tout à fait le contraire dans certains pays.

Un compromis sur le budget a été trouvé. Ce budget sera – paraît-il - « le fond de croissance pour l’Europe ». On peut le souhaiter, mais ce budget n’est vraiment pas suffisant. Et qu’en est-il du fonds social européen ? Il faut lui garantir 25% des fonds structurels pour que sa puissance d’action soit significative et qu’il puisse participer à la relance.

Le chômage des jeunes est une de vos préoccupations principales aujourd’hui. Nous partageons entièrement cette priorité.

Avec le cadre d’action sur l’emploi des jeunes, les partenaires sociaux ont apporté leur contribution. La communication de la Commission fait largement écho à cet accord entre employeurs et syndicats ; c’est bien, mais cela n’exonère pas le Conseil de prendre ses responsabilités.

Pour éradiquer ce fléau, il faut des ressources ; seul un plan de relance digne de ce nom et un changement des politiques économiques traitera ce problème à la racine. Je doute que les moyens financiers soient à la hauteur des attentes.

Président : où est la feuille de route sur la dimension sociale qui nous a été annoncée en décembre dernier ? Elle semble repoussée aux calendes grecques. Le Conseil ne peut pas faire de publicité trompeuse en annonçant une feuille de route sur la dimension sociale et, quelques mois plus tard, enterrer ses engagements. Des annonces médiatiques sans suite sont extrêmement dommageables ; la confiance qu’on vous accorde n’est pas secondaire, elle est essentielle.

Donc, évitez la publicité trompeuse… Je pourrais rappeler la directive européenne 2006/114/CE du 12 décembre 2006.

Avec les politiques mises en place, les déséquilibres du marché du travail européen sont de plus en plus marqués. Il faut surveiller de près ces déséquilibres si l’on veut arriver à une convergence vers le haut. Il faut des indicateurs opposables, sur les inégalités, la pauvreté. Si ces indicateurs vont vers le rouge, on doit changer les politiques qui produisent des effets négatifs.

Jusqu’à présent, malgré nos protestations, la mobilisation des gens dans la rue, je dois malheureusement reconnaître que nous n’avons pas – pas encore - réussi à faire passer notre message.

Alors, si vous ne prenez pas en compte nos propositions, je dois me tourner vers vous pour vous poser des questions :

Que comptez-vous faire – je dis bien faire, et non pas dire – pour sortir nos pays et les citoyens qui vous ont élus de l’ornière ? La dérèglementation et l’austérité ont échoué. Qu’allez-vous faire pour remettre nos économies et l’emploi sur la bonne voie ?

Nous nous réjouissons de l’intérêt que vous portez envers la politique industrielle européenne. Mais quelles sont vos propositions ? Qu’allez-vous faire des propositions du Parlement européen sur les restructurations ?

Que comptez-vous faire pour arrêter la concurrence vers le bas des salaires, de la fiscalité, des conditions de travail ?

Que comptez-vous faire pour que le syndicat européen puisse, sans fléchir, continuer à défendre le projet européen?

Et puis : quel est le message que vous donnez aux citoyens et citoyennes qui vont devoir voter en mai prochain ? Quel est votre programme ? Qu’avez-vous à leur dire pour leur donner confiance dans votre capacité de changer la donne ?

Je finirai en exprimant la lourde préoccupation qui est la nôtre et que, je pense, bon nombre d’entre vous partagent.

Il y a dans nos pays, un sentiment répandu et très inquiétant que les politiciens démocratiquement élus ne sont pas suffisamment forts ou suffisamment déterminés pour nous faire sortir de l’impasse et nous conduire vers des temps meilleurs. Inexorablement cela amène à une amère désillusion quant à la valeur du projet européen. Les partis populistes de tous bords en profitent et en profiteront dans de nombreux pays. Je vous laisse faire la liste.

Dans les pays plus aisés, par peur de confronter ces poujadismes primaires, on tend à se désolidariser et à vouloir « moins d’Europe ». Ce n’est pas la solution non plus.

Nous voulons que nos dirigeants politiques soient au niveau des enjeux. Nous voulons pouvoir leur faire confiance. Aujourd’hui la balle est dans votre camp.