Bruxelles, 01-02/06/2010
Introduction
1) Le 24 mars 2010, la Commission a adopté une communication concernant la révision de la directive sur le temps de travail, qui constitue la première phase de la consultation des partenaires sociaux au niveau de l’Union européenne quant à « l’orientation d’une action de l’UE concernant la directive sur le temps de travail ». La Commission propose un réexamen en profondeur de la directive et invite les partenaires sociaux à réfléchir d’une manière générale sur « le type de règlement concernant le temps de travail qui permettrait à l’Union de relever les enjeux du 21e siècle ».
2) La directive 2003/88/CE (révisant la directive originale de 1993) est un élément clé de l’acquis communautaire en matière de politique sociale ; elle repose non seulement sur les bases légales en matière de santé et de sécurité posées par le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) mais également sur les conventions de l’OIT et sur une série de normes internationales. Dans sa communication, la Commission ne mentionne ni ce cadre légal, ni les implications de la Charte des droits fondamentaux (CDF), laquelle est maintenant légalement contraignante, sur l’actuel processus de révision.
3) L’UE et ses États membres ont une double obligation légale : ils doivent faire en sorte que « tout travailleur ait droit à une limitation de la durée maximale du travail » et à des conditions de travail qui respectent sa santé, sa sécurité et sa dignité (article 31 de la CDF), et réduire progressivement la durée du travail (lorsque celle-ci est trop longue) tout en améliorant les conditions de vie et de travail (article 151 du TFUE). Qui plus est, la directive sur le temps de travail stipule que « l'amélioration de la sécurité, de l'hygiène et de la santé des travailleurs au travail représente un objectif qui ne saurait être subordonné à des considérations de caractère purement économique ». Tout « réexamen en profondeur » de la directive se doit de respecter et d’étendre cet acquis communautaire.
4) Cela signifie que toute révision de la directive devra prévoir l’élimination de l’ « opt-out » et faire en sorte que les heures de garde soient considérées comme du temps de travail, de même que les périodes de repos compensatoire prises juste après les heures de garde, conformément à la jurisprudence mise en place par la CJUE. À cet égard, la CES rappelle la position forte et claire prise par le Parlement européen (PE) et demande que soit respecté son vote à la majorité absolue du 17 décembre 2008. Toute tentative de faire perdurer ou d’étendre les pratiques impliquant un temps de travail trop long, irrégulier ou malsain pour des raisons d’ordre commercial et/ou financier doit être considérée comme contraire aux obligations légales précitées et aux principes élémentaires de protection de la santé et de la sécurité. La CES ne soutiendra aucune proposition de révision qui ne règle clairement et sans ambiguïté ces problèmes.
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La directive sur le temps de travail est-elle adaptée aux réalités du 21e siècle ?}}
5) Le principal objectif de la directive sur le temps de travail est, et doit rester, la protection des travailleurs contre les risques que posent les horaires de travail trop longs et irréguliers en matière de santé et de sécurité. Les concepts de santé et de sécurité doivent être interprétés dans le sens le plus large et englober tous les facteurs, physiques et autres, susceptibles d’affecter la santé et la sécurité des travailleurs sur le lieu de travail ; ils doivent prendre en compte les nouvelles avancées dans le domaine de la compréhension des besoins des travailleurs en la matière. Les nouvelles formes d’horaires flexibles, précaires ou anormaux, l’intensification du rythme de travail, les modalités horaires mettant en péril l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée ; toutes ces dispositions entraînent un surcroît de stress et de maladie lié au manque de contrôle qu’ont les travailleurs sur le travail et sur leur vie et doivent être abordées dans le cadre de la révision de la directive.
6) La lutte contre les horaires de travail trop longs ou irréguliers est un élément important de la protection des travailleurs et des tiers (dans la circulation, dans les soins de santé, etc.) mais également de la modération de la concurrence à la baisse dans le domaine des conditions de travail. À l’heure de la mondialisation et de l’européanisation du marché du travail, si l’on désire assister à une concurrence équitable et s’assurer le soutien des travailleurs à l’ouverture des frontières et des marchés, il est indispensable d’adopter des normes minimales claires, sans équivoque, sans « opt-out » et aménageant un plancher pour la concurrence tant nationale qu’internationale. Il est par ailleurs essentiel que les travailleurs bénéficient d’un salaire décent ; celui-ci constitue en effet un pré-requis à la protection de la santé et de la sécurité, afin d’éviter que les travailleurs n’aient à accepter des conditions de travail malsaines ou injustes.
7) Aucune étude récente n’apporte le moindre fondement aux thèses affirmant que protéger les travailleurs contre les horaires trop longs ou irréguliers serait un concept obsolète. Les dispositions actuelles de la directive sur le temps de travail autorisent déjà un large éventail de dérogations et d’options en matière de flexibilité.
Plutôt que d’en introduire plus encore, la directive doit être renforcée afin de mieux protéger les travailleurs des risques en matière de santé et de sécurité que posent les nouvelles pratiques d’organisation du travail et les nouvelles formes d’arrangements contractuels affectant les horaires de travail.
Les points de vue de la CES
8) Au cours des sept dernières années, la CES et ses organisations membres, avec le soutien de la majorité du Parlement européen, se sont mobilisées contre les propositions visant à déforcer la directive sur le temps de travail. Le processus a finalement mené à un échec du processus de conciliation avec le Conseil au printemps 2009. Un an plus tard, la CES estime que la Commission ne peut ignorer cet historique.
9) La CES ne peut et n’a pas l’intention d’abandonner les concepts fondamentaux sous-tendant la réglementation et la recherche en matière de santé et de sécurité, concepts qui restent au cœur de ses principales revendications.
a) La santé et la sécurité des travailleurs sur le lieu de travail ne peuvent être subordonnées à des considérations purement économiques ou financières.
b) La « clause d’opt-out » est incompatible avec les principes fondamentaux de protection de la santé et de la sécurité. La semaine de travail doit être limitée à un maximum moyen de 48 heures, sans possibilité de dérogation. La CES continuera à se mobiliser en faveur de l’élimination de l’ « opt-out » de la directive sur le temps de travail et contre son utilisation en pratique.
c) Les heures de gardes prestées sur le lieu de travail sont du temps de travail, non des heures de repos. Il s’agit là d’un acquis communautaire qu’il est urgent de faire appliquer. La CES n’acceptera pas l’introduction d’une nouvelle catégorie de temps de travail « inactif » à mi-chemin entre travail et repos.
d) La notion de « repos compensatoire équivalent » est un élément fondamental de la directive sur le temps de travail. La CES ne peut accepter qu’il soit vidé de son sens. Le repos compensatoire doit suivre immédiatement les heures de garde, comme en a décidé la CJUE.
e) Une période de référence de quatre mois pour le calcul de la semaine de travail moyenne de 48 heures suffit amplement à répondre aux besoins modernes des entreprises et des travailleurs. Sans garde-fous, l’allongement de la période de référence peut entraîner l’imposition unilatérale d’horaires de travail très longs et irrégulier, ce qui est inacceptable.
Si elles sont inévitables, les dérogations de cette règle de base doivent être présentées de manière à promouvoir l’adoption de solutions négociées entre des parties disposant d’un pouvoir de négociation suffisant pour garantir un résultat équilibré. La conservation de la négociation collective comme pré-requis pour une dérogation à la période de référence de quatre mois représente par conséquent la meilleure des garanties.
f) La durée maximale moyenne de 48 heures imposée par la directive doit s’entendre « par travailleur » et non par « contrat de travail », et ce, même si le travailleur possède plusieurs contrats avec le même ou un autre employeur. Cette interprétation est la seule qui soit compatible avec les objectifs de protection de la santé et de la sécurité de la directive.
10) En outre, il est possible qu’il soit nécessaire de réviser la directive sur le temps de travail afin de la rendre plus adaptée aux réalités du 21e siècle. Il faudrait à ce titre :
a) revoir la notion « d’adaptation du travail au travailleur » afin de prendre en compte le fait que le travailleur moderne moyen est un homme ou une femme possédant d’autres obligations dans la vie que le travail, ce qui peut lui occasionner des besoins variant au cours de sa vie ;
b) introduire des dispositions renforçant le pouvoir de négociation des travailleurs afin de faire émerger des schémas de temps de travail mieux adaptés à leurs besoins ;
c) considérer l’amélioration des horaires de travail comme un facteur d’amélioration de la productivité et de réduction de l’absentéisme ;
d) clarifier la définition du terme « travailleur » dans le cadre de la directive, limiter les exclusions de couverture que subissent les cadres et dirigeants aux véritables hauts dirigeants, aborder le problème des faux indépendants et étudier la possibilité d’étendre la protection offerte par la directive aux personnes travaillant pour leur propre compte ;
e) appeler les États membres à mieux faire appliquer la directive en investissant dans l’inspection du travail et en soutenant les initiatives des partenaires sociaux.
11) À l’heure où la proportion de femmes dans la main-d’œuvre est en augmentation et où les besoins en matière de services aux familles actives et aux populations vieillissantes se font de plus en plus sentir, ces questions sont particulièrement pertinentes pour le secteur public, et surtout dans les secteurs des soins de santé et du social, mais également pour les autres services de première ligne tels que la police et les pompiers. Si nous voulons garantir la qualité et la viabilité des sociétés européennes, il est essentiel que les services public recrutent du personnel, le conservent et soient des lieux de travail attrayants offrant des services de qualité.
12) Bénéficier d’horaires adaptables tout au long de sa vie professionnelle est un pré-requis important à une vie professionnelle plus saine ; ceci peut contribuer à atteindre l’objectif visant à augmenter le taux d’emploi des travailleurs plus âgés, qui sera atteint si les travailleurs ne sont pas épuisés par de longues heures de travail effectuées pendant de nombreuses années avant la date de départ à la retraite. L’adaptation régulière du temps de travail tout au long de la vie du travailleur peut aussi déboucher sur un « gagnant-gagnant » pour l’employeur.
13) La crise économique nous oblige également à aborder le débat sur le temps de travail et l’adaptabilité selon un autre angle : en raison de la hausse du chômage dans bon nombre de pays de l’Union européenne, la chose la plus logique à faire est de promouvoir des solutions qui maintiennent le plus grand nombre possible de personnes au travail, plutôt que de mettre la pression sur quelques travailleurs pour qu’il travaillent des heures plus longues !
14) La défense des horaires de travail plus sains ne va pas seulement dans l’intérêt des travailleurs : elle peut également constituer une stratégie concurrentielle efficace. Les employeurs en bénéficient également : la productivité augmente, les taux d’absentéisme et de roulement du personnel diminuent, les travailleurs sont plus motivés et utilisent mieux leur temps, ce qui signifie qu’ils sont également plus performants. Cette approche visant à limiter les horaires de travail tout en offrant aux travailleurs comme aux employeurs plus de souplesse se défend particulièrement bien sur le plan commercial, dans la mesure où tout le monde y gagne.
15) La Commission doit intégrer dans sa future « évaluation d’incidence sociale et économique » toutes les études et conclusions de l’OIT, de la Fondation de Dublin et d’autres organisations et les prendre en compte lors de la rédaction de ses propositions de révision de la directive sur le temps de travail. Cette évaluation d’incidence doit être publiée avant la deuxième phase de consultation des partenaires sociaux au niveau de l’Union européenne afin que ceux-ci puissent prendre position sur les propositions de la Commission en ayant en main toutes les informations nécessaires.
16) Toute initiative de révision de la directive doit mettre un terme à l’ « opt-out » et mettre en œuvre des solutions équilibrées et viables en matière d’heures de garde qui respectent la jurisprudence de la CJE. La CES et ses membres ne soutiendront aucune proposition venant déforcer la directive actuelle. Si une telle proposition venait à être avancée, la CES et ses membres se focaliseront sur la mise en œuvre et l’application de la directive actuelle ainsi que de la jurisprudence accumulée ; elles sensibiliseront et mobiliseront les acteurs de tous les niveaux contre l’utilisation de l « opt-out » et les autres pratiques malsaines en termes de temps de travail.
17) La CES n’entamera avec les associations patronales européennes aucun dialogue sur le réexamen ou la révision de la directive sur le temps de travail tant que les positions des partenaires sociaux seront trop éloignées pour qu’un exercice fructueux puisse être envisagé. De l’avis de la CES, les conditions ne sont actuellement pas remplies pour que la question puisse être abordée dans le cadre du dialogue social.