Réponses mises à jour à la nouvelle consultation publique

Réponses mises à jour à la nouvelle consultation publique 
Adoptées lors de la réunion virtuelle du Comité exécutif des 8 et 9 décembre 2021

1. Comment le cadre peut-il être amélioré pour assurer des finances publiques soutenables dans tous les États membres et contribuer à l’élimination des déséquilibres macroéconomiques existants tout en évitant l’émergence de nouveaux déséquilibres ?

Il est aujourd’hui urgent d’aller au-delà du pacte budgétaire et de revisiter le pacte de stabilité et de croissance en adoptant une approche dépassant le PIB et basée sur la justice sociale, la solidarité, l’inclusivité et le progrès environnemental. Bien-être, marché du travail inclusif et qualité de l’emploi devraient s’inscrire au cœur d’une nouvelle gouvernance économique et sociale qui devrait également refléter les 4 canaux de bien-être proposés par l’OCDE : éducation, égalité de genre, soins de santé et protection sociale.

La CES estime qu’il est nécessaire de promouvoir un nouveau paradigme de développement durable basé sur un nouvel équilibre entre les questions budgétaires, macroéconomiques, sociales et environnementales. La clause dérogatoire générale devrait être maintenue jusqu’à ce qu’un cadre révisé de gouvernance économique soit mis en place. Entre-temps, et jusqu’à sa complète implémentation, la Commission devrait présenter des recommandations spécifiques par pays pour les périodes de transition durant lesquelles aucune procédure pour déficit excessif ne devrait être activée tout en laissant la possibilité de recourir à la clause de circonstance inhabituelle sur une base spécifique par pays.

Le retard d’investissement d’un État membre doit être lié à une capacité accrue de l’UE d’investir. A cet égard, l’instrument NextGenerationEU est le bienvenu. Il répond à d’importants besoins sociaux et d’investissements et renforce la pertinence de la facilité pour la reprise et la résilience pour le présent et l’avenir de l’UE. De plus, la soutenabilité des finances publiques devrait impliquer la suppression des surplus de la balance courante excessifs et prolongés qui se traduisent par d’importants soldes excédentaires dans les budgets des États qui devraient plutôt être investis au niveau européen.

En fin de compte, la soutenabilité des finances publiques devrait dépendre de la croissance. En outre, vu les effets destructeurs qu’ont entraîné les processus de correction des déséquilibres macroéconomiques en matière de croissance durable et de véritable convergence lors de la crise précédente, améliorer une gouvernance ayant pour but de gérer les déséquilibres macroéconomiques améliorerait également la soutenabilité des finances publiques. Cela est d’autant plus pertinent que la soutenabilité politique du projet d’intégration de l’UE dépend aussi de la convergence sociale et économique à la hausse promise parmi les États membres. Les procédures concernant les déséquilibres macroéconomiques (PDM) ont élargi la surveillance à des variables macroéconomiques au-delà du déficit et de la dette publics. Dans la mesure où éviter d’importants écarts de ces variables est important pour le bon fonctionnement d’une union monétaire, cet élargissement était un pas dans la bonne direction. Des améliorations peuvent toutefois être apportées dans la manière dont les déséquilibres sont surveillés et corrigés.

La correction des déséquilibres macroéconomiques, particulièrement s’agissant de la balance courante, devrait faire l’objet d’approches concertées et symétriques au sein de la zone euro. Jusqu’à présent, le contexte dans lequel les recommandations spécifiques par pays (CSR) sont émises, et justifiées, met l’accent sur une approche pays par pays. Une action coordonnée dans l’ensemble de la zone euro serait plus appropriée pour des déséquilibres tels que des salaires stagnants ne suivant pas l’augmentation de la productivité ou d’importants surplus ou déficits de la balance courante. Une telle action serait soutenue par une capacité budgétaire permanente de la zone euro permettant l’émission de dette commune européenne. Cependant, comme premier pas dans cette direction, il faudrait harmoniser les limites de la balance courante concernant tant les surplus que les déficits. Actuellement, les États membres sont autorisés à dégager des surplus de balance courante plus importants que les déficits exprimés en pourcentage de leur PIB. En outre, une pression insuffisante a été mise à travers les CSR sur les États membres présentant un surplus de balance courante pour les inciter à agir pour la rééquilibrer. Quoiqu’il soit exact que, au sein d’une union monétaire, les déficits de balance courante génèrent davantage de vulnérabilités, l’ajustement asymétrique/unilatéral de ces déficits courants sans rééquilibrage des surplus de balance courante par les États membres peut et a créé un biais déflationniste. Une solution acceptable serait d’exiger le dépôt d’une garantie dans un fonds européen d’investissement pour faire face aux déséquilibres.

Pour que les déséquilibres de balance courante restent soutenables, le taux de change effectif réel des États membres devrait augmenter annuellement en fonction de l’objectif d’inflation de la BCE plus le taux moyen de croissance de la productivité de l’État membre concerné. Pour le moment, c’est aux conseils nationaux de la productivité que revient le rôle d’orienter les politiques nationales dans cette direction, en général à travers des réformes structurelles visant à accroître la productivité. En raison des incertitudes quant à ce qui fonctionne pour atteindre une croissance de productivité plus élevée, les partenaires sociaux devraient également être explicitement impliqués dans le processus d’évolution des coûts salariaux unitaires nominaux et des taux de change effectifs réels selon la trajectoire définie plus haut. Ici aussi, et comme pour les politiques budgétaires, une coordination devrait non seulement être recherchée concernant les politiques nationales mais aussi les agrégats UE-zone euro.

Le tableau de bord des PDM contrôle plusieurs variables financières qui, comme l’analyse des moteurs de la crise de la zone euro le suggère, ont joué un rôle important dans la création de déséquilibres entre les membres de l’Union monétaire. Toutefois, les recommandations portant sur la correction de ces variables n’entrent pas dans le cadre des CSR mais dans celui du comité européen du risque systémique (CERS). Les deux processus ne sont PAS coordonnés. Il est probable que cela augmente le poids des CSR relatives aux moteurs des déséquilibres de la balance courante tels que l’évolution des coûts salariaux unitaires nominaux. Combinés à la manière non coordonnée/unilatérale de les traiter, ceux-ci pourraient avoir de graves conséquences déflationnistes dans la zone euro comme l’ont montré par le passé les politiques (unilatérales) internes de dévaluation corrigeant des déficits de balance courante mais entraînant des coûts économiques, et finalement sociaux, excessivement élevés. Le taux de change effectif réel qui est contrôlé dans le contexte des PDM ne devrait pas être celui relatif à quarante et un autres pays industriels mais plutôt être le taux intra-UE.

2. Comment le cadre peut-il garantir des politiques budgétaires responsables qui préservent la soutenabilité à long terme tout en permettant une stabilisation macroéconomique à court terme ?

Nous souhaiterions tout d’abord souligner que des politiques peu judicieuses au sein de l’UE, outre les effets déplorables qu’elles entraînent à court terme, ont un impact durable sur le développement économique et donc sur la soutenabilité de la dette. De nombreuses études montrent des effets multiplicateurs à long terme forts et persistants dans l’UE durant la crise financière et les crises qui ont suivi (2008-2011) et concluent qu’une stimulation précoce a été bénéfique, même à long terme, tandis que le passage à l’austérité a été malencontreux et a donc aggravé la crise.

Une comparaison entre la gestion de la crise économique aux États-Unis, qui ont lancé leur second programme d’assouplissement quantitatif en 2010, et l’UE est éclairante. Aux États-Unis, la Banque centrale est mandatée pour veiller aussi bien à la stabilité des prix et qu’à un taux d’emploi maximum. Elle a été capable de lancer un assouplissement quantitatif dès 2010, ce qui a permis une réduction moins abrupte du déficit et d’éviter une crise en double creux. Cela a également permis de stabiliser le rapport dette publique-PIB (alors qu’il augmentait dans l’UE) tout en permettant une diminution en pourcentage du PIB des paiements d’intérêts. Le total des heures de travail a commencé à augmenter aux États-Unis en 2010 pour atteindre son niveau d’avant crise en 2014 alors qu’une légère reprise du nombre d’heures de travail n’a eu lieu dans l’UE (et la zone euro) que tard en 2013 et n’est revenu au niveau d’avant la crise qu’en 2018. Enfin, les investissements publics dans l’UE ont été la première cible des réductions de dépenses entravant le futur développement économique beaucoup plus brutalement que dans d’autres économies. En comparant le taux moyen des investissements publics entre 2015 et 2019 avec la moyenne d’avant crise (2005-2009), 20 des 27 États membres ont vu leur taux diminuer (pour certains jusqu’à 50%) de sorte que la valeur du stock de capital public, caractérisé par des investissements publics négatifs nets, s’est détériorée entre 2013 et 2017 dans la zone euro. En d’autres mots, l’UE s’est attaquée à la crise de manière très orthodoxe en réduisant les dépenses au détriment de la croissance et en comptant fortement sur la demande extérieure au détriment de la demande intérieure agrégée, ce qui a aussi entraîné des divergences accrues dans les performances économiques des États membres. Autrement dit, les règles budgétaires mises en place, s’ajoutant au mandat limité de la BCE, n’étaient pas saines et ont ouvert la voie à un environnement politique défiant.

Nous comprenons dès lors le manque de conformité des États membres vis-à-vis des règles budgétaires qui auraient davantage encore entravé la croissance et la création d’emplois. Nous pouvons ainsi constater que, jusqu’à la pandémie de Covid-19, si les États membres de la zone euro avaient bénéficié d’un taux d’intérêt avantageux et d’un environnement propice à la croissance, ils auraient pu s’autoriser des déficits primaires tout en maintenant leurs rapports dette-PIB constants, ce qui auraient profité aux investissements publics et à l’emploi. Cela reflète un choix politique qui priorise la réduction du déficit et un mandat limité de la Banque centrale au détriment des questions économiques, sociales et écologiques, sans impact clair sur la soutenabilité de la dette.

La soutenabilité des finances publiques dépend tant des politiques budgétaires, qui sont sous le contrôle de gouvernements démocratiquement élus et des institutions européennes, que des taux d’intérêt sur la dette souveraine qui pourraient être indirectement gérés par la BCE en étendant son mandat pour assurer un emploi maximum et la rendre plus responsable vis-à-vis des institutions démocratiques. Gérer les deux séries de politiques, monétaire et budgétaire, dans un contexte dynamique et d’objectifs communs est la question en jeu ici.

3. Comment le cadre peut-il motiver les États membres à entreprendre les réformes et investissements importants nécessaires pour répondre au Green Deal et contribuer à faire face aux défis économiques, sociaux et environnementaux d’aujourd’hui et de demain tels que la double transition tout en se protégeant des risques liés à la soutenabilité de la dette ?

La CES plaide en faveur d’une nouvelle gouvernance économique et sociale visant le plein emploi, une convergence à la hausse des conditions de vie et de travail, des services publics de grande qualité et des taux élevés d’investissements publics. Les incitants en faveur des investissements publics et privés doivent soutenir les transitions verte et numérique en évaluant leur impact sur la création d’emplois de qualité et des salaires décents dans le cadre d’un processus de convergence à la hausse entre États membres. Grâce à la facilité pour la reprise et la résilience (FRR), les recommandations spécifiques par pays sont sensiblement plus importantes, ce qui rend aussi plus importante la démocratisation du processus du Semestre qui exige d’améliorer l’implication des parlements nationaux, du Parlement européen et des partenaires sociaux (voir également les réponses aux questions 9 et 11). La CES rejette les réformes structurelles qui mettent unilatéralement l’accent sur la compétitivité des coûts et une austérité aveugle.

Pour que la stratégie de reprise soit efficace, elle doit être associée à un nouveau cadre financier pluriannuel (CFP) ambitieux créant l’environnement adéquat pour la mise en place d’une capacité budgétaire paneuropéenne. Cette capacité devrait être permanente et, afin d’accroître la soutenabilité budgétaire, une augmentation des ressources propres de l’UE serait nécessaire comme le mentionne l’Accord Interinstitutionnel entre le Parlement européen, le Conseil de l’Union européenne et la Commission européenne sur la discipline budgétaire, la coopération en matière budgétaire et la bonne gestion financière, ainsi que sur de nouvelles ressources propres, comportant une feuille de route en vue de la mise en place de nouvelles ressources propres.

Comme il sera plus clairement précisé dans la réponse à la prochaine question, suffisamment d’éléments probants soutiennent l’hypothèse selon laquelle la gouvernance économique telle que conçue dans la version actuelle du pacte de stabilité et de croissance a un effet généralisé non intentionnel sur la limitation des investissements publics. Cela peut également s’appliquer au niveau des dépenses publiques et est particulièrement pertinent s’agissant des biens et services publics qui sont largement soutenus par les budgets nationaux indépendamment du fait que ces dépenses soient consenties par l’État lui-même ou par l’une ou l’autre sorte de partenariat avec le secteur privé. Compte tenu du fait que la part des dépenses de consommation finale de l’État est relativement élevée dans les pays de l’UE et porte principalement sur la rémunération des employés du secteur public, ce dernier est le premier visé par des réductions lorsqu’un État membre doit dégager un surplus. Cela est d’autant plus vrai si le processus d’ajustement budgétaire doit être activé durant un ralentissement de l’économie qui réduira plus que probablement les recettes fiscales. De plus, comme les services publics tels que les soins de santé, l’éducation, l’emploi ou d’autres services sociaux sont des services à très forte intensité de main-d’œuvre, une réduction des moyens implique une diminution rapide et conséquente de la qualité des services rendus.

Le meilleur moyen d’augmenter significativement les ressources propres de l’UE passe par une réforme de la fiscalité la rendant plus équitable pour les travailleurs et par une augmentation générale des recettes fiscales des États membres. Pour assurer davantage de justice fiscale et sociale, il est nécessaire de mettre en place une taxation accrue des émissions polluantes dans le respect de la justice sociale ainsi qu’un taux d’imposition des sociétés plus élevé et plus juste et d’adopter une position plus radicale dans la lutte contre l’évasion et la fraude fiscales.

Cela constituerait une bonne garantie pour perpétuer un instrument de dette commun européen et donc générer une capacité de financement adéquate de l’UE mise à la disposition de tous les États membres.

Ces financements devraient viser les secteurs stratégiques soutenant la résilience de l’économie de l’UE ainsi que les régions les plus affectées par la crise afin d’améliorer la cohésion territoriale et l’inclusion sociale, le dialogue social et la négociation collective. La stratégie de reprise doit rapidement canaliser les investissements vers les principaux domaines stratégiques qui peuvent renforcer une croissance durable et la création d’emplois de qualité en Europe en déployant tous les instruments financiers disponibles. Les priorités sont :

- Renforcer les investissements dans les secteurs stratégiques sur base de politiques industrielles et de services communs et en mettant l’accent sur les activités économiques environnementalement durables conformément aux dispositions du Green Deal et de la dimension de transition juste.
- Stimuler une reprise basée sur une plus forte demande intérieure réduisant les inégalités, assurant une répartition plus équitable entre profits et salaires par le biais de salaires décents et d’une convergence à la hausse, mettant fin à la sous-évaluation du travail et renforçant la négociation collective aux niveaux européen, national et sectoriel.
- Développer une approche structurelle de la transition juste pour rendre la société et l’économie plus vertes, plus circulaires et plus durables dans lesquelles le Green Deal joue un rôle de premier plan. Toutes les mesures destinées à relancer l’économie après la crise du Covid-19 doivent correspondre aux principaux objectifs et être compatibles avec l’accord de Paris et les ODD des Nations unies. La CES plaide en faveur d’une approche du développement centrée sur l’ODD 8 ayant pour objectif politique clé des emplois décents pour tous.
- Bâtir une Europe pleinement préparée pour l’ère numérique en accélérant la deuxième phase de la numérisation, en augmentant les financements publics évitant la fragmentation tout en assurant des conditions de concurrence équitables pour tous les acteurs économiques, en combattant les monopoles et l’exploitation indue du pouvoir de marché, en garantissant les droits du travail et des emplois décents pour les travailleurs de plateforme et en respectant pleinement le RGPD.
- Stimuler la recherche et l’innovation, le déploiement et la diffusion de technologies clés ancrés dans des cadres réglementaires de propriété intellectuelle bien équilibrés.
- Soutenir la création d’emplois de qualité ainsi que la reconversion et le perfectionnement professionnels des travailleurs. Cela devrait inclure la capacité statistique de rassembler des données sur les questions sociales et du marché du travail dans tous les États membres.

4. Comment peut-on simplifier le cadre européen et améliorer la transparence de sa mise en œuvre ?

L’évaluation de 2019 des règles budgétaires de l’UE par le comité budgétaire européen pointe à juste titre un des principaux problèmes, à savoir que le six-pack et les changements de législation ultérieurs n’ont pas réduit la procyclicité de la politique budgétaire ni empêché d’importantes réductions des investissements publics dans certains États membres au cours des dix dernières années. Elle a également identifié des sources multiples de complexité inutile qui demandent une simplification du cadre budgétaire européen existant. La CES soutient l’accord conclu entre employeurs, travailleurs et autres parties prenantes du CESE sur la gouvernance économique de l’UE. Le CESE fait justement remarquer que les réformes devraient mettre l’accent sur le renforcement des investissements publics, des trajectoires d’ajustement par pays et plus flexibles et davantage de marge contracyclique.

Une réforme des règles budgétaires européennes est non seulement nécessaire pour stabiliser l’économie à moyen terme mais elle est aussi vitale afin de financer la transformation socioécologique de notre économie garantissant le plein emploi, des emplois de haute qualité et des transitions justes. Ces réformes devraient accorder le même poids à une série d’objectifs clés de politique comme une croissance durable et inclusive, le plein emploi, un travail décent et des transitions justes, une répartition équitable des revenus et des richesses, la santé publique et la qualité de vie, la soutenabilité environnementale, la stabilité des marchés financiers, la stabilité des prix, des relations commerciales équilibrées, une économie sociale de marché compétitive et des finances publiques soutenables. Tout cela devrait être cohérent tant avec les objectifs définis dans l’article 3 du traité sur l’Union européenne et les objectifs actuels de développement durable des Nations unies.

Renforcer les investissements publics
Le cadre budgétaire européen doit être réformé de manière à mieux protéger les investissements publics. L’effet multiplicateur de ces investissements est particulièrement élevé et les réductions des investissements publics ont donc un impact particulièrement négatif sur la croissance économique et l’emploi. Les réductions des investissements publics, et plus généralement des dépenses de l’État, sont particulièrement néfastes en temps de ralentissement et de récession économiques. En outre, de nombreuses études identifient aussi les investissements publics comme étant un moteur de croissance à long terme. Une augmentation à long terme des investissements publics contribue également à garantir une base plus sûre pour la programmation d’investissements privés. Ces réalités justifient une approche qui traite préférentiellement les investissements publics pour ce qui concerne l’évaluation de la conformité des États membres aux règles budgétaires européennes. La CES continue de défendre une règle d’or applicable aux investissements publics afin de sauvegarder la productivité et la base sociale et écologique pour le bien-être des générations actuelles et futures. Cela signifie que les investissements publics nets tels que définis dans les comptes nationaux doivent être exclus du calcul des déficits nominaux. Si une règle de dépenses est mise en place comme demandé (voir ci-dessous), les investissements publics nets devraient aussi être exclus du plafonnement des dépenses publiques tandis que les coûts d’investissement seraient distribués sur l’entièreté de la durée de vie du service au lieu de la période de quatre années comme c’est actuellement le cas. Les générations futures hériteront du service de la dette publique mais reçoivent en échange un stock de capital public plus important. La CES suggère comme tout premier pas que la clause d’investissement du pacte de stabilité et de croissance soit plus largement interprétée. Jusqu’à présent, elle n’a que rarement été évoquée, tout d’abord en raison de ses critères d’éligibilité restrictifs. Ces critères devraient être élargis et les investissements publics devraient justifier un écart temporaire aux trajectoires d’ajustement indépendamment de la position de l’État membre dans le cycle économique et même si ces investissements génèrent un déficit supérieur à la valeur de référence de 3% du PIB. Actuellement, les écarts par rapport aux objectifs budgétaires à moyen terme (OMT), ou à la trajectoire pour y parvenir, ne sont tolérés que s’ils sont liés à des dépenses nationales pour des projets cofinancés par l’UE. Plus généralement toutefois, la CES suggère une définition plus large des investissements publics. Les conseils de la Commission européenne aux États membres dans le cadre de la facilité pour la reprise et la résilience et la définition des investissements qui y figure constituent un bon point de départ. Cela inclut non seulement les investissements en actifs corporels mais aussi les investissements dans les soins de santé, la protection sociale, l’éducation et la formation et les investissements liés à la transition verte et numérique. Il faudrait à tout le moins que les projets d’investissements financés par la FRR soient inclus dans cette liste.

Réformer les méthodes d’ajustement cycliques
La CES suggère de revoir la méthode de la Commission européenne relative à l’ajustement cyclique. La procédure actuelle manque de transparence et est source de procyclicité. La méthode de la Commission déterminant l’équilibre structurel s’est avérée problématique parce que le produit potentiel calculé est fortement influencé par la situation économique actuelle. La révision à la baisse du produit potentiel a de sérieuses conséquences tant pour le déficit structurel calculé et que sur les efforts de consolidation nécessaires. Rendre le calcul du produit potentiel moins sensible aux fluctuations cycliques peut générer une marge budgétaire pour des politiques économiques contracycliques dans les États membres. Deux propositions alternatives pourraient être envisagées. Une option serait d’utiliser les moyennes de croissance potentielle à moyen terme ou de ne revoir que les estimations de produit potentiel à moyen terme, par ex. tous les cinq ans. Une telle méthode de calcul, moins sensible aux fluctuations cycliques, aurait permis de suspendre l’ajustement potentiel à partir du printemps 2010 et ainsi ouvrir une marge de manœuvre considérable pour tous les États membres au titre du volet préventif du PSC. Une autre option serait de moyenner plusieurs estimations du produit potentiel ou d’intégrer des effets d’hystérèse.

Trajectoires d’ajustement de la dette flexibles et spécifiques par pays et règle de dépenses
La CES soutient la proposition du Comité budgétaire européen faite en 2020 d’introduire des éléments spécifiques par pays dans un cadre budgétaire simplifié tout en maintenant la soutenabilité de la dette en abandonnant les trajectoires rigides de réduction de la dette telles que prescrites dans le six-pack et en particulier la règle du 1/20. Une différentiation par pays des stratégies de réduction du rapport dette-PIB devrait être basée sur une analyse économique exhaustive tenant compte de facteurs tels que le niveau initial de la dette et sa composition, les différentiels entre taux d’intérêt et croissance pour la soutenabilité, les perspectives d’inflation, les coûts estimés nécessaires pour assurer un vieillissement dans la dignité et répondre aux défis environnementaux, les niveaux de chômage et de pauvreté, les déséquilibres intérieurs et extérieurs en veillant surtout à ce que l’ajustement budgétaire soit réaliste.

Il est essentiel de développer des plans spécifiques par pays permettant aux États membres de gérer efficacement leurs dépenses publiques et leurs investissements à long terme tout en gardant à l’esprit un large éventail de facteurs économiques, sociaux et environnementaux. La CES est critique par rapport aux objectifs de taux d’endettement et de déficit fixés dans le protocole sur la procédure pour déficit excessif annexé au traité qui pourraient cependant être modifiés par un vote unanime du Conseil sans procédure formelle de changement du traité. Etant donné qu’un tel processus pourrait s’avérer problématique, la CES suggère de déterminer des critères quantitatifs dans le droit dérivé tout en autorisant des révisions régulières et des objectifs spécifiques par pays de ratios de déficit et de dette (trajectoires d’ajustement), tenant compte du contexte macroéconomique actuel. La CES propose d’abandonner les concepts contestés de déficit/équilibre structurel et de plutôt définir une règle de dépenses publiques dans un cadre budgétaire révisé. Il est très largement admis qu’un changement de l’équilibre structurel est un indicateur qui pose problème pour l’orientation d’une politique budgétaire car il sous-estime fortement le degré de rigueur budgétaire durant une crise et surestime le succès de la consolidation durant une phase d’expansion. Contrairement au déficit cycliquement ajusté, les dépenses publiques peuvent être suivies en temps réel et sont directement contrôlées par le gouvernement. Les investissements publics devraient être favorisés en séparant budget courant et budget d’investissement et en n’imposant qu’au seul budget courant des limites en matière d’accroissement nominal des dépenses. De cette manière, l’approche de la règle d’or applicable aux investissements publics pourrait être combinée avec une règle de dépenses. Les dépenses publiques nominales seraient calculées nettes d’intérêts, hors dépenses de chômage et hors dépenses relatives aux systèmes de revenu minimum et sans tenir compte de l’impact estimé de toute nouvelle mesure discrétionnaire en matière de revenu, surtout parce que des mesures urgentes sont particulièrement nécessaires pour pallier les importantes pénuries de personnel de santé et d’aide sociale et du problème associé des bas salaires dans ces secteurs. Les limites pourraient être déterminées par le taux de croissance à moyen terme du produit potentiel réel plus l’objectif de taux d’inflation de 2% de la BCE. Des augmentations de croissance nominale permanente des dépenses allant au-delà de ces limites seraient permises si les revenus augmentent proportionnellement. Une telle règle stabiliserait la croissance des dépenses sur tout le cycle et permettrait la pleine mise en œuvre des stabilisateurs automatiques. Enfin, dans ce contexte, il est utile d’ajouter que s’en remettre uniquement aux stabilisateurs automatiques nationaux durant les périodes de récession ne correspond pas tout à fait à l’idée d’une politique contracyclique. En revanche, les instruments européens ayant pour but de partager certains risques sociaux en lien avec le chômage ou des mesures d’activation en matière d’emploi ou de prévention de la pauvreté peuvent accroître l’impact des stabilisateurs automatiques tout en stabilisant le marché intérieur et la zone euro.

De plus, les déficits budgétaires causés par un produit et un taux d’emploi réduits ne compensent pas complètement les pertes cycliques et ne suffisent pas à pleinement contrer un retournement de cycle. Ce ne sont que des réponses contracycliques passives et partielles qui doivent s’accompagner de réponses temporaires actives et discrétionnaires aux retournements de cycle qui seront suspendues durant les phases ascendantes. Par le passé, les États membres ont décidé de continuer à diminuer les rapports dette-PIB, ce qui a eu des conséquences économiques négatives alors que des stimulants budgétaires auraient été bien plus appropriés. Dans un prochain cadre budgétaire, et pour autant qu’un environnement favorable en matière de taux d’intérêt continue de prévaloir, des déficits primaires plus importants devraient être autorisés tout en maintenant les rapports dette-PIB constants et en assurant la soutenabilité de la dette. C’est la raison pour laquelle des clauses exceptionnelles doivent rester une pierre angulaire de tout cadre budgétaire futur de l’UE et être adaptées en conséquence.

5. Comment la surveillance peut-elle mettre l’accent sur les États membres confrontés à des défis politiques plus urgents et assurer un dialogue et un engagement de qualité ?

Les cycles de surveillance multilatérale devraient être liés aux 4 dimensions du développement : sociale, environnementale, économique et budgétaire. Celles-ci doivent être intégrées et reflétées dans la manière dont le Semestre et les plans nationaux sont conçus. La PDM doit être complétée par une procédure pour déséquilibres sociaux basée sur un tableau de bord amélioré (cf. la proposition de la Belgique et de l’Espagne actuellement discutée au Conseil européen). Des finances publiques soutenables doivent être associées à des objectifs spécifiques par pays dont la définition englobe des objectifs de dépenses publiques favorables à la croissance, y compris une règle d’or pour les investissements et le remplacement du rapport au coût budgétaire du vieillissement par un rapport qui soutient des dépenses adéquates pour garantir la dignité de tous tout au long de la vie.

La CES estime qu’une consolidation des plans nationaux simplifiés est nécessaire et que des domaines d’action différents devraient être envisagés pour une meilleure intégration des objectifs budgétaires, sociaux, environnementaux et économiques de la gouvernance économique.

Aujourd’hui, dans le cadre du Semestre européen notamment, les États membres compilent un grand nombre de plans nationaux et effectuent donc un nombre important de micro-tâches : programmes nationaux de réforme, programmes de stabilité et de convergence, projets de plans budgétaires, programmes de partenariats économiques, plans d’actions correctives, plans pour une transition juste, etc. Ce nombre augmente encore du fait de la FRR et des plans nationaux de reprise et de résilience.

Il est extrêmement difficile pour les partenaires sociaux de s’engager pleinement, en temps opportun et selon une norme de qualité minimum, dans un véritable processus de consultation. Une simplification du mécanisme de rapport devrait être étudiée. Une refonte de la phase d’information au niveau national qui donne lieu à un rapport unique englobant les ODD, le socle européen des droits sociaux (SEDS), les déséquilibres macroéconomiques et sociaux, les conséquences environnementales et climatiques et l’égalité entre hommes et femmes créerait des synergies particulièrement durant les phases de collecte des données et les interactions avec les gouvernements nationaux et/ou les équipes de la Commission.

S’agissant de plusieurs sections du six-pack et du two-pack (en commençant par la section 2 du règlement 1466/97), la CES propose de revitaliser le rôle des plans nationaux et d’y inclure les priorités d’action dans un document unique pour établir une cohérence entre les dimensions économiques, sociales et environnementales du développement au sein de la gouvernance économique. Cela assurera également une meilleure intégration de la programmation budgétaire avec la planification des politiques, une meilleure coordination et des priorités d’action avec l’affectation de ressources à court et moyen terme (3 ans).

Comme la qualité de l’engagement varie énormément d’un État membre à l’autre, il serait souhaitable que le droit européen règlementant le Semestre rende obligatoire la consultation des partenaires sociaux lors de la rédaction et de la mise en œuvre des plans nationaux. Jusqu’à présent, l’implication des partenaires sociaux a exclusivement dépendu de la bonne volonté des gouvernements.

6. A quels égards la conception, la gouvernance et le fonctionnement de la FRR ouvrent-ils des perspectives utiles en matière de gouvernance économique à travers une meilleure appropriation, une confiance mutuelle et l’application et l’interaction entre les dimensions économiques, de l’emploi et budgétaires ?

Durant la crise, les politiques monétaire et budgétaire se sont mutuellement renforcées. Les faibles taux d’intérêt ont créé un espace budgétaire et l’utilisation de cet espace rend la politique budgétaire plus efficace. De plus, tant le FMI que la Commission européenne ont déclaré que les rapports dette-PIB devraient se stabiliser dans le court et moyen terme grâce aux faibles taux d’intérêt et à des taux de croissance accrus. Associé à la FRR, un tel environnement est propice à une impulsion budgétaire et à la soutenabilité budgétaire.

Cependant, bien qu’une clause de sauvegarde de l’autonomie des partenaires sociaux et de la négociation collective soit mentionnée dans les attendus, et en dépit des demandes des syndicats, les institutions européennes n’ont pas inclus une règle contraignante pour la consultation des partenaires sociaux à propos des PNNR. Néanmoins, intégrée dans les recommandations de la stratégie annuelle pour une croissance durable (SACD) de 2021, l’inclusion d’une telle obligation représenterait une avancée. En effet, cette règle se fonde sur la coopération actuelle entre la Commission, le Conseil et les partenaires sociaux dans le cadre du Semestre européen et la renforce. La CES continuera à plaider en faveur d’une règle contraignante pour des consultations plus structurées – basée sur les critères de qualité de l’indice de participation des syndicats de l’ETUC – dans la perspective de la réforme tant attendue de la gouvernance économique. Effectivement, la CES est fermement opposée aux conditionnalités macroéconomiques car elles pourraient servir à mettre la pression sur les États membres en exigeant d’eux qu’ils implémentent des mesures d’austérité liées à l’usage des fonds de la FRR.

La CES se réjouit de l’inclusion du principe d’additionnalité (article 5 p. 15) selon lequel les ressources de la FRR ne devraient pas remplacer des dépenses nationales courantes. Cela permettrait une augmentation des investissements publics nets. Selon la réglementation, les ressources de la FRR peuvent également être affectées à des mécanismes incitatifs pour les investissements privés, ce qui détournerait une partie du financement d’investissements publics bien nécessaires, réduirait la transparence et le contrôle public des ressources mobilisées à travers la FRR et créerait un chevauchement avec les objectifs d’autres fonds européens tels que le fonds InvestEU. Si de tels mécanismes sont mis en place, la CES et ses organisations membres veilleront à ce qu’ils n’entraînent pas une privatisation de services publics mais qu’ils soient effectivement propices et conditionnés aux objectifs de la FRR, y compris pour accompagner les transitions vertes et numérique ainsi que la création d’emplois de qualité.

Enfin, les objectifs de stabilisation dominent actuellement le débat concernant les risques persistants sur la soutenabilité. La flexibilité prévue par la clause sur les graves récessions économiques est soumise à une condition générale : les États membres peuvent être autorisés à dévier temporairement de la trajectoire d’ajustement à leur objectif budgétaire à moyen terme pour autant que cela ne mette pas la soutenabilité budgétaire à moyen terme en danger (article 5(1) du règlement (CE) 1466/97 sur le renforcement de la surveillance des positions budgétaires et la surveillance et la coordination des politiques économiques). Nous pensons à cet égard qu’il y a matière à renforcer les cadres budgétaires nationaux et améliorer l’interaction avec le cadre budgétaire de l’UE (voir également la question 7 ci-après). Compte tenu de la série de réformes suggérées plus haut (règle d’or pour les investissements publics nets, règle de dépenses pour le budget courant et trajectoire d’ajustement spécifique par pays), et puisque des critères numériques uniformes ne conviennent pas parce que la soutenabilité dépend fondamentalement du différentiel entre taux d’intérêt et taux de croissance, les facteurs déterminants de la soutenabilité de la dette sont tous très spécifiques par pays. Les États membres pourraient dès lors préparer leurs plans budgétaires en fonction de leurs besoins économiques, sociaux et environnementaux et indiquer leurs prévisions de taux de croissance durable pour fixer les objectifs à moyen terme des rapports de dette à réaliser. Si elles sont approuvées, ces trajectoires d’ajustement répondraient aux défis d’investissements et sociaux qui nous attendent tout en assurant la soutenabilité de la dette puisque les États membres doivent, comme mentionné dans les orientations à l’intention des États membres, fournir une évaluation de la « soutenabilité des changements en matière sociale, budgétaire et financière ». Le fonctionnement de la FRR prévoit également un processus utile pour définir les investissements publics soutenables. Si une règle d’or pour les investissements publics nets est introduite dans le futur cadre budgétaire de l’UE, il serait possible de s’appuyer sur les processus créés dans le contexte de la facilité pour la reprise et la résilience. Les États membres sont maintenant habitués à évaluer la soutenabilité des investissements publics. De plus, la taxonomie de l’UE pour les activités durables pourrait jouer un rôle important dans la mise en œuvre de la règle d’or pour les investissements publics.

7. Existe-t-il une opportunité de renforcer les cadres budgétaires nationaux et d’améliorer leur interaction avec le cadre budgétaire de l’UE ?

Puisque le Semestre contrôlera la stabilité à court terme des finances publiques, il doit être conçu de telle manière à garantir la transparence, la responsabilisation et l’efficacité des décisions gouvernementales. Les politiques budgétaires doivent mieux interagir avec les politiques sociales et économiques. Cela implique que le processus actuel de surveillance multilatérale, basé sur le Semestre européen, poursuivra ses objectifs de préservation de la stabilité à court terme des budgets nationaux et continuera à veiller au développement social et économique durable de l’UE. Nous devons malgré tout toujours garder à l’esprit que le CFP européen et l’instrument NextGenerationEU, quelle qu’en soit l’augmentation, représenteront environ 2% du revenu national brut (RNB) et que donc les gouvernements nationaux sont de loin les plus responsables des dépenses garantissant la cohésion sociale et le bien-être des personnes. Afin d’éviter les désordres budgétaires du passé, les volets préventif et correctif actuels doivent être réformés.

  • Les valeurs de référence antérieures concernant les rapports dette-PIB et déficit-PIB n’étaient pas raisonnables et ne reflétaient pas la réalité. Elles doivent donc être abandonnées ou, s’agissant de l’objectif dette-PIB, être considérées comme des objectifs à très long terme qui pourraient opportunément être remplacés au profit d’objectifs par pays plus réalistes et spécifiques ainsi que par des objectifs budgétaires à moyen terme (OMT) ;
  • Les objectifs spécifiques par pays et les OMT doivent être définis de façon à ajuster les dépenses nécessaires pour garantir à tous un niveau de vie décent tout au long de l’existence. La CES considère qu'il est urgent de se débarrasser de la formule du coût du vieillissement, dans le cadre du PSC, qui, ces dernières années, a imposé aux gouvernements de réduire de manière drastique les dépenses de soins de santé et de retraite;
  • Les objectifs spécifiques par pays et les OMT devraient permettre que les investissements publics soient financés par la dette (les investissements publics nets étant exclus des calculs du déficit) pour assurer les niveaux requis d’investissements publics correspondant à la somme des investissements garantis par l’UE et de ceux relevant des budgets nationaux ;
  • Fusionner le cycle budgétaire avec les cycles sociaux et macroéconomiques afin d’augmenter la cohérence des politiques poursuivies à court et à moyen terme implique de garantir la cohérence avec le projet de droit budgétaire, les programmes de stabilité et de convergence et les programmes nationaux de réforme ;
  • Le tableau de bord macroéconomique et le tableau de bord social doivent être mis en corrélation et les interactions entre déséquilibres macroéconomiques et déséquilibres sociaux doivent être rapportés une fois par an, spécifiquement, par les pays présentant des déséquilibres pertinents résultant d’un examen approfondi impliquant plus étroitement les partenaires sociaux. La proposition de procédure pour déséquilibres sociaux présentée par l’EPSCO en octobre 2021 va dans ce sens ;
  • Le tableau de bord social a été amélioré et associé à la mise en œuvre des ODD en exploitant particulièrement le potentiel de l’ODD 8. Il inclura donc un indicateur composite de bien-être (au-delà du PIB), un indice d’efficience du marché du travail, un indice de vulnérabilité du travail et un indice de respect des droits syndicaux ;
  • Le tableau de bord social et le tableau de bord macroéconomique devraient tenir compte des objectifs environnementaux afin d’identifier les options d’action reposant sur des corrélations et des synergies positives mettant l’accent sur des actions qui changent la donne lorsque des éléments probants montrent que les politiques économiques et sociales entrent en conflit avec des objectifs environnementaux.
  1. Comment le cadre peut-il garantir une application effective ? Quel serait le rôle de sanctions financières, d’atteintes à la réputation et d’incitants positifs ?

Outre ce qui mentionné plus haut sur la nécessité d’introduire des corrections et des sanctions symétriques, la CES souhaite insister sur le fait qu’une nouvelle gouvernance économique, sociale et environnementale aura un potentiel d’exécution plus efficace des décisions coordonnées au niveau européen.

La CES pense que renforcer la dimension sociale de la gouvernance augmentera de manière exponentielle le niveau d’exécution des politiques coordonnées au niveau européen. Des incitants proviendront de la possibilité d’élargir le consensus et de maintenir la stabilité à tous les niveaux politiques et administratifs. La CES plaide pour une interaction plus forte et plus structurée entre le contrôle et la correction des déséquilibres dans les domaines budgétaire, économique, social et environnemental. Une implication plus structurée des partenaires sociaux au niveau européen et national améliorera également l’appropriation et contribuera à la réelle mise en œuvre des politiques au niveau national. Enfin, la CES a souvent dénoncé le fait que la dimension sociale est insuffisamment développée.

Trois ans après l’adoption du tableau de bord social du socle européen des droits sociaux, et plus encore avec les conséquences de la pandémie de Covid-19, il semble évident qu’il existe un biais non désiré dans l’architecture de la gouvernance économique qui mène à une détérioration sociale particulièrement nuisible lorsqu’il s’agit de rééquilibrer les performances sociales de services, tels que les services publics de l’emploi, ou d’investissements en capital humain dans le système éducatif. Cela peut même être dramatique au vu de la dégradation des systèmes publics de soins de santé dans certains pays qui ont dû faire face à un processus d’assainissement budgétaire plus sévère au cours de la dernière décennie.

Une procédure pour déséquilibres sociaux excessifs devrait être mise en place pour rééquilibrer la dimension économique et sociale de la gouvernance économique. La CES soutient l’initiative relative à une procédure pour déséquilibres sociaux proposée durant la réunion de l’EPSCO d’octobre 2021 eu égard à la nécessité d’améliorer une telle proposition en clarifiant que : i) le cycle devra avoir pour but d’éliminer les déséquilibres sociaux dans une logique de convergence à la hausse des conditions de vie et de travail, ii) ce cycle ne devra pas être subordonné au cycle budgétaire et macroéconomique et iii) les partenaires sociaux se verront confier un rôle leur permettant vraiment de participer et d’influencer le processus.

L’identification de déséquilibres sociaux devrait automatiquement donner lieu à des recommandations spécifiques par pays. Cela peut se faire en définissant dans les plans nationaux des valeurs de référence sociales à moyen terme fixées au niveau européen en accord avec les partenaires sociaux (voir plus haut la question sur la réduction du nombre de plans nationaux).

Les recommandations budgétaires et macroéconomiques ne devraient pas faire obstacle à la correction des déséquilibres sociaux identifiés. Au contraire, elles devraient être soutenues par des investissements adéquats et des ressources financières appropriées pour y répondre.

A cet égard, il conviendrait de spécifier que la valeur de référence relative à la situation sociale d’un pays ne peut être uniquement basée sur la moyenne de l’ensemble des pays. La définition d’une série de seuils ou de niveaux minimaux motiverait leur alignement à travers des itérations de surveillance successives comme cela se fait pour les niveaux de ratios de déficit et de dette. Les grands objectifs adoptés à Porto lors du sommet social et une partie du plan d’action de mise en œuvre du SEDS constituent une bonne orientation. Ces d’objectifs doivent lier l’architecture de la future gouvernance économique au progrès social.

Un modèle de développement plus complet fait référence à l’Agenda 2030 des Nations unies. Le modèle axé sur l’ODD 8 proposé par la CES fournirait un cadre dans lequel le contrôle des performances sociales pourrait aussi être actualisé en recourant à une définition plus large du bien-être, de l’efficacité du marché du travail, de la vulnérabilité des travailleurs et du respect des droits fondamentaux des syndicats.

9. A la lumière de l’impact massif de la crise du Covid-19 et des nouveaux moyens d’action temporaires mis en place pour y répondre, comment le cadre – en ce compris le pacte de stabilité et de croissance, la procédure pour déséquilibres macroéconomiques et, plus largement, le Semestre européen – peut-il assurer une réponse politique adéquate et coordonnée au niveau européen et national ?

Nous devons aller au-delà du PIB. La nouvelle réalité exige des institutions européennes plus fortes liées par un nouveau contrat social adoptant le développement durable comme objectif politique final.

Renforcer la dimension sociale et environnementale de la gouvernance est crucial et, pour y parvenir, un changement substantiel des règles fondamentales de gouvernance économique est nécessaire. L’article 148 du TFUE n’est qu’un faible contrepoids à la force que le traité accorde aux composantes budgétaires, du marché et macroéconomiques. Pour y remédier et avoir un impact accru, le SEDS, son nouveau tableau de bord et son plan d’action, approuvés le 7 mai à Porto, devraient jouer un rôle plus important et être mieux intégrés dans l’architecture de la gouvernance économique de l’UE. La résolution de la CES sur sa contribution à un plan d'action pour la mise en œuvre du SEDS propose des mesures concrètes pour renforcer les normes minimales pour tous les travailleurs européens et promouvoir une convergence à la hausse, en particulier à travers le Semestre européen. La proposition de la CES est d’établir un cadre qui, par le biais du Semestre et des procédures pour déséquilibres sociaux, génère des CSR qui répondent aux lacunes dévoilées par le tableau de bord social ainsi qu’une analyse par pays. Cela favoriserait activement la mise en œuvre du SEDS et serait cohérent par rapport aux modalités de la FRR ainsi que des règlements des fonds structurels s’appliquant à cette mise en œuvre. Le Semestre sera confirmé en tant que partie de la gouvernance économique contribuant à l’exécution du SEDS au niveau européen et national de façon à procurer des bénéfices tangibles aux travailleurs et aux citoyens européens.

La CES propose de renforcer le rôle du dialogue social au niveau européen et national et d’amender également le règlement 1466/97 (similaire au règlement 1175/2011). Le dialogue social est un outil irremplaçable de gestion de crise équilibrée et d’accélération de la reprise ainsi qu’un instrument de gouvernance essentiel en matière de changement.

L’attendu 4 du règlement 1175/2011 pose que les partenaires sociaux sont associés dans le cadre du Semestre européen, sur les principales questions politiques, le cas échéant, conformément aux dispositions du TFUE et aux systèmes juridiques et politiques nationaux. Il ne stipule toutefois pas une obligation claire pour les États membres qui d’ailleurs ne respectent pas cette disposition. L’Indice de participation des syndicats de la CES a évalué pendant 5 ans la qualité de l’implication syndicale dans le Semestre européen au niveau national. Il en ressort que le niveau d’implication est insatisfaisant et dépend par trop de la bonne volonté des gouvernements nationaux. Un léger amendement du règlement 1175/2011 (ayant pour conséquence des changements dans le règlement 1466/97) pourrait introduire une obligation pour les gouvernements de consulter les partenaires sociaux aux échéances nationales clés du Semestre (points c et d de l’article 2-a.2) en introduisant des critères tels que dates de convocation adéquates, pertinence et opportunité de la consultation.

Un principe général de partenariat devrait définir les règles relatives à l’implication des partenaires sociaux au niveau européen et national dans tous les processus relevant de la gouvernance économique de l’UE. An niveau national, le dialogue social devrait être encouragé pour assurer de nouveaux cadres de politique sociale et une plus grande cohérence entre plans nationaux (programmes nationaux de réforme, plans nationaux de reprise et de résilience, plans de transition juste, plans nationaux pour l’énergie et le climat, programmes de fonctionnements des fonds structurels, etc.).

Nous constatons que dans plusieurs questions de cette consultation, et même dans le propre document de la Commission, le système de gouvernance actuel impose des biais non désirés mais généralisés.

Le Semestre ne peut se limiter à un approfondissement de l’analyse mais devrait contribuer à la mise en œuvre d’un nouveau modèle de développement. Un contrôle et des modèles de politiques efficaces sont essentiels pour les décisionnaires.

Le développement durable doit jouer un rôle fondamental dans la gouvernance de l’UE en incluant une connexion étroite avec le Green Deal européen. L’objectif de la politique en matière de croissance verte durable devrait s’inscrire dans une perspective générale ; une transition juste et équitable permettrait de combiner la protection de l’environnement et de la santé et la justice sociale et l’emploi de qualité.

Lors de l’introduction des ODD dans le Semestre européen, nous avions l’ambition de soutenir une vision à long terme pour repenser notre modèle économique et social en faveur d’un modèle basé sur la neutralité climatique et d’autres critères écologiques forts renforçant la biodiversité, l’inclusivité et les emplois de qualité. La CES estime que l’objectif 8 joue un rôle pivot dans l’agenda 2030 des Nations unies. Le Semestre devrait être un processus de convergence visant les meilleurs performeurs de cet objectif. En Europe, cela veut principalement dire mettre en œuvre le SEDS.

10. Comment le cadre devrait-il tenir compte de la dimension de la zone euro et de l’agenda pour l’approfondissement de l’Union économique et monétaire ?

L’UE et les États membres doivent coopérer avec les partenaires sociaux pour élaborer des solutions européennes qui rendent le processus d’intégration irréversible et réconcilient les citoyens avec le projet d’intégration de l’UE. Un grand nombre d’innovations et de facilités introduites dans l’urgence de la crise provoquée par la pandémie vont dans cette direction et un grand nombre de ces solutions temporaires d’urgence (telles que la FRR et SURE financées à travers l’émission d’euro-obligations) peuvent être revues pour les rendre permanentes et donc approfondir le processus d’intégration et l’unité de l’UE.

S’agissant de la révision du pacte de stabilité et de croissance et de l’architecture de l’UEM, il convient de tenir compte du fait que la crise actuelle soulève d’importantes questions sur la capacité des États membres d’absorber un niveau de dette accru dans un contexte de faible croissance. Comme indiqué dans de précédentes réponses, la question qui est en jeu porte sur la différence entre les taux d’intérêt payés sur la dette et le taux de croissance attendu. Le taux d’intérêt dépend fortement du rôle que la Banque centrale européenne peut jouer. La BCE a lancé son programme bienvenu d'achats d'urgence face à la pandémie (PEPP) mais la CES a demandé à ce qu’il soit prolongé pour une durée indéterminée sans en limiter le montant. De plus, et bien que le résultat de la révision par la BCE de sa politique monétaire soit décevante à cet égard puisqu’aucune mention n’est faite à propos de l’avenir de ses politiques non conventionnelles ou de l’élargissement de son mandat, on ne peut ignorer le fait que les mesures monétaires mises en place par la BCE en 2021 ont de facto confirmé son engagement de bloquer tout retour d’une crise de la dette souveraine, accordant ainsi des marges de manœuvre budgétaires aux États membres. La capacité européenne d’endettement mise en place devrait être rendue permanente, commeun Trésor à moyen et à long terme, pour la zone euro mais ouvert à tous les États membres, pour financer les investissements publics pour la nécessaire transformation socioécologique de nos économies à travers un instrument de la dette commun. Les obligations émises pourraient, si nécessaire, être achetées par la BCE sur les marchés secondaires et représenteraient la solidarité réputationnelle sans impliquer de réels transferts mais seulement des transferts implicites entre États membres.

De tels instruments pourraient être financés si des impôts pouvaient être levés au niveau européen et consacrés à l’augmentation des ressources propres du CFP afin de soutenir les émissions de dettes communes par un Trésor couvrant la zone euro mais ouvert à tous les États membres.

Afin d’assurer des conditions de concurrence équitables et de renforcer la lutte contre l’évasion fiscale, tout en accueillant favorablement les premiers jalons du rapport pays par pays ainsi que l’accord à venir sur le cadre OCDE/inclusif relatif à l’évasion fiscale, la CES exhorte la Commission à présenter dès que possible une proposition pour la mise en place rapide d’un taux minimum d’imposition des sociétés pour les entreprises multinationales (EMN) et un plan ambitieux pour une assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés s’accompagnant d’une formule adéquate de répartition des bénéfices. En outre, la CES rappelle qu’elle défend un taux d’imposition minimum des sociétés de 25% qui est requis d’urgence. Par ailleurs, au vu de l’envolée des bénéfices dans certains secteurs et la tendance à la baisse générale de l’imposition des sociétés, les taux d’imposition des sociétés peuvent être immédiatement augmentés, soit temporairement soit en permanence, car cela n’affectera que les entreprises profitables. En effet, selon des études récentes, les EMN ont augmenté leurs marges de plus de 60% au cours des 40 dernières années. Les entreprises qui ne génèrent pas de bénéfices excessifs ne paieraient rien de plus. A cet égard, la fiche d’information de la Commission européenne publiée en mai 2020 mentionne une proposition d’impôt sur les « opérations des entreprises qui dégagent d’énormes bénéfices du marché unique européen » qui pourrait être considéré comme une option assez intéressante pour autant que l’on définisse exactement ce que « profiter du marché unique européen veut dire ».

La CES exige l’adoption d’une taxe sur les transactions financières sur la base la plus large possible et considère positivement la mise en place, au niveau européen, d’un impôt progressif sur le patrimoine net qui ne soit pas préjudiciable aux structures d’imposition nationales. Sinon, un prélèvement d’une partie des très grands patrimoines pourrait être envisagé moyennant des paiements échelonnés sur une plus longue période de sorte à être plus efficace.

La révision de la directive sur la taxation de l'énergie pourrait être utilisée pour instaurer une taxe carbone dans l’ensemble de l’UE pour encourager des comportements plus durables. Comme la taxe carbone affecte davantage les ménages à bas et moyens revenus, il faut s’assurer que les effets distributifs régressifs soient compensés par des mécanismes appropriés de recyclage des impôts au niveau des États membres tels que des transferts forfaitaires directs.

Enfin, un cadre d’action solide de progrès social, tel le SEDS et son plan d’action, des objectifs clairs visant à améliorer les conditions de travail de tous les Européens et une plus grande implication des partenaires sociaux pourraient constituer un solide contrepoids dans un marché unique approfondi.

11. Considérant la manière dont la crise du Covid-19 a refaçonné nos économies, y a-t-il d’autres défis que le cadre de la gouvernance économique devrait intégrer au-delà de ceux qui ont été identifiés jusqu’à présent ?

Le cadre de gouvernance budgétaire doit être démocratisé. La politique budgétaire est le domaine classique des politiques parlementaires dont les décisions affectent l’entière structure de dépenses et de recettes de l’État. Dès lors, les parlements nationaux, le Parlement européen et les partenaires sociaux doivent se voir confier un rôle bien plus important dans le cadre de la future gouvernance économique de l’UE. Les parlements nationaux et les partenaires sociaux nationaux devraient avoir leur mot à dire dans la détermination des priorités, des objectifs des politiques et du contrôle de la mise en œuvre des programmes nationaux de réforme et des plans nationaux de reprise et de résilience. Dans le même ordre d’idée, il est nécessaire d’impliquer davantage les syndicats et la société civile dans le Semestre européen, tant au niveau national qu’européen. De cette manière, il est possible de définir une politique économique équilibrée dans laquelle tous les intérêts sont satisfaits. Cela est particulièrement le cas pour la gouvernance de la facilité pour la reprise et la résilience dans laquelle l’implication des partenaires sociaux n’a pas été satisfaisante. Le principe de partenariat qui a longtemps été une tradition dans la gouvernance des fonds structurels et d’investissements européens devrait servir de modèle pour un mécanisme efficace d’implication des partenaires sociaux.

Dans le cas d’écarts importants par rapport aux indicateurs représentant les objectifs de politique économique, il faudrait ouvrir des négociations entre les institutions de l’UE et les États membres concernés. Les deux parties devraient développer des solutions, ensemble et sur un pied d’égalité. Au lieu de menacer les États membres de sanctions financières, l’introduction d’incitants positifs pourrait atténuer le problème. La promotion d’une croissance inclusive et soutenable doit être le critère clé des recommandations.