Université d'été du Parti socialiste français

La Rochelle, 23/08/2013

[Le texte prononcé fait foi]

Au nom de la Confédération européenne des syndicats, un très grand merci de m’avoir invitée à parler à l'université d'été du Parti socialiste.

J'aime présenter la Confédération européenne des syndicats comme le syndicat européen; la désignation de "syndicat européen" illustre immédiatement ce que nous sommes, ce que nous faisons, et pour qui et pourquoi nous le faisons.

La CES est la seule confédération reconnue dans l’Union européenne. Nous regroupons 86 confédérations nationales et 10 fédérations syndicales.

Notre force, la force de la CES c’est son unité, notre unité dans la diversité, et malgré notre diversité.

Car de la diversité : nous en avons. Les cultures syndicales, les histoires syndicales des pays nordiques, de l’Allemagne, de la France, du Royaume Uni, de l’Espagne, de l’Italie, de la Grèce, de la Pologne etc...sont extraordinairement différentes.

De la diversité dans les cultures syndicales, il y en a en France, je pense que vous ne l’ignorez pas plus que moi et elles sont aussi représentées dans la CES.

Notre force c’est de savoir garder notre unité en ayant bien clairement à l’esprit ce qui réunit les syndicats en Europe.

Ce qui nous réunit, c’est la défense des droits des travailleurs et du modèle social européen fait de relations sociales, de protection sociale et de services public.

Ce qui nous réunit, c’est la conviction que, potentiellement, l’Union européenne est source d’emploi. Dans un monde de plus en plus globalisé, l’emploi n’augmenterait pas si les frontières se refermaient.

Ce qui nous réunit, c’est la volonté d’utiliser toutes les plates-formes possibles pour nous opposer à l'idéologie néolibérale et influencer les décisions.

Le syndicat européen est fait de différentes cultures; aucune ne peut ignorer l'autre. Nous n'avançons qu'en respectant et en composant avec ces diversités.

Historiquement, la CES a toujours été favorable à l'Union européenne, mais pas à n'importe laquelle.

Oui, nous sommes pour une "autre Europe". Nous sommes pour l’Europe sociale : Qu’est-ce que ça veut dire ?

L’Europe sociale, c’est l’Europe qui ne se définit pas exclusivement comme un libre marché. Ce n’est pas l’Europe de David Cameron, ce n’est pas l’Europe de la Troïka. L’Europe sociale prend les mesures nécessaires pour que le libre marché ne se transforme pas en concurrence sociale vers le bas.

L’Europe sociale, c’est une Europe qui avance des projets législatifs, négociables par les partenaires sociaux.

L’Europe sociale, c’est une Europe qui considère que la protection sociale, le salaire minimum, le dialogue social, les négociations collectives et le droit social ne sont pas un obstacle économique ou un obstacle à la compétitivité; au contraire.

Nous avons eu le goût de cette Europe-là lorsque nous avons obtenu le droit à l’égalité dans le travail, particulièrement à l'égalité salariale entre les hommes et les femmes, lorsque nous avons obtenu des législations sur la santé et la sécurité, lorsque nous avons décroché une loi rendant obligatoire l’information et la consultation des travailleurs, lorsque se sont créés les comités d’entreprise européens, lorsqu'un chapitre sur l'emploi a été inclus dans les traités, lorsque nous avons négocié un cadre législatif pour le travail à temps partiel, pour les CDD et le congé parental.

Ça c’était avant que la vague néo-libérale thatchérienne n’influence directement l’air que nous respirons, et pénètre presque tous les pores de la société.

Ce petit goût d’Europe sociale, c’était avant que le capitalisme casino ne nous plonge dans une situation économique grave ; le secteur financier est en train de sortir intact de cette période, tandis qu’on fait porter aux travailleurs et aux gens ordinaires le poids le plus lourd de la crise.

La CES est pour la justice sociale. Faire porter aux gens les conséquences de la folie du secteur financier est injustifiable. C'est pourtant la solution proposée par la Troïka, et, derrière elle, par les chefs d'état et de gouvernement qui soutiennent son action.

Cette crise apparaît comme une bonne excuse pour renforcer le pouvoir de l’idéologie néo-libérale.

Mais aujourd’hui, notre priorité pour l’Europe sociale, c'est d'abord un plan de relance économique au niveau européen, seul moyen de relancer la croissance et un emploi de qualité.

Un tel plan est possible. Il exige une utilisation innovante des institutions existantes, il exige une solidarité économique bien comprise entre les pays européens. Pour cela, il faut une vision à long terme. Cette vision fait cruellement défaut.

Un tel plan ne peut fonctionner que si l’Europe sort de la vénération aveugle du 3% de déficit.

Oui, il faut redresser les finances publiques et faire baisser le niveau de la dette, mais le meilleur moyen de le faire, ce n’est pas de couper aveuglément dans les dépenses et dans les salaires, comme on l’a exigé des grecs ou des espagnols, des portugais, des irlandais etc..., le meilleur moyen c’est de relancer la croissance et de remonter la pente du déficit et de la dette sur un laps de temps beaucoup plus long.

En décembre 2012, on - c'est-à-dire les chefs d'état et de gouvernement - nous avait promis une feuille de route sur la dimension sociale de la zone Euro pour juin 2013. Nous attendions que les chefs d’état et de gouvernement tiennent en juin 2013 les promesses qu’ils nous avaient faites en décembre 2012.

Rien, rien, n’est sorti au mois de juin dernier d’un conseil paralysé, entre autre, mais pas uniquement, par les élections en Allemagne.

Le Conseil européen doit savoir que les mots ont un sens et que la crédibilité des politiques passe par la mise en œuvre des engagements pris.

Les chefs d’état et de gouvernement ont promis une feuille de route sur la dimension sociale de l’Union économique et monétaire. Ils doivent tenir parole. La CES sera toujours là pour le leur rappeler.

Nous sommes pour l’autre Europe; d’accord, mais comment y va-t-on à cette autre Europe ? Quelles forces peuvent nous y conduire ?

Sommes-nous aujourd’hui dans une Europe sans issue, une Europe intransformable de l’intérieur ?

Faut-il refuser l’Europe, d’abord dire non et se retirer de toute participation institutionnelle pour pouvoir construire cette autre Europe?

Non, bien sûr. D'ailleurs la CES a déjà pratiqué, sans succès, la politique de la chaise vide et le boycott institutionnel. Nous avons conquis la reconnaissance institutionnelle du syndicalisme européen; elle est inscrite dans les traités; c'est quelque chose que beaucoup d'autres entités régionales dans le monde nous envient.

Comme syndicat, nous sommes habitués à vivre dans des tensions : d’une part, le refus et l’opposition, d’une autre, la négociation pour trouver les meilleures solutions.

Le syndicalisme est par nature traversé par ces tensions.

Il faut trouver la juste mesure : à quel moment le refus ? A quel moment l’opposition ? Et jusqu’où ? A quel moment la négociation ? Et jusqu’où ?

Notre fonction, c’est de tenir le cap en répondant, au cas par cas, par l’opposition éventuellement suivie d'un dialogue et d'une négociation.

Le syndicat européen a dit « non » au pacte fiscal, nous disons « non » au Président Barroso et à son Ministre Olli Rehn qui font tout pour que l’Europe se résume à être une Europe néolibérale dans laquelle les citoyens se font la concurrence du moins exigeant social. Nous disons « Non » aux agissements de la troïka dans les pays sous-programme. Nous disons « Non » à ceux et celles qui pensent que le progrès social vient à l’encontre du succès économique et de la compétitivité.

Nous réclamons un nouveau programme social européen, nous réclamons une directive sur les restructurations, un programme sur la santé et la sécurité. Nous réclamons un protocole de progrès social. Nous réclamons une politique industrielle européenne. Nous réclamons la mise en place de la garantie jeunes, particulièrement dans les pays qui en ont le plus besoin. Cela nous est refusé au nom du libéralisme économique. Nous n'avons pas encore les majorités et alliances nécessaires pour changer cette désespérante absence de progrès social. Mais nous ne cesserons pas de dénoncer cet état de fait. Nous continuerons à dire que l'intégration européenne n'est tenable que si elle apporte un progrès social.

Mais la seule opposition à l’Union européenne est vouée à l’échec. La CES n'appelle pas à démanteler l’Union européenne parce qu’elle ne nous plaît pas. La CES n'appelle pas à détruire l’Euro et à reconstruire des frontières nationales. Ce serait jouer une carte perdante, une carte qui ne reflèterait en rien les valeurs que nous défendons.

La CES n’appelle pas à défaire l’Union européenne. Dans un monde globalisé, les travailleurs, les citoyens et les générations qui montent seraient définitivement perdants.

Nous disons « oui » à l’objectif qui reste celui de l’Union européenne : le progrès social et le plein emploi. N’oublions pas que cet objectif figure à l'article trois du traité actuel.

Dans moins d’un an auront lieu les élections au parlement européen. Ces élections sont importantes et mobilisent la CES; si nous voulons que resurgisse la capacité d’avoir une "autre Europe", nous devons avoir un parlement européen qui puisse porter nos orientations. En octobre prochain, la CES adoptera sa plate-forme pour ces élections. Vous en serez, bien entendu, informés et j'espère que vous y répondrez.

Pour arriver à cette autre Europe, la CES utilise et utilisera tous les moyens dont elle dispose: les manifestations, le lobby, les campagnes, les réseaux sociaux, la négociation, et aussi, bien entendu, les alliances et la coopération y compris avec les partis politiques qui partagent nos objectifs.

Ce n’est pas un hasard si je suis à La Rochelle, à l’université d’été du parti socialiste ; notre indépendance vis-à-vis des partis ne nous empêche pas de chercher des alliés, là où ils se trouvent. Je suis sûre que vous en faites partie.

Merci pour votre invitation et pour votre écoute.